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Tranchant comme une lame de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 03/09/2019 à 17:20
» Dernière mise à jour le 30/12/2019 à 19:40

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Médiéval   Mythologie   Présence d'armes

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Un jour,
Il attaque avec tant de grâce que ses mouvements hypnotisent ses adversaire. Il tient dans sa gueule ce qui s’apparente à un katana.

*****

Le prédateur était en chasse. Il courait dans la forêt, de buisson en buisson, en se fiant à son odorat surnaturel pour repérer au vol la moindre trace de sa cible. Quand il s’en serait rapproché, il se ferait plus discret, plus lent aussi. Il prendrait le temps de pister précisément, et tenterait de prédire la position de sa proie.

Il était hors de question qu’elle s’échappe. Comme à chaque fois.

Traquer cet ennemi implacable n’était jamais une opération aisée. Même pour le loup bleu, qui vivait par la chasse et le combat, cette traque-là était risquée. Il pouvait suffire d’un rien pour qu’il devienne la proie. Alors, il avait beau aimer et rechercher le danger, il ne se serait pas lancé dans celui-ci si la situation n’avait pas été aussi grave.

Son frère était ressorti blessé de leur dernier combat contre la créature. Il était résistant, et s’en remettrait vite ; mais en attendant, le loup était seul contre l’ennemi. Et il avait beau être plus faible que ce dernier… Le meilleur moyen de contenir un tel adversaire tout en détournant son attention restait de l’attaquer le premier.

Il s’était donc mis en chasse. Et soudain, il s’arrêta. Sa truffe se tendit ; puis, comme animée d’une volonté propre, se mit à fouiller nerveusement l’air aux alentours. Bientôt le loup faisait les cent pas, tête baissée. Après trois jours de course, il avait enfin trouvé.

Quand il fut sûr de lui, il repartit au pas dans la direction qu’il pensait être la bonne. Moins d’une heure plus tard, s’il ne s’était pas trompé, il tomberait sur l’ennemi.

***
Son nom était Zacian, et il était le prince des prédateurs. Pourtant, en approchant de sa proie, il affectait la prudence d’une bête traquée. Plus précisément, il ne tenait pas à être cette bête traquée. Contre l’Éternel, le plus puissant des Êtres, des précautions draconiennes s’imposaient.

Son regard aux pupilles jaunes s’arrêtait sur chaque fragment de végétation, méthodiquement. Le loup ne faisait aucun pas sans vérifier soigneusement qu’on ne le surveillait pas depuis les arbres. Sa proie avait un talent certain pour les embuscades… Zamazenta en avait fait l’expérience récemment. Et son frère Zacian gardait en tête l’idée de le venger.

Vengeance ne ferait pas tout. Gardant la tête froide, le chasseur grimpa prudemment sur une racine qui traînait dans son chemin. Derrière chaque élément du paysage pouvait se cacher un piège tendu par l’Éternel. Les arbres, les buissons, les ravins… La forêt n’abritait pas beaucoup d’obstacles différents, mais elle compensait par la quantité.

Zacian aimait bien la forêt, d’habitude. C’était un terrain de chasse très plaisant, où perdre la trace d’une proie était facile et où l’attraper était un accomplissement. Mais quand une forêt abritait l’Être Éternel, elle devenait tout de suite moins attrayante.

Soudain, il se raidit. Il dressa ses oreilles, prudemment, et attendit, figé comme une statue. Si ce qu’il avait entendu était l’Éternel, alors la partie la plus dangereuse de la traque allait commencer.

Ou bien la proie ne se doutait encore de rien, et serait bientôt prise par surprise. Ou bien le chasseur était la proie, et un piège était sur le point de se déclencher. Dans les deux cas, le loup devait tout savoir de son environnement s’il voulait survivre.

Une branche craqua. Zacian tourna l’oreille gauche vers l’arrière. Un renard sortit du sous-bois et se figea en voyant le prédateur.

C’était un piège.

***
À l’affût, le loup bleu sortit la tête du trou où il s’était réfugié. Pendant cinq cents battements de cœur, il écouta et surveilla les alentours. Quand il fut relativement certain de leur sécurité, il replongea sous terre.

