Duel au sommet de olyn

Je traquai ma proie en silence.

Pieds nus dans l'herbe, tous les sens aux aguets, je me coulai entre les pommiers aux larges ombres. Sans bruit, sans bruit... Les brins d'herbe me frôlaient les mollets alors que j'avançais à pas de souris, scrutant le calme du jardin.

Les apparences étaient trompeuses. Il était là, quelque part. Je le savais... Il avait beau se cacher, il ne m'échapperait pas.

Un pas de plus, puis un autre, un demi-tour coulé en frôlant l'écorce de mes doigts... Un coup d'œil derrière cette rangée d'arbres... non, rien.

La suivante...

Un froissement d'ailes sur ma droite, qui me fit sursauter. Un flash de plumes marrons que je captais du coin de l'œil, alors que l'oiseau s'envolait sans plus de bruit. Fausse alerte. Ce n'était qu'un Roucool.

Je repris ma recherche, patiemment, scannant les environs du regard. Pommier, pommier, pommier... herbe...

Derrière, là. L'espèce de petit buisson près de la palissade.

Une feuille avait bougé.

Retenant mon souffle, je m'approchai. Le buisson tressaillit de nouveau.

Je lui sautai dessus.

- Trouvé ! m'exclamai-je.

- Herbi ? fit l'Herbizarre en levant la tête d'un air surpris.

- Oui Bulbozor, je sais que c'est toi le coupable ! Et tu as eu beau t'enfuir, je t'ai retrouvé.

- Biiiii, protesta-t-il.

- Y a pas de "mais" qui tienne. Maintenant rends le diadème, fis-je en tendant la main.

- Zarre ?

- La couronne, le truc qui brille là, clarifiai-je.

Bulbozor était mignon, mais pas très fut-fut. Il lâcha un "Herbizarre" un peu dépité, puis me tendit le diadème qu'il avait subtilisé, et qu'il avait caché... sous lui. Je l'époussetai, soufflant sur les diamants pour faire partir la terre et les petits débris collés.

- Bulbozor, tu sais que c'est un objet très précieux ? Tu ne peux pas le traiter comme un vulgaire frisbee ! Ça a appartenu à la grand-mère de Zack et le prof Chen me l'a prêté, juste pour aujourd'hui.

- Herbiii ! contra l'Herbizarre d'un air assuré.

- Non, Salade ne serait pas d'accord avec tes actions. Et tu ne peux pas te cacher derrière ton père comme ça tout le temps, mon petit Bulbozor. T'es un grand maintenant, enfin presque.

Mes paroles parurent glisser sur lui comme de l'eau sur un Psykokwak. Il se dandina hors du buisson sans plus me prêter attention. Bon, l'important, c'était le diadème. On n'aurait pas pu faire sans.

- J'entends un chenapan qui se fait grooonnder, chantonna une voix toute proche.

Claire surgit de derrière l'un des pommiers. Elle m'adressa un sourire satisfait.

- J'avais raison, donc ? continua-t-elle. C'était Bulbozor... rah, on aurait dû parier !

- Y avait pas de compétition, lui répondis-je. C'était soit lui, soit Bulbo. Bulba et Bulbette sont trop sages pour faire un coup de ce genre, et Mou du Bulbe n'aurait pas eu l'idée d'aller se cacher...

- C'est vrai que les deux filles tiennent plus de Salade question caractère, estima la blonde. Alors que les petits gars ont hérité de l'espièglerie de Bulbi ! Je suppose que c'est le caractère d'Eilie qui a déteint sur son Pokémon, parce qu'elle n'a pas toujours été comme ça... Par contre, pour Mou du Bulbe, je ne sais pas de qui il tient son caractère... Il est juste... mou.

- Il a passé beaucoup de temps avec Patate, surtout les trois premiers étés quand Eilie partait à Johto avec sa famille et qu'on avait la garde des petits pendant deux mois. Je pense que ça vient de là.

Claire opina du chef.

- Logique ! (Elle m'adressa ensuite un regard critique.) Bon, maintenant que t'as récupéré le diadème, c'est le moment de voir si tu rentres encore dans ta robe.

- Hey, j'ai pas pris tant de poids que ça.

Nous nous mîmes en marche pour retourner vers la villa.

- Pas encore, me corrigea Claire. Mais attends d'être à six mois : tu verras plus tes pieds et tu devras demander à Zack de lacer tes chaussures !

