Chapitre 9 : Entreprise ciblée
- Sais-tu pourquoi notre team s'appelle « Rocket », gamin ? Demanda l'officier. Quel genre de pensée profonde nos fondateurs avaient à l'esprit quand ils ont choisi ce nom ?
- Je dois avouer que je l'ignore, monsieur, répondit Vaslot.
L'adolescent suivait docilement le gradé Rocket qui l'avait accueilli et qui lui faisait faire une visite partielle de la planque sous le casino de Céladopole. Personne en ville ne semblait ignorer que cette maison de jeu était gérait dans l'ombre par la Team, mais de là à en faire une base... Il y avait un certain culot de la part de Madame Boss d'avoir mis une de ses planques juste sous le nez des autorités ; une preuve de plus, s'il en fallait, que Céladopole croulait sous la corruption en tout genre.
- En fait, je pense pas qu'ils en aient eues, répondit le chef de section Byz. Quand la Team a été créée, elle avait pas encore pour vocation de faire du profit au mépris des lois. Le terme de « Rocket » voulait simplement signifier l'ambition de ce groupe à s'élever de plus en plus haut, ou un truc du genre. Ce n'est que des années plus tard, quand Madame Boss a en a fait un groupe paramilitaire, qu'elle s'est trouvée une signification à ces quelques lettres : Ruez-vous et Oblitérez les villes ! Vous êtes mes Crocs ! Kidnappez, Eliminez, Terrorisez !
Vaslot haussa les sourcils.
- Ça donne l'impression qu'elle a galéré à chercher des mots qui correspondaient.
Le Rocket dévisagea l'adolescent d'un air étonné. Vaslot crut qu'il allait le réprimander pour son insolence, mais il éclata finalement de rire.
- C'est pas faux. Et ça nous fait passer pour des sortes de terroristes totalement barrés. Enfin... c'est vrai qu'on kidnappe, élimine et terrorise les gens, à l'occasion, mais à ma connaissance, on a jamais « oblitéré » une ville. Par contre, le passage sur les « crocs » avait du sens, à l'époque. Les Crocs de la Team Rocket étaient un peu les prédécesseurs des Agents Spéciaux, une unité d'élite entièrement dévouée à Madame Boss. On peut donc penser que cette phrase leur été adressée, et que par hasard, les mots employés correspondaient aux lettres de « Rocket ». Enfin, peu importe ce que Rocket veut dire, de toute façon. Le sens de notre action est très clair, lui.
- Renverser les Dignitaires, prendre le pouvoir à Kanto, puis instaurer une domination intégrale des Pokemon dans le monde, pour le futur de l'humanité, énuméra Vaslot.
Byz eut un rictus ironique.
- Oui, ça, c'est ce que nos hauts gradés disent lors des discours, et ce que nous nous répétons quand a du mal à se regarder dans un miroir après avoir fait des trucs discutables. Mais plus matériellement, notre job à nous, les petites mains, c'est de se faire du pognon. Et ce de diverse manières ; vol, chantage, petites affaires, trafics, blanchiment, investissements opaques... Ici, à Céladopole, on trempe un peu dans tout. Cette ville est du pain béni pour nous, notre principale source de revenu à Kanto. Et Ce que les pontes font après de tout ce fric n'est pas notre problème.
- L'argent a toujours été le nerf de toutes les guerres, fit Vaslot avec philosophie.
Byz tapa une combinaison de chiffre sur un clavier numérique pour que la porte devant eux ne s'ouvre.
- Comme tu dis gamin, et en voici l'une des preuves : ici, c'est l'armurerie. On y stocke les armes, mais aussi les Pokeball. Si t'as pas de Pokemon à toi, on t'en passera d'office, mais ce ne sera qu'un prêt : ils appartiendront toujours à la Team Rocket. Leur niveau et rareté dépendra de ton affectation et de ton grade. À moins que tu ne veuilles rejoindre l'armée Rocket, bien sûr. La plupart de nos militaires préfèrent se servir de flingues que de Pokemon.
- Je ne pense pas être fait pour le maniement des armes, monsieur. Je suis plus un intellectuel qu'un manuel.
