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» Auteur : Lief97 - Voir le profil
» Créé le 24/06/2019 à 10:20
» Dernière mise à jour le 24/06/2019 à 10:20

» Mots-clés :   Action   Guerre   Présence d'armes   Présence de poké-humains   Suspense

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Chapitre 15 : L'ultime souvenir
« Le doute est le commencement de la sagesse. » Aristote.


***


Le vert. Une couleur devenue inhabituelle. Étrange, presque, parmi tous ces paysages bruns et ocre.

Quand Lyco aperçut la lisière sud des Forêts de l’Est, jamais il n’aurait cru que la couleur verte puisse lui faire tant d’effet. Un instant ébahi, il ralentit le rythme effréné de leur course. Lacrya se cala sur ses pas, essouflée et tout aussi rassurée de retrouver un paysage familier.

— Déjà… ? lâcha-t-elle alors qu’ils s’arrêtaient subitement.

Ils restèrent là, côtes à côtes, le regard fixé sur la cime des premiers arbres. Ils n’en revenaient pas. La Némélia 1 leur avait donné de la force, et une endurance à toute épreuve. Mais jamais ils n’auraient cru pouvoir faire le trajet de retour de Bhataïs à ici, en l’espace de seulement deux petits jours. Il leur en avait fallu plus du double à l’aller !

— Plus qu’à retrouver le campement, soupira le garçon. On fait une pause ?
— Avec joie…

Ils se laissèrent tomber au sol, remarquant par la même occasion que de malingres tiges jaunâtres tentaient de s’extirper des fissures qui crevassaient la terre. Les premières traces de végétation depuis leur sortie des Hauts-Éboulis. Presque les premières traces de vie…

Soudain, le mugissement de Griffe retentit dans leur dos. Lyco tourna la tête dans sa direction. Le drakkarmin, nullement épuisé, s’était mis à creuser le sol, comme s’il y avait senti quelque chose.

Depuis qu’il les suivait, il s’était débrouillé seul pour trouver sa nourriture. Il n’avait pas eu beaucoup de mal à manger quelques abos paresseux qui se prélassaient au soleil. Il fallait dire qu’il était plutôt rapide, pour un animal si imposant. Il n’avait pas semblé avoir du mal à supporter la vitesse inhumaine de ses deux comparses. Avec l’énergie que lui fournissait le soleil en journée, il paraissait tout aussi endurant qu’eux, si ce n’était plus.

Lacrya jeta un œil à leur nouveau compagnon reptilien, puis vérifia machinalement que la pokéball de Plume était toujours à sa ceinture. Le roucoups aurait sans doute préféré sortir un peu : mais elle craignait encore de sa réaction face au drakkarmin. Qui disait qu’ils n’allaient pas se jeter l’un sur l’autre ? Ça avait failli se produire le soir où ils avaient attaqué Kesner.

Soudain, le cri lointain d’un rapace retentit depuis les Forêts de l’Est. Lyco comme Lacrya se levèrent d’un bond, surpris. Ce n’était pas le cri d’un airmure ; et ils étaient pourtant parmi les derniers pokémons oiseaux à exister. Ce ne pouvait donc qu’être un des très rares spécimens volants encore en vie, probablement un pokémon domestiqué…

— Un roucarnage, constata Lacrya en plaçant sa main en visière. Il vient par ici.

Griffe grogna et s’approcha d’eux, comme pour se tenir prêt à les protéger. Lyco leva la main pour lui intimer de rester immobile. Il fixait la silhouette ailée avec attention.

— C’est Piaf ! lança soudain Lacrya.
— Vraiment ?

Lyco fronça les sourcils. Le pokémon de Boralf les aurait attendu à la lisière sud ? Pourquoi ? S’était-il passé quelque chose de grave ?

Alors que le roucarnage approchait, Lyco expliqua au drakkarmin de se tenir tranquille ; Lacrya, elle, avança un peu pour accueillir l’oiseau. Elle ne tendit pas le bras pour servir de perchoir à leur camarade à plumes : elle aurait sans doute pu supporter les quarante kilos de la bête grâce à la Némélia, mais pas résister à ses serres désormais plus acérées que des lames.

Piaf fit quelques cercles pour descendre à leur niveau, rasa le sol à deux reprises, et s’arrêta adroitement non loin d’eux, battant des ailes pour trouver son équilibre. Il tenait un rouleau dans le bec, rouleau que Lacrya s’empressa de récupérer.

— Merci, Piaf, ça faisait longtemps !

Le roucarnage répondit par un croassement et en étirant le cou pour redresser fièrement la tête. La jeune femme déroula le message et le lut à voix haute.

— « Les préparations sont presque achevées. On a beaucoup avancé en votre absence. Rejoignez-nous directement à l’endroit prévu, lisière ouest. ». C’est l’écriture de Boralf…
— Quoi, ils auraient déjà rassemblé assez de monde ? s’étonna Lyco.

Lacrya rangea le papier dans son sac surchargé en haussant les épaules.

— Il faut croire que oui.
— J’espère qu’ils ont suivi le plan…
— J’ai plutôt confiance en Boralf et les autres pour ça, rétorqua Lacrya en souriant. Ils ne sont pas du genre à préparer un truc pareil à l’arrache. Enfin, je crois.

Il hocha la tête, pensif. Puis pivota vers Piaf :

— On te laisse partir devant. On fait une petite pause et on y retourne, compris ?

