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La Cendre et la Braise de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 28/07/2019 à 16:52
» Dernière mise à jour le 17/08/2019 à 10:41

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Amitié   Mythologie   Présence d'armes   Suspense

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Chapitre 16 : Au nom des vivants
δ

L’après-midi tire tranquillement vers sa fin, quoiqu’il doive encore rester plusieurs heures avant la nuit ; pourtant, le ciel est d’un noir d’encre, à peine piqueté d’étoiles. Icare ne devrait pas tarder à réapparaître à l’horizon ; en attendant, je dois faire attention aux endroits où je pose les pieds. Le scintillement continu de la Gemme m’a certes permis de venir jusqu’ici, mais il ne vaut tout de même pas la lumière du Pyrax.

La population pour le moins conséquente de Cnossos a aujourd’hui un aspect très pratique : je peux affirmer avec certitude que le chemin que je suis en train de descendre mène à la capitale de Crète. Cette situation me ferait presque envier les Habitants dotés d’un odorat développé…

Enfin, il y a aussi des désavantages. Passons. Le fait est que je ne peux pas voir la ville. Certes, la lumière disponible est maigre ; mais je m’attendais tout de même à ce qu’il y ait des torches dans les rues, et des cheminées embrasées visibles à travers les fenêtres. Mais il n’y a rien que je puisse voir. J’imagine que je devrais me réjouir que la ville entière ne soit pas en train de brûler.

Le temps que je descende jusqu’à apercevoir les limites du quartier nord de la ville (à quelques pas devant moi), aucune lumière n’a éclairé les rues. La capitale de Crète est comme morte, et ça ne me plaît pas.

Et puis, en déambulant entre les premières maisons, je commence à voir des mouvements furtifs. Des gens se cachent derrière leurs fenêtres, dans l’obscurité ; ils sont là, mais il n’y a pas de lumière. Quoi, une ville entière privée de cheminées ou de torches, mais dont les habitants sont encore éveillés ? Mais que diable se passe-t-il ici ?

Soudain, j’aperçois une lueur au coin de la rue. Je n’ai pas le temps de cacher la Gemme avant que deux soldats n’apparaissent, une torche dans la main de l’un d’entre eux. Ils se figent en me voyant.

C’est ennuyeux. Si le roi fait patrouiller son armée dans les rues, je ne devrais vraiment pas traîner et m’éclipser vite fait. Mais je ne peux pas, et je le sais. Pas à cause des deux soldats, mais pour ce qui se passe ici. Cette ville n’est pas morte, mais si c’est Minos qui s’occupe d’essayer de la garder en vie, elle ne tardera pas à l’être. Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai quitté Iouchtas ; sans doute devrais-je me contenter d’accepter que ce soit sur un coup de tête. Mais maintenant, je me doute de la raison pour laquelle je resterai à Cnossos.

Les soldats font demi-tour et repartent d’où ils sont venus. Très probablement pour aller chercher des consignes et du renfort. J’imagine qu’ils n’ont pas tort… À peine ont-ils tourné les talons, une porte s’ouvre et un homme sort dans la rue. Rapidement, une deuxième porte ; bientôt, la rue est bondée comme en plein jour.

Vous êtes Monsieur Dédale, n’est-ce pas ?

— L’architecte ?

— Je… Oui, c’est moi.

— Mais pourquoi êtes-vous revenu ?

— Enfin, il ne peut pas savoir !

— Eh bien raconte-lui, alors !

Le brouhaha augmente, et attire d’autres habitants. Est-ce que je vais avoir droit à toute la ville ? D’ores et déjà la foule se perd au-delà du halo émis par la Gemme. Sa clarté tamisée ne contribue d’ailleurs pas faiblement à donner à la rue son ambiance sinistre… Tout autour de moi, la rue grouille de visages. Expressifs, saisissants. Dans la lumière pâle, ils ont quelque chose de terrifiant.

Silence ! Un peu de tenue, voyons ; les hommes du roi arriveront d’ici quelques minutes !

Ces mots ont couvert le bruit, et en entendant cette voix qui roule comme le tonnerre, la foule se calme. L’homme qui a parlé joue des coudes pour se rapprocher de moi, et finit par réussir à sortir du rang. Autour de lui, et donc aussi de moi, les gens reculent légèrement, laissant plus d’espace. Je respire.

