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Tranchant comme une lame de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 06/09/2019 à 16:36
» Dernière mise à jour le 29/09/2019 à 12:03

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Médiéval   Mythologie   Présence d'armes

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Un pouvoir
Ainsi armé, il pourfendit les Pokémon pour s’en repaître jusqu’à la lie.

*****

Assis dans la maison du doyen, Neko discutait avec lui du katana passé dans sa ceinture.

Hum… Dit comme ça, jeune homme, c’est vrai que cette discussion risque de prendre un certain temps. Voudrais-tu que je te serve un verre d’eau ?

— Oui, s’il vous plaît.

Le vieil homme se leva, et saisit deux verres en argile posés à côté d’un seau. Il les y remplit, puis revint vers le tapis où était assis le tresseur. Ce dernier but une gorgée, puis reprit.

Le Bushido ne tient pas compte des Kamis. Et même si je ne suis pas samouraï, il s’applique à moi en interdisant aux simples paysans de posséder une arme. Mais j’ai promis à un Kami de la conserver.

— Désobéir au Kami, c’est désobéir directement aux dieux. Mais désobéir au Bushido, c’est désobéir à la volonté de l’Empereur, qui représente les dieux sur la terre.

— En d’autres termes, je ne peux pas suivre le droit chemin. Où que je sois, je désobéis aux dieux. Voilà ce qui me trouble aussi durement.

— Pas forcément, le rassura le doyen. Non. Leur sagesse est grande : peut-être ont-ils prévu une telle situation, et permis d’exister à un moyen pour toi de tenir compagnie à l’épée sans la porter pour autant.

— Je ne vois guère comment... Et d'ailleurs, doyen. Sauf votre respect, je comprendrais plus vite avec des phrases moins compliquées.

Le concerné fit semblant de toussoter.

Il m'arrive de me laisser emporter. Bref : tu ne vois pas cuel est ce moyen... Eh bien moi non plus ; mais nous y reviendrons plus tard. Selon moi, la question la plus importante est plutôt celle-ci : qui est responsable ?

Neko, étonné, le regarda en haussant un sourcil. Le doyen répondit en avalant une gorgée d’eau.

Responsable de quoi, doyen ?

— Mais, du fait qu’un paysan porte une arme. Ushinawareta-ana est un endroit reculé : nous sommes sur la pointe à l’ouest de Sinnoh, et il est rare que des samouraïs passent par ici… Mais si c’est le cas ? Ils ne demanderont pas ce que tu aurais dû faire. Ils demanderont qui doit être blâmé, ou non.

— Est-il plus important d’obéir aux lois des dieux, ou bien de se préparer à résister aux punitions données par ceux qui les font respecter ? Doyen, je m’excuse si mon irrespect vous offense, mais je ne pense pas que vous posiez la bonne question.

— Si, répondit le vieil homme d’un air malicieux. C’est cette question qui m’a apporté la réponse : elle peut donc être posée.

— Je vois… J’imagine que je n’aurais pas dû accepter la demande du Kami en sachant que cela me ferait transgresser la loi de l’Empereur ; mais il était blessé et en grand besoin d’aide. Je ne pouvais pas le laisser dans cet état !

— Si tu trouves sur le bord du chemin un homme qui agonise, tu peux choisir de l’y laisser, car c’est sans doute la volonté des Kamis s’il est là. En lui portant secours, tu risques d’offenser un Shuyona-Kami, un esprit majeur de la Nature.

— C’est vrai, murmura Neko avec une amertume qu’aucune rasade d’eau ne semblait pouvoir effacer. C’est vrai, les revers de fortune d’un homme ne concernent que rarement les autres. Mais ceux d’un Kami ? Il m’a appelé, je devais l’aider.

— Voilà, annonça le doyen avec satisfaction. Là, tu es en accord avec la volonté des Kamis.

Neko garda le silence, le temps d’assimiler entièrement la révélation. Le doyen avait une fois de plus fait preuve de la sagesse qui lui valait le respect des siens.

Vous avez raison… La justice est que je garde l’arme.

— Ainsi soit-il.

Neko se releva, remercia chaleureusement le doyen, puis le quitta avec moins de doutes pesant sur ses épaules.

