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Vermine de Aespenn



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Informations

» Auteur : Aespenn - Voir le profil
» Créé le 19/09/2019 à 15:07
» Dernière mise à jour le 09/01/2020 à 11:39

» Mots-clés :   Absence de combats   Absence de poké balls   Conte   Drame   Kanto

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Contraste
Bonjour à vous !

Je reviens aujourd'hui avec un autre petit conte que j'ai adapté pour le concours de fanfictions "Épée et Bouclier". Je précise d'ores et déjà que l'ambiance est assez sombre et que même s'il n'y a aucun passage qui demande aux âmes sensibles de s'abstenir, je préfère prévenir.
Un immense merci à MissDibule pour son superbe travail de bêta et une pensée pour ses yeux qui saignent par ma faute.
Ceux qui lisent mon blog savent que j'adore les devinettes alors, pour toute cette fanfiction, je vous en pose une seule : quel jeu vidéo à pu m'inspirer ?
Le gagnant ou la gagnante pourra proposer un Pokémon que je mettrais en scène dans le prochain conte. Quoi ce n'est pas terrible ?
En fin de chapitre, vous pouvez trouver une musique d'ambiance que j'ai défini comme le thème de Will.

Bonne lecture ! (^_^)/





Une frite échouée à terre. Personne ne la remarque.
Les êtres d’ici sont bien trop habitués à marcher sur la crasse, à piétiner, à s’asseoir et à rire trop fort. À faire beaucoup de bruit.
Les grands bipèdes de chair raclent le sol de leurs vieux tabourets, froissent le tissu de leurs vêtements, avalent leur pitance sans jamais se douter que les miettes chutant à terre deviendront le repas d’un autre. De toute une colonie.

Alors que ces créatures-là tirent sur des leviers à longueur de journée, actionnent de curieuses machines qui tintent, tintent et tintent encore, d’agiles rongeurs louvoient entre les pieds des tables, des chaises, en volant des morceaux de mangeaille.
Leurs petites pattes ont l’habitude de glisser sur ce sol graisseux ; elles galopent en silence. Le bruit des griffes crissant sur le dallage reste étouffé par les jetons brassés dans le ventre des automates. Les grands bipèdes tirent encore sur les leviers tandis que leurs dents déchirent la chair d’un casse-croûte empli de charcuterie ainsi que de verdure.

Les rongeurs lèvent haut le chef en espérant voir tomber la nourriture.
Les géants humains ont les yeux rivés sur des écrans. Ils sont presque similaires aux machines qu’ils remplissent de jetons : ils demeurent immobiles sur leurs sièges en espérant gagner. Mais peu d’élus y parviennent.
La frite est rompue en deux. Le goût de l’huile, mêlé à celui d’une sauce industrielle se répand sur la langue des Pokemon alors que leurs estomacs grondent de plus belle. Un coup d’œil écarlate aux alentours, juste pour aviser de leurs congénères ramassant les restes. Une miette par-ci, une feuille de salade fanée par-là… leur repas se consolide à coups de dents et de pattes.

Ils sont malins. Ils sont furtifs. Ils redoutent les beuglements humains parce qu’ils savent que le balai suit de près. On n’aime pas beaucoup les voir traîner dans le coin, ils font fuir les géants bipèdes. Ils ne savent pas vraiment pourquoi mais c’est ainsi : on les chasse.
Pourtant, cet endroit est un sacré coin à nourriture. Ce qui chute à même le sol n’est pas grand-chose ; le garde-manger abondant de délices attend plus loin. Juste derrière la vigilance des gardiens de ces lieux.

Les rongeurs qui ont la gueule pleine s’en vont vers la colonie à toute allure tandis que les autres continuent de guetter. Ils sont plus rapides, plus intelligents, plus alertes alors ils sauront arracher un morceau de mangeaille au nez et à la barbe des humains. De toute manière ils n’en veulent plus, alors à quoi bon les empêcher de se servir ?
La logique des géants bipèdes reste absurde.

Des regards écarlates embrassent le décor comme une seule entité. Les oreilles rondes tressautent, les sillons de veines palpitent alors que les sons se dispersent. Ils sont habitués, ils reconnaissent les voix, les intonations…
Au-delà des machines de jetons, des leviers qui dansent toute la journée, il y a le muret aux merveilles. On y confectionne les casse-croûtes gorgés de viande, de légumes, de mie tendre comme moult appels aux rongeurs affamés. Les odeurs de nourriture affolent les sens mais ils doivent garder la tête froide. Ils ne pourront jamais se hisser sur le muret pour emporter un tel mets de choix, ils le savent.