L’oiseau hocha la tête et reprit son envol, sous le regard intrigué de Griffe, resté immobile et silencieux tout du long. Lyco l’observa avec circonspection. Il était plutôt docile, pour un pokémon réputé aussi hargneux. Le fait d’avoir été battu par Kesner devait y être pour quelque chose dans sa mystérieuse passivité : il semblait capable d’obéir à n’importe quel ordre, ou presque. Ou alors sa théorie au sujet d’un pokémon qui n’avait jamais été sauvage était correcte… mais il ne pouvait pas en avoir le cœur net.

Il se doutait bien que le pauvre pokémon ne serait pas capable de répondre à un interrogatoire. Il ne comprenait que les termes simples, certaines phrases peut-être, mais pas beaucoup plus…

Et rien ne pouvait le détourner de son objectif quand il s’entêtait à vouloir déterrer une carcasse ou taquiner des sévipers qui se doraient sur des rochers.

— Je n’aurais jamais cru dire ça un jour, soupira Lacrya en suivant du regard la silhouette de Piaf, qui s’éloignait de plus en plus. Mais j’ai vraiment hâte de revoir les pillards. Ils sont vraiment devenus des amis, en si peu de temps…
— On a vécu beaucoup de choses avec eux, c’est normal, répliqua-t-il.
— C’est l’ancien Lyco, ou celui de l’Arène, qui me parle ? s’amusa-t-elle.

Il réfléchit quelques secondes, puis sourit à son tour.

— Sûrement un mélange des deux.

Un léger vertige le prit soudain. Il chancela et manqua de tomber. Il posa un genou à terre, le souffle court. Lacrya l’appela et lui soutint le bras. Griffe grogna quelque chose et s’approcha avec timidité, en renâclant bruyamment.

Le garçon sentait une migraine naître dans son front.

Que se passait-il ?

Était-ce… encore un autre souvenir ?



***


La porte s’ouvrit brutalement dans son dos. Lyco, menotté, à genoux devant un bureau richement décoré, ne pouvait pas tourner la tête pour voir qui venait de pénétrer dans la pièce.

Mais il avait déjà une bonne idée sur l’identité du nouveau venu.

Le garçon jeta un œil à Molch, debout à quelques pas de là. Il était immobile, parfaitement impassible et silencieux depuis qu’on l’avait traîné jusqu’ici quelques minutes plus tôt. Il n’était pas blessé : son dernier souvenir remontait à l’attaque de la plantation. Impossible de dire combien de temps s’était passé depuis. C’était le trou noir. Mais il savait où il était : dans le palais du gouverneur, à Méranéa.

Ce fameux gouverneur dont il attaquait sans cesse les laboratoires depuis des mois et des mois.

Une cape le frôla, et un homme se plaça debout devant lui, dans une posture confiante et rassurée. Lyco releva la tête. L’apparence de Mervald ne le surprenait pas.

Grand, svelte, vêtu de manière à être clairement différencié du commun des mortels, il dégageait une aura évidente de charisme. Ses traits fins mais durs étaient ceux d’un leader. Il avait une peau pâle, signe qu’il ne quittait pas souvent les couloirs de son palais, ainsi que des cheveux blonds coiffés à la perfection, et des yeux bruns. Une lueur dans son regard brillait de façon inquiétante. Lyco n’aurait su dire ce que ça lui inspirait… mais voir cet individu face à lui, en chair et en os, ne le laissait pas indifférent.

— Où sont les autres ? lança Lyco sur un ton sec. Vous les avez tués ?
— Bonjour, Rôdeur.

Mervald s’appuya contre le bureau derrière lui. Il paraissait amusé par la situation.

Molch, lui, fixait Lyco d’un air menaçant, mais sans faire le moindre geste. Lyco soupira.

— Alors c’est vous, le tyran. Super, enchanté de vous voir, tout ça. Où sont les autres ?
— Tu parles probablement de ceux avec qui tu as tenté d’attaquer ma plantation du nord ? comprit le gouverneur avec un petit sourire en coin. Figure-toi qu’ils ne sont pas encore morts. Bientôt, dans quelques jours, nous les recevrons ici pour les jeter dans l’Arène.

Lyco blêmit, et baissa la tête. Son cerveau fourmillait. Comment sortir de cette situation catastrophique ? Il avait beau chercher un plan, un moyen d’échapper à l’emprise psychique de Molch, de sauver Amelis et les autres…

Rien ne lui venait. La situation lui échappait complètement. Cette prise de conscience lui coupa la souffle pendant plusieurs secondes.

— Tu es bien silencieux, Rôdeur. Je dois t’avouer être un peu déçu. Je t’imaginais plus âgé. Tu as, quoi, vingt ans ? Tu n’es pas non plus aussi musclé qu’on aurait pu le croire. On dirait que ta réputation était vraie. C’est ta seule ingéniosité qui te permet de réussir toutes ces opérations de sabotage, n’est-ce pas ?

Lyco resta muet. Ainsi, Mervald semblait ignorer qu’il avait de la Némélia 1 dans le sang. Tant mieux. C’était un atout qu’il se devait de garder secret.

— Allons, allons. On a le temps de discuter, Rôdeur. Pourquoi me laisser accaparer cette conversation ? N’as-tu pas des choses à dire, des demandes à formuler ?
— Si.

Mervald haussa les sourcils.

— Soit. Dis-moi.
— Vous accepteriez de vous suicider ? Là, tout de suite ?

Le gouverneur se pencha en avant, et plongea son regard dans celui du garçon qui le défiait. Il semblait proche de l’éclat de rire.

— Prévisible, ça, cher Rôdeur. Et plutôt malpoli…
— Oh, pardon. Je ne savais pas qu’un tueur de masse comme vous avait des notions comme la politesse… répliqua Lyco avec cynisme et amertume.

