Chapitre 10 : Les regrets d’une famille brisée
- Les éliminer ?
Hildegarde faisait face à la source de tous les problèmes, la responsable de ses soucis de mémoire et l’altération de ses souvenirs. Celle qui les empêchait de rallier le monde réel. L’intelligence artificielle Amaryllis, créée par Kaminsky Corporation dans le but de gérer la sauvegarde en analysant le cerveau des utilisateurs. Les techniciens de la société de création de jeu-vidéos n’auraient jamais deviné que leur projet dévierait de la sorte au point d’effectuer des actions aussi drastiques.
Minerva ne quittait pas Amaryllis du regard une seule seconde. La femme aux longs cheveux blancs avait un peu de mal à comprendre pourquoi leur IA se présentait à eux sous la forme d’une petite fille guère âgée avec une tenue ghotic lolita. Jusqu’à aujourd’hui, Amaryllis n’était qu’une simple suite de codes. Si tout se passait bien et que les prisonniers parvenaient à rallier le monde réel, Minerva n’hésiterait pas une seule seconde à étudier de plus près son programme.
- C’est le seul moyen que j’ai pour te protéger, Hildegarde Linday, se justifia calmement Amaryllis, qui se tenait toujours juste devant l’ordinateur central. J’aurais préférée que tu sois toute seule dans cet environnement virtuel avec moi, les autres sont des nuisances.
- Mais je ne veux pas que tu me protèges de la… commença la femme d’affaires avant de se faire stopper par Harris Elton qui leva son bras pour l'arrêter.
- Amaryllis, je suis persuadé que tu n’as pas de mauvaises intentions en allant aussi loin mais je pense néanmoins que tu aurais pu demander l’autorisation à Hildegarde avant de commencer à jouer avec ses souvenirs. Ce n’est pas comme ça que tu lui apporteras le bonheur.
- Le bonheur ? répéta l’intelligence artificielle avec dédain. Je ne vois pas ce que j’aurais pu faire d’autre pour la sauver de la misère. Ces souvenirs que je tente de retirer provoquent chez elle une détresse qu’elle tente de dissimuler. Hildegarde Linday a besoin d’oublier l’existence de sa famille pour aller de l’avant. Je conserverai les souvenirs douloureux en moi pour qu’elle n’ait pas besoin de souffrir.
Un sourire se dessina sur les lèvres du détective privé. La conversation avec Amaryllis venait à peine de débuter et ses soupçons obtenaient déjà leur confirmation. Pour lui, il n’y avait qu’une seule raison qui pouvait pousser la petite fille à se donner autant dans le but de supprimer la famille de Hildegarde de sa mémoire dans l’objectif de la protéger. Harris savait pertinemment que les Linday avaient volé en éclats après la mort du chancelier et les magouilles d’Archibald pour récupérer l’héritage familial.
Malgré ses ressentiments envers son frère aîné, Hildegarde avait toujours regretté la situation et de perdre de vue son deuxième frère Charles-Henry et sa petite sœur Marie-Anne. Dans l’état actuel de sa mémoire, la femme d’affaires aurait été bien incapable de le lui confirmer, d’où les doutes persistants de Harris. Mais maintenant, il savait que les cent pour cent étaient atteints. Toute cette opération avait été alimentée par le simple sentiment du regret.
- Si Amaryllis n’a pas réagi quand je me suis connectée la première, ni même concernant tous ceux qui ont suivi madame Linday, c’était pour ça ? demanda Minerva, abasourdie.
- En effet. Je pense ne pas trop m’avancer en affirmant que vous n’avez pas de remords particuliers concernant une période de votre vie, madame Hamilton ? Il en est de même pour moi. Et je doute fortement que l’un de mes trois élèves se lamente sur des événements passés, j’aurais été au courant.
Le visage toujours positif d’Amaryllis commença à se déformer en grimace alors que Harris dévoilait le contenu complet de son plan et de ses intentions. L’intuition apparue en même temps que sa volonté propre ne l’avait pas trompé. Cet homme était la plus grande menace pour la réalisation de ses projets. Tenter de l’éliminer dès le départ lorsqu’il était entré en possession de l’un des papiers Amaryllis réservés à Hildegarde s’était révélé le meilleur des choix.
