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Tranchant comme une lame de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 03/09/2019 à 17:20
» Dernière mise à jour le 30/12/2019 à 09:43

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Médiéval   Mythologie   Présence d'armes

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On m'a donné
Un jeune homme, novice autant qu’innocent, reçut la garde d’une Épée.

*****

Dans une clairière où les rayons du soleil doraient l’herbe verte, Neko contemplait un Kami et commençait à comprendre qu’il n’oublierait jamais cette journée.

D’ailleurs, cette clairière aurait pu être sortie d’un conte. Elle avait été formée par la chute d’un grand arbre : un ovale bleu ciel perçait les frondaisons, illuminant le corps sombre du colosse abattu. Les arbustes du sous-bois se lançaient à l’assaut de cette montagne comme une armée combattant pour la lumière ; et les arbres alentours allongeaient leurs branches pour reformer leurs rangs malgré l’espace laissé vide par leur camarade.

Et sur le tronc horizontal, domaine des oiseaux, se tenait un Kami plus impressionnant que tous ceux des contes malgré ses blessures béantes.

Dis-moi, jeune homme. As-tu peur de moi ?

Pendant un instant, Neko ne sut que répondre. Cette question soudaine et inattendue le ramenait à la réalité des lieux : seul le Kami sortait d’un conte. Les arbres, la forêt… semblaient mystérieux, mais ce n’était que sa propre imagination qui s’emballait. Il tenta de la modérer, mais l’impression d’étrangeté resta. Ce qui n’était guère étonnant : il parlait tout de même à un Kami… Cette pensée lui rappela qu’il n’avait pas encore dit un mot.

Eh bien… Sans doute, oui, car vous êtes un Kami et moi un simple paysan ; je ne pèse rien en face de vous. Mais je m’en remets complètement à vous… Messire Kami ?

Ne sachant comment s’adresser au loup, il avait hésité, et son allégeance ressemblait plutôt à une question. Il faillit jurer, puis se reprit, alors que le Kami éclatait de rire. Quand il se fut calmé, il reprit :

Seigneur, moi ? Non ; appelle-moi simplement Zacian. Tu réponds sagement, en tout cas ; et cela tombe bien, car j’ai encore quelques questions pour toi.

— Je… Je serais honoré de les entendre.

Commençons ; et hâte-toi, car le temps m’est compté. Quelle est la différence entre un Farfetch’d ?

Interdit, Neko écarquilla de grands yeux. Qu’est-ce que c’était que cette question ? Ça n’avait pas de sens, il devait manquer une partie, ou bien il ne pouvait pas y avoir de réponse ! Le simple fait de ne pas savoir ce qu’était un Farfetch’d n’était même pas le plus dérangeant ; c’était le fait que la question ne propose pas d’alternative qui le dérangeait. Cette question était amputée de sa seconde moitié : comment pouvait-il répondre ?

Il sentait peser sur lui le regard doré de Zacian, et comprit qu’il devait donner une réponse au plus vite. Quitte à gagner du temps ?

Je ne… Pouvez-vous répéter ?

Bien sûr. Quelle est la différence entre un Farfetch’d ?

Et pourtant non, il ne manquait aucune partie. À nouveau Neko attendit désespérément qu’une réponse lui apparaisse, puis sentit que le temps qui lui était imparti était écoulé. Il ne pouvait plus délayer, il lui fallait admettre son ignorance.

Je suis désolé, je ne sais pas.

Et, répondit Zacian. C’était la réponse que j’attendais.

— Ah bon ?

Qu’est-ce que j’ai voulu savoir par cette question ?

Là encore, Neko resta muet. Zacian n’avait pas l’air de vouloir s’expliquer… Au contraire, il enchaînait les questions. Il demandait au tresseur de comprendre ? Mais s’il le faisait, il devait y avoir une réponse ; pas forcément évidente, Neko avait au moins compris ça ; mais les questions du Kami avaient toutes une réponse logique. Ce fut ce dernier mot qui germa en une idée de réponse.

Vous avez... voulu savoir si j’étais prêt à admettre mon ignorance ? commença Neko avec une lourde hésitation, avant que d’autres idées ne viennent s’ajouter à la première. Et, savoir si j’acceptais l’échec ? Mesurer mon orgueil ?

Oui. Selon toi, ai-je réussi ?

Neko s’autorisa un petit soupir de soulagement. Puis il réfléchit un peu, et se dit que le loup bleu n’avait pas l’air très ironique. La réponse était sans doute oui. Il se sentait de plus en plus à l’aise avec toutes ces questions. Ce n’était absolument pas ce qu’il aurait imaginé de la part d’un Kami, mais qui pouvait prévoir les actions des esprits de la Nature ?

