Le bâton de pluie de Stea

Contrairement à ce que j'aurais imaginé : pas d'alarme, pas de cris d'alerte pas de course poursuite - du moins au début de ma fuite. Je m'attendais à quoi sérieusement ? Je devais me rendre à l'évidence, réaliser que ce monde existait ne me plongeait pas pour autant dans le jeu ou l'animé. Sans savoir où je pouvais me rendre je fonçais dans le couloir. Couloir que je trouvais particulièrement vide, en plus de la forte luminosité qui continuait à m'éblouir. J'avais un certain sentiment de déception sur le cœur, mon côté de fan s'imaginant de grosses bases cachant toute une armée de fidèles unis sous une même bannière. C'était d'ailleurs ridicule de me sentir déçu. Ça prouvait à quel point je n'arrivais pas à prendre la situation au sérieux, pas encore. Et quelque part je me mettais en danger.

Et puis je réalisais aussi, que bien que ma force soit supérieure à celle dont j'étais dotée avant, je n'avais que très peu d'énergie. Après tout j'étais alitée pendant je ne sais combien de temps ici et dès que j'avais un peu récupéré je m'étais mise à courir partout. Couplé au fait que plus j'avançais et moins j'étais sûre de où je devais me diriger, je me retrouvais rapidement désarçonnée. Au croisement avec un autre couloir, je m'arrêtais, mes muscles tremblaient.
Il n'y avait pas de fenêtre et pas d'indication de sortie de secours. Les lieux étaient différents d'avant mon "coma", ce qui voulait dire qu'effectivement on m'avait déplacé. Je ne savais pas ce qui m'attendait au dehors, et même si j'arrivais à sortir qu'est-ce que j'allais faire avec cette forme. ?

"- Par ici." Fit une voix calme mais bien marquée.

Les trois scientifiques m'emboitaient le pas et ne semblaient pas trop craindre que je réussisse à pouvoir m'échapper. Je leur fis face, le poil hérissé, en proie à la panique. Je repensais au fait que rester là était le mieux pour récupérer des informations, mais je refusais de me retrouver malmenée dans tout les sens comme un objet. Je ne connaissais pas ma forme Noctali, j'ignorais comment me défendre correctement. Griffer et mordre me paraissait trop faible comme défense.

"- Il me vient une question. Commença la jeune femme lorsqu'ils furent presque à ma hauteur. Vu son faible état et la réussite de l'opération, est-ce que vous pensez que nous pouvons interagir comme nous le ferions avec un pokémon tout à fait normal ?

Le premier homme acquiesça. Il semblait suivre l'idée de sa collègue. Pas moi.

- Oui mais n'en dit pas plus."

Il refusait que je comprenne leur idée. Quoi qu'il en soit je reculais de la même distance qu'ils avancèrent, j'allais bientôt arrivée à un coude qui pouvait me permettre de fuir leurs regards. Mais ils étaient maintenant beaucoup moins aptes à attendre. L'impatience les gagnait comme des enfants. Ils avaient hâte de pouvoir étudier leur réussite et passer aux tests supérieurs. Ce fut la jeune femme qui fut la première à réagir, voyant que je n'étais pas coopérante. Elle glissa une main dans sa poche.

"- Permettez que j'essaye maintenant, après tout si cela fonctionne ça nous fera gagner bien plus de temps."

Et avant que je n'aie le temps d'agir, elle lança son bras en avant et quelque chose me heurta violement la tête.

Une pokéball.

J'eus très peur à ce moment là. Mes espoirs d'être de nouveaux libres de mes faits et gestes risquaient de s'envoler aussi facilement qu'on éteignait la flamme d'une bougie. Je comptais les secondes avec un tic-tac mental qui me crispait de la tête aux pattes. Je ne m'attendais vraiment pas à ce que l'on tente ça... Les évènements s'enchainaient bien trop vite.

Mais...

Rien ne se passa. La pokéball retomba sans s'ouvrir sur le sol et roula un peu plus loin.