Vous avez un sacré culot de revenir ici ; et en même temps, je pense que vous ne vous en rendez pas compte. Puis-je vous raconter ce qui s’est passé ce matin, après votre départ remarqué de la ville ?

— Oui, s’il vous plaît. Je devine quelques éléments, mais j’aimerais savoir le reste.

— Alors, voilà… Le petit numéro de pyromane de votre ami l’Habitant a nettement refroidi les soldats du marché, et la foule. La journée aurait sans doute repris son cours habituel, mais une autre troupe de soldats est arrivée en renforts, avec pour ordres de sécuriser le marché. Ils ont envoyés les autres à votre poursuite et ont renvoyé les gens à leurs étals. Brutalement.

L’émeute a repris de plus belle. Incapables de la contenir, les soldats présents au marché se sont repliés à l’extérieur de la place, ont essayé de la maintenir close, et ont demandé d’autres renforts. La foule a réussi à leur faire perdre le contrôle des accès au marché, et s’est répandue dans toute la ville.

Tous les soldats ont été rappelés, y compris ceux qui patrouillaient dans la campagne proche. Des combats ont eu lieu dans les rues ; si vous ne vous êtes pas pressé, ils avaient déjà commencé quand vous êtes sorti de la ville. Il a fallu toute la matinée pour que la situation se calme ; et ce que j’entends par là, c’est que l’armée a fini par mettre hors de combat tous ceux qui s’étaient opposés à elle.

Un sacré bazar, en somme. Le Roi a donc fait annoncer qu’il s’adresserait à la population vers midi pour, je cite, l’appeler à calmer ses ardeurs meurtrières . À vrai dire, il n’a pas vraiment eu le temps de dire un très long discours.

— L’Éclipse.

Il ne répond pas. La peur qui règne sur cette foule est largement perceptible, et sert de réponse. L’Éclipse a sans doute eu lieu au plus mauvais moment possible, pour tout le monde.

Sur la place où donnait le toit d’où il parlait, vous savez sans doute comment ça s’arrange…

— La Place de Kissamos, oui.

— Ça a provoqué le pire chaos que j’ai jamais vu. Au début, les gens étaient juste surpris… Et puis ils ont commencé à comprendre que le Soleil…

Un blanc, une fois de plus. Je commence à percevoir l’ampleur du choc que les habitants de Cnossos ont du sentir. Moi-même, malgré la présence et les explications d’Icare, malgré tout ce que j’avais vécu qui pouvait rivaliser avec l’Éclipse, j’étais paralysé. Alors, des gens normaux, qui croyaient devoir vivre quelques années encore, qui n’avaient pas d’amis à enterrer…

Mon interlocuteur se reprend. Il avait peut-être présumé de ses forces en entamant ce récit, et s’est laissé rattraper par ce qu’il disait… Mais il parvient à oublier la peur, à oublier la colère. Je ne sais pas qui c’est, et je me demande si j’aurai aimé le connaître.

Je n’ai pas vraiment envie de raconter ce qui se passe quand une foule prend peur. Vous le savez peut-être ; vous vous en doutez sûrement. Je dois peut-être la vie au roi d’être intervenu si vite, fût-ce au prix de tant de violences.

Avant même que les troubles n’éclatent vraiment, il a ordonné un couvre-feu, et ses soldats ont commencé à disperser la foule. Au début, il n’y a pas eu trop de résistance. Ensuite… La foule a pris peur.

Il fait une dernière pause, et je devine à sa gravité qu’il a fini son discours. Dans le silence surnaturel de la foule, on peut entendre des cris lointains, et un claquement métallique répété.

Je voudrais parler avec rage, et agonir Minos d’injures. Mais ce serait futile. Vous, vous avez les moyens d’agir, et peut-être plus que cela ; bien que je trouve dangereuse votre décision de revenir ici, je ne vous en empêcherai donc pas. Vous pouvez compter sur mon récit, je suis resté objectif.

— C’est rare de rencontrer quelqu’un d’aussi désintéressé que vous. Pourquoi faire tout cela pour moi ?