Néanmoins bonne joueuse, l’intelligence artificielle s’inclinait devant l’ingéniosité dont avait fait preuve le professeur pour échapper à sa vigilance pendant les dernières heures. Si elle avait immédiatement compris que le cadavre projeté dans l’appartement n’était qu’une illusion, ses capteurs ne furent pas capable de détecter Harris avant son grand retour triomphant dans Phoenix System. Grâce à l’aide de son Téraclope, il avait pu berner une IA sur son propre terrain.
- Harris Elton, tu l’as dit toi-même. Aucun moment de ta vie ne constitue une source de regret et de désespoir. Tu peux aller de l’avant. Ce n’est pas le cas de Hildegarde Linday. Elle a besoin de moi.
- Qu’est-ce que tu en penses, Hildegarde ? demanda le détective en se tournant vers son amie. Si tu souhaites laisser ta vie entre les mains d’Amaryllis et la laisser conserver les souvenirs qui te font du mal, je ne vais pas m’interposer. Je n’ai pas l’intention de mourir ici, toutefois.
La petite femme aux cheveux blonds n’avait pas dit un mot depuis la grande révélation. Forcément, en l’absence de ces fameux souvenirs qui la tourmentaient, elle se sentait un peu extérieure à toute cette histoire. Mais pourtant, elle avait conscience au plus profond d’elle-même que si Amaryllis était emplie de bonnes intentions la concernant, ce n’était pas la bonne chose à faire. Vivre dans le mensonge n’était jamais la bonne chose à faire.
Hildegarde sentait bien le regard d’Amaryllis pointé sur elle. L’intelligence artificielle attendait une réponse, même si elle irait probablement jusqu’au bout de ses ambitions peu importe ce qu'elle en pensait. L’analyse de ses souvenirs lorsque l’aristocrate s’était connectée avait provoqué un dysfonctionnement chez l’unité de sauvegarde qu’était Amaryllis, générant l’arrivée d’un semblant de volonté propre. Mais si elle pouvait désobéir à son programme, elle n’avait cependant aucune notion de morale.
- Amaryllis, je pense que tu en as assez fait.
- Assez fait ? répéta la concernée comme si Hildegarde venait de lâcher une atrocité. Je n’en ai pas terminé, Hildegarde Linday. Je n’ai pas encore pu vous sauver. Vous devez être perdue à cause de votre mémoire incomplète. Je vais m’empresser d’éliminer tous ces gens et de reprendre le travail à zéro.
- Tu n’as pas l’air de comprendre. Je souhaite récupérer ce que tu m’as volé, Amaryllis. Les souvenirs de mes frères et sœurs.
Harris savait que même en apprenant la vérité, sa camarade ne ferait pas marche arrière. Sa personnalité était à peu près restaurée grâce à la présence de la plupart de ses souvenirs. La femme d’affaires était toujours emplie de fierté et adorait se montrer supérieure aux autres. L’idée d’avoir une mémoire incomplète ne lui plaisait pas. Même en reprenant le travail depuis le commencement, Amaryllis ne parviendrait pas à effacer ce fait. Hildegarde aurait toujours l’impression que quelque chose n’allait pas.
La petite fille ghotic lolita donnait l’impression, à en voir sa tête, qu’elle venait de se confronter à une erreur système. Depuis le lancement de l’opération « Sauver Hildegarde Linday », elle ne s’était pas demandée, à un seul moment, si la demoiselle serait en accord avec ses actions. Pour Amaryllis, cela semblait évident qu’éviter le chemin de la souffrance représentait la meilleure des solutions. Et pourtant, Hildegarde avait l’air de vouloir marcher sur ce chemin tortueux.
- Une anomalie. C’est une anomalie, tout simplement. Tu ne penses pas ce que tu dis, Hildegarde Linday. Il n’y a aucun moyen que tu souhaites souffrir volontairement alors que tu as la chance inestimable de m’avoir pour remédier à tes problèmes. Ce n’est pas normal, c’est une incohérence !
Amaryllis plaqua ses mains contre sa tête. Malgré l’évolution rapide de son programme, elle ne restait qu’une suite de lignes de codes dans le fond. L’intelligence artificielle n’avait pas encore atteint le stade où elle pouvait comprendre ce genre de comportements et la réaction inattendue de la femme d’affaires faisait surcharger sa mémoire interne. Amaryllis qui avait menacé à l’instant de tous les éliminer allait-elle être vaincue par l’usage de simples mots ?