Soulagement. Mon regard qui avait suivi l'objet jusqu'à être sûre que rien ne se passe se retourna vers mes poursuivants. Ils n'avaient pas arrêté leur avancée et j'eus un cri de surprise de voir qu'ils étaient très proches de moi. Si proches que l'un d'eux pu poser la main sur mon dos. Je cherchais aussitôt à m'en dégager, il glissa sur ma queue qu'il agrippa plus fort, mais paniquée, je le mordis avant de reprendre ma course, trébuchant et glissant un peu partout sur le sol.

"- Arg ! Cela ne m'amuse plus maintenant. Fit le premier en serrant sa main blessée. Je l'avais mordu jusqu'au sang. Bien que je comprenne ton état jeune fille, ça suffit maintenant."

Il attrapa une pokéball dans mon dos et la lança au bout du couloir sur lequel j'étais sur le point d'arriver. Dans un flash rouge, une créature me barra aussitôt la route.
Je percutais l'animal de plein fouet, mais dans ma panique je ne voulais même pas savoir de quel pokémon il s'agissait. Pourtant, ses crocs se refermèrent sur ma nuque tandis que mes griffes dérapaient sur le sol en tentant de faire demi-tour. Je couinais de mécontentement et de peur, mais le Démolosse n'en démordit pas, il me plaqua sur le sol avec sa gueule tandis que je me débâtais. Mais il en eut tôt fait de mes forces, je finis par ne plus bouger du tout en haletant.

"- Tu as exagéré concernant sa taille Mortimer. Fit la jeune femme. Elle est peut-être plus grande qu'un Noctali, mais elle ne nous arrive probablement pas plus haut que la taille.

- Certes, certes. Cela reste quand même impressionnant. Fit le concerné."

Mortimer était le second homme. J'ignorais si j'allais avoir besoin de connaitre le nom de ces personnes à l'avenir, mais cela me permettait de faire un tri sur qui était qui dans ma tête. Bien que je ne pensais absolument pas à ça sur le moment. J'étais figée sur place. Au final, le Démolosse qui me retenait faisait approximativement la même taille que moi. Si je m'en étais rendue compte au lieu d'avoir été paralysée, j'aurais probablement tenté de le forcer à me lâcher malgré tout. Malheureusement mon esprit était comme déconnecté. Seule ma peur dominait.

Le premier scientifique qui était le dresseur du pokémon vint enfin s'accroupir à côté de moi. Il voulut passer la main dans ma fourrure, mais avant qu'il se frôle ne serait-ce qu'un seul poil, je l'avertissais d'un grognement que je ne me connaissait pas. Il s'arrêta aussitôt. Après tout, il avait déjà payé une fois. Alors il continua son geste mais pour caresser son pokémon feu.

"- Bon, ne trainons pas. Reprit-il. Je crois qu'il faudrait préparer une autre sale à présent. Molly tu t'en occupes, Morti va m'aider à l'y amener ça ne va pas être facile à faire.

- D'accord. Répondit-elle en partant.

- On pourrait essayer de lui demander. Elle nous comprend. Proposa Mortimer.
Nouveau grognement de protestation.

- Non je ne crois pas. Ça a mis son temps à venir, mais elle est en état de choc pour le moment."

Ils me trainèrent alors du mieux qu'ils pouvaient. Le Démolosse ne me lâcha pas une seule seconde sur ordre de son maître. Hors de question de me laisser de nouveau filer. Pétrifiée, je ne bronchais pas une seule seconde.

Je ne l'avais pas remarqué mais ils avaient tous une sorte d'accent. Peut-être qu'ils avaient appris notre langue ? Quelque part c'était logique, ils venaient d'un autre monde. J'essayais toujours d'imaginer comment ils avaient pu arriver ici, la tête baissée vers le sol, encadrée par le Démolosse.
Le premier homme s'appelait Arthur. Ils m'avaient amené dans une salle d'examen. Des portes automatiques s'étaient refermées derrière nous et on m'avait intimé de ne pas bouger d'un coin de la pièce. De toute manière si j'essayais il y avait l'autre pour me rattraper. Alors tandis qu'ils préparaient longuement ce qu'ils voulaient que je fasse je patientais la tête dans la lune.

"- Lilly. Appela Arthur. J'eus un frisson dans le dos à ce qu'il connaissait mon nom... Papiers d'identités dans mes affaires je supposais. Vient par ici."