Le garde-manger se trouve plus loin, dans un coin. Les humains qui s’affairent à réaliser les casse-croûtes n’y prêtent pas vraiment attention. Après tout, il ne s’agit que d’un récipient de plastique crasseux avec un sac obscur, un véritable dépotoir recelant de pitances. L’odeur est rance, terrible pour les géants bipèdes mais si alléchante pour les rongeurs… les effluves tendent leurs mains invisibles, s’accrochant à leur narines si bien que les estomacs hurlent. La salive s’accumule dans les gueules. Ils ont faim.

Un coup d’œil furtif suffit à remplacer la parole. Ils l’ont fait des centaines de fois alors ils savent comment agir. Peut-être que l’un d’entre eux verra arriver le balai. Il y aura des pattes folles, des bleus sûrement mais il s’agit là du prix à payer pour manger.
S’ils rentrent bredouille alors ils se contenteront des emballages qui bordent les poubelles extérieures. Ils lécheront la graisse, tenteront de percevoir les derniers vestiges du goût et cela leur donnera l’illusion d’être nourris.
Un bruit de froissement.

Un être humain vient de jeter quelque chose dans le récipient à déchets. Une voix chantante jure parmi les autres, comme un signal pour passer à l’action.
Les rongeurs reconnaissent les mots, ils ne sont pas idiots : un géant de chair vient demander un casse-croûte. Son interlocutrice se saisit d’un morceau de baguette, son bras doré recouvert d’un gant de plastique, puis s’active.
Elle laisse aux Pokémon quatre minutes pour se précipiter vers la poubelle, saisir quelque chose, et s’enfuir. Ils n’ont pas le temps de penser : ils agissent.
On ne les remarque pas. Les premiers rongeurs attrapent un morceau de charcuterie, une tranche de tomate abîmée, une portion de fromage trop fine… les suivants ne sont pas aussi chanceux.

Un cri perçant retentit : l’être humain les a pris en flagrant délit. Les traits de son visage se déforment, elle remet le casse-croûte à son semblable – qui maugrée contre les conditions d’hygiène douteuses – avant de taper du poing sur le muret.
Les cœurs des rongeurs s’affolent. Ils se cognent contre les côtes, s’époumonent afin de prévenir du danger. Les nerfs prennent le relais en compagnie de l’instinct : il faut fuir.
Mais il faut manger, aussi.

Un Pokemon, deux Pokemon se faufilent… ils ne tiennent que de pauvres trognons dans leurs gueules. Ce n’est pas assez.
Le dernier rongeur se fige. Ses oreilles perçoivent le fracas du balais, son œil écarlate imprime les mouvements de l’être humain sur sa rétine, son cerveau le prépare à encaisser la douleur.
D’un geste leste, il bande les muscles de ses pattes arrière afin de bondir jusqu’au rebord du récipient à déchets. Ses petites griffes s’enfoncent dans le sac noir en y traçant des sillons indélébiles. Il doit se hisser.
L’odeur de la pitance l’appelle.

À la force de ses pattes avant, il parvient à grimper. Il entrevoit le croûton d’une baguette et son esprit se met en alerte : il doit le récupérer.
Un coup de balai contre la poubelle. Elle valse, tangue, projette le Pokemon dans son antre. Sa fourrure violine se gorge de graisse, de sauce, d’un concentré d’ordures qui le rend bien misérable. Il n’en a cure, il plante sa puissante incisive dans le quignon de pain et se dépêche de sortir. Il n’a pas le temps d’avoir peur.
Une main puissante le coupe en plein élan. On le saisit violemment par la peau du cou si bien qu’il laisse échapper un cri de douleur. Le rongeur regarde, impuissant, son trophée s’échouer au sol.

Dehors, saleté !