C'était aussi vrai pour l'utilisation de Pokemon, d'ailleurs. Vaslot n'en avait jamais eu, et avait à l'endroit de ces créatures une confiance des plus limitées. Mais s'il devait s’embarrasser d'une ou deux de ces bestioles pour faire son travail, il le ferait.
- J'ai pas mal de gros bras dans mon équipe ; le genre de gars qu'on envoie récupérer une dette, ou intimider les clients récalcitrants, dit Byz. Mais les intellectuels, il m'en faut aussi. On ne récolte pas du fric juste en cognant des têtes. Tiens alors : un Pokemon d'intello.
Il envoya une Pokeball à Vaslot qui la rattrapa instinctivement.
- C'est un Soporifik, précisa le chef de section. Je t'épargne les éternels Rattata et Smogo qui pullulent chez nos sbires de base. Si tu bosses bien, tu en auras d'autres, et des plus puissants. Ta mission donc : faire de la thune. Ton champs d'action : toute la ville de Céladopole. Tes moyens utilisés : tout ce que tu veux, mais sache que la Team ne te couvrira pas si tu dépasses la ligne rouge. On a beau avoir graissé la patte de nombreux officiels de la ville, on ne bougera pas le petit doigt si tu te fais chopper par les flics pour meurtre ou braquage.
Vaslot fit signe à son nouveau supérieur de ne pas s'inquiéter.
- Ce sont des méthodes vulgaires et généralement peu fructueuses. L'argent se gagne plus par l'esprit que par les bras, et un bon mafieux est un mafieux qui ne se fait pas remarquer. Je ne ferai pas de vague, monsieur, vous avez ma parole.
Byz jaugea Vaslot du regard. L'adolescent put voir que cet homme, pourtant d'apparence frustre avec sa grosse bedaine et son air patibulaire, n'était pas un idiot comme Jorgand. Ce n'était pas un homme qu'il pourrait aisément rouler dans la farine. Il valait mieux obtenir sa confiance à la loyale.
- Oui, tu m'as l'air intelligent, gamin. Le lieutenant Verlys ne recommande pas à la légère, surtout des gars de ton âge. J'ignore ce que tu as foutu à Almia pour être entré dans ses bonnes grâces, mais je m'en contrefous. Je ne te jugerai que sur tes résultats. Bosse bien, accumule le fric, et je te promet que tu grimperas vite chez nous, jusqu'à devenir chef de gang si tu le désires. Si tu ne t'illustres pas en revanche, tu finiras ta vie comme un sbire anonyme parmi des milliers d'autres, à garder une salle de la planque ou à patrouiller en ville avec leur uniforme voyantes et foutrement inconfortables.
- C'est entendu, monsieur.
Vaslot était prêt. Il savait qu'il était capable d'exercer ses talents en solo, et comptait bien se mettre la Team Rocket dans sa poche. Car son but, ce n'était pas de servir l'organisation, mais comme l'avait dit Byz, d'avoir sa propre bande et de se faire son propre pognon, quitte à en reverser une partie à la Team Rocket.
- Bien, conclut Byz. Bon, faut quand même que je te présente à l'Agent 003, qui contrôle plus ou moins la ville et qui est responsable des liquidités de la Team. C'est le supérieur direct de tous les chefs de sections comme moi, dont la mission est d'étendre notre influence et de grossir le volume de nos coffres. Il doit être en réunion avec le maire actuellement, mais cette planque est sa base principale, donc tu le verras souvent. L'Agent 001 passe aussi parfois, bien qu'il opère principalement à Jadielle. L'arène qui s'y trouve est à nous. Ah, et on a aussi l'Agent 002, en charge de la branche technologique et scientifique de la Team, qui est un haut placé du Laboratoire de Cramois'île.
Un casino, une arène, un laboratoire... Vaslot se demanda vaguement s'il y avait à Kanto un seul genre d'établissement que la Team Rocket ne possédait pas. Elle serait même capable de faire des bénéfices sur la gestion d'un Centre Pokemon, pourtant entièrement gratuit. Travailler dans la même cours que ces gars là allaient être coton, mais si Vaslot réussissait, ça pourrait lui rapporter gros.