Je souris. Nous passâmes devant l'endroit où se tiendrait la cérémonie tout à l'heure, en plein air. Je fis un coucou à Salade, qui était en train d'aider à installer les rangées de bancs, accompagné de trois de ses petits qui s'efforçaient d'utiliser leurs lianes pour l'assister. Il y avait Bulba, Bulbette, et Bulbo. Bulbozor avait à nouveau disparu pour fomenter une autre bêtise, sans aucune doute. Quant à Mou du Bulbe, il se prélassait dans les bras de Nina, la sœur de Zack, qui nous attendait sur la terrasse.

- Ah, vous êtes là les filles ! dit-elle.

- Bulbi ! commenta Mou du Bulbe.

C'était le seul à n'avoir pas évolué en Herbizarre, mais cela ne semblait pas le déranger. Il enfouit son nez dans le creux du bras de Nina, et reprit sa sieste.

- Diadème retrouvé ! triomphai-je en agitant l'objet en question.

- Il vaudra mieux éviter de dire à papy qu'il avait disparu... souffla Nina.

Nous échangeâmes toutes les trois un regard de connivence, avant de rentrer à l'intérieur. La fraîcheur de la maison fut la bienvenue après la demi-heure passée à traquer Bulbozor à l'extérieur. L'été dans les Îles Sevii, c'était pas de la blague...

La Pokémère nous attendait dans l'une des chambres. Je l'appelais encore Pokémère mentalement, mais lorsque le monde de la cartouche était devenu réel, elle avait perdu toute bizarrerie, et se comportait depuis comme une personne normale. Nous en étions venue à construire une véritable relation, même si évidemment ma véritable mère me manquait toujours.

- Ta robe t'attend, ma puce, me dit-elle avec un sourire.

Je m'isolai pour me changer. Nina vint m'aider à lacer la robe à l'arrière, tandis que Claire s'occupait de me tresser les cheveux. Je lui avais demandé de reproduire sur moi l'une des coiffures qu'elle arborait souvent, et qui consistait à tresser comme une sorte de couronne tout le long de la tête. Lorsque je rajoutai le diadème, l'effet fut saisissant. J'avais peine à me reconnaître dans le miroir - en partie parce que cela faisait longtemps que je ne m'étais pas regardée dans un miroir, certes.

- Ma chérie, tu es magnifique, déclara ma Pokémère.

- Les yeux de Zack vont lui sortir de la tête, renchérit Nina avec un rire un peu sadique.

Je me contemplai dans le miroir. Le moi de 26 ans me rendit mon regard. Pour une fois, je ne baissai pas les yeux, je ne me dérobai pas. J'affrontai mon image en face. Cela fait dix ans que j'étais restée dans le monde Pokémon. Je scrutai mon reflet.

Nulle trace de la Chieuse.

La crainte de me changer en elle m'avait taraudée au cours des années. Mon moi maléfique n'était plus réapparue dans mes rêves pour me parler, mais j'avais fait quelques cauchemars sans queue ni tête où elle me tourmentait. À présent que j'avais rejoint le point dans le temps où elle était censée exister, je m'autorisai à sourire à mon reflet, et à me libérer de cette peur. Je la laissai derrière moi lorsque nous quittâmes la pièce.

Puis ce fut l'heure de la cérémonie.

Je me sentais incroyablement légère lorsque je remontai l'allée entre les bancs fleuris pour aller vers Zack. Chaque pas me rapprochait de lui. J'aurais voulu courir pour le rejoindre le plus rapidement possible, mais de un, je me serais cassée la figure vu les froufrous et la traîne de ma robe, de deux, je devais respecter l'allure vénérable du Prof Chen qui avançait à mes côtés, me tenant le bras, et de trois, il fallait quand même observer un certain protocole.

Il y avait sûrement de la musique - on s'était mis d'accord sur une musique, je ne savais plus laquelle -, mais je ne l'entendais pas. J'essayais de contrôler mon sourire, car il menaçait de tellement s'étirer qu'il allait sauter de mon visage. Mon cœur battait aussi vite que lors d'un duel Pokémon de haut niveau.

J'eus l'impression que cela durait plusieurs éternités. Puis enfin, enfin, j'arrivai devant Zack. Il avait réussi à se débarrasser de l'expression béate qui s'étaient peinte sur son visage quand il m'avait vue, mais il me regardait toujours avec un sourire qui rivalisait avec le mien. Et il me dévorait des yeux. Je lui rendis la pareille. Il était tellement beau dans son costume gris, qui lui allait parfaitement, assorti d'une rose blanche près du col, et bien sûr, ses cheveux se dressaient fièrement en crête de dinosaure, comme toujours.