On rugit, mais il n’écoute pas. Il pense aux estomacs de la colonie, il se demande ce qu’il pourra manger aujourd’hui, lui qui n’a rien rapporté. Est-ce qu’un membre de son espèce sera assez généreux pour partager son repas avec lui ?
Les portes du bâtiment aux machines coulissent. Le Pokémon ferme les yeux, raidit ses muscles. Il sait que le géant de chair va le lancer alors il doit préparer son atterrissage s’il ne veut pas se casser une patte. C’en est fini de lui s’il se blesse ainsi.
Comme prévu, on le lâche, il fend l’air, il voit le décor se flouter. Quelques secondes seulement et le sol se présente enfin. Il n’a rien.
Soulagé, le rongeur se permet un soupir.

« Will. »

Ses oreilles rondes tressautent. Will prend le temps de s’asseoir. Il plisse ses yeux écarlates alors qu’il songe que l’être humain aurait très bien pu l’attraper par la queue pour le lancer encore plus loin.
Il se masse le cou et grimace à la sensation de sa fourrure souillée. Enfin, il se retourne.
Face à lui se trouvent quelques membres de la colonie. Des Rattata misérables, certains moins maigres que d’autres, le poil terne, le regard perçant. Contrairement à Will, ils transportent tous quelque chose.
Un rongeur massif s’avance. Il a la queue cassée, vestige d’un accident durant la chasse aux ordures. Mais ce n’est que la queue alors, ça va.
Il s’approche et toise son congénère d’un air grave alors qu’il désigne le bâtiment d’un mouvement de mâchoire.

« Tu as laissé tomber ton repas, Will. »

Ce dernier ferme brièvement les yeux. Il sait ce que ça signifie pour lui et à observer les autres membres de la colonie, il est bon pour longer les poubelles, aujourd’hui. Il se voit déjà racler du fromage fondu sur le carton d’un hamburger. S’il en trouve, bien entendu.

« J’ai été surpris lorsque l’humaine m’ a attrapé par le cou, répond Will, alors je ne mangerai pas aujourd’hui. Je le sais. »

Son interlocuteur se fiche de ses excuses. Le jeune Rattata l’a bien compris. La colonie lui tourne le dos afin de regagner les égouts en l’abandonnant sur place, lui et son pelage souillé d’immondices.
Will peut les suivre le ventre vide ou bien se nourrir par ses propres moyens. Personne ne partagera son faible butin : les Rattata regagnent leur demeure, engloutissent la nourriture, puis patientent jusqu’à la chasse de demain.

Une chasse de charognards, songe Will alors qu’il les regarde s’éloigner. Qui peut parler de prédateurs lorsqu’il s’agit de dérober des ordures ? Ils ne font que se cacher, s’aplatir sur le sol jusqu’à se frotter la panse contre la crasse juste pour quelques bouts de salade !
L’estomac de Will se met à gronder. Il en rêverait de cette salade fanée, à l’instant…
Il pousse un soupir.

Le jeune Rattata se masse le ventre d’un geste bref avant de se remettre sur ses pattes, puis de filer vers le sud.
Céladopole est grande, certes, mais elle regorge de repères pour les êtres nuisibles habitués à y vivre. C’est d’ailleurs très simple : on ne se préoccupe pas des habitations humaines situées au nord puisque les ordures laissées là ne sont que ferraille, câbles et matériel en plastique.
Les géants humains font un travail compliqué avec des appareils compliqués afin de concevoir des machines compliquées. Leurs déchets ne sont que les résultats de manœuvres qui se sont transformées en échecs. Il n’y a rien à manger.
Quant au centre commercial ou aux appartements, ils sont bien trop neufs pour laisser leurs poubelles dehors : elles siègent dans un local bien à l’abri des Rattata.

Will lève haut le museau afin de capter les effluves que les courants d’air veulent bien lui apporter. Le nez des humains est trop sourd aux subtilités des odeurs. Pour un Rattata, elles sont si fortes qu’elles pourraient presque leur apparaître sous forme de volutes colorées : des parfums, de la pourriture, de la sueur, du métal, de la poussière, de la verdure… ils sentent et ils n’ont qu’à faire le tri.
Les géants de chair quant à eux, ne discernent pas grand-chose.
Will perçoit le fumet de la viande. Il inspire profondément si bien que le fantôme du sang vient s’imprimer sur ses parois nasales. Il ne se trompe pas : la décharge regorge de viande !
La faim l’appelle de plus belle alors il s’élance en direction des ordures. Tant pis pour les membres de sa colonie en train de se repaître de leur maigre repas, Will est chanceux aujourd’hui !