Il avait ouvert la bouche pour répondre, et formait déjà le mot fatidique, quand un doute terrible le retînt. Qui était-il pour se projeter dans l’esprit d’un Kami ?

Tu allais dire quelque chose ?

Zacian avait demandé cela gentiment, mais son interlocuteur crut percevoir une main de fer sous le gant de velours, et ne put que bafouiller sa réponse.

Euh… Je. Eh bien je — j’allais répondre que, euh… oui ? Mais ce n’est là que — que l’eprex. Euh, l’expression, de ma foi en vous ? Non ! Je veux dire ; je vous fais confiance, pour, vous voyez, parvenir à vos fins ? Mais — moi, je ne peux… Je ne peux pas savoir ?

Hum. Donc, tu as peur de moi. Tu as peur de ce qui t’arriveras si tu échoues…

En dépit de sa confusion, Neko ne manqua pas de remarquer que Zacian, cette fois-ci, ne l’assurait pas de la justesse de sa réponse. Soudainement, il se sentit terriblement mal à l’aise, à l’opposé de l’assurance qui l’habitait quelques secondes plus tôt. Il avait eu tort de se laisser aller à la moindre certitude…

Détends-toi. Si tu échoues, tu n’entendras simplement plus jamais parler de moi, alors que si tu réussis, tu me reverras une seule fois.

Le tresseur fit de son mieux pour appliquer les conseils du loup blessé, mais n’y arriva que partiellement. Il n’était tout simplement plus dans son élément. Loin de s’estomper, l’impression d’étrangeté qui l’avait saisi en entrant dans la clairière s’était mué en une oppression discrète mais présente. Neko se sentait comme un poisson hors de l’eau, au milieu des arbres.

Bien, je n’ai plus que deux questions pour toi. Mais leur importance est grande. Dis-moi, jeune Humain… Quand on te contrarie. Quand le monde entier se ligue contre toi, et que la sagesse se fait injustice pour t’opprimer. Que fais-tu ? Que ressens-tu ?

— C’est une… question difficile. Je ne crois pas que j’ai déjà été dans une telle situation... Quoique. Quelque chose qui s’en approchait, peut-être, quand j’ai perdu mes parents.

Qu’as-tu ressenti, alors ? Et que ressens-tu maintenant ?

L’anxiété de Neko s’accrut encore un peu à l’idée de se plonger dans ses souvenirs douloureux.

Surtout de la tristesse. Mais de la colère, aussi… Ils sont. Ils sont morts de faim, parce que nous devions payer un impôt très lourd à notre daimyo pour sa guerre.

Sa voix hésitait entre un léger bafouillement, et une cadence inhabituellement élevée. Mais elle ne semblait pas vouloir se briser, il arrivait à parler, alors il continua.

À l’époque, j’avais trouvé cela injuste et stupide. Si les paysans meurent de faim… qui nourrira les soldats ? Oui. Oui, j’étais en colère. Maintenant… La colère s’est atténuée. Il reste surtout de la tristesse, maintenant. Mainten… Enfin. Je suis devenu réaliste, j’ai compris qu’ils auraient survécu si les récoltes avaient été bonnes. Ils n’ont pas seulement été tués par leur seigneur… Non : un orage de grêle a aussi contribué.

Et sous l’effet de cette colère, comment réagissais-tu ?

— Je perdais confiance en mon daimyo, et j’imaginais des plans pour le tuer. C’était frustrant… en plus d’être futile ; parce que je ne pouvais pas laisser libre cours à la colère : les autres habitants du village souffraient autant que moi ! et n’étaient pas moins innocents... Alors. Je gardais la rage en moi, et j’allais aider aux champs. Ça défoulait.

Et tout ça, c’était une seule question. La dernière est moins longue : selon toi, pourquoi est-ce que je te pose toutes ces questions ?

Neko ne sut pas trop réagir. Il se sentait encore mélancolique d’avoir replongé dans ces souvenirs douloureux, et restait impressionné par la forte présence de Zacian ; mais en même temps, il sentait avec soulagement arriver la fin de cet interrogatoire en règle, et il devait s’admettre surpris de la boutade du Kami.