***
Deux jours plus tard, les paysans demandèrent l’aide des artisans pour récolter le riz.

Ushinawareta-ana ne possédait pas énormément de rizières ; coincé entre la mer et la montagne, le village n’avait que peu de terres cultivables. Pourtant, la récolte était une tâche qui le mobilisait en entier, à cause de sa difficulté.

On ne récoltait pas les plants de riz eux-mêmes, mais leurs panicules, qui contenaient les précieux grains. Ce qui impliquait de passer la journée courbé, à séparer péniblement les parties de la plante pour arracher seulement celle qui était intéressante. Si tous les hommes et toutes les femmes du village s’y mettaient, cependant, la récolte pouvait se faire assez rapidement et ne pas être trop pénible.

Du fait de son grand âge, le doyen ne participait qu’en partie. Il pouvait encore marcher sur d’assez longues distances, mais se baisser devenait difficile pour lui. Alors, il ne travaillait que peu ; surtout au début de la journée, pour inspirer par son enthousiasme le reste du village.

Le reste du temps, il vagabondait dans la rizière, parlant un peu à tout le monde, encourageant ceux qui fatiguaient et revigorant ceux qui s’effondraient. Il compensait par son enthousiasme démesuré les faiblesses que l’âge imposait à son corps et que le travail imposait à ceux des autres.

Mais si son rôle s’arrêtait là, la sagesse du doyen ne le laisserait pas se limiter à si peu. En passant dans les rangs des Ushiniens qui travaillaient, et parfois en travaillant lui-même, le doyen comptait.

Il était difficile d’estimer la qualité d’une récolte ; on pouvait connaître le nombre de plants que comptait une rizière, mais les panicules n’abritaient pas toujours autant de grains. Alors ces grains, le doyen les comptait. Discrètement ; en fait, il estimait leur nombre, plutôt que de vraiment les compter. Et en comparant ses estimations avec les nombreuses récoltes gravées dans sa mémoire ancienne, le doyen pouvait anticiper, pendant la récolte, la qualité de celle-ci.

Dis-moi, Supedo.

— Doyen ? répondit le paysan en se relevant, un sac de riz en main.

— Ta rizière a-t-elle eu des problèmes particuliers, pendant la croissance des plantes ?

— Je ne crois pas, non ; le riz aura produit autant de grains ici que partout ailleurs.

— Hum.

Sans se laisser arrêter par l’air revêche du doyen, Supedo lui posa la question inévitable.

Vous pensez que nous aurons une famine ?

— J’en suis sûr, Supedo. Pas la plus brutale que j’ai vu, nous y survivrons ; mais nous devrons nous serrer la ceinture pour passer l’hiver. Nous avons déjà trop entamé de nos réserves cet automne, et je crains que la récolte de la fin du printemps prochain ne soit tardive.

— Alors qu’elle n’est pas connue pour être généreuse…

La mine de Supedo s’assombrit, à son tour. Il allait retourner à sa besogne, quand le doyen l’interrompit d’une voix anxieuse.

Neko m’inquiète.

— Neko ? demanda un Supedo surpris. Pourquoi ?

— Tu sais quel rapport il entretient avec la famine. Les trois dernières fois, il donnait la moitié de ses rations au village en prétextant que son travail n’en exigeait pas tant.

— Je m’en rappelle, oui. Mais où voulez-vous en venir ?

— Ce katana ocre, qu’il a reçu… C’est une belle arme. Élégante, majestueuse sans être surchargée. Mais surtout, une lame qui a été créée pour tuer.

— Humpf, renifla Supedo pour signifier sa désapprobation. Je vois mal Neko tuer qui que ce soit. Il a incroyablement changé en à peine cinq jours, mais pas dans cette direction.

— Aujourd’hui, alors qu’il a décidé de soumettre chacune de ses actions aux approbations de la justice et de la sagesse… Non. Mais demain, quand les souvenirs douloureux hanteront son âme, qui sait comment son jugement pourrait être altéré ?

— Vous serez là pour le soutenir, doyen, et le garder dans le droit chemin. Ne mourrez pas cette année, et Neko rendra le katana au Kami.