La viande est un mets très rare. Dans le bâtiment aux machines, il ne s’agit que de morceaux abandonnés. Ce qui n’arrive pas souvent.
Des os, des lambeaux de gras… rien de viable pour un rongeur affamé.
Mais cette odeur de viande, elle est annonciatrice d’un festin ! Will continue de courir, brûlant ses dernières forces qu’il récupérera bientôt afin d’arriver sur les lieux en premier. Il s’agit de ne pas se faire prendre son précieux butin sous son nez… si un Miaouss passe par là, il n’est pas de taille à lutter pour son dû.
Les hautes poubelles se dessinent comme une muraille. L’odeur fétide chargée d’immondices lui crève presque les narines mais le sang, lui, tapisse l’air de rouge. Le ventre de Will se tord.

Le jeune Rattata n’est pas très friand de viande saignante d’ordinaire, mais rien ne se refuse ! Il salive en imaginant une pièce crue, écarlate, vomie par un sac noir éventré. Il y plantera bientôt les dents.
Will s’aventure dans le décor apocalyptique de la petite décharge. Pour les géants de chair, il ne s’agit que d’un enclos crasseux où l’on garde les ordures en attendant le passage d’autres humains.

Un grand véhicule semblable à un monstre de métal les transporte, ouvrant sa gueule béante pour mieux avaler les déchets. Peut-être qu’il les broie dans son estomac de ferraille et si c’est le cas, il a bien de la chance : il n’a jamais faim.
De vieux cartons s’empilent, des vêtements rapiécés sont abandonnés là mais la viande quant à elle, n’est pas ici. Le jeune Rattata se redresse sur ses pattes arrière. Face à ses yeux sanguinaires s’étend une sombre marée, un troupeau de moutons noir comme les ténèbres. Avec l’odeur ignoble on se penserait presque dans un cimetière. Ce n’est pas très loin de la vérité.

Qu’est-ce qu’une décharge après tout ? Un lieu où s’amassent une quantité indénombrable d’objets abandonnés par les géants de chair.
Une véritable mine d’or pour les Pokémon nuisibles.
Will renifle l’air ambiant. La viande est proche, juste derrière ce sac, plus loin dans les ordures, là-bas, juste un petit peu… ici !
Il s’arrête.

Ses pupilles sanguinaires s’arrondissent. Le jeune Rattata s’affaisse alors que son esprit réalise petit à petit l’anomalie de cette réalité qu’il connaît par cœur.
Le flanc à terre, son petit corps reposant sur un morceau de carton, un Pokémon le toise. Parmi son poil hirsute rayé de noir et de blanc, le rouge de la blessure qui zèbre l’une de ses pattes avant jure de plus belle. De vilains sillons écarlates pleurant comme une triste fontaine. La plaie est récente.
Will a la sensation que son monde intérieur s’effondre. Vient-il de saliver à l’odeur d’un Pokémon blessé en s’imaginant qu’un beau morceau de viande l’attendrait sagement ici ? A-t-il faim au point de devenir un sombre prédateur ?
Il secoue la tête. Ses pensées sont trop nombreuses, son estomac lui fait mal, son cœur bat trop fort et parce qu’il se tient là dans la puanteur face à un Pokémon mal en point, il cesse de se laisser guider par l’instinct.

« Si tu es venu jusqu’ici pour me manger, tu es là trop tôt, mon ami. »

Le Pokémon s’est redressé. Sa tête recouverte de fourrure blanchâtre semble peser très lourd. Will devine que des vertiges doivent l’assaillir et que la fatigue physique l’emporte doucement dans son étreinte. Il se ressaisit.
Le jeune Rattata observe son interlocuteur : son poil couvert de poussière, ses oreilles broussailleuses, le masque noir qui cerne ses yeux. Ses orbes de sang.
Son museau ressemble à un galet que l’on aurait enfoncé dans sa toison afin d’achever la sculpture maladroite de son faciès.
La gorge de Will est sèche. Le rongeur avale difficilement sa salive alors qu’il tente de s’expliquer :

« J’ai cru… j’ai pensé…
- À un bon morceau de viande saignant abandonné là ? Oh, tu ne t’es trompé que de peu. »

Il semble rire de sa plaisanterie macabre. Le jeune Rattata le dévisage, interdit. Il n’a jamais vu un tel Pokémon il en est certain… ici, seuls les Miaouss, Tadmorv et Smogo abandonnés rôdent en ces lieux alors qui est-ce ? Un Pokémon au pelage rêche, hirsute, rayé de noir et de blanc comme une figure d’un autre temps. Sa voix est grave, rocailleuse, fatiguée surtout.
L’estomac de Will hurle mais il n’en a cure, fasciné et épouvanté par cette étrange rencontre.