Puis vint, encore une fois, l’hésitation. Il avait eu de la chance jusque-là, mais pour cette dernière question, la réponse ne serait sûrement pas Je ne sais pas. Cette fois-ci, il devait bel et bien se mettre à la place de Zacian. Mais comment pourrait-il deviner pourquoi un esprit de la Nature avait besoin de l’aide d’un simple humain ? Les questions, et aussi les commentaires du loup bleu, devaient sans doute le mettre sur la voie…

Pourtant, il ne pourrait pas être certain d’avoir deviné juste. Peut-être le Kami pensait d’une façon très différente d’un humain… Cette pensée en amena une autre : et si Neko se contentait d’essayer de deviner quel aurait été le but d’un humain en posant ces questions ? Une réponse lui apparut alors rapidement, et il en fit part à Zacian en espérant ne pas se tromper. Pas trop. Il était peut-être à des li de la vérité.

Si vous aviez été un humain, j’aurais pensé que vous voulez me confier un objet de valeur. Vous êtes blessé et vous devrez sans doute vous soigner, et il vous faudrait quelqu’un pour veiller dessus. Quelqu’un d’honnête.

Mais… Comme vous êtes un Kami, une fois encore… J’hésite, je ne suis sûr de rien.

Vraiment ? Pourtant, c’est la bonne réponse.

— Ah bon ! Eh ben ça alors…

Je cherche à confier mon Épée à quelqu’un. Quelqu’un qui ne peut pas être n’importe qui.

— Votre… épée ? Comment ça ?

Zacian ne répondit pas, et se pencha simplement de l’autre côté du tronc d’arbre. Il attrapa quelque chose dans sa gueule avant de se relever, et Neko put voir ce que c’était.

On aurait dit un genre de katana. Mais l’objet en différait par plusieurs points. D’abord, il avait une garde très étrange : on aurait dit un croissant de lune, qui se relevait depuis les deux tranchants de la lame. Sur les plats, en revanche, la garde s’aplatissait tant qu’elle semblait prolonger la lame, et non l’enserrer comme c'était généralement le cas sur les armes des samouraïs.

Partant de cette garde, une rainure rose saumon courait sur la lame ; elle s’interrompait au premier tiers, pour reprendre un peu plus loin, et courir jusqu’au bout pointu. Dans cette interruption, deux gemmes bleues étaient serties sur le tranchant ; une disposition déplacée, mais qui semblait normale au vu de leurs arêtes clairement découpées. Rien qu’à voir ces gemmes, Neko sentait qu’elles n’empêchaient pas du tout la lame de trancher.

Ensuite, la pointe du katana, ou de l’épée, avait également une facture inhabituelle : au lieu de s’arrêter brutalement, comme si on avait découpé la lame, les tranchants s’incurvaient l’un vers l’autre, et se rejoignaient en un formant un petit angle qui avait l'air aussi redoutable qu'une pointe normale.

Et enfin, la matière même de l’arme n’avait pas les reflets gris de l’acier ; son beige mat faisait plutôt penser à de la roche.

Il me semble que dans ce pays, on l’appellerait plutôt katana.

Ce n’est qu’à cet instant que Neko se rendit compte que depuis le début, la voix du Kami résonnait dans sa tête. Et comment aurait-il pu parler avec ce katana dans la gueule ? Il n’eut guère le temps de s’interroger avant que Zacian ne reprenne.

Récemment, j’ai été blessé ; tu t’en étais sans doute rendu compte. Je ne peux plus prendre soin de mon Épée ; il me faut la confier à quelqu’un qui le pourrait.

Le loup dressa la tête, et leva le katana vers la lumière du jour ; celle-ci sembla se déverser dans les gemmes, et couler tout du long en produisant mille scintillements dans son flot.

Et toi, jeune homme, tu le peux.

— Moi ? Mais… Comment ? Et pourquoi moi ?

Tu devras la garder sur toi en permanence, où que tu ailles, quoi que tu fasses. L’Épée se nourrit d’une présence vivante ; or, moi, je vais devoir plonger dans un sommeil proche de la mort.

Quant à savoir, pourquoi toi… Un peu par hasard. Je t’ai remarqué, j’ai vu les couleurs de l’Essence autour de toi… J’ai décidé de te mettre à l’épreuve ; tu as réussi cette épreuve. De simples questions, certes, mais n’oublies pas que je suis pressé par le temps. Tu es la troisième personne que je trouve à me sembler propice ; et la première à l’être. Cela me suffit.


— Je vois. Mais ; cette Épée… Elle se nourrit de moi ? N’est-ce pas dangereux ?

Non. Ta simple présence à ses côtés la gardera en vie. Cependant, elle a un goût marqué pour la fureur des batailles : sa faim de violence rejaillira en partie sur toi. Garde-toi de toute action qui soit motivée par la colère ; l’Épée finira par se calmer.