— Non, Supedo, contesta le doyen avec une grande tristesse dans sa voix. Si mince, si subtile soit-elle, la folie ne peut pas, jamais, se combattre par la raison, car elle en a les apparences. Ce que Neko décidera juste de faire pour nous avec cette arme le restera pour lui, si loin soit-il dans le tort, et ne sera jamais altéré par mes arguments. Et tout à sa certitude de justice, il le fera.

***
Neko se sentait perdu. Seul. Abandonné, alors que le village tout entier se serrait les coudes ; à l’heure où chacun songeait en premier à l’entraide, où la solidarité était à son apogée à Ushinawareta-ana… Lui ressentait l’isolement, et tout lui semblait fade.

Pourquoi ? Alors qu’il était de ceux qui donnaient le plus d’eux-mêmes ; alors que le village entier faisait bloc avec lui au centre… C’était impossible ! Qu’est-ce qui n’allait pas, pour que son malaise persiste ?

La réponse, il le savait, se tenait de l’autre côté de la promesse infranchissable qu’il avait faite si vite à Zacian, un mois plus tôt. Le katana passé dans sa ceinture condensait tous ses doutes. Son poids impossible à oublier, lancinant, rappelait en permanence au tresseur qu’il n’avait aucun droit à s’écarter de la justice.

Neko s’interdisait de ressentir de la fierté pour ne pas avoir dégainé l’arme depuis cette erreur du premier jour. Scrupuleusement, il suivait le chemin de la justice ; et ses nuits s’encombraient désormais avec la seule question de savoir si une action automatique, réalisée sans y penser, sans se questionner au préalable, pouvait être juste.

Tout était tellement plus simple avant de recevoir le katana. Maintenant, le sort s’acharnait contre un tresseur de nattes. Famine. Malaise. Et l’obligation implacable de la justice ; pourquoi était-elle si dure, si lourde à porter ?

À Ushinawareta-ana, tout allait comme si de rien était. Les paysans s’occupaient de leurs champs, les artisans travaillaient, allaient chaque semaine vendre leurs créations au marché de Mio, et y acheter autant de nourriture que leurs ventes le leur permettaient. La famine n’était pas un événement rare ; en temps de guerre, c'était même presque quelque chose de normal. On avait appris à y résister, à faire face. Seule l’apathie des villageois, plus importante que d'habitude, permettait de la ressentir.

Un seul souffrait vraiment. La faim, après tout, était une compagne quotidienne du travail des champs, pour la plupart des habitants de Sinnoh, voire du Nippon. Si mortelle qu’elle soit, la famine n’impressionnait plus.

Neko, lui, luttait avec ses démons intérieurs. La famine étouffait sa candeur malicieuse, et faisait ressortir son côté mélancolique. Quoi de moins étonnant, alors qu’elle avait emporté ses parents, si peu longtemps auparavant ? Le temps pouvait panser les blessures les plus profondes, mais les cicatrices resteraient toujours douloureuses.

Et une seule personne du village ne comprenait pas d’où venait l’inconfort du tresseur. Lui-même. Lui seul ignorait où chercher la source de tous ses problèmes, dans son passé contrasté. Lui voyait tous les problèmes pendre à sa hanche.

***
Assis sur son tapis de travail, tressant des nattes pour nourrir le village, Neko se demanda s’il avait succombé à l’influence du katana.

C’était drôle, la façon dont une idée était plus difficile à écarter qu’une invasion de sauterelles, ou que n’importe quel parasite. Une idée, une fois mise en mots, une fois attrapée, ne se laissait jamais détruire. Pourtant, il avait essayé.

Il avait repoussé la question. Il avait refusé de l’entendre, de la poser. Elle était revenue, insidieusement, jusqu’à ce que le tressage rendu automatique passe au second plan et que le tresseur se demande, contre sa volonté, si tresser était juste.

Était-il juste qu’Ushinawareta-ana dépende en partie de ses compétences ? De ses maladresses ? De la richesse et de l’avarice de ses clients ?

Mais s’il ne tressait pas, que faire alors ? Là, surgissant d’où il ne l’aurait jamais attendue, avait surgit l’idée. Il était armé.

Il pouvait chasser.