Puis il sortit, ayant repris son Épée dans sa gueule. Ignorant le sang qui gouttait de sa blessure au flanc, il commença à trottiner dans la forêt, vers le sud.

Zacian était inquiet. Échouer et être blessé, cela faisait partie d’un combat ; mais là, il avait vraiment un sacré problème. Il serait incapable de se battre pendant plusieurs mois, avec une blessure si grave. Il pourrait s’estimer heureux d’avoir conservé son habileté habituelle à la fuite.

Alors certes, Zamazenta occuperait sans doute l’Éternel pendant un bout de temps. Même blessé, le lion rouge tenait toujours plus longtemps en solitaire que son frère téméraire. En attendant, Zacian serait incapable de nourrir son Épée. S’il ne lui fournissait pas suffisamment de hargne, de peur, de combats… Elle pourrait mourir de faim. Et lui-même s’affaiblissait sans cesse. Le temps pressait.

Loin de son terrain de chasse habituel — à l’autre bout du monde —, blessé et en fuite, voilà en plus qu’il devait trouver un porteur pour son Épée. Et c’était plus important que de survivre, car l'Épée était plus importante que lui.

L’Épée de Zacian ne dépendait pas de son porteur. Elle pouvait lui survivre, contrairement au Bouclier de Zamazenta qui devrait mourir avant le lion. Si jamais l’Éternel parvenait à mettre la main (ou ce qui lui en tenait lieu) dessus, il pourrait tout à fait la nourrir. Bien sûr, le contact de l'Être enlèverait rapidement tout pouvoir à l'Épée... En attendant, il pourrait s'en servir contre les deux frères ; et il était déjà bien assez fort comme ça.

Préoccupé par ses pensées, Zacian ne remarqua pas immédiatement qu’il était sorti de la forêt. Au-delà de la lisière s’étendait un champ de fleurs immense ; vu la façon dont il embaumait, le loup se sentit un peu honteux de ne pas l’avoir remarqué. En prêtant plus d’attention à son environnement, il aperçut des formes qui parcouraient le champ.

Des Humains. Drôle d’espèce que celle-là. Ils n’avaient pas les mêmes priorités que les Créatures, et cela teintait toutes leurs actions de bizarrerie. Ils n’étaient pas stupides… mais Zacian n’arrivait pas à saisir immédiatement pour quelle raison ils pouvaient bien cultiver des fleurs. Pas que le champ soit désagréable.

Une idée le frappa, lumineuse. Contrairement aux Créatures, les Humains n’avaient pas accès à l’Essence. Autrement dit, ils pouvaient nourrir l’Épée, mais pas réveiller sa force. Et ils fabriquaient eux-mêmes des outils semblables à l’Épée.

Un Humain assez particulier pour éveiller le savoir de l’Épée serait le garde parfait. Il fallait encore en trouver un convenable… Mais ce serait toujours plus rapide que de trouver une Créature capable de résister à l’influence de l’Épée.

***
Ushinawareta-ana était un petit village pas loin de Mio, la ville aux jolies berges. Toutes les semaines, les Ushiniens venaient avec joie participer au marché de Mio, histoire d’embêter leurs voisins. Neko ne faisait pas exception à la règle : ce serait dommage de rater la moindre occasion de faire un voyage d’une demi-heure avec les gens du village pour aller vendre ses nattes au plus grand marché de l’ouest de Sinnoh.

L’une des grandes questions, dans la vie d’un Ushiniens, c’était de savoir s’il ferait mieux ou non de s’installer à Mio. Pour Neko, la question était toute tranchée : il avait vécu toute sa vie à Ushinawareta-ana, et il était hors de question de quitter le patelin.

Quant aux Mionnais, ils se partageaient sur la question plus complexe de savoir si c’était bien ou non d’accueillir les villageois voisins au marché, si ça faisait ou non tourner l’économie, si ça faisait ou non concurrence aux marchands Mionnais, s’il était souhaitable ou non que la population de la ville soit augmentée par celle de tous ces petits villages…

Un problème bien plus compliqué. Et les marchands avaient l’habitude de se ranger en groupes, selon leurs réponses à toutes ces questions. Et leur village d’origine. Et selon les querelles de la semaine. Et selon leur bon plaisir aussi, tant qu’ils y étaient. Tout cela faisait que d’une semaine sur l’autre, on ne trouvait jamais les mêmes marchands aux mêmes endroits. Ça permettait de faire tourner un peu les meilleurs emplacements.