Le gouverneur secoua la tête et contourna son bureau avec lenteur. Il savourait ce moment plus que quiconque.

Il ouvrit un tiroir et en extirpa une boîte en bois lustrée, d’apparence légère. Il fixa Lyco avec froideur.

— Tu sais ce qui va se passer maintenant, n’est-ce pas ?
— Plus ou moins.
— J’aurais été tenté de te proposer de rejoindre mes rangs, Rôdeur. Mais je pense qu’il est inutile de te convaincre actuellement, n’est-ce pas ? Tu n’accepterais pas de devenir un Mutant et de travailler pour moi…

Lyco échappa un rire nerveux, avant de rétorquer :

— En effet, laissez tomber.
— En tout cas, tu n’accepteras pas si tu gardes le souvenir de tout ce que tu as vécu, n’est-ce pas ?

Le gouverneur sortit une seringue et une fiole transparente d’un étui en velours. Il les manipula un petit moment, sans un mot. Lyco sentait l’air s’imprégner de tension. Il se sentait terrifié, et en même temps, rassuré ; il avait vu juste.

Il avait réussi à prévoir la situation si l’attaque de la plantation venait à mal tourner. Il allait devenir un Effacé. La Némélia 1 allait se volatiliser peu à peu, et… et quoi ?

Il allait devenir un prisonnier de l’Arène, sans pouvoirs, sans souvenirs ? Vu sous cet angle, sa situation n’aurait pas pu être pire. Quelles étaient ses chances de survie, dans un état pareil ?

— Aucune… murmura-t-il pour lui-même. Aucune chance…
— Tu parles tout seul, maintenant ? s’amusa le gouverneur en s’approchant.

La seringue brillait dans sa main. C’était bientôt la fin.

— C’est ainsi que se termine l’histoire du Rôdeur, lança le gouverneur sur un ton pompeux. Je n’aurais plus à craindre tes interventions imprévisibles sur nos installations. Quel bonheur de t’avoir sous la main. Je pourrais me délecter de ta détresse dans l’Arène, ou même mieux…

Mervald approcha sa bouche de l’oreille de Lyco, le ton chargé de menace.

— … te convaincre de faire partie des Mutants à ma solde. Après tout, sans souvenirs, tu deviendras bien plus facile à manipuler, n’est-ce pas ?
— Vous êtes sûrs que c’est ce que vous voulez ? se moqua Lyco. M’effacer pour m’avoir avec vous ? Vous avez une réputation de sadique. Vous ne préféreriez pas me voir tenter de survivre en Arène ?

Lyco parlait pour garder contenance, rien de plus. Il savait qu’il n’avait plus aucun pouvoir sur ce qui risquait d’advenir. Il n’avait qu’à rester lui-même jusqu’au bout. Ne pas donner l’impression d’avoir perdu face à cet horrible dirigeant.

— Tu as sans doute raison, répondit Mervald. Mais je préfère encore me laisser le bénéfice de choisir en fonction de la tournure des évènements, mon cher Rôdeur. Sur ce, adieu.

La seringue s’enfonça violemment dans son bras droit. Lyco hurla de toute son âme alors qu’un torrent de douleur se déversait dans son corps. Il se sentit exploser de rage, convulsa, hurla, jura. Le rire sardonique du gouverneur résonna à ses oreilles. Il entendit des bribes de phrase, sentit des bras le saisir pour le traîner hors du bureau.

Il allait finir dans un cachot, dépossédé du moindre souvenir, dépourvu de son âme.

Il songea qu’il n’avait pas pu s’expliquer face à Amelis ; ni à aucun des autres pillards. Et dire qu’ils allaient finir comme lui, dans l’Arène.

Sa vie n’avait été qu’un éternel cycle. Il avait trouvé des camarades, s’était battu avec eux, et avait fini par tout perdre. Encore, encore et encore.

Finirait-il par ne plus être surpris par ce genre de dénouement ?




***


Darren tapota du plat de la main l’une des poutres porteuses de la construction. Satisfait, il vérifia rapidement l’état du bois, les roues et l’entrelacs de charpente qui formait le corps principal de la tourelle mobile.

Il recula pour admirer l’aspect impressionnant de ce véhicule improvisé. Il nécessitait d’être tiré ou poussé, par des pokémons ou des humains, afin d’être déplacé. Mais il offrait une certaine protection une fois retranché à l’intérieur, et un point de vue situé en hauteur, à environ trois ou quatre mètres de haut.

Lyco avait été ingénieux de contacter des itinérants du Désert pour trouver ce genre d’engin de guerre. Ils utilisaient un système similaire — bien que moins imposant — pour déplacer leurs campements dans le sud du Désert de la Désolation. Le garçon les avait connus dans son passé dont il se souvenait assez mal, et avait émis l’hypothèse de s’en servir pour créer un campement capable de se mouvoir jusqu’à la capitale de Mervald. Tourelles, cabanons sur roues, et même barricades pourraient ainsi se glisser, lentement mais sûrement, entre les dunes jusqu’à la lointaine capitale.

Darren devait bien avouer que c’était une idée de génie. Le seul problème, c’était le flagrant manque de mobilité de ces tourelles. Il pressentait déjà que les déplacer serait un calvaire, surtout dans le Désert. Il existait des voies dépourvues de pentes, ou qui étaient praticables malgré la présence de sable ; mais il allait falloir de nombreux détours avant de parvenir en vue de la ville.

Le colossal chef des pillards était en train de passer à la tourelle suivante quand un homme vint le voir, essoufflé et pantelant.