Sur son ordre, les questions avaient inondé l’envahisseur insidieux. Était-il tombé sous la coupe de l’arme ? Avait-il perdu l’esprit ? Avait-il oublié sa promesse ? Comment pouvait-il songer un seul instant à dégainer la lame une fois de plus ? Et alors que le flot faiblissait, une nouvelle vague intervint. Chasser était-il juste ?

Neko envisagea cette question. La recherche de la justice, il ne pouvait pas l’écarter du revers de la main ; alors il s’attela à répondre.

Chasser. En l’absence de riz, traquer et abattre les habitants de la Nature. Ces kamis auxquels le Nippon appartenait au même titre qu’aux hommes, mais qui portaient en plus la force de la nature. Tuer des esprits de la nature avec l’arme d’un Kami, pour nourrir un peuple affamé, était-il juste ?

Ou plutôt, l’inverse ; était-il juste de ne pas le faire ?

Neko pouvait-il, au nom de la justice, laisser les paysans d’Ushinawareta-ana mourir de faim, alors qu’en acceptant de se servir en mal de l’arme de Zacian, il empêcherait ce mal plus grand encore ?

Il ne put répondre. Une fois de plus, il était confronté au rude dilemme de choisir sa voie entre deux chemins où régnait le mal. Comme la dernière fois, il allait devoir soumettre ses doutes au doyen, en espérant que le sage homme ne verrait pas ce jour-là son jugement s’égarer. S’égarer comme le faisaient les pensées du tresseur.

Oui, il irait s'en remettre à une sagesse plus grande. Il ignorait, alors, qu'il le regretterait.

***
Quand Neko ressortit de la maison du doyen, il était hagard. Le vieil homme n’avait pas du tout réagi comme il s’y attendait : plutôt que de le pousser à peser ses arguments, de le faire douter, de l’amener à la solution et de le rassurer, il avait perdu son sang-froid et invectivé le jeune tresseur.

Les cris du doyen devaient s’être entendus dans tout le village ; sa voix portait encore à travers les murs de papier, malgré l’âge. Depuis la porte de sa maison, Neko vit quelques curieux qui faisaient mine d’avoir à faire dans la rue. Quand eux le virent, il sentit leur hésitation : ils voulaient s’enfuir, ne pas avoir l’air d’avoir écouté la discussion qui avait mal tourné ; et en même temps, ils ne voulaient pas sembler fuir devant Neko. Pas en période de famine, alors que chacun se serrait les coudes.

Le doyen, lui, n’eut pas ces scrupules : à peine Neko eut-il le temps de se retourner pour le voir sortir, que le vieil homme haranguait déjà furieusement la petite foule.

La honte soit sur nous et sur nos vies ! Venez, regardez, et fuyez : car c’est un crime qui se joue ici !

Qui soutenir ? S’en aller, en signe de confiance à Neko, ou éviter de manquer de respect au doyen, et tenter de le calmer ? Quelques-uns restèrent, quelques autres partirent, et d’autres encore accoururent de plus loin, ne voulant pas se tenir éloignés d’un événement inhabituel.

Entendez ma voix si vous n’avez pas peur de la discorde et de la vérité révélée ! Nous abritons en notre sein, dans ce village paisible et respectueux des dieux, un imbécile, sinon un meurtrier !

— Holà, doyen ! l’alpagua Supedo. Qui justifie tes hurlements de poulet qu’on égorge ? Quand même pas l’innocent Neko ?

— Pas l’innocent, non ! rétorqua le doyen. Le fou, ou le criminel ; mais pas l’innocent !

La plupart des villageois qui avaient fui revînrent, attirés par cette altercation inhabituellement violente entre les deux hommes les plus gais du village. Quant à Neko, qui se tenait debout et ébahi au centre de la rue, il ne savait pas trop sur quel pied danser. Il n’osait pas intervenir dans la dispute qu’il avait causée, sa confusion l’empêchant de penser. Et le doyen reprit.

Innocent, il l’a été jusqu’à maintenant : mais maintenant, je l’accuse d’être criminel ! Nul n’abondera dans mon sens, j’en suis conscient ; alors faîtes silence, et laissez-moi soutenir mon accusation !

Les mots du vieil homme volèrent dans la rue et les bruissements des conversations s’interrompirent. Supedo lui-même ne dit rien, et concéda la parole au doyen d’un hochement de tête. Ce dernier la prit, plus calmement mais non moins fermement.