— Parce que vous n’auriez rien appris d’utile seul, et que vous avez quelque chose qu’aucun d’entre nous n’a. Le roi arrive, et il va probablement nous faire écarter de son chemin ; mais pas vous. Vous, il vous écoutera. Comment, pourquoi, ça n’a pas d’importance. Aujourd’hui, vous seul pouvez influer sur sa conduite.

Je voudrais lui demander au moins son nom, mais des cris retentissent, et soudain la foule sort de sa torpeur. Le monstre endormi se réveille, bousculé, et crie de douleur tandis qu’une lame de soldats se fraie un passage au travers de lui.

Plusieurs d’entre eux portent des torches, et je distingue au centre de leur groupe un homme sans armure. Le roi, bien sûr. Des mains haineuses se tendent sur son passage, essaient de l’attraper ; mais ses soldats veillent au grain et les repoussent à coups de boucliers. Au moins, leurs épées sont au fourreau.

Et les gens s’écartent. En quelques instants, je me retrouve face au roi, au milieu d’un cercle de soldats qui tiennent la foule à distance sans pour autant lui faire quitter la rue.

C’était quelque peu malpoli de votre part de partir comme vous l’avez fait ce matin, Dédale. Nous avons un différend à régler.

Cette approche du roi me surprend un peu ; mais à vrai dire, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. S’il décide d’être affable et de ne me menacer qu’indirectement, ce serait malvenu de m’en plaindre. J’entre dans son jeu.

Et je vous en fais toutes mes excuses. J’avais à faire, et ne percevant pas très bien la nature de ce différend, j’ai pensé pouvoir le mettre de côté un instant.

— Je vois…

Le roi laisse paraître un léger sourire sur son visage. La situation a beau être franchement inhabituelle (il fait nuit en plein jour et un architecte avide de pouvoir s’étant lié avec un Habitant espion d’Athènes vient en ville avec un globe lumineux à la main, tout de même), le roi entend apparemment régler les problèmes à sa portée en prenant son temps.

Un sourire de Minos, c’est souvent déstabilisant. Celui-ci, qui ne fait que s’étirer, est en plus effectué dans une semi-obscurité qui le distord en une expression indéchiffrable. Tout est plus étrange, dans cette clarté à mi-chemin des flammes orangées d’un cercle de torches et du halo de lumière blanc-jaune émis par ma Gemme.

Dédale, je dois vous dire que je m’interroge vivement sur ces affaires qui vous ont éloigné de la cité.

— Un ami à enterrer, un autre qui monte au ciel.

— Ah… Est-ce tout ? Dîtes-moi, si nous mettions les choses au clair ? Vous savez, je vous soupçonne de collusion avec Athènes.

— Vraiment ? Comme c’est surprenant. Et moi qui croyais que la cité à la chouette n’était plus un problème pour vous depuis que vous ne l’aviez pas pillée.

Loin d’être désarçonné par cette pique, Minos ne fait qu’accentuer son sourire et répond directement. Le monde entier perd son sens, et cet Humain-là en est encore à chercher à dominer ses congénères.

Vous êtes la personne qu’on peut le moins associer à elle, et pourtant vos sorties en mer régulières vous donnent un excellent moyen de communiquer avec elle. Cette blancheur apparente est suspecte ; vous avez fait preuve de votre honnêteté limitée, et vous vous écartez d’Athènes… Cela suffit à quelqu’un de prudent.

— Minos, vous n’êtes pas prudent. Vous êtes paranoïaque.

S’il faut forcer la dose pour le déstabiliser, il peut compter sur moi. Son visage devient un rictus, tordu, mauvais. Je peux presque sentir son envie de m’étrangler, et quand il répond, sa voix est pleine de venin.