— Darren ! On m’a demandé de venir te chercher.
— Que se passe-t-il ?
— Ton jeune stratège est revenu ! Le garçon de ton groupe, parti dans le sud…

Darren s’éclaira. Enfin !

En lançant un remerciement pressé, Darren passa en coup de vent près du mercenaire et traversa une partie du camp à grands pas, se dirigeant droit vers la zone qui paraissait la plus agitée. Il entendit un éclat de rire d’Ève et fut aisément guidé dans sa direction.

Une petite foule entourait les deux voyageurs… ou plutôt les trois. Un impressionnant drakkarmin couvert de cicatrices accompagnait Lyco et Lacrya, dont les sacs à dos semblaient bien trop lourds pour pouvoir être supportés plus longtemps par leurs frêles épaules.

Darren trancha la foule comme l’éperon d’un navire et attrapa les sacs en question pour les porter à leur place.

— Vous êtes enfin revenus, lâcha le colosse en commençant à esquisser l’ombre d’un sourire. Il était temps.
— Je vois que vous avez rassemblé beaucoup de gens, s’étonna Lyco.
— Je crois qu’il est temps de tout mettre au clair, de notre côté comme du vôtre.

Darren remarqua une lueur étrange dans le regard du garçon quand celui-ci acquiesça. Il sembla comprendre quelque chose.

— Tu as retrouvé la mémoire ?

Le garçon prit soudain un air plus grave.

— Oui.

Darren mourait d’envie d’en savoir plus sur la nature de la trahison de Lyco à la plantation. Mais il se retint, et posa l’autre question qui lui brûlait les lèvres.

— Et pour cette arme ? Tu as trouvé le moyen de vaincre Mervald ?
— … Je n’en suis pas sûr, Darren. Je ne crois pas qu’on puisse considérer ça comme une arme décisive… mais il est temps de vous éclairer sur certaines choses. Rassemble des gens de confiance. Je raconterai tout ce que je sais.



***


La grande tente était close, l’intérieur éclairé par quelques bougies aux lueurs chatoyantes. La table ronde était complète : chacun y avait pris sa place. Lyco avait fait rassembler les personnes dont il estimait qu’elles devaient savoir la vérité. Ceux qui s’étaient battus si longtemps à ses côtés, et ceux qui avaient simplement besoin de mieux comprendre la situation.

Darren, Boralf, Ève, Bakrom, et Amelis, avec qui Lyco avait partagé plusieurs mois de son passé retrouvé, paraissaient être ceux qui appréhendaient le plus de cette petite réunion imprévue. Ils avaient remarqué ou compris le changement chez Lyco. Ils savaient qu’il avait retrouvé ses souvenirs.

Hormis les pillards, il y avait évidemment Lacrya. Griffe, le drakkarmin qui ne voulait plus les lâcher d’une semelle, était allongé derrière la chaise de Lyco, attentif. Le jeune homme croisa brièvement le regard suspicieux de Karyl Braun. Le Mutant avait laissé sa chaise à l’ermite, et restait debout, bras croisés et légèrement en retrait.

Lyco n’avait jeté qu’un coup d’œil rapide au vieil homme en le voyant débarquer avec son xatu impassible. Il avait seulement eu le temps d’apprendre son prénom, Gust. Et il n’était pas dérangé à l’idée de lui révéler des choses. De toute façon, son pokémon aurait tôt fait de lui transmettre ses pensées. Probablement.

— Alors ? lâcha Darren alors qu’ils avaient finis de s’installer depuis près d’une minute. Ce voyage dans le sud ?

Lyco se redressa, reprenant ses esprits. Lucide, et ayant mis de côté cette nervosité qui avait commencé à lui nouer la gorge, raconta leur bref périple.

Il passa rapidement sur le voyage : le petit village du sud, avec la tête de dracaufeu sculptée, les Hauts-Éboulis et le ravin truffé de vieux tombeaux, l’état déplorable de Bhataïs. Les autres l’écoutèrent avec curiosité, sans l’interrompre. Puis vint le moment fatidique.

— En arrivant dans les ruines du clocher, je me suis souvenu qu’il y avait un souterrain. On a trouvé l’entrée, et on y est allé. Et au fond, comme dans mon rêve, il y avait un coffret. On l’a ouvert, et…
— Attends, intervint soudain Darren en levant la main. On est d’accord que c’était toi qui avait mis ce coffre ici, avant d’être Effacé ? Avant même qu’on ne soit tous envoyés à l’Arène ?
— Oui. J’ai dû le faire quand nous y sommes passés. Avant… l’attaque de la plantation.

Darren hocha la tête avec lenteur, l’air grave. Boralf se renfrogna, Amelis fixa Lyco sans rien dire, et Ève se pencha en avant, intéressée. Seul Bakrom contint ses émotions. Mais une lueur impatiente brillait dans ses yeux. L’adolescent voulait connaître la suite.

Lyco évoqua donc la lettre laissée par son ancien lui : les doutes de Lyco quant à l’attaque, les rumeurs au sujet d’un Mutant dans la plantation, et la Némélia. Ainsi que l’Effacement.

— C’est quoi, cette histoire ? lâcha Boralf, stupéfait.

Un silence surpris avait paralysé l’intérieur de la tente. Seuls les bruits extérieurs du camp résonnaient.

— Je suis… un Mutant, en quelque sorte, expliqua Lyco en évitant les regards. Peu après vous avoir rejoint, j’ai bu de la Némélia 1. C’est ce qui explique… mes facultés en combat. Je ne suis pas plus doué que vous, juste… j’ai un des produits de Mervald dans le sang.
— Et si je comprends bien… souffla Darren, visiblement peinant à trouver ses mots. Tu as été Effacé, et tu as perdu progressivement tes pouvoirs… jusqu’à il y a quelques jours, en buvant de nouveau de la Némélia 1 ? Là, tu es un Mutant ?
— On peut dire ça…

Karyl émit un discret rire narquois derrière l’assemblée. Personne ne lui en tint compte. L’œil unique de l’ermite observait la scène avec intérêt.