— Elle est vivante ? demanda Neko, en connaissant déjà la réponse.

Oui. Et pour la garder somnolente, agis toujours selon la justice. En suivant uniquement la voie du bonheur des autres, de la compassion et du désintérêt, tu seras parfaitement protégé de la faim de l’Épée. Tu en seras capable, je pense.

— Je… Je suis honoré de votre confiance, et je ferais ainsi que vous me le conseillez.

Zacian inclina la tête, puis la releva rapidement en ouvrant ses mâchoires. L’Épée s’envola en tournoyant, et lorsqu’elle retomba vers lui, le loup la rattrapa par la lame, et tendit la garde vers Neko.

Intimidé, celui-ci approcha sa main. Tout cela semblait si irréel, comme une illusion créée par un enchantement… Mais aussitôt qu’il eut prit l’Épée, Zacian la lâcha, fit volte-face et sauta dans la forêt d’un bond prodigieux, brisant le charme. Ses dernières paroles volèrent derrière lui, vers le jeune homme.

Je reviendrais chercher mon Épée d’ici un an. D’ici là, porte-toi bien, jeune Humain !

Neko se retrouva seul, dans une clairière qui n’avait plus rien d’enchanteur sans le Kami qui l’avait brièvement habitée. Il resta confus pendant quelques instants, puis il s’intéressa de plus près au katana. Ou à l’épée, si tel était le nom que Zacian avait employé ; mais Neko avait du mal à y penser autrement que comme un katana, malgré ses formes tout sauf habituelles.

Cet examen ne lui apprit rien de neuf. Dans sa paume, le manche du katana présentait une texture lisse, sans aspérité ; impossible de déterminer si c’était de la pierre ou du métal. Aucun phénomène surnaturel n’entourait l’arme : pour un être vivant, elle avait drôlement l’air d’un bête bâton tranchant.

Neko haussa les épaules, puis fit demi-tour et retourna vers le chemin, hors du bois.

***
La vie à Ushinawareta-ana était très intéressante. Pour tromper le temps qui passait, les villageois avaient inventé des dizaines d’activités servant à combler l’ennui qui les attendaient en dehors des rizières et de leurs rudes travaux. Par exemple, Supedo et le doyen se défiaient régulièrement en concours de bons mots.

Et toutes ces occupations importantes étaient abandonnées aussitôt que survenait un événement inhabituel. Par exemple, un tresseur de nattes revenant du marché de Mio en retard pour des raisons discutées, sinon discutables, en portant un katana moitié aussi long que lui.

Neko n’avait pas espéré un seul instant passer inaperçu.

Eh ! Venez tous ! On a un cas de bizarrerie à l’entrée Est du village ! Je répète, bizarrerie à l’entrée Est !

À ce cri du doyen, les paysans laissèrent tomber leurs outils, les artisans déposèrent leur travail au sol, et tout ce beau monde se mit à courir dans la direction annoncée. Avant d’avoir pu s’en rendre compte, Neko se retrouva entouré par toute une foule de villageois désireux de se tenir au courant de ce qui se passait.

Neko ! T’en a mis du temps !

— Qu’est-ce que c’est que ce truc ?

— Alors, jeune cachotier. Raconte !

Neko attendit patiemment que le flot de questions se tarisse, ce qui ne prit même pas une minute. Puis il commença à raconter son histoire.

Alors voilà. En m’enfonçant dans la forêt, j’ai entendu une voix qui m’appelait. Je suis arrivé à une clairière où se tenait un Kami. Il m’a posé quelques questions, puis m’a donné ce katana en me demandant de le garder en permanence jusqu’à ce qu’il revienne le chercher..

Sur ce, Neko attendit les réactions de ses voisins. D’abord, ils restèrent dans l’expectative, s’attendant à une histoire plus longe. Puis il passa comme un vent de déception, concrétisé par Supedo :

Bon sang, mais où diable as-tu appris à raconter une histoire ? C’est nul ! Pas la moindre touche épique !

— Enfin Supedo, laisse-moi un peu de temps ! Dans les contes, le héros ne vit des aventures épiques qu’après avoir reçu un don d’un Kami ! Après, c’est pas pendant !

— Neko, répliqué un doyen dont le grand sourire ne laissait aucun doute sur son intention. À ce train-là, tout ce qu’on retiendra de ton aventure épique, ce sera l’événement perturbateur qui l’aura déclenchée.