C’est comme ça que vous le prenez, hein ? Architecte ; esthète. Des titres rares. Laissez-moi vous le dire une bonne fois pour toutes, Dédale : je me suis toujours méfié de vous. Et aujourd’hui, je ne sais pas si je dois me satisfaire de me voir donner raison. Regardez-vous un peu, en ce jour triste pour la Crète… Je vois un arrogant, un orgueilleux ; un ambitieux, surtout. Nous vivons une époque des plus troublées ; et non content d’être l’instigateur de la plupart de ces troubles, vous essayez maintenant d’en rajouter de nouveaux… Je vous ai longtemps cru trop… dérangé, pour agir par vous-même, mais désormais, je pense au contraire qu’Athènes n’a rien à voir avec votre attitude. Vous voulez le pouvoir pour vous, et peu importe l’état du monde…

Les fausses mondanités semblent terminées. Je me sens plus oppressé, acculé par les paroles du roi ; et cependant, je suis étrangement serein, de savoir enfin ce qu’il voulait depuis tout ce temps. Il n’y a plus de non-dits, maintenant.

C’est une vision qui tient assez bien debout ; vous n’êtes pas assez stupide pour croire à un personnage illogique, l’eussiez-vous monté de toutes pièces. Aussi je crois qu’il est vain d’argumenter avec vous sur ce que je suis ou ne suis pas. D’ailleurs, si je ne suis pas venu ici contre vous, c’est contre vous que j’y reste. Votre gestion de la situation actuelle est déplorable.

Ma voix est froide à ces mots, plus que je n’en ai coutume ; mais après tout, il le mérite. Sans doute.

Le fait est, Minos, que je suis ici parce que j’espère que le plus grand nombre possible de personnes puissent survivre à cette Éclipse.

— Survivre ? Ce n’est qu’une éclipse ! De tels phénomènes se sont déjà produits ; elle est certes inhabituellement longue, et nettement plus impressionnante que les récits anciens ne le décrivent, mais elle passera.

— Et est-il déjà arrivé qu’un second Soleil se lève dès l’extinction du premier ? Cette lueur qui a traversé le ciel, ce n’était pas une étoile filante.

— En plus d’un esthète, seriez-vous devenu un mystique initié aux secrets du monde ?

— C’est en fait cet Habitant dont je suis sûr que vous vous souvenez.

Plus précisément, cet Habitant dont je suis sûr qu’il lui faudra quelques secondes pour s’en rappeler, ce qui me permet de faire une pause pour ménager mon effet, sans pour autant céder la parole au roi. C’est un peu incongru de jouer ainsi avec la discussion, mais je suis de plus en plus convaincu que Minos n’est définitivement pas l’homme de la situation.

Je ne pouvais pas être plus littéral quand je disais avoir un ami qui montait au ciel…

C’est à cet instant précis que je remarque que la nuit a reculé un peu. L’obscurité diminue ; Icare est en train de paraître à l’horizon. Voilà ce qui s’appelle une action admirablement synchronisée ! Pas question de me gêner pour en profiter. Je me place de profil par rapport au roi, et je lève mon bras vers l’astre nouveau.

Voici toute la lumière à laquelle nous aurons droit désormais ! Cette Éclipse n’est semblable à aucune autre, car le Soleil ne s’en remettra jamais. Et je peux affirmer cela avec certitude, car j’ai eu la chance d’être aux côté de ce Pyrax qui, voyant le ciel s’éteindre à jamais, a décidé d’y porter sa propre flamme !

Minos, certainement pas préparé à un discours pareil, ni à cette mise en scène, reste coi pendant quelques secondes. J’aimerais croire que, comme moi, il admire l’éclat ténu d’Icare. Je voudrais le croire capable d’apprécier le rose sombre du ciel autour du si minuscule point blanc, qui brille à peine assez pour faire venir les larmes. Je souhaiterais qu’il sache que la chaleur que nous transmet l’Habitant est désormais le trésor le plus précieux du monde…

Je voudrais, en un mot, qu’il soit encore capable d’humanité. Mais égal à lui-même, il n’a fait que rectifier ses plans et préparer sa contre-attaque.

Vous auriez presque pu être capable de diriger un peuple, Dédale. Malheureusement pour vous, votre crédulité et votre incapacité à cacher votre jeu à vos interlocuteurs vous rendent terriblement manipulable…

Vous m’ordonnez à demi-mot de rassembler toute la population de Cnossos dans mon palais, de leur ouvrir mes provisions de siège et de faire flamber tous les foyers.