Même si l’intelligence artificielle était responsable de tous ses tracas récents, Minerva se sentait mal de la voir souffrir en présence d’un problème dans sa logique. Elle avait participé à la conception d’Amaryllis et la connaissait donc bien mieux que les autres personnes présentes au sein du jeu-vidéo. En quelque sorte, on pouvait presque considérer la technicienne comme sa mère. Une mère qui était en train d’assister à la destruction mentale de son enfant.
Hildegarde posa un pied en avant, prêt à tendre la main à la pauvre jeune fille en difficulté qui s’était agenouillée sur le sol, les mains toujours posées contre son visage. Elle fut cependant stoppée dans son élan par Harris qui attrapa son bras pour l’empêcher d’avancer. Selon le détective privé, il valait mieux éviter de trop s’approcher d’Amaryllis. Après tout, ils ne savaient pas vraiment comment l’IA s’y prenait pour manipuler les souvenirs.
- Harris, intelligence artificielle ou non, tu vois bien que cette pauvre fille a besoin d’aide ! s’exclama Hildegarde en remuant son bras pour que son interlocuteur lâche prise. Je vais lui remettre les idées en place et nous pourrons tous sortir d’ici et rejoindre le moindre réel en sûreté.
- Fais attention quand même…
En jetant un coup d’œil derrière lui, le professeur put apercevoir ses trois élèves qui montaient les escaliers à toute vitesse, accompagnés par leurs Pokémon ainsi que le Guériaigle appartenant à Minerva. Visiblement, ils étaient venus à bout de l’armée de programmes envoyée par Amaryllis afin de les retarder et ce, sans qu’aucun d’entre eux ne soit blessé. En croisant le regard de son bienfaiteur, Shingo leva le pouce en l’air avec un sourire éclatant.
Le visage d’Aléria semblait encore pâle à cause d’avoir passé du temps en compagnie de Pokémon Spectre, même s’ils n’étaient pas vraiment réels. Elle avait vraiment pris son courage à deux mains pour ne pas faire honte à ses camarades de classe mais il s’agissait là d’une expérience déplaisante qu’elle ne souhaitait pas recommencer de sitôt. Pour se calmer, elle prenait l’habitude de rabattre sa capuche comme si cela suffisait à effacer l’environnement qui l’entourait.
- Alors ? s’enquit Noctis, reprenant son souffle après avoir atteint le sommet des marches. Quand est-il d’Amaryllis ? Vous l’avez vaincue ?
- Pas encore… répondit Harris, un peu amer.
Le garçon brun porta son attention devant lui, où Hildegarde marchait prudemment en direction de la petite fille agenouillée sur le sol qui ne prêtait plus attention à son entourage. Il eut la même réaction initiale que le détective, souhaitant s’interposer avant que la femme d’affaire ne commette une bêtise mais à cause de son endurance peu élevée, il devait encore se remettre d’avoir grimpé les marches à haute vitesse. Aléria et Shingo arrivèrent à leur tour.
Minerva savait que c’était le moment ou jamais d’agir. Amaryllis venait de s’éloigner suffisamment de l’ordinateur pour qu’elle puisse y accéder. Comme l’intelligence artificielle ne regardait plus autour d’elle, la technicienne avait la chance de pouvoir tenter de reprendre le contrôle et permettre la déconnexion de toutes les personnes prisonnières. Madame Linday servirait d’appât en attirant l’attention de l’IA pendant quelques secondes.
- Elle ne veut pas de mon aide… je peux pourtant lui offrir le bonheur… ce n’est pas normal, quelque chose ne va pas, qu’est-ce que j’ai fait d’incorrect… murmura Amaryllis pour elle-même, n’attendant pas vraiment une réponse.
Hildegarde ne dit rien, se contentant d’observer l’intelligence artificielle quelques instants avant de se baisser pour se mettre à sa hauteur, ce qui ne voulait pas dire grand-chose vu sa petite taille naturelle. La femme blonde lui attrapa ensuite les mains afin de libérer son visage. Contrairement à ce qu’elle pensait, Amaryllis ne pleurait pas mais elle se rappela rapidement de la nature non-humaine de la personne à laquelle elle avait affaire ici.