Lacrya donna un coup de coude à Lyco.

— Hé, tu n’as pas le droit de finir sur ça.

Elle désigna Bakrom du menton. Lyco, gêné, s’agita sur sa chaise. Le garçon, qui le regardait avec un mélange d’admiration et d’étonnement, attendit nerveusement qu’il parle.

— Bakrom… je t’en ai fait boire à ton insu, par petites quantité. Tu… tu es aussi un Mutant, et tu le seras pendant encore quelques semaines… deux ou trois mois, si la Némélia 1 dure bel et bien un an.

Boralf se leva brusquement. Il semblait proche de l’explosion de colère.

— Pardon ? Tu as fait boire cette… cette chose à Bakrom ? Sans jamais nous l’avoir dit ?
— J’avais peur de votre réaction, rétorqua Lyco. À l’époque, je voulais juste que vous soyiez en sécurité. Bakrom… avait envie de se battre, et de vous défendre. Je lui ai confié ça pour lui rendre la tâche… plus facile.

L’adolescent resta silencieux. Plusieurs têtes se tournèrent vers lui, s’attendant à une réaction négative. Mais il ne bougea pas, ne dit rien. Comme à son habitude.

Ève posa une main sur son épaule.

— Hé, Bakrom. Si tu as quelque chose à dire, dis-le. C’est pas le moment de se renfermer, là.
— Qu’est-ce que je pourrais dire ? s’étonna le garçon.

Ève soupira de dépit. Et ajouta en grommelant :

— Je ne sais pas, moi… tu peux insulter Lyco de tous les noms, lui faire un câlin pour le remercier ou même gifler Karyl si l’envie te prend…
— Hé, lança le concerné, outré.
— … bref, nous dire ce que tu penses de cette Némélia que Lyco t’a foutu dans le sang, termina Ève en ignorant son interruption.

Bakrom haussa les épaules.

— Ce qu’a fait Lyco ne me dérange pas. C’est évident qu’il avait de bonnes intentions. Et… je me doutais de quelque chose. Je m’entraînais souvent avec lui, mais je trouvais ma progression bien trop rapide. Némélia ou non, je m’en fiche.

Le garçon redressa la tête et plongea ses yeux noirs dans ceux de son ancien maître d’escrime.

— Merci, Lyco. D’avoir eu assez confiance pour me prêter cette force. Je continuerai de m’en servir pour notre bien à tous.

L’ex-Effacé sourit, à la fois heureux et peiné d’avoir placé un tel poids sur les épaules de Bakrom. Mais celui-ci prenait bien les choses. La situation aurait pu être bien plus désagréable.

— Il y avait deux fioles de Némélia 1 dans le coffre, lança soudain Lacrya. J’ai bu la deuxième. Je suis une Mutante aussi.
— Bordel de merde, lâcha Karyl.

La nouvelle fut accueillie avec un énième silence d’étonnement, que Darren coupa en grognant. Chose rare.

— Bon, très bien, de la Némélia par-ci, des Mutants par-là. C’est tout ce que contenait le coffre ?
— Il y avait un prototype de Némélia 2, mais la lettre dit qu’il ne ferait que tuer celui qui la boit, répondit Lyco. Je comptais la faire boire à Mervald, pour qu’il meure de la même façon que tous ses cobayes. Rien qui ne pourra faire de miracle quand on attaquera Méranéa…

Lyco et Lacrya ne tardèrent pas à reprendre leur récit : ils évoquèrent l’attaque de Bhataïs par la bande de Kesner, leur infiltration de nuit, leur sabotage et leur rencontre avec Griffe, et le retour vers les Forêts de l’Est. Seulement alors, Lyco expliqua qu’il avait retrouvé ses derniers souvenirs.

Il offrit assez de détail sur l’attaque de la plantation pour que les pillards furent certains de son honnêteté. Lyco fit part de ses pensées à l’époque, de sa volonté de mettre fin à l’assaut par crainte des pouvoirs de Molch. Boralf émit quelques doutes, mais ils furent rapidement évincés : si les pillards avaient cru à une trahison par manque d’informations en ce temps-là, il n’en était plus rien aujourd’hui.

Ils savaient tous maintenant que cette histoire de Mutant était vraie ; Lyco ne les avait pas vendus, il avait tenté de les sauver, même si tout invitait à penser le contraire.

Cette nouvelle parut tous les soulager. Gust lâcha une remarque pour détendre l’atmosphère alors que l’ambiance se faisait plus morose en repensant à ces anciens souvenirs.

Darren fit son rapport aux deux voyageurs harassés : l’avancée du campement, les constructions des tours mobiles, inspirées de celles des nomades du Désert de la Désolation, l’alliance providentielle avec Izyl, le chef de Psyhéxa. Les renforts en cours de route. Et la négociation stérile, toute récente, avec les Mutants.

Les nombreuses pokéballs ramenées par Lyco et Lacrya furent entreposées dans une caisse prévue à cet effet. Boralf, le plus à même de dresser des pokémons, constata rapidement que sur les trente-trois sphères, seules douze étaient fonctionnelles et habitées par une créature. Les autres étaient des anciens modèles, trop abimées par le temps et les utilisations.