Maintenant que Marine était assurée de suivre la formation qu'elle souhaitait, et d'être nourrie et logée, Vaslot pouvait enfin penser à lui. Il n'était pas quelqu'un qui courrait après l'argent pour le plaisir matériel, ça non. Dépenser son pognon en belles voitures, piscines, voyages au bout du monde, Pokemon hyper rare, c'était pour lui le comble de l'idiotie. Il voulait de l'argent simplement pour en gagner encore plus. C'était ce défi en soi qu'il appréciait, bien plus que l'argent en lui-même. Et avec l'argent viendrait le pouvoir, quelque chose de bien plus satisfaisant que les voitures de luxe.
- Ah chef, vous êtes là !
Un sbire se présentait à Byz, avec l'intention évidente de lui dire quelque chose, mais il hésita quand il vit Vaslot, cet adolescent qu'il ne connaissait pas.
- Tu peux causer, dit le chef de section. C'est une nouvelle recrue, et sa loyauté est mise à l'épreuve dès à présent.
- Oui monsieur. On vient d'apprendre qu'un avion s'est écrasé non loin d'Argenta.
- C'est malheureux, mais en quoi ça nous concerne ? C'était un de nos avions ? Ou c'est un de nos gars qui l'a fait se crasher ?
- Non chef. Et il ne s'est pas vraiment crashé en fait. Il semblerait qu'il ait été téléporté au sol alors qu'il chutait. Ce qui est intéressant, c'est que l'un des passagers était Haysen Funerol, le millionnaire d'Almia qui a failli exploser y'a quelques jours. Et selon ce que nous ont rapporté nos gars chez les flics, l'avion en question a été attaqué de l'intérieur par une... euh... samouraï au bras métallique avec un katana de ténèbres.
- Rien que ça, ricana Byz. Mais que fout Funerol à Kanto au juste ?
- Un de nos espions à la Sylphe affirme l'avoir vu sortir de l'étage des Dignitaires ce matin même. Il a sans doute une affaire en cours, et aux dernières nouvelles, y'a bien cette société là, N.W.C, qui a acheté la Forêt de Jade et qui voudrait la raser.
Vaslot avait fait en sorte de conserver un visage neutre, mais il avait mentalement tiqué aux noms de Funerol et de N.W.C. Cette affaire à Almia le dérangeait toujours. Il n'avait pas oublié la façon dont N.W.C l'avait roulé dans la farine pour qu'il fasse son sale boulot à sa place. Et peut-être bien que cet avion écrasé, c'était encore un coup à eux ? Une autre tentative de se débarrasser de Funerol pour qu'il n’entrave pas leur projet pour la Forêt de Jade ?
- J'suis pas sûr que l'Agent 003 voit d'un bon œil la privatisation de la Forêt de Jade, commenta Byz. On l'exploite pas mal, via la capture de Pokemon. Et que N.W.C vienne jouer sur notre terrain est ni plus ni moins qu'un défi envers nous.
- Que ce soit eux ou non qui ont trempé dans cette attaque sur l'avion, ils se sont chiés, intervint Vaslot. Funerol est toujours vivant. Si on peut faire en sorte de remonter jusqu'à N.W.C et de leur mettre cet attentat sur le dos, ils rentreront bien vite dans leur niche à Unys.
Byz regarda le jeune homme d'un air intrigué et appréciateur.
- C'est bien pensé gamin, mais pourquoi tu dis ça ? En quoi ce que fait N.W.C te regarde ?
- Ma loyauté est mise à l'épreuve dès à présent. C'est ce que vous avez dit, monsieur. Si les actions de cette entreprise nuisent à la Team Rocket, alors elle est aussi mon ennemie, et j'ai intérêt à lui faire barrage.
Du pipeau tout ça, bien sûr. Vaslot se fichait totalement que N.W.C rase la Forêt de Jade, et que la Team Rocket y perde un terrain de capture. Tout ce qu'il souhaitait, c'était se venger de ces gars, et surtout de Stylord, son directeur des ressources humaines. Et puis, il y avait toujours un risque que N.W.C puisse balancer l'identité de la personne qui a été poser leur bombe au Vert de la Planète. Vaslot tenait à couvrir ses arrières. Si l'entreprise était décrédibilisée, ça l'arrangeait. Mais le chef de section Byz sembla croire et apprécier ses paroles.