Vous avez peut-être remarqué que notre tresseur de nattes a changé, depuis qu’il a reçu un katana de la part d’un Kami. Il hésite ; il pèse ses actions. Il ne veut plus rien faire, qui ne soit pas issu de la justice. Moi, je vous dis ceci : la justice est trop complexe pour être toujours suivie à la lettre !

Des murmures intrigués reprient : où le doyen voulait-il en venir, avec ce raisonnement en apparence contradictoire ?

Ton erreur, Neko, est de t’en être remis à la seule justice. Ce faisant, tu as oublié la morale ! Et la morale t’aurait préservé de ce que la justice t’a conseillé !

Pour la première fois depuis le début de la diatribe du doyen, Neko trouva à lui répondre. Il hésitait, et osait à peine contredire cet homme si respecté et qui avait tant fait pour lui ; mais il répondit, d’une voix faible qui n’osait pas s’affirmer.

Doyen, je… Je suis venu à vous pour vous demander conseil, à vous ! Pas à la justice ; elle m’a conduit dans une impasse. Mais en vous voyant, je — je ne…

Sa voix se brisa ; mais il devait dire ce qu’il n’osait pas crier. Alors il rassembla son courage, et parla.

Je ne peux m’empêcher de me demander s’il est juste que vous me jetiez à votre porte sans me porter secours.

La surprise arracha quelques réactions à la foule. Même Supedo ne se serait pas permis d’insulter le doyen ainsi ; alors Neko ? Celui-ci n’en tint pas compte ; il n’en revenait pas d’avoir réussi à être aussi sarcastique. Mais en lui répondant, le doyen le fut plus.

Et c’est toi qui dis ça, cracha-t-il, avec tant de mépris que dans sa bouche, toi devenait la pire des insultes. Toi, Neko, le tresseur imbu de justice ! Ta parole fait-elle loi ? Alors entend la mienne. Tu es venu à moi sous le coup d’un dilemme ; en cela, tu mérites mon soutien. Ce dilemme ne devrait jamais en avoir été un ; en cela, tu mérites uniquement mon mépris !

Le doyen avança dans la rue, vers Neko, au centre de l’attention ; il se planta à côté du tresseur, l'ignora, et s’adressa à la foule.

Quel dilemme ? C’est bien simple ! Mes amis, vous qui avez faim, Neko veut vous nourrir ; mais il craint d’offenser les dieux en le faisant !

— Doyen, tu divagues ! lui lança Supedo. Viens-en au fait : arrête de nous cacher la raison de ton courroux !

— Tu la veux, la raison ? La voilà : ce fou envisage simplement de se servir de son arme, qu’il a juré de ne jamais dégainer. Il veut la plonger dans des sangs innocents, et nous nourrir de chair ! Le tresseur que vous prétendez innocent veut chasser des kamis pour nourrir des hommes qui connaissent la famine de longue date !

Des murmures stupéfaits se propagèrent dans la foule. Neko sentit son désarroi se muer en rage, et répliqua au doyen en s’adressant à son tour aux villageois.

Ce que le doyen vous dit, affirma-t-il avec une fureur rentrée, contenue. C’est qu’il est prêt à vous laisser mourir de faim pour une question de morale.

À nouveau, la surprise parcourut la rue. Était-ce possible ?

Et vous vous disputiez sur ces bêtises depuis le début...

Supedo laissa une courte pause ; puis reprit, avec le même ton blasé et légèrement supérieur, en ignorant.

La responsabilité de Neko n’est pas la nôtre. S’il veut offenser les Kamis, qu’il le fasse ! Il porte une arme qui vient d’un Kami, et toutes ses interrogations récentes viennent de là. Quoi qu’il fasse, ce sera la volonté des dieux !

— Je ne m’attendais pas à une telle étroitesse d’esprit de ta part, répondit le doyen. Tu me déçois. Vous me décevez tous !

Sur ces mots, il rentra dans sa maison. La rue se vida en quelques minutes, chacun retournant à ses occupations. Difficile de croire qu’il venait de se produire une déchirure dont le village ne se remettrait jamais.