« Vous êtes…
- Je ne suis pas d’ici, en effet. Tu as de très bons yeux. Heureusement pour toi d’ailleurs, ils doivent t’être utiles pour repérer les joyaux de nourritures parmi les ordures. »

Il achève sa tirade d’un léger rire, de nouveau. Will le regarde se mouvoir avec difficulté alors qu’il penche la tête pour lécher sa plaie sanguinolente. Il imagine sans peine le goût métallique qui piquera sa langue lors des prochaines minutes.
Le jeune Rattata ne bouge pas.

« Pas de convenances ici, reprend le Pokémon rayé, si tu veux manger, fais donc. »

Will revient à lui. Bien sûr… il est venu ici pour la nourriture. Rien d’autre. Son instinct reprend le dessus et change le décor en une réalité binaire qui sépare ce qui est comestible de ce qui ne l’est pas. Le paysage arbore un visage simpliste si bien que d’un coup d’œil avisé, le jeune Rattata décèle des épluchures de pommes de terre entassées au loin. Ses pattes avant touchent le sol, les muscles de ses pattes arrière se tendent, puis il file vers la mangeaille.
Elle n’est pas très ragoûtante, elle baigne parmi les cailloux, les cartons, la crasse, le papier, le métal… mais Will a l’habitude. Avec des gestes lestes, il écarte ce qui n’est pas ingérable, puis il se saisit des épluchures qu’il enfourne dans sa gueule béante.
Le goût de la terre ainsi que celui de la pourriture se repand sur sa langue, son palais. Il plante les dents sur la peau dure, mâche un petit peu puis avale en songeant à son estomac qui s’en trouvera ravi.

Il aperçoit des morceaux de poireaux flétris échoués à même le sol. Il ne réfléchit pas et court s’en repaître. Finalement, il a mangé aujourd’hui.
Le Pokémon rayé, étendu sur son morceau de carton sale a fermé les yeux. Une terrible sensation tord les entrailles du jeune Rattata mais elle le quitte lorsqu’il voit son flanc se soulever et s’abaisser au rythme de sa respiration.
Rassasié, il s’approche de nouveau. Will s’assoit sur son petit derrière. Sa queue fouette distraitement l’air alors qu’il observe cette étrange créature. Sa plaie reste vilaine.
Il voudrait parler mais il ne sait pas quoi dire. Puis il sursaute :

« Tu ne peux toujours pas me manger. Navré. »

Le Pokémon rayé ouvre ses yeux sanguinaires. Une lueur de défi vient s’y loger et Will le sait capable de puiser dans ses dernière réserves d’énergie pour défendre sa vie.
Le jeune Rattata se courbe quelque peu. D’une voix incertaine, il répond :

« Je n’en ai pas l’intention. Je n’en aurais jamais l’intention... »

Son interlocuteur laisse échapper une exclamation dédaigneuse. Son regard se perd vers un sac poubelle pourvu d’une longue déchirure dont les frêles rebords s’entrouvrent tels des rideaux. Ils dévoilent le spectacle d’une cascade de briques de lait.

« Tu ne sais jamais où la faim peut te mener, petit Rattata. Ton espèce est capable d’avaler des kilos d’ordures pour survivre. Des kilos d’immondices alors pourquoi pas manger la chair d’un Zigzaton endormi pour toujours, hum ? »

Les yeux de Will s’écarquillent. Sa gorge s’assèche. Il lui faudra s’abreuver dans les égouts s’il ne trouve pas une gouttière pleine.
Les mots du Zigzaton sont terribles. Mais qui est-il, par Arceus ?
En effet, les colonies de Rattata sont connues pour se nourrir des déchets laissés par les humains. Quel mal y a-t-il à cela, puisque ces derniers ne s’en serviront plus jamais ? Est-il honteux de survivre ?
Le jeune Rattata plisse son regard écarlate, puis interroge :