Et l’impensable se produisit. Si l’on pouvait penser que Hildegarde allait réconforter la petite fille et lui dire que ce n’était pas bien grave de faire des erreurs, il n’en fut rien. Amaryllis reçut une gifle impressionnante qu’elle n’avait pas pu venir. Si elle ne pouvait pas ressentir la douleur, l’impact demeurait présent ce qui la prit par surprise au point qu’elle cessa de marmonner. Un silence pesant commença à s’installer au sein de l’étage supérieur de l’Elysium alors que Hildegarde se remettait debout.
- Tu es une idiote, Amaryllis. Ne vas pas croire que tu es aussitôt plus intelligente que n’importe quelle personne présente ici sous prétexte que ton cerveau est plus performant que le nôtre. Je suis certaine que même le Rocabot est plus malin que toi !
- Je ne suis pas un… commença Shingo, qui ne savait pas vraiment s’il s’agissait d’un compliment ou de l’une des habituelles remarques sarcastiques de la demoiselle.
- Ce sont les souvenirs et les expériences qui font de nous ce que nous sommes, poursuivit Hildegarde avec fougue alors qu’Amaryllis ouvrait de grand yeux. Peut-être que j’éprouvais vraiment des regrets vis-à-vis de ma situation familiale, je pourrais le confirmer quand ma mémoire sera restaurée. Mais pour rien au monde je ne veux perdre les moments passés avec mes frères et sœurs, même s’ils m’apportent de la peine.
- Mais tu vas continuer de souffrir, Hildegarde Linday !
Piégée dans ses convictions, Amaryllis ne semblait pas comprendre le concept d’expériences. Son programme n’avait réellement pris vie que quelques heures auparavant, un temps clairement pas suffisamment pour parler d’expériences. L’intelligence artificielle se contentait de vivre dans le moment présent et jugeait que le passé pouvait être oublié. Si Amaryllis était en mesure de pleurer, des larmes auraient sûrement commencé à couler sur ses joues en ce moment.
Hildegarde la prit dans ses bras cette fois-ci. Elle lui demanda ensuite gentiment si elle pouvait lui redonner les souvenirs dont elle avait privé afin de devenir une personne complète à nouveau. Amaryllis éprouvait toujours de la réticence à ce sujet mais finit par abdiquer. Étant dos à l’immense ordinateur central et complètement désemparée, elle ne se rendit pas compte que Minerva Hamilton avait déjà commencé à taper sur les touches du clavier géant.
- Nous allons pouvoir retourner dans le monde réel, prévint la technicienne de Kaminsky Corporation. J’ai désactivé la protection qui empêchait notre déconnexion.
- On dirait bien que c’est la fin, commenta Hildegarde en relâchant son étreinte sur Amaryllis. Ou peut-être pas. Je suis certaine que nous nous reverrons très bientôt, Amaryllis.
- Je ne vois pas comment… avoua l’IA dont le ton avait soudainement changé pour devenir plus timide. Je ne suis qu’un simple programme prisonnier de ce jeu-vidéo. Kaminsky Corporation va sûrement bientôt me corriger et je perdrais la volonté propre que j’ai obtenu en analysant ton cerveau, Hildegarde Linday. Il est impossible pour nos chemins de se croiser à nouveau. Je vais disparaître… et vous allez subsister avec vos souvenirs douloureux.
- Tu es vraiment une idiote, soupira Hildegarde en lui donnant un coup sur le front. Je suis Hildegarde Forvedge Alberta Linday de Fravière, rien n’est impossible pour moi… du moins tant que j’ai de l’argent. Donc si j’ai décidé que ce n’était qu’un au revoir alors tu peux me faire confiance !
Pour la première fois, Amaryllis put afficher un véritable sourire. Pas pour se moquer ou pour dissimuler une absence d’émotion mais un sourire sincère. Elle ne croyait pas une seule seconde aux propos de son interlocutrice et estimait déjà que sa durée de vie n’allait plus dépasser la poignée d’heures. Si Hildegarde allait poursuivre son existence avec le regret de son passé, elle-même s’apprêtait à passer le reste de son existence avec celui de ne pas avoir accompli l’unique mission qu’elle s’était donnée.
***
- Je ne comprends toujours pas pourquoi je dois vous accompagner, madame Linday… souffla Aléria qui se coltinait la tâche de devoir transporter le sac à main particulièrement lourd de la femme d’affaires. Vous n’aviez pas vraiment besoin de moi pour aller à Phoenix System, non ?