J’ai failli oublier pourquoi il avait réussi à devenir roi. Maintenant, je me le rappelle, et douloureusement…

Inutile de le nier, vos allusions au froid sont largement assez claires. Quoique ; pas assez pour vous, sans doute. Vous savez sans doute que je ne peux pas me le permettre au vu de l’échaudement de cette population. Êtes-vous venu ici uniquement pour essayer de détruire mon règne ?

C’est ton inconscience qui va le détruire, en détruisant ton peuple ! Je n’ai plus le choix. Minos est trop habile, il ne se laissera pas convaincre… Je dois l’éliminer de cette ville. Même si je doute qu’il mérite ce que je m’apprête à lui dire. Pourquoi faut-il que cette situation soit si compliquée ?

Vous ne savez donc vraiment rien au monde qui vous entoure ? Je me doutais que votre enfance avait été difficile, mais à ce point…

À nouveau, la rage déforme ses traits. Il est vrai que c’est exactement le genre de choses qu’on ne dit pas en société. Je poursuis.

Vous savez, malgré tout le bien que vous pensez de lui, votre père vous a très mal éduqué. Ses idées absurdes sur la compétence de ses enfants n’ont pas été fatales qu’à lui. Vous en sortez avec une incapacité totale à vivre. Vous ne pouvez que survivre, en vous débarrassant de ce qui vous gêne autour de vous…

Dîtes-le-moi sincèrement. Est-ce qu’on ne vous a jamais appris que la nuit, il fait froid ?

Je m’attends à ce qu’il réagisse ; l’insulte est de taille. Mais non, il se contente de reculer de deux pas. Alors j’en rajoute, encore. Assez pour avoir pitié de lui.

Non, la lumière d’Icare ne suffira pas ! Même vous, vous devriez avoir remarqué qu’il ne vaut pas le Soleil… Enfin, j’imagine qu’on ne peut pas trop en attendre de quelqu’un qui n’est même pas capable de conserver sa propre famille auprès de lui.

— Assez…

Sa rage est perceptible, mais sa voix est blanche. Il tente de se contrôler, de ne pas me sauter lui-même à la gorge. À vrai dire, je crois impossible de le choquer plus que je viens de le faire.

Que quelqu’un se saisisse de ce… Ce traître à toutes les valeurs qu’ont jamais partagées nos ancêtres !

Les soldats, restés muets et immobiles durant toute la joute verbale, s’avancent vers moi, au prix de leur barrière contre la foule. Cependant, ils ne font pas preuve de toute l’assurance à laquelle ils pourraient. L’image de leur roi adoré a pris un sacré coup… Une idée folle germe dans mon esprit. Serait-il possible de ?

Au fait, Minos, combien de vos soldats avez-vous réussi à tuer, en Attique ?

À mon avis, un certain nombre. La question jette encore un froid. L’hésitation des gardes amenés par le roi est visible.

Allons, du nerf ! Qu’attendez-vous ?

— Et si vous vous saisissiez de celui-ci, à la place ? Celui qui gesticule en hurlant, là.

Ça ne marchera jamais. Mais ça a l’air de pouvoir marcher. La foule retient son souffle ; le roi est blême ; les soldats cherchent un soutien parmi leurs frères d’armes. Ils pourraient arrêter leur roi. Ils ont perdu confiance en lui ; ils pourraient le renier. Et pourtant, ils pourraient aussi décider qu’ils n’ont pas assez confiance en moi. Il me faudrait un dernier argument pour les faire basculer, et vite ; mais tout a été dit…

Sans vraiment savoir ce que je fais, je lève à nouveau mon bras. Avec la Gemme en main. Le mince éclat blanc-jaune, dans ma vision, va se placer à côté de la lueur émise par Icare.

Et le charme opère. Un soldat décide finalement de faire le premier pas ; en un instant, Minos est entouré pas ses propres gardes, retournés contre lui, et immobilisé.

Il reste énormément à faire : rallier le reste de l’armée, mettre les gens à l’abri, imaginer de nouvelles façons de vivre sans lumière… Tout cela, sans doute, se fera au prix de nombreux compromis. Mais le premier pas, le plus difficile, a été fait. Cnossos, et peut-être toute la Crète, survivra sous le regard brûlant d’Icare, le successeur du Soleil.

L’hiver arrive. Nous l’attendrons fermement.