- C'est bien parlé, mon gars. Mais c'est un trop gros morceau pour nous, ça. Je ne peux que faire remonter à l'Agent 003. Il décidera quoi faire. Toi, contente-toi pour l'instant de me ramener de bonnes liasses de billets.
Vaslot acquiesça docilement. Oui, il allait lui ramener de l'argent. Mais ça ne l’empêcherait pas à côté de suivre de près cette affaire concernant N.W.C. S'il pouvait aider Funerol à les faire tomber, il ne s'en priverait pas, quitte à ne rien recevoir en contrepartie. La satisfaction d'avoir contribué à emmerder quelqu'un qui lui avait causé du tort dans le passé suffirait. L'argent et le pouvoir, c'était bien, mais vaincre les gêneurs et ses ennemis, c'était encore mieux.
***
- Professeur, ne le prenez pas mal hein, mais sauf votre respect, c'est quoi ce putain de foutoir ?!
Dan était rentré à Bourg-Palette, tant bien que mal, après ses mésaventures dans la Forêt de Jade. Et il avait des choses à raconter – et surtout à demander – à Erable.
- Quand j'ai accepté de vous aider, je comptais trouver des hommes d'affaires cupides ayant envoyé des ingénieurs et des machines menaçants et polluants la Forêt de Jade, mais voilà que je tombe sur des bombes de science-fiction, un junkie bourré avec un Pokemon parlant inconnu au bataillon qui peut rétrécir les gens, et une entreprise qui serait de mèche avec un Pokemon Spectre maléfique nommé Fantastux qui voulait me faire disparaître !
Erable, qui consultait tranquillement des documents sur son bureau, avait écouté la tirade furieuse de Dan sans qu'aucune surprise ne transparaisse sur son visage vénérable.
- Je vois... Les choses se sont un peu accélérées, visiblement. Est-ce que Henrich et Togesplit s'en sont sortis ?
- Donc vous les connaissez bel et bien ! Togesplit a effectivement mentionné un « professeur » qui aurait confié une mission à Henrich. Qui sont ces gars, et que fichez-t-ils là-bas ?
- Ils travaillent pour moi, et surveillent les agissements de N.W.C depuis un moment. J'ignorais cela étant qu'ils étaient rentrés à Kanto. Lors de son dernier rapport, Henrich se trouvait encore à Unys, à surveiller la maison-mère. Le Talent qu'a Togesplit de rétrécir les choses et les personnes fait de ce duo les meilleurs espions possibles... enfin, tant qu'Henrich a la totale maîtrise de ses moyens, ce qui, il faut bien l'admettre, est assez rare.
- Mais pourquoi avoir engagé ce type pour ce genre de mission ? Qui est-il ? D'où sort ce Togesplit ? Et, Sainte-Mère d'Arceus, dans quoi roule N.W.C ?!
Le professeur soupira, se leva et nettoya lentement ses lunettes.
- Je vous avez prévenu, Dan : cette affaire sera dangereuse. Je vous ai également bien dit que N.W.C n'était que la part visible de l'iceberg, qu'il y avait quelqu'un de bien plus dangereux dans son ombre. Henrich et Togesplit sont deux membres importants de mon organisation, dont le but est de lutter contre ceux qui manipulent N.W.C.
- Mais on parle plus d'une simple multinationale qui veut se faire plus de fric en s'emparant de notre patrimoine national là ! S'exclama Dan. Ces gars fabriquent des bombes qui désintègrent tout à la ronde, et sont capables d'éliminer les gens pour les faire taire. Ce n'est pas qu'un seul Top Ranger comme moi qu'il vous faut, mais l'armée !
- Attaquer de front N.W.C ne servirait à rien, répliqua Erable. Les gens qui la dirigent sont tous entièrement jetables aux yeux de nos vrais ennemis. Et je ne veux pas impliquer d'innocents dans ce conflit qui m'oppose à... l'organisation derrière N.W.C. Notre combat, de tous temps, s'est déroulé dans le secret. Nous devons combattre N.W.C au grand jour avec des moyens légaux ; c'est la seule solution pour que nous puissions atteindre ceux qui se cachent derrière.