- Allons Aléria chérie, je me serais bien ennuyée toute seule. Ce cher Harris est déjà parti sur une autre enquête que je lui ai confié, il est décidément prêt à tout pour réduire sa dette envers moi.
Une semaine s’était écoulée depuis l’incident de Kaminsky Corporation, qui paraissait déjà si loin pour toutes les victimes qui s’étaient retrouvées enfermées à l’intérieur du jeu-vidéo à cause des actions d’Amaryllis. Hildegarde avait repris le cours normal de sa vie, Harris et ses trois élèves avaient retrouvé leur petit quotidien à l’école des dresseurs rénovée grâce à l’argent de l’aristocrate et même Minerva Hamilton embrassait de nouveau sa vie d’informaticienne pour la société.
Si Hildegarde avait pris rendez-vous avec le directeur de Phoenix System immédiatement après son retour dans le monde réel, ce dernier avait mis une semaine entière avant de libérer un créneau pour la rencontrer. Ce cher Mister Phoenix était tellement passionné par la robotique qu’il ne prêtait vraiment plus attention à ce qui l’entourait. Cette entrevue ici était très importante pour la demoiselle blonde, qui comptait bien tenir une promesse qu’elle avait faite.
La porte de l’ascenseur s’ouvrit, permettant au binôme d’en sortir et arriver dans le couloir du dernier étage, celui où se situait le bureau de Mister Phoenix. Si Hildegarde était venue une fois il y a quelques années, lorsque son réseau dans le monde des affaires s’aggrandissait, c’était en revanche une grande première pour Aléria. La fille aux courts cheveux gris, qui ne délaissait toujours pas son fidèle manteau à capuche, notait les grandes différences avec la simulation virtuelle offerte par Kaminsky Corporation.
- Madame Linday, ravie de vous revoir ! Et bonjour à vous, jeune fille, s’exclama un homme qui semblait les avoir attendu devant l’ascenseur.
Difficile de rater Mister Phoenix. Costume cravate violet, chevelure brillante violette, lunettes de soleil avec verres violets, il ne passait pas inaperçu. Si Hildegarde n’était pas uniquement passionnée par l’argent, elle aurait presque pu tomber sous le charme de ce trentenaire qui avait été élu de nombreuses fois consécutives l’homme le plus charmeur dans Playboy Magazine. Intimidée, Aléria tenta de se cacher derrière Aléria, malgré le fait qu’elle soit plus grande que cette dernière.
Une fois les présentations faites, les deux filles accompagnèrent le directeur d’entreprise jusqu’à son bureau, qui se révélait être particulièrement mal rangé. Des croquis de machines en tout genre sortaient des moindres recoins, que ce soit le sol, toutes les étagères ou la table. Mister Phoenix s’excusa aussitôt pour l’état déplorable de sa pièce personnelle alors qu’ils prenaient tous place autour du bureau afin de commencer le rendez-vous.
- Alors madame Linday, que puis-je faire pour vous ? demanda aimablement l’homme tout de violet vêtu, ses lunettes de soleil brillant à cause des reflets provoqués par la fenêtre. Vous vous êtes montrée plutôt évasive au téléphone, je suppose que vous attendiez de me rencontrer en personne pour vous confesser.
- En effet, confirma-t-elle en demandant à Aléria de lui donner son sac à main. J’ai apporté quelque chose que j’aimerais vous montrer.
Elle posa alors une clé usb sur la table. En retrouvant le monde réel après cette expérience pour le moins troublante, Alphonse Kaminsky s’était confondu en excuses et était prêt à tout pour acheter le silence de Hildegarde. La femme d’affaires n’avait pas vraiment eu l’intention de dévoiler au grand jour ce qui s’était passé ce jour-là, comprenant que tout avait échappé au contrôle de la société mais elle avait néanmoins souhaité profiter de la situation.
Une copie du code d’Amaryllis intouchée après la fin de cette mésaventure. Hildegarde n’avait pas oublié sa promesse envers l’intelligence artificielle. Elles allaient se rencontrer à nouveau, quoi qu’il en coûte. Kaminsky Corporation a pu modifier son propre code pour réparer tous les problèmes causés et s’assurer qu’il n’y aurait plus de souci avec l’analyse des souvenirs mais la demoiselle blonde possédait maintenant une copie séparée de l’IA qui n’avait pas oublié les événements de l’Ebravia virtuelle.