Sa voix était très autoritaire. Il ne me laissait aucune place à la protestation. Je devais vraiment être ridicule, car j'avais moyen de protester armée de mes crocs. Mais ce ne serait que retarder le cours des évènements...
Je m'exécutais alors, Molly m'ausculta avec un stéthoscope. Ils avaient pris la précaution de me faire diagnostiquer par une fille pour me mettre plus à l'aise. Mais j'étais aussi raide qu'un balai. Je ne les regardais pas non plus dans les yeux. Après divers test de base, on m'amena dans un endroit aménager comme... Comme un stand de tir ?

"- Bon allez. Commença Arthur. Voyons voir ce que tu as dans le ventre. Essaye de me projeter une attaque."

Je tournais ma tête vers lui, et visiblement, malgré mon apparence, il nota mon sourcil levé. Ce qui l'amusa beaucoup.

"Et ben quoi ? Tu es un pokémon maintenant ! Alors balance euh... Je ne sais pas, une ball'ombre, pour voir si tu en es capable."

J'étais... Perplexe. La loi de la conservation des masses avait fonctionné durant ma transformation. Mais de là à ce que j'obtienne les pouvoirs d'un vrai noctali, je n'y croyais pas une seconde. Mais il resta malgré tout planté là dans un geste intransigeant. Je secouais la tête. Je m'approchais un peu, pris un micro élan et me poussa en avant en tentant de faire sortir quelque chose de mon ventre.
Rien ne se produisit, évidemment.
Je le regardais de nouveau mais il insista. J'eus un regard vers le Démolosse, il me mima un geste. J'essayais tout de suite de l'imiter. Après quelques essaies infructueux, une force soudaine s'échappa de ma bouche et se propulsa vers le mur en face qui l'amortit sans broncher, Arthur jubilait.

"- Recom... "

Mais avant qu'il ne m'en donne l'ordre, je m'étais déjà redressé pour retenter. Ce qui venait tout juste de se passer était juste trop énorme pour que je ne cherche pas à le recommencer.
De nouveau l'attaque partit. C'était impressionnant. Épuisant, mais impressionnant. Avec un peu de repos je me rendais compte de la force qui était en moi à présent. J'en étais presque fière. Ce qui n'échappa pas d'ailleurs au scientifique qui ne put s'empêcher de me le faire remarquer :

" - On y prend gout ?"

Il posa un regard insistant sur moi, je me détournais aussitôt dans le sens opposé. Très gênée... Je ne voulais pas leur donner raison. Je ne voulais pas avouer que ma situation me plaisait. Car il fallait se l'avouer, elle me plaisait. Et je ne parlais pas du fait de me retrouver piégée, non. Juste le fait d'être un pokémon, je trouvais ça génial. Mais je ne le reconnaissais pas car ce n'était pas une réaction normale à avoir. Arthur lui l'avait très bien compris. Il avait senti ça au moment où il s'était rendu compte qu'au lieu de paniquer dans ma chambre je m'étais mise à m'amuser comme une gamine.

Quoi qu'il en soit il n'insista pas plus et on me laissa tranquille. Il partit laissant les deux autres s'occuper de m'amener dans une nouvelle chambre. Il allait rédiger son rapport, il était vraiment excité à l'idée de poursuivre, tant cela avait été une réussite. Il y avait tant de chose à explorer à présent, depuis qu'ils avaient retrouvé le passage qu'avait ouvert Saji...

Quand à moi je découvrais les joies du confort pokémon. La pièce où j'étais maintenant était aussi petite que la première. Ce qui changeait c'était mon lit : je n'avais plus un lit "humain", mais bien un lit de pokémon. Ça ressemblait à une couche pour chien. Mais au moins le confort y était. Il m'aura fallut cependant du temps avant d'oser m'installer dedans tel un animal.
La journée se finissait visiblement, on m'avait coupé les lumières. Je ressassais alors tout ce qui m'était arrivé. Bon nombres de mes questions n'avaient pas leurs réponses. Et je savais que j'aurais du mal à en obtenir certaines. Je ne pouvais plus parler