« Je mange peut-être des ordures pour survivre, je bois de l’eau sale pour apaiser ma soif, mais jamais je ne deviendrai un charognard de la sorte ! Ce que tu décris est monstrueux ! »

Le Zigzaton pousse un soupir discret. Monstrueux, certainement, mais réel… bien évidemment.
Ce Rattata n’a-t-il jamais assisté au triste spectacle d’un Persian rapportant l’un de ses congénères dans gueule ? On naît proie ou prédateur.
Aujourd’hui, le Pokémon rayé est une proie.
Will réfléchit. Il pense à son ballet quotidien, à cette chasse aux déchets, à cette misère qui tapisse son foyer dans les égouts auprès des siens. Si un jour le bâtiment aux machines fermait définitivement ses portes ? Si la décharge disparaissait demain ? Si les humains cessaient de laisser des vestiges de nourritures derrière eux ?

La colonie de Rattata, serait-elle seulement capable de commettre l’irréparable pour se nourrir ?
Il secoue la tête. Jamais. Jamais. Jamais.
Will n’en est pas certain.
Il plie et déplie ses longs doigts fins en un geste inconscient.
Les Pokémon s’observent. Enfin, le jeune Rattata demande :

« Que t’est-il arrivé ? »

Ah, la grande question ! Pas si grande que cela, en réalité. La scène qui se déroule dans cette décharge humaine n’est pas extraordinaire après tout. Combien de Pokémon blessés se sont rendus ici en quête de repos ? Un frêle sourire étire ses babines.

« Un stupide accident, répond le Zigzaton, je me suis simplement fait mordre par un imbécile de Caninos lors de mon trajet jusqu’ici. Ah, c’est assez agaçant ! J’ai traversé la mer, puis une grotte sinueuse pour me traîner là comme un pauvre mourant. Je peux rire de moi »

C’est ce qu’il fait.
Par-delà la mer ? Il vient de si loin ? Will regarde la blessure une fois de plus. Le Pokémon rayé ne le sait pas encore, mais une géante de chair au grand cœur, dans un bâtiment plus loin peut le guérir. Il le lui dira.
Mais avant il veut savoir :

« Comment s’appelle l’endroit d’où tu viens ?
- Oh, j’oubliais que les Rattata étaient ignorants. »

Le Zigzaton lèche sa plaie sans s’occuper de son interlocuteur qui fulmine. Ignorant ? Vraiment ? Quel toupet !

« Connais-tu seulement les lieux qui bordent cette ville, petit Rattata ? Je suis sûr que toi et tes congénères n’avez jamais songé à chercher votre nourriture en dehors de la cité… n’ai-je pas raison ? »

Will cligne des yeux. Il s’affaisse sur ses pattes avant alors qu’une longue fissure court sur la bulle de sa réalité. Parce qu’en effet : le Pokémon rayé a raison.
La vie de la colonie ne se déroule que dans le petit monde de Céladopole. Ils y ont leurs repères et jamais ils ne songent à fureter plus loin. Un schéma qui se répète a un arrière-goût de rassurant, certainement.
Pourquoi chercher plus loin ?

« Ton silence est éloquent. » raille le Zigzaton.

Ses orbes de sang se plissent d’amusement. Bah ! Les Rattata sont si prévisibles ! Dès qu’ils s’attachent à un endroit, ils mettent leurs œillères et se contentent d’y rester, même s’il n’y a plus rien à dénicher.

« Je connais bien ton espèce, reprend-il, vous êtes partout. Vous êtes partout, mais vous ne connaissez pas le monde… c’est assez cocasse. Je ne comprends pas comment vous pouvez rester toute votre vie au même endroit… mais passons. Ce n’est pas la question. »

Un coup d’œil provocateur au jeune Rattata déconfit, un coup de langue sur sa blessure et il poursuit.

« Si tu avais quitté tes égouts pour vivre, petit Rattata, tu aurais peut-être déjà rencontré l’un de mes confrères habitant la région de Hoenn. Oh, je ne viens pas d’ici, non, mais certains d’entre eux ont eu l’excellente idée de migrer plus loin… à Galar. Nous nous sommes adaptés et d’un poil aussi terne qu’un sol boueux, notre fourrure est devenue noire et blanche. Les bienfaits du voyage, sûrement. »

Malgré sa patte folle, le Zigzaton se redresse, le regard fier. Face à ce rongeur accroché aux égouts de cette cité humaine, il est un électron libre : il ne survit pas, il vit.
Cette plaie n’est qu’une disgrâce. Il s’en remettra puis il s’en retournera courir vers d’autres lieux.
Il a connu Hoenn, il a rencontré ces Zigzaton aux rayures marron comme des feuilles mortes. Il s’en est moqué.
Noir et blanc, c’est mieux. La fourrure tranche, elle est un contraste à elle seule, un merveilleux clair-obscur. Elle jure avec ses yeux rouges. De plus, Galar a permis à son espèce de pouvoir évoluer une seconde fois.