Lui et moi.

Moi et lui.

On aurait tout aussi bien pu être seuls au monde. Ses yeux brillaient d'amour et d'adoration, et j'avais la sensation de me trouver face à un soleil, quand bien même on était à l'ombre. Je me délectai de ce qu'il projetait, le lui retournai.

- Tu es... commença-t-il.

Il ne termina pas sa phrase, mais son regard parla pour lui.

- Toi aussi, répondis-je.

Quelqu'un se racla la gorge juste à côté de nous, et, ah oui, je me rappelai soudainement que d'autres personnes existaient. Nous nous tournâmes vers Léo. En sa qualité de maire récemment élu d'une petite ville des Îles Sevii, il avait proposé de nous marier.

- Mes amis, annonça-t-il, nous voilà ici réunis aujourd'hui pour assister à l'union de deux personnes que nous connaissons bien, et que nous aimons tous, deux personnes qui s'aiment l'une l'autre... et qu'il est inutile de présenter, Zack et Léa, Léa et Zack !

Il marqua une pause.

- Que dire de nos deux jeunes tourtereaux ? Je connais Zack depuis qu'il est tout petit, bien sûr, de par mon amitié avec son papy le célèbre Prof Chen... Quant à Léa... lors de notre première rencontre, elle m'a sauvé d'une expérience qui avait mal tourné, et quand je l'ai vu engloutir une dizaine de croissants au petit-déjeuner, j'ai su que nous allions devenir de grands amis...

Zack eut un toussotement qui ressembla à un rire camouflé.

- J'ai toujours su qu'ils iraient bien ensemble... ils sont aussi têtus l'un que l'autre, ce qui n'est pas peu dire.

Il y eut une vague de rire dans l'assemblée.

- Zack, Léa, vous vous apprêtez à franchir une nouvelle étape de votre vie, le mariage ! Ça ne sera pas aussi palpitant que votre duel au sommet pour le titre de champion, ni aussi dangereux que votre affrontement contre Mewtwo... mais c'est une aventure ! Une aventure que vous vivrez ensemble, à deux... puis à trois... ajouta-t-il avec un coup d'œil vers mon ventre.

- Puis à quatre, déclara Zack.

- On avait pas dit cinq ? intervins-je.

- Tout ce que tu veux, me renvoya-t-il.

- ...hum hum, quoi qu'il en soit, reprit Léo. Les alliances ?

Un cri aigu répondit à sa question :

- Bulbizaaarre !

Portant un petit panier dans lequel se trouvaient nos deux alliances, Mou du Bulbe remonta l'allée en se dandinant, tout fier, sous le regard protecteur de Salade et Bulbi.

- Bii bii ! claironna-t-il en nous tendant le panier d'une liane.

- Merci mon petit Mou du Bulbe, fis-je en lui grattouillant le menton.

Il repartit en toute hâte, comme pressé d'aller raconter son exploit. Léo se racla à nouveau la gorge.

- Zack, veux-tu prendre Léa pour épouse, et promets-tu de la chérir et d'être à ses côtés dans le bonheur comme dans les épreuves ?

- Oui, dit Zack.

- Léa, veux-tu prendre Zack pour époux, et promets-tu de le chérir et d'être à ses côtés dans le bonheur comme dans les épreuves ?

- Oui, répondis-je, évidemment.

Nous nous passâmes les alliances aux doigts, puis nous embrassâmes sous les applaudissements crépitants des invités, et les vocalisations de nos Pokémon. Le "Ronflex !" que brama Pleind'Soupe domina un instant tout le brouhaha, avant qu'il ne se rendorme aussi sec.

- T'es à moi maintenant, me souffla Zack au creux du cou.

- Je crois que t'as pas compris, c'est toi qu'est à moi, le corrigeai-je en riant.

Le dîner fut joyeux et animé, même si la liste d'invités était relativement restreinte. Il y avait ma Pokémère, Claire, Eilie et ses parents, le prof Chen bien sûr, Nina, Léo ainsi que Ciléo, plusieurs cousins éloignés de Zack qui étaient venus de Johto pour l'occasion, trois des membres du Conseil des Quatre (Agatha avait décliné notre invitation), et quelques amis que nous nous étions faits au fil des années, principalement d'autres dresseurs. Si l'on ajoutait à cela tous les divers Pokémon hors de leurs Pokéballs qui couraient partout, sautaient partout, dormaient au sol, et se cachaient sous les table, la grande salle de la villa était bien bruyante. Je ne l'aurais pas voulu autrement.