- Je sais que vous êtes spécialisés dans les robots ménagers mais il y a beaucoup de rumeurs qui courent à votre sujet comme quoi vous aimez créer des cyborgs dans votre temps libre, c’est vrai ?
- Disons que j’essaie de créer des androïdes plus intelligents que des simples robots ménagers, admit Mister Phoenix qui ne s’en cachait même pas. Ma première expérience remontait il y a déjà trois ans mais le prototype a décidé de me désobéir et de s’enfuir. Il a dû s’éteindre quelque part dans la nature et finir dans une décharge…
Hildegarde éclata de rire suite à cette remarque. Elle n’en attendait pas moins d’un passionné de robotique. Quant à Aléria, elle se montrait discrète assise sur sa chaise et avait sorti un livre pour s’occuper. Si elle savait plus ou moins pourquoi madame Linday avait souhaité venir ici, ses connaissances dans le domaine relevaient du néant et elle ne jugeait pas utile de participer à une conversation où elle ne pourrait rien apporter d'intéressant.
La femme blonde en vint rapidement aux faits, révélant que cette clé usb renfermait un programme d’intelligence artificielle. Son ambition était à présent de l’implanter dans un corps d’androïde afin de s’approcher d’une véritable personne. Pensant tout d’abord que Mister Phoenix ne serait pas capable d’accéder à sa requête, Hildegarde se montra surprise quand il répondit positivement à sa demande pour le moins saugrenue.
- Je ne serais en revanche pas capable de le faire dans l’immédiat, ajouta-t-il. Comme je viens de le vous le dire, mon dernier prototype d’androïde a été un échec total. Je travaille actuellement sur une version améliorée. Si vous me fournissez l’intelligence artificielle censée habiter le corps, je ne devrais pas rencontrer de problèmes mais cela devra néanmoins attendre que la nouvelle version de test soit prête, j’espère que vous comprendrez.
- Les intelligences artificielles ne vieillissent pas, il en est de même pour leurs corps. Amaryllis peut bien attendre un jour de plus ou même un an, assura Hildegarde. L’important est que vous puissiez lui donner une chance d’exister dans le monde réel.
Contente que sa proposition ait pu être acceptée, Hildegarde décida de ne pas s’attarder plus longtemps et de laisser Mister Phoenix vaquer à ses occupations. La pauvre Aléria, qui venait à peine d’entamer la lecture de son ouvrage, fut contrainte de le refermer immédiatement. Ayant fait une copie du programme d’Amaryllis par sécurité, la demoiselle blonde décida de laisser la clé usb au directeur d’entreprise, afin qu’il puisse faire les tests nécessaires une fois le moment venu.
- Les affaires de famille, ça n’a jamais été trop mon fort, avoua Phoenix alors que Hildegarde posait sa main sur la poignée de la porte. Et j’ai cru comprendre que la famille Linday avait volé en éclats donc j’ai préféré ne pas m’immiscer dans ces affaires mais… vous voulez que je donne de vos nouvelles à Marie ?
- Marie ?
- Marie-Anne, votre sœur. Elle vient souvent me voir et je l’aide quand elle a besoin d’utilitaires pour le Réseau Codélia. Elle officie en tant que cyber-chasseuse maintenant et elle gagne plutôt bien sa vie.
Hildegarde en resta bouche bée. Si elle n’avait plus aucun contact avec les membres de sa fratrie, elle savait néanmoins que l’aîné Archibald avait accompli son ambition de travailler au sein de l’Elysium. Et concernant son deuxième frère Charles-Henry, il était employé pour le compte du Codélia Network Industries, la société qui gérait la plateforme de réalité virtuelle. Le réel mystère demeurait sa sœur cadette Marie-Anne, qui s’était évaporée dans la nature.
La femme blonde sentit sa main trembler alors qu’elle tournait la poignée. Marie-Anne allait bien. Elle venait d’en avoir la confirmation pure et simple. Si cela ne permettrait pas de recoller les morceaux de cette famille, elle pouvait maintenant s’assurer que chacun d’entre eux était en bonne santé et poursuivait ses rêves. Même si elle espérait toujours qu’Archibald finisse par s’étouffer lors d’un repas pour avoir causé toute cette histoire.
- Non, ce n’est pas la peine, affirma Hildegarde avec le sourire. Savoir qu’elle va bien me suffit.
***
Fin