— Notre doyen dit quelque chose de très vrai, enchaîna Trublion en reprenant également le grand sourire. Je ne connais pas beaucoup de héros de contes qui sont partis à l’aventure à cause d’une envie de pisser.

Neko fut le premier à rire de la boutade à ses dépens, vite suivi par tout le village. Dans l’allégresse de cet éclat de rire commun, il ne sentit pas le frémissement qui courut sur la lame de l’Épée.

***
Une fois la curiosité des villageois satisfaite, Neko put retourner chez lui. Il vivait dans une petite maison d’une seule pièce, sur la bordure Nord d’Ushinaraweta-ana. Il y avait un coffre où il rangeait ses maigres possessions, une table basse, une de ses meilleures nattes qui lui servait de lit, et, occupant la majeure partie de l’espace, le tapis natté sur lequel il travaillait. Dans un coin, sa réserve de fibres de riz attendait patiemment qu’il sorte ses outils. Mais aujourd’hui, ce ne serait pas le cas.

Le tresseur de retour du marché déposa ses quelques nattes avec celles qu’il n’avait pas emportées. D’habitude, en rentrant du marché, il se remettait au travail pendant un petit moment, pour ne pas perdre la main ; puis il mangeait. Mais là… C’était plus fort que lui : il voulait essayer un peu ce katana.

Neko se plaça au centre du tapis, à l’endroit où il avait le plus de place, et leva la lame devant ses yeux. Il resta bêtement dans cette position pendant quelques minutes, ne sachant pas trop ce qu’il voulait faire.

Puis il essaya de tenir le katana au-dessus de sa tête. Le poids de l’arme, qui ne l’avait pas gêné jusque-là, commença à se faire sentir dans ses bras ; alors il la laissa retomber, la pointant vers le sol. Sans grande conviction, il enchaîna ainsi quelques mouvements plus ou moins tremblants. Il finit par se trouver un peu ridicule, et commença à songer à la façon dont il pourrait s’attacher le katana. Peut-être pourrait-il tresser un genre de ceinture obi dans laquelle passer l’arme ?

À nouveau, Neko s’imagina dégainant le katana dans un grand geste théâtral. Mais décidément, son bras n’avait pas l’adresse de ses doigts. Entre tresser et manier la bêche pour aider aux travaux des champs, il savait très bien quelle activité lui demandait le plus de précision.

Et pourtant, avant de s’en être rendu compte, il tenait l’arme à l’horizontale, après un ample mouvement de tranche qu’il avait seulement songé faire.

Le tresseur regarda avec admiration son bras qui ne tremblait plus : une assurance nouvelle crût en lui. Il ramena la lame vers son torse, puis tenta à nouveau d’enchaîner quelques arabesques avec la pointe. À sa grande surprise, elles se révélèrent aisées et élégantes. C’était comme si le katana savait où il devait aller, et guidait le bras qui le portait…

Grisé, Neko se laissa aller à des enchaînements plus compliqués ; et il lui semblait que tout ce qu’il s’imaginait faire lui était possible. Il se demanda s’il pouvait faire passer l’arme dans sa main gauche derrière lui, et aussitôt la sentit déplacer l’air en tournoyant près de sa nuque ; il osa sauter vers l’autre bout de la pièce, et se réceptionna doucement, sans un heurt.

Cette Épée était-elle vraiment capable de l’aider à la manier ? Le tresseur se laissa aller à rêver. Avec une telle arme, il pourrait vaincre n’importe quel adversaire. Il pourrait se mettre au service du daimyo, et remporter pour lui la guerre dans le Sud. Il serait un héros, qui arrêterait les massacres, et que l’on ferait samouraï.

Et puis l’avertissement de Zacian lui revînt en mémoire. Agis toujours selon la voie de la justice, et tu seras protégé de la faim de l’Épée. Neko sentit la honte l’envahir. Détruire une armée, n’était certainement pas juste : les soldats étaient des hommes, comme tout le monde.

Il avait laissé l’Épée lui imposer sa faim et ses désirs. Et avec quelle facilité avait-il cédé ! Neko se jura de ne plus jamais se laisser prendre. Puis il sentit le besoin de le formaliser.

Moi, Neko du village d’Ushinawareta-ana… Je jure devant toi, Épée de Zacian, qu’aussi longtemps que je te porterais, je ne laisserai d’emprise sur mes actions qu’à la justice. Je ne ferai rien qui soit motivé par ta faim.

Sur ces mots, l’Épée frémit à nouveau. Neko sentit une vague inexplicable de rage, vite calmée.