Pour le résumer simplement, le marché de Mio était un joyeux bazar. À vrai dire, Neko passait plus de temps à se disputer avec ses voisins qu’à alpaguer les passants, et il passait encore moins de temps à leur vendre ses nattes. Mais ça arrondissait quand même ses fins de semaines.

Hé ! Par ici pour les meilleures nattes du marché ! Non, vraiment ? Bon, alors Akabo, je te signale que le jour où on n’aura plus d’impôt à payer, c’est qu’on sera nous-mêmes devenus des daimyos.

— Nan, répondit ce dernier en faisant semblant de s’énerver. Mais je ne râle pas contre l’impôt lui-même. Je râle contre la guerre : qu’est-ce que les deux autres daimyos ont à vouloir remplacer le nôtre ? Je le trouve très bien, moi !

— Comme—

—Du poisson ! hurla Akabo. Qui veut du bon poisson, pêché du jour !

— Approchez pour tâter des plus belles nattes de tout le marché ! répliqua Neko.

— Comme si ? reprit innocemment Akabo.

— Comme si ton avis comptait !

— Ben on peut toujours rêver !

Sur ce, Neko interrompit la conversation pour engager un client qui avait l’air de s’intéresser à ses nattes. C’était quelque chose de plutôt demandé, les nattes, et Neko s’estimait très heureux d’en vendre plutôt du poisson. Le poisson, n’importe qui pouvait le pêcher ; alors qu’une natte, ça ne pouvait pas être tressé par tout le monde.

C’était le doyen du village qui lui avait appris. Il serait devenu paysan sinon, comme il était de coutume pour les orphelins… Vraiment, Neko était conscient de sa chance. Il devait beaucoup à Ushinawareta-ana, et il comptait bien en rendre autant au village. C’était aussi le doyen qui lui avait appris à voir la vie du bon côté. À rire plutôt qu’à pleurer.

Grâce au vieil homme, Neko pouvait rire de son teint rougi par les coups de soleil. Contrairement aux vrais paysans, il ne passait pas sa vie aux champs : il donnait simplement un coup de main quand il y en avait besoin. Il ne ressemblait donc pas à un paysan hâlé, mais plutôt à un artisan ; pas étonnant, puisqu’il en était un !

D’ailleurs, c’était en pensant à Neko que le doyen avait propagé dans les rues d’Ushinawareata-ana la blague selon laquelle les daimyos étaient jaunes, les paysans bruns et les artisans rouges.

Il n’y avait pas beaucoup d’autres blagues à faire sur le physique de Neko, cependant ; ses cheveux noirs très classiques, coiffés en chignon, ne laissaient aucune prise à l’humour. Et le doyen ne s’était pas permis non plus de charrier le jeune homme sur l’étrange mélange de candeur et de mélancolie qui l’habitait au quotidien.

Une fois le client reparti (avec un rouleau de nattes destiné à remplacer les vieilles couches de sa famille), Neko reprit sa conversation avec Akabo, le poissonnier.

Sinon, tes poissons, ils n’ont pas été trop galère à ramener cette fois ?

— Nope ! J’ai eu les mêmes gardes que la semaine dernière sur les quais de Mio, donc ils m’ont laissé passer un peu plus vite. Pour du poisson pêché depuis minuit, ça joue sur la fraîcheur !

— J’imagine. Bonne pêche, ou t’en ramèneras pas au village ?

— Bonne pêche. Je vais pas vous faire le coup à chaque fois, quand même. Et vous, pas eu trop de disputes sur la route depuis Ushinawareta-ana ?

— Non, pour une fois les gens se sont tenus tranquilles. Mais vraiment, tu ne sais pas ce que tu rates dans ta barque ! La moitié de l’intérêt de cette journée, c’est le voyage depuis Ushinawareta-ana.

— Et le trajet retour ? demanda le poissonnier avec un demi-sourire.

— Une autre moitié.