Lyco et Lacrya suivirent Ève qui leur fit faire un petit tour du campement. Mais la fatigue était bien là malgré la Némélia 1 qui coulait dans leurs veines, et on leur montra rapidement une des dernières tentes. Épuisés par le retour et toutes ces nouvelles, ils s’écroulèrent sous le même toit, chacun sur une couchette à même le sol, alors que Griffe se mettait à monter la garde auprès d’eux, toujours sans un bruit.

Pour la première fois depuis des mois, le sommeil de Lyco fut léger et débarrassé de quelconques rêves liés à son passé. Il se sentait libéré d’un poids énorme.

Il était prêt à reprendre sa vie à partir de là, et à contrer définitivement les plans du gouverneur Mervald.



***


Quand Lyco ouvrit les yeux, il mit un moment à savoir où il était. Le toit de la tente au-dessus de lui était un plafond inhabituel. Il n’avait passé que deux nuits ici, et il avait du mal à s’y accoutumer.

Il passa une main sur son front, et tourna la tête. La couchette de Lacrya était vide. Griffe n’était pas vautré à côté non plus : il devait l’avoir suivie dehors. La matinée était déjà bien entamée, après tout. Le drakkarmin semblait aimer se dégourdir les pattes et prendre le soleil. Il avait peut-être même pris sa place au sommet d’une des tours de guet, ailes écartées, pour capter les rayons matinaux…

Lyco se redressa en s’étirant, soulageant ses muscles endoloris. Il songea qu’il n’avait évoqué à personne son ultime souvenir : celui où il avait été confronté à Mervald dans son bureau. Il fallait dire que cette scène était plutôt vague dans son esprit.

Vague mais pas dépourvue d’informations utiles.

Il souleva son matelas et attrapa une feuille qu’il avait cachée dessous. Il la posa sur ses genoux, et fixa le plan dessiné avec un air concentré.

Il se souvenait d’un couloir. Du bureau. Du paysage derrière les fenêtres. Il se souvenait d’y avoir aperçu des bâtiments, dont l’Arène. Il avait été capable d’en dessiner une carte approximative. Ce serait sans doute utile, s’ils parvenaient à envahir la capitale.

Il soupira, incapable de se souvenir d’un autre détail utile, et rangea la plan, avant de se lever. Il quitta la tente et s’immobilisa devant son entrée, tourné vers le camp. Outre les autres tentes aux alentours, il admirait surtout les tourelles aux énormes roues métalliques. Les poutres et les cordages s’emmêlaient dans les hauteurs, comme de multiples mâts pointés vers le ciel.

Mervald n’avait aucun idée d’à quel point ils étaient prêts à l’assaillir. Il devait s’imaginer une foule de mercenaires en haillons, armés de bâtons et de couteaux. Mais ils avaient des pokémons, des armes à feu, des tours mobiles. Sans parler de leurs deux catapultes en construction. Heureusement que certains bandits qui les avaient rejoints avaient des galegons ou des mysdibules avec eux. Leurs pouvoirs de Type Acier leur permettaient de forger du métal sans aucun mal. Bientôt, les tourelles de bois inflammables seraient recouvertes de protections bien plus résistantes.

Le camp serait prêt à partir d’ici trois jours ; et dès aujourd’hui était censé arriver Izyl et ses derniers renforts. Ce dernier était vraisemblablement lourdement armé, et possédait d’autres pokémons spécialisés dans le combat. Leur aide serait considérable.

— Lyco ?

Il sursauta et pivota vers Amelis. La jeune femme, dont les habituels cheveux bouclés avaient été noués en queue-de-cheval pour ne pas la gêner, avançait vers lui avec un air interrogateur.

— Amelis. Bonjour…
— Salut. Je…

Elle s’arrêta près de lui, hésitante, et évita son regard.

— Est-ce qu’on peut se parler ? Dans un endroit… plus discret ?
— Entre.

Il retourna dans la tente, et elle l’y suivit sans un mot. Refermant la pan de toile derrière elle, elle resta plantée près de l’entrée, l’air mal à l’aise. Lyco devinait de quoi elle allait parler. Il avait appréhendé cette discussion depuis son retour.

— Tu te souviens de tout, pas vrai ? demanda-t-elle. De… de nous ?
— Oui…

Elle hocha la tête, le regard tourné vers le sol. Lyco, gêné, tripota distraitement un pli de sa veste.

— Ma mémoire est toujours assez fragmentée, par contre, ajouta-t-il dans un souffle. Certaines choses restent assez floues. Et l’ermite a dit que ça ne reviendra peut-être jamais complètement…
— Je… je vois. Je voulais juste savoir… si tu avais toujours des sentiments pour moi.

Elle releva la tête, et ses yeux noisette le dévisagèrent. Il resta immobile quelques secondes, et finit par secouer lentement la tête.

— Désolé, Amelis. Je sais qu’on a vécu des choses ensemble, mais… c’est assez encombré, là-dedans, dit-il en souriant d’un air attristé, et en se tapotant le front. Je dois t’avouer que… je ne pense pas ressentir quelque chose, là, maintenant. Peut-être que ça changera, je ne sais pas…

Elle hocha la tête en silence. Une ombre déçue semblait être passée sur son visage… et en même temps, ses épaules se relâchèrent un peu, comme soulagées. Elle esquissa un sourire.

— Ce n’est pas très grave, tu sais, répliqua-t-elle avec légèreté. On n’a pas passé tant de temps que ça ensemble, Lyco. Notre relation n’a duré que deux mois… et je crois que nous n’avons eu que quatre ou cinq véritables conversations, du temps où nous étions ensemble.