Le Zigzaton de cette belle région aime clamer que son beau poil dit « oui » et « non ».
Le jeune Rattata est captivé.
Hoenn, Galar… il ne connaît pas ces lieux. Il n’en a jamais entendu parler. Tout ce qu’il sait se trouve entre les murs invisibles de Céladopole. Il entend des histoires qui viennent de plus loin mais à présent, il réalise que ce n’est certainement pas grand-chose.

« Cela ne te fait pas peur… de te trouver loin de chez toi ? » demande Will d’une petite voix.

Le Pokémon rayé laisse échapper un rire franc. Peur ? De quoi devrait-il avoir peur ?

« Voyager ne fait pas peur, répond-il, tu n’as qu’à essayer. Tu verras bien. »

Le jeune Rattata se recroqueville sur lui-même. Quitter Céladopole ? Quelle drôle d’idée ! Quitter ses égouts, ses chasses dans le bâtiment aux machines, ses fouilles à la décharge, la compagnie de sa colonie…
Sa famille.
Il songe à son propre père. Un Rattata massif à la queue cassée, trop faible pour évoluer.
Will secoue la tête :

« Je ne peux pas ?
- Pourquoi donc ?
- Parce que… parce que… « 

Nouveau rire moqueur. Le Zigzaton provoque le Rattata de son regard sanguinaire. Puis il se lève, il s’approche, il boite mais il en a cure.
Will se fige. Il se sent mis à nu, privé de sa fourrure violine à la force des yeux du Pokémon rayé.
Il n’y a pas grand-chose à voir : regard écarlate, corps décharné, toison poisseuse, oreilles rondes zébrées de petites veines, côtes apparentes et dents jaunes.
Le Zigzaton émet une exclamation dédaigneuse comme un point final à son triste constat.

« Tu as raison, petit Rattata. Lorsqu’un bateau s’amarre à un quai, les jolis gens y descendent et la vermine reste à bord. Elle est bonne à ronger les cordes. »

Les mots frappent comme les coups du balai de la gardienne du bâtiment aux machines.
Le Pokémon rayé décide d’aller boiter en direction de la grande et jolie bâtisse du fond. Il sait qu’une gentille humaine ainsi que ses amis fleuris et feuillus accepteront de le soigner. Il n’est pas idiot.
Demain, il s’en ira plus loin dans cette belle région de Kanto. Il ricane en songeant que le petit Rattata laissé derrière lui, ne connaît sans doute pas le nom de sa propre contrée.

Le regard de Will fixe un point invisible parmi le décor misérable de la décharge. Il se sent aussi vide que les cartons qui s’y empilent. Son quotidien s’est mué en une bulle qui éclate, les murs sont tombés alors il réalise petit à petit que sa vie n’est réduite qu’à un éternel recommencement.
Un infini déplorable. Triste.
Son existence à lui, comme celle de sa colonie est enfermée dans une énorme boîte semblable à celles que regardent les humains. Sauf que l’image ne change jamais.

La vermine est bonne à ronger les cordes, en effet. Toujours la même, chacun la sienne, jusqu’à ce qu’elle rompe de manière définitive.
Le jeune Rattata secoue la tête. Ses muscles le font souffrir. Il s’est tendu sans s’en rendre compte.
Tremblant, il se remet sur ses pattes et décide de quitter la décharge. Il prend la direction des égouts, là où se trouve la colonie.
Will a une question à poser à son père. Il veut savoir pourquoi les Rattata d’ici s’entêtent à répéter le même schéma. Pourquoi ne pas aller plus loin ?
Alors qu’il s’enfonce dans les souterrains de Céladopole, ses pensées tournent, tournent et tournent encore.

La vermine ne peut-elle pas descendre sur le quai, en compagnie des jolis gens ?







Le thème de Will