- À quoi tu penses ? me demanda Zack.

Nous étions attablés, et venions de finir le plat principal.

- Le dessert, répondis-je avec une moue concentrée. Il va falloir que je choisisse entre le gâteau au chocolat et le crumble, trop dur.

- Hey, tu manges pour deux. Je te filerai ma part.

- J'ai tellement bien fait de t'épouser.

Je sentis quelque chose me frôler les cheveux. Zack et ses impeccables réflexes sauvèrent le diadème.

- Bulbozor, tu crois qu'on ne te voit pas ? s'amusa-t-il en maintenant l'objet précieux sur mon crâne alors qu'une liane tentait de s'en emparer.

- Biiii, fut la réponse, qui provenait de sous ma chaise.

Il y eut un "Florizarre !" venant d'en face, et d'un Salade à fond dans son rôle de papa qui fait la loi. Bulbozor apparut au grand jour, lianes bien rangées. Il protesta, en monde "mais j'ai rien fait oh là là trop injuste" (il était très doué pour ça).

- Zarre, contra Salade, inflexible.

- Flori, renchérit Bulbi, dans son rôle de maman, plus douce.

- Herbibi, capitula Bulbozor, rejoignant ses parents d'un pas dépité.

- Je vais le surveiller de plus près ! nous lança Eilie, qui se trouvait à genoux dans l'herbe aux côtés de Bulbi.

Elle prit le chenapan dans ses bras et lui fit des grattouilles pour l'amadouer. Aussitôt, Bulbozor fondit entre ses mains. Eilie était la seule personne qui parvenait à calmer l'Herbizarre espiègle. La petite fille que j'avais rencontrée à bord de l'Océane avait bien grandi, et était devenue une quasi jeune femme. Elle avait laissé tomber l'idée de devenir championne de la Ligue après son quatrième badge et une longue discussion avec Erika. Désormais, elle voulait élever des Pokémon. Elle nous avait beaucoup aidé quand les petits Bulbizarres étaient nés, fruits de la relation entre Salade et Bulbi, et à présent que la Florizarre était à nouveau enceinte, Eilie ne la quittait plus.

- Ça va faire beaucoup de petits Bulbizarre à la maison... commenta Zack.

- Il n'y en aura ptet pas cinq cette fois... peut-être juste un !

Il me regarda, une lueur amusée dans les yeux.

- Avoue que t'as envie qu'il y en ait plein pour tous leur filer des noms plus bizarres les uns que les autres.

- Mes noms sont au top ! Regarde Mou du Bulbe... ça lui va bien, non ?

- Mmm... ouais, fut-il obligé de reconnaître. Par contre, celui-là, ajouta-t-il en posant une main sur mon ventre, je mets mon veto si tu tentes un nom trop space.

- Je pensais à Samuel.

Il s'attendait à une blague de ma part, et j'avais réussi à le prendre par surprise. Haha. Succès de la mission.

- Pépé sera touché, dit-il finalement après un temps de retard.

- Si c'est une fille, Bergamote.

- Je te reconnais bien là, pouffa-t-il.

- Nan, en vrai, j'ai pas d'idée si c'est une fille, avouai-je.

- On aura bien le temps de trouver.

Plus tard, alors que nous dansions, je songeais à l'étrangeté de l'univers, à tous les enchaînements d'événements qui m'avaient fait atterrir là, sur la piste, dans les bras de Zack, et au futur. Débarrassée de la menace de la Chieuse, il m'apparaissait grand ouvert. Une immense champ de possibilités que j'allais explorer en compagnie de mon amour... puis de mon enfant. Je souris et posai ma tête contre l'épaule de Zack.

Encore plus tard, à la fin de la journée, je m'écroulai sur le lit en grognant :

- Buh, fatiguée.

Zack me rejoignit et s'allongea à côté de moi, l'air tout aussi crevé.

- Genre fatiguée fatiguée, ou... ? me demanda-t-il en levant un sourcil.

- Nan, pas tant que ça, répondis-je en me collant contre lui.

Mes mains descendirent pour aller défaire sa ceinture.

- Je crois que j'ai encore un peu d'énergie aussi, souffla-t-il en m'embrassant.

- C'est ce qu'on va voir.

Et nous vécûmes heureux et eurent beaucoup d'enfants.

***

Et un Pokémariage tout chaud tout beau, un !

J'ai dû me retenir tellement fort pour ne pas finir sur un cliffhanger à la fin... D'ailleurs je publierai sûrement un bonus "méta" où Léa se rebelle contre mes idées de cliff.