Lyco ne répondit rien : il se souvenait de l’une d’entre elles. Celle où elle lui avait parlé de son enfance. Mais il devait bien lui concéder une chose. Amelis devait avoir raison. Ils n’avaient pas vécu de choses si fortes que cela, ensemble. Très peu de ses souvenirs retrouvés les concernaient, après tout.

— Je ne sais pas moi-même si j’éprouve encore quelque chose, avoua la jeune femme. Je voulais juste qu’on mette les choses au clair pour le moment. Qu’on sache… vers quelle direction aller. Merci d’avoir pris ton temps pour m’écouter, Lyco.

Elle fit demi-tour, et souleva un pan de toile. La lumière se déversa dans la tente, mais elle tourna la tête vers lui avant de sortir :

— Et puis maintenant, tu as Lacrya, n’est-ce pas ? Prends soin d’elle pour moi, compris ?

Lyco, stupéfait, sentit le rouge lui monter aux joues. Mais Amelis ne lui laissa pas le loisir de répondre, et jaillit à l’extérieur. Le pan retomba, le plongeant dans la pénombre, et le laissant sans voix.



***


Lacrya s’adossa à un morceau de barricades et croisa les bras. Elle bailla discrètement, dirigeant son regard vers l’horizon sableux. Dans son dos, le lointain grognement d’effort d’un machopeur se fit entendre, accompagné du martèlement des outils.

À cette allure, ils auraient pu construire une véritable ville fortifiée s’ils avaient disposé de quelques semaines de tranquillité supplémentaires ; et s’il n’y avait pas un homme à abattre là-bas, au cœur du désert, terré dans son palais.

Un bruit de pas crissa sur le sol sec. Entendant des gravillons craquer sous des semelles, Lacrya se retourna. Karyl émergea des poutres d’une tour mobile. Il venait visiblement d’en vérifier la structure. Même lui mettait la main à la patte. Sa vengeance approchait. Il devait sans doute difficilement cacher son impatience.

— Salut, Karyl.

Le Mutant ne lui répondit qu’avec un rictus. De mémoire, Lacrya ne lui avait jamais parlé en face à face. Du temps de l’Arène, ils n’avaient fait que s’invectiver de loin. Et après ça… elle avait surtout gardé en mémoire son massacre à l’ancien repaire des pillards. Rien d’autre ne les avait rapprochés après ça.

Au fond d’elle, elle gardait toujours un profond ressentiment à son égard. Et une méfiance acerbe. Il devait être dans une situation similaire en ce qui la concernait.

Pourtant, Karyl s’avança un peu, et se posta non loin d’elle, observant lui aussi le paysage sans fin.

— Où est l’autre abruti ? lâcha-t-il dans un grognement.

Lacrya soupira. Et reporta son attention sur les dunes.

— Lyco ? Il se repose. Je crois.
— Vous allez vous promener dans le sud, vous dormez… vous êtes super utiles, on dirait.
— Je me fiche de ce que tu peux penser de nous, Karyl.

Il grommela en haussant les épaules, comme s’il s’attendait à cette réponse.

— J’oublierai pas tout ce que tu as fait contre nous, continua la jeune femme. Les insultes et les rackets à l’Arène, les coups bas, le massacre… les autres ont commencés à te pardonner parce que tu as le même objectif que nous. Mais moi, je n’oublierai pas.

Karyl la regarda en biais, vaguement étonné. Il passa une main dans ses cheveux couleur de jais.

— Tu sais quoi, Lacrya ? répondit-il à mi-voix après un bref silence. Je préfère ça. T’es honnête, au moins. Et ça m’aidera peut-être à pas oublier non plus les conneries que j’ai faites.

Karyl s’approcha d’elle. Surprise, elle se tendit et recula d’un pas. Le Mutant s’avança encore. Il la dominait bien d’une tête. Elle se rendit compte d’à quel point il était différent. Il avait forci. Son regard était plus dur, ses traits plus fins. Il était animé par une flamme de détermination : pas par sa seule volonté de survivre. Il n’avait plus rien d’un lâche perfide. Il dégageait quelque chose d’autre.

Il avait changé.

— Mais n’oublie pas non plus, Lacrya, qu’on est du même côté, maintenant. Tout c’que j’ai fait… ça peut être difficile à croire, mais je regrette tout ça. Aujourd’hui, j’ai qu’une envie, et tu la connais. On va défoncer ce gouverneur de mes deux. Faut se serrer les coudes, entre Mutants, non ?

Il tendit la main. Sans rien dire. Il n’attendait que son approbation. Sa coopération.

Karyl Braun faisait un pas vers elle. Il semblait presque faire preuve de bienveillance. Ce simple fait la cloua sur place. Karyl, prenant son absence de réponse pour un refus, baissa le bras en marmonnant un juron, vexé. Il recula, et souffla :

— Tu sais, je repense beaucoup à ma vie d’avant l’Arène, ces derniers temps. Si je n’avais pas été… attrapé par les évènements, embrigadé dans la banditisme et plongé dans un milieu d’escrocs… ma fille, Saren, aurait ton âge.

Lacrya haussa les sourcils.

— Tu as… tu avais… une fille ?
— Ouais.

Silence.

— Et elle est morte à cause de moi.

Le regard du Mutant s’assombrit. Ses yeux devinrent vitreux, comme s’il observait des scènes du passé. Lacrya, attristée bien malgré elle, se redressa et fit un pas dans sa direction. Elle tendit sa main.

— Détruisons ce gouverneur, Karyl. Je ne t’aime pas, je crois même que je te déteste. Mais… je déteste Mervald encore plus. On doit le tuer. Ensemble.