— Et le marché lui-même, alors ? continua-t-il avec un sourire narquois.

— Encore une autre moitié !

Neko, quant à lui, avait sorti son plus grand sourire innocent. Akabo renifla de dédain, puis fit mine de se détourner pour discuter avec son autre voisin. Ainsi allaient les choses au marché de Mio : tout n’était que chaos joyeusement organisé et apparences trompeuses de discorde.

***
Vint la fin de l’après-midi, et le moment de rentrer à Ushinawareta-ana. Sur le marché de Mio, les habitués des deux côtés des étals se dirent au revoir et se quittèrent, satisfaits de leur journée. (Sauf bien sûr ce qui ne l’étaient pas, et qui ne comptaient pas car il n'y avait aucun Ushinien parmi eux.)

Sur le voyage de retour vers leur village, ces derniers avaient pour coutume de prolonger un peu l’état d’esprit du marché, pour raccourcir un peu la marche. Le bazar ne s’arrêtait jamais.

Eh, Neko ! T’étais à côté d’Akabo aujourd’hui, non ?

— Si !

— Et on a quoi à manger ce soir ?

— Du poisson ! Comme le reste de la semaine !

Une bonne moitié du village éclata de rire : Akabo avait sa petite réputation de bon pêcheur. Et si l’on plaisantait sans cesse sur lui (pas que dans son dos), c’était moins pour se moquer et rire que pour remercier le seul pêcheur du village.

Pas loin de Mio ne voulait pas dire pour autant en bord de mer ; Akabo était le seul pêcheur du village, comme son père avant lui, et le père de son père. Lui se décrivait juste comme le seul à être assez buté pour descendre chaque matin son bateau jusqu’au rivage, et pour le remonter chaque soir en haut de la colline qui abritait le village. Colline que la plupart des autres habitants appelaient simplement contrefort de montagne.

Et toi d’ailleurs Neko, reprit le villageois du nom de Supedo. Bonne pêche aujourd’hui ?

Les nattes peu nombreuses que l’intéressé ramenait auraient pu servir de réponse, bien sûr, mais ça aurait été bien trop facile comme réponse. Comme beaucoup de monde, Neko entrait dans le jeu de Supedo dès que celui-ci faisait mine de vouloir plaisanter.

Alors, j’ai attrapé deux pigeons qui m’ont gentiment débarrassé de mes chutes. Ou plutôt, qui vous en ont débarrassés.

— Oh, c’est bien ça. Et les gens normaux ?

— Ils paient mon impôt. Et peut-être aussi une partie du tien !

Sentant au ton sarcastique du tresseur de nattes qu’il était sur le point de se faire étriller, Supedo se retourna vers une autre cible. Lui-même aurait pu s’appeler Trublion, et on le surnommait parfois ainsi. Pas dans son dos, évidemment.

Eh Trublion ! C’était quand la dernière fois que t’as cherché des noises au doyen ?

Même Supedo hésita, devant cette impertinence. Il chercha brièvement le regard du vieil homme qui accompagnait encore les villageois à Mio. Le vieil homme qui s’occupait de tous les problèmes que pouvait générer une bande de villageois déchaînés lâchés dans le marché d’une grande ville comme Mio. Et plus si affinités... Ce vieil homme l’encouragea d’un sourire. Alors, tout le monde retint son souffle, y compris Trublion.

Dans tout le village, il n’y avait pas d’homme plus sage que le doyen… et pas beaucoup de plus farceurs. Il prétendait d’ailleurs que sa santé excellente venait de ses cinq éclats de rire quotidiens. Entre lui et Supedo s’était donc développée une complicité particulière, la fraternité des plaisantins. Et nombre de leurs duels verbaux étaient devenus légendaires dans le village.

Bien, à l’insistance générale, doyen-sama, je me vois contraint et forcé de vous poser une question qui, je le sais, ne marque nullement tout le respect qui vous est dû. Elle le bafoue, même. Voici, hélas… Doyen-sama ; à quand remonte donc la dernière fois que nous avons tenu une conversation plutôt publique et plutôt irrespectueuse ?

— À hier !

Trublion et son mentor laissèrent planer un court silence, que les rires des villageois se chargèrent de combler. Un effet théâtral n’était jamais superflu !