- Prof, je respecte votre combat, mais... quitte à ce que je risque ma vie, j'aimerai bien en savoir plus sur nos ennemis, et surtout sur vous et votre fameuse organisation.
- Vous en parler vous condamnera inévitablement à être impliqué dans nos affaires. Je ne peux pas me le permettre, sauf si vous désirez officiellement me rejoindre. Mais le temps n'est pas venu pour cela. Nous devons d'abord arrêter les projets de N.W.C. Êtes-vous toujours avec moi pour cela ?
- Comment pourrai-je ne pas l'être ? Soupira Dan. Ces gars sont dangereux, et pas seulement pour la Forêt de Jade. Je ne peux pas, en tant que Top Ranger de Kanto, faire comme si je n'avais rien vu.
Erable posa sa main sur l'épaule du jeune Ranger.
- J'apprécie votre soutient, Dan. Nous ne serons pas seuls. Haysen Funerol va bientôt nous rejoindre. Il a à nouveau été victime d'une tentative de meurtre, cette fois à plus grande échelle. Et d'après ce qu'il a affirmé aux autorités, ce sont bien les personnes derrière N.W.C qui ont opéré. Funerol est déterminé à lier N.W.C à ces odieuses attaques, et il a amené un avocat avec lui. Avec votre témoignage de ce que vous avez vu dans la Forêt de Jade, et les preuves qu'on pourra réunir là-bas sur l'utilisation de ces bombes, on aura de quoi combattre N.W.C devant un tribunal. Même s'ils réussissent à éviter une condamnation faute de preuves suffisantes, leur réputation en pâtira énormément, et ils renonceront d'eux-mêmes à leur projet pour la Forêt de Jade. Et alors... on sera libre d'enquêter plus en profondeur sur les liens qui les unis aux véritables ennemis. Vous pourrez choisir de prendre part ou non à ce combat à ce moment là. Mais ne prenez pas cette décision à la légère, Dan. Ce n'est pas seulement votre vie que vous mettrez en péril, mais aussi votre propre vision du monde…
***
Maxwell avait cru avec espoir être débarrassé de Conseil d'Administration pour toute la semaine après la fin du dernier il y a trois heures, mais voilà qu'il avait reçu un appel urgent du PDG Kabora pour qu'ils se réunissent tous à nouveau, en dépit de l'heure tardive. Maxwell avait pu sentir l'appréhension du président au téléphone, et pouvait deviner que quelque chose inopportun c'était passé. Il arriva devant la salle de réunion en même temps que son ami Adrian Hubertin, le directeur des investissements. Ce dernier paraissait tout aussi perplexe et inquiet que lui, un signe de plus, s'il en fallait, qu'Adrian n'était sans doute pas le Marquis des Ombres.
- Tu sais ce qui se passe toi ? Lui demanda Hubertin.
Il était vrai qu'en temps que directeur de la communication, Maxwell Briantown savait d'ordinaire les choses plus vites que ses collègues, mais là, il était également dans le noir. Il secoua la tête.
- Non, mais ça a sans doute un rapport avec ce qu'il s'est passé dans la Forêt de Jade. Fantastux devait prendre possession d'un de nos fouineurs et nos hommes se débarrasser du second. L'un ou l'autre a dû merder.
La présence du Pokemon Agent de la Corruption dans la pièce confirma à Maxwell son impression. Fantastux n'avait pas l'air content, et le président Kabora encore moins. Plus étrange et inquiétant : il semblait à Maxwell que si Kabora était furieux, c'était à cause de Fantastux. Pour lui qui avait toujours vénéré le plus Horrorscor et traité l'envoyé du Marquis avec le plus grand respect, c'était étonnant. Encore plus étonnant : Kabora se passa des paroles d'usages sur Horrorscor et le monde de Venamia. Il entra dans le vif du sujet quand tout le monde fut assit.
- La situation a quelque peu dégénéré, chers collègues. Les deux hommes qui espionnaient nos opérations dans la Forêt de Jade ont pu s'enfouir avant l'arrivée de Fantastux, en détruisant totalement notre campement et notre stock de Void-Bomb. Le périmètre dévasté est tel qu'on ne peut pas le cacher, ni le justifier.