Karyl, stupéfait, hocha la tête sans rien, la gorge nouée. Il attrapa sa main et la serra avec force. Son pessimisme naturel se fendilla légèrement, rendit quelques couleurs à son visage torturé, et ses lèvres se détendirent en une ébauche de sourire.

Tout espoir n’était pas encore perdu.



***


C’était le grand jour. Le jour du départ.

L’aube était à peine levée. Les tentes avaient été intégralement retirées, posées dans des charrettes ou à l’intérieur des différentes tours mobiles de la formation. Pieux et barricades étaient maintenant chargées, les catapultes prêtes à prendre la route, et les bandits armés aux côtés de leur pokémons.

Treize chefs de bande avaient été choisis lors du vote de la veille, autour du feu. Darren en faisait partie. Ainsi qu’Izyl, arrivé deux jours auparavant et constamment accompagné par plusieurs hommes de main. Le premier conseil stratégique avait été tenu et mis au clair un plan imaginé à la fois par Lyco et tous ceux s’étant portés volontaire en tant que stratèges amateurs.

Plus personne ne s’étonnait de voir des trafiquants aider au dressage de pokémon, ou même des voleurs de rue se charger de l’inventaire. Criminels, mendiants, chasseurs de primes, dresseurs ou même soldats à la retraite, tous s’entraidaient pour mener à bien les préparations de leur ultime combat.

Les espoirs étaient grands ; les chances de victoire, pourtant, restaient minces. Les révoltés avaient appris, pour les forts construits par Mervald. Ainsi que les murs montés en plein Méranéa. La capitale était prête à se défendre.

Mais malgré les doutes et les craintes, le cor du départ résonna avec force. Les tourelles mobiles, les charrettes, les engins de guerre improvisés et les gens, tous se mirent à avancer vers le Désert de la Désolation. Droit vers leur destin improbable.

Lyco se retourna plusieurs fois, perché sur une tourelle. Les Forêts de l’Est devinrent rapidement une simple ligne verte couchée sur l’horizon. Puis finirent par disparaître, absorbées par la lumière du soleil et les dunes de sable.

Le garçon cessa de regretter toute cette attaque. Il savait ce que ça avait donné, par le passé, d’annuler un tel évènement en cours de route. Ça l’avait mené à sa perte. Il avait été effacé, emprisonné et humilié.

Il irait jusqu’au bout, cette fois-ci. Tout le monde voulait prendre sa revanche sur cette vie cruelle et douloureuse, et sur ce gouverneur qui gardait tout pour lui. Il était temps de remettre les choses à plat. Et de faire de ce monde un endroit meilleur.

— Lyco.

Darren venait d’escalader souplement l’échelle pour le rejoindre au sommet de la tour. Un léger roulis le fit chanceler, mais le garçon lui attrapa le bras pour l’empêcher de tomber. Darren le remercia d’un air bougon, et lui tendit un bout de papier.

— Je n’en ai parlé qu’à ceux en qui j’ai une totale confiance. Lis ça.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Lis.

Le garçon baissa le nez sur ce bout de parchemin. Une écriture soignée y était parfaitement lisible.

— « Je suis de votre côté. Je viendrai au moment propice. PS : Le premier fort est piégé. ». Quoi ?

Lyco, sans comprendre, releva la tête. Le colosse soupira.

— Tu sais, je t’ai raconté cette tentative de négociation avec les deux Mutants de Mervald ? J’en ai parlé pendant le conseil stratégique. Tout le monde sait qu’ils ont tenté de communiquer. Mais… avec Boralf, Ève, Karyl, et les autres pillards, tu es le seul au courant. Tu pourras en parler à Lacrya, évidemment…
— Même Izyl ne le sait pas ?
— Oui, même Izyl.

Lyco secoua la tête.

— Tu veux dire que ce papier est un message que t’a confié un des Mutants ?
— Oui, Zak. Le Type Électrique. Il dit être de notre côté… et pour prouver sa bonne foi, il nous donne cette indication. Celle qui dit qu’un fort est un leurre. Tu penses qu’on peut lui faire confiance ?

Le jeune homme lui rendit le parchemin. Darren le plia soigneusement et l’enfila dans la poche intérieur de sa veste. En vérifiant discrètement que personne n’avait rien vu.

— On verra, Darren. Je ne saurais pas le dire, là, comme ça… mais si c’est vrai… alors Mervald n’a vraiment plus personne à ses côtés. Ses soldats, et Garûnd. C’est tout. Le combat sera peut-être plus facile que prévu.

Le colosse hocha la tête en silence. Ils étaient arrivés tous les deux à la même conclusion. Ils restèrent là, sans rien dire, alors que peu à peu, la campement tout entier se déplaçait entre les dunes, solidement escorté. Le soleil commençait à réchauffer l’atmosphère. Bientôt, avancer deviendrait un calvaire permanent.

Mais pour des gens habitués à vivre un enfer chaque jour, ce trajet vers la capitale paraissait n’être qu’une promenade de santé. L’avantage d’avoir vécu des choses terribles, c’était que chacun des hommes et des femmes en contrebas était plus robuste, plus résistant, plus têtu que le moindre soldat de Mervald, habitué au confort et à l’oisiveté.

Ils étaient prêts.

Lyco posa la main sur le fourreau de son nouveau sabre, récemment forgé. Il imaginait facilement la Némélia 1 faire bourdonner ses bras, éveiller ses sens, et lui offrir la chance de se battre en première ligne sans trop de mal. Il n’avait pas vraiment peur de mourir l’arme à main.

Il était seulement terrifié à l’idée de peut-être mener tous les autres à leur perte.