Oh, ciel ; si peu de temps. Mes excuses encore de vous avoir très gravement offensé, doyen-san, et je vais maintenant retourner prier pour vous et aussi pour effacer le terrible souvenir du juron que j’ai poussé y’a pas une phrase.

— Tu pries ? Toi ?

— Avec toutes les religions qui ont cours dans notre beau pays, même moi je peux me le permettre !

— Tu ne veux quand même pas dire que, commença le doyen en simulant un air scandalisé.

— Eh, si.

— Non…

— Hélas.

— Je ne peux pas le croire !

— Moi non plus, mais il faut garder la foi.

— Ah, c’est là une noble attitude.

— Qui ne rattrapera pas ce que je voulais dire…

— Du coup tu voulais dire quoi, au juste ?

Supedo se renfrogna exagérément, jugeant avec un regard dédaigneux les villageois qui osaient rire de sa déconfiture. Après quoi il contre-attaqua avec une verve elle aussi exagérée.

Je voulais dire, bien sûr, qu’il y a un point commun entre les religions et le marché. Plus il y a d’offre, moins c’est cher !

À la vive satisfaction de Supedo, le doyen lui concéda un extrait de ses meilleurs rires tonitruant.

L’échauffement était terminé : le véritable affrontement pouvait commencer.

***
L’art de Supedo et du doyen ne consistait pas seulement à déblatérer des bêtises sur le ton le plus sérieux du monde et à improviser une pièce de théâtre sur un chemin de montagne. Leur véritable talent était leur capacité à contracter le temps. À peine avaient-ils commencé leur duel verbal que le chemin se mettait à courir sous les pieds des villageois ; la demi-heure de marche sembla s’écouler comme dix minutes.

Un peu avant d’arriver au village, Neko fut pris d’une envie pressante de passer aux toilettes. Après un instant d’hésitation, il décida d’y céder, quitte à encourir les moqueries des autres Ushiniens en les prévenant au préalable.

Quoi, tu veux nous fuir ? Je suis désolé mon cher Neko, mais l’occasion est trop belle pour que je ne dise pas simplement que tu fuis.

— Ça fait plaisir d’entendre que tu restes toujours en forme, Supedo. Tu trouves encore à t’excuser de tes piques, ton grand coup classique, même après t’être éreinté contre le doyen !

— Éreinté ? Ben voyons !

— Dis tout de suite que je suis fatiguant ! rajouta ce dernier. Jeunesse dépravée, va...

Neko s’écarta du groupe qui marchait, portant toujours ses nattes sous le bras, et s’enfonça de quelques pas dans le bois. À son propre étonnement, il conclut son affaire plus vite qu’il ne s’y attendait. Et puis une voix s’éleva des profondeurs de la forêt.

Viens.

Une voix inhumaine, qui semblait constituée de milliers de petits crissements rocheux et pourtant étonnamment douce. Neko mit un peu de temps avant de trouver un adjectif approprié : cette voix évoquait une pierre polie.

Était-ce là l’appel d’un Kami ? Ça expliquerait pas mal de choses. Certaines personnes auraient hésité, craignant un piège. Mais pour Neko, un Kami obtenait ce qu’il voulait de toute façon, et comme on ne pouvait pas s’y opposer, mieux valait se laisser entraîner. Il répondit donc à l’appel, et avança entre les arbres.

Au bout de quelques minutes, il arriva dans une clairière. En son centre se tenait le Kami. Neko baissa le regard, en signe de respect. Puis ne put s’empêcher de le relever, ahuri, en se rendant compte de l’état de la créature.

C’était un grand loup au pelage bleu clair, d’une prestance impressionnante. Ses oreilles se relevaient comme une couronne, sa queue imitait une riche cape de voyage, et six excroissances en forme d’ailes ou de rubans jaillissaient de son dos et de ses joues. Il était splendide.

Mais cette splendeur était atténuée par les blessures du Kami. Tout son corps présentait des blessures de tailles diverses, qui imbibaient sa fourrure de sang ; la plus profonde de ces blessures était une horrible balafre au flanc. C’était à se demander comment il pouvait tenir sur ses pattes…

Je t’attendais. , reprit le Kami.