Maxwell grimaça intérieurement. En effet, c'était embêtant. Le témoignage de ces deux individus serait donc confirmé par le cratère béant que les Void-Bomb ont dû provoquer. Les Dignitaires n'allaient pas laisser passer ça. Ils ont cédé la Forêt de Jade à N.W.C, mais avec pour consigne d’œuvrer discrètement et légalement, afin que l'impopularité de cette privatisation ne retombe pas sur eux. Et également, ça leur avait coûté leur Void-Bomb qu'ils avaient mis tant de temps à produire. L'affliction pouvait largement se lire sur le visage de Milton Parmilian, le directeur des recherches et développements, qui s'était énormément investi sur ce projet.
- Comment nos hommes ont-ils pu les laisser s'échapper ?! S'exclama Adreover Stylord.
Le cruel directeur des ressources humaines devait déjà se demander lequel de ses employés il allait punir, et comment.
- Selon leurs rapports, les deux prisonniers ont reçu l'aide d'un Pokemon inconnu, qui avait le pouvoir de faire... rapetisser les choses.
- C'est ce traître de Togesplit, intervint Fantastux d'un air mauvais. C'est souvent qu'il fait équipe avec cet Apôtre chevelu et à l'hygiène douteuse. Vos hommes auraient dû le fouiller ; ils auraient forcément trouvé une Pokeball !
- Ils l'ont fait, ont-ils dit, se défendit Kabora. Nous enquêterons en profondeur là dessus, mais ceci n'est pas le plus grave…
Les dirigeants de N.W.C s’entre-regardèrent. Que pouvait-il y avoir de plus grave que ça ? Visiblement, ça avait quelque chose à voir avec le soudain antagonisme entre le PDG et le Pokemon Spectre.
- Il y a eu une nouvelle attaque sur Haysen Funerol, du Vert de la Planète. Un attentat alors qu'il prenait l'avion en direction de Jadielle.
Naturellement, tous les regards se portèrent sur Stylord, qui leva les mains.
- Je n'ai rien fait cette fois !
- Je le sais, répondit Kabora. C'est l'acte de nos... amis, les Agents de la Corruption. Ils ont semble-t-il trouvé utile de dépêcher un des leurs, un assassin pas du tout discret, pour attaquer cet appareil depuis l'intérieur, et ce en dévoilant son identité et ses cibles sans aucune prudence. Et total... Funerol a survécu, et est en ce moment même entendu par la police de Kanto.
Un silence de plomb régna dans la salle, chacun prenant conscience de ce que ça voulait dire. Funerol devait déjà largement soupçonner l'implication de N.W.C après l'attaque débile de Stylord contre son QG à Almia. Mais maintenant qu'il était arrivé à Kanto, pour mener un combat dont personne n'ignorait rien, cette seconde attaque contre sa personne ne pouvait pas être comprise autrement qu'en représailles de son opposition au projet de N.W.C. Et selon son témoignage et ce qu'avait dit cet assassin du Marquis, les autorités ne manqueraient pas de suspecter l'entreprise d'avoir un lien avec les Agents de la Corruption.
- P-pourquoi avoir fait cela, Seigneur Fantastux ? Demanda Maxwell d'une voix enrouée. Il ne fallait absolument plus viser la personne de Funerol maintenant qu'il est arrivé à Kanto et qu'il s'apprête à nous affronter sur le terrain légal. Même si ce n'est pas une preuve formelle contre nous, ça ne fera que lui attirer le soutient de l'opinion publique et même de la justice !
- C'était la décision du Marquis, pas celle de Fantastux, se défendit le Pokemon. Cet humain de Funerol gênait notre vision plus que vos projets. Il aurait dû mourir sans que personne ne sache comment. Le Marquis n'avait pas prévu que Zestira manque à ce point de prudence.
Maxwell se douta que cette Zestira devait être l'assassin du Marquis, et une Agent de la Corruption, comme Fantastux. Il ignorait qui elle était, mais elle devait être aussi stupide qu'elle était téméraire pour songer à s'en prendre à un avion depuis l'intérieur en pensant que rien n'allait filtrer. Même si l'appareil s'était écrasé, il y avait toujours les boîtes noires.
- Funerol nous a-t-il accusé directement ? Demanda Hubertin.
- Nous ignorons ce qu'il a raconté aux flics, répondit le PDG. Mais s'il se rendait à Jadielle, c'était clairement pour rencontrer le professeur Erable... qui lui doit déjà avoir le témoignage du Ranger sur ce qu'il a vu dans la Forêt de Jade. Tout cela sur la table... c'était très dommageable pour nous.
« Très dommageable » était un euphémisme, selon Maxwell. Autant dire directement que N.W.C était mort et enterré à Kanto, et que cette affaire allait très probablement les poursuivre à l’international.
- C'est de la folie... murmura Jacob Bervizios. Ce n'est plus un profit annuel en baisse qu'on risque là, mais des poursuites judiciaires pour nous-mêmes ! Si ça s'apprend que l'on a collaboré avec une organisation clandestine et terroriste…
Jacob, toujours prompt à se ranger du côté du plus grand nombre et à rester aussi discret que possible, se leva de sa chaise, le visage blême.
- C'est fini pour moi. J'ai déjà exprimé mes réticences sur nos opérations à Parmanie, mais maintenant ça va trop loin. Je quitte N.W.C. Je ne veux pas finir en prison !
Second silence pesant, tandis que chacun dévisageait intensément leur collègue. Puis Stylord dit, d'un air très froid :
- Jacob... Tu seras mort d'ici demain.
Le visage du directeur des services passa du blanc au vert. Il chercha le soutient d'un autre de ses confrères et même du PDG, mais ne trouva que des regards fuyants ou impitoyables. Depuis que N.W.C s'était engagé auprès du Seigneur Horrorscor, une règle officieuse avait naturellement vu le jour : la moindre fuite ne serait pas tolérée. Si l'on admettait que le Marquis des Ombres était l'un des six membres du Conseil d'Administration, alors ce membre en question ferait en sorte d'éliminer quiconque voudrait quitter le navire, pour empêcher tout risque de fuite. Comprenant son erreur, Jacob Bervizios se rassit promptement.
- Je... je plaisantais bien sûr ! Je reste, je reste ! Je suis loyal envers N.W.C, et envers le... Seigneur Horrorscor !
Personne ne lui accorda plus d'attention, comme s'il avait déjà disparu.
- Dois-je comprendre qu'après tout ça, il faut que j'annule la terraformation de la Forêt de Jade que l'on a décidée tout à l'heure ? Demanda Milton Parmilian.
- Évidement que oui, soupira Kabora. On a même plus nos Void-Bomb pour le faire.
- Je peux en produire d'autres en un temps raisonnable. Ça, et deux trois autres trucs qui sont encore à l'état de projet et qui pourraient nous apporter un avantage décisif dans la course à l'armement.
Maxwell secoua doucement la tête. Comme toujours, Parmilian se contrefichait de la situation, du moment qu'il pouvait faire joujou avec ce qu'il créait dans son labo des horreurs. Il aurait mieux réussi dans une entreprise d'armement qu'à N.W.C.
- On ne compte pas déclencher une guerre, Milton, répliqua Kabora. Et si on doit faire les frais d'une enquête, il vaut mieux que votre laboratoire soit vide de tout appareil qui pourrait constituer... un embarras pour l'honorable société de bâtiment que nous sommes. Pour l'instant, on va voir comment les choses évoluent, et faire profit bas. Funerol peut penser ce qu'il veut, il n'a rien contre nous. Et comme toutes les Void-Bomb de la Forêt de Jade ont disparu, Erable non plus. Si accusation il y a, on les niera en bloc. La nuit porte conseil ; je vous donne rendez-vous à tous dès demain, pour qu'on discute plus en profondeur de ce qu'il convient de faire.
Et ils se quittèrent là. Le lendemain matin, à onze heure, une autre réunion extraordinaire du conseil eut lieu. Étrangement, Jacob Bervizios n'était pas là. Et personne ne s'en étonna ou ne posa de question. Maxwell, lui, barra mentalement un nom de sa liste de Marquis potentiels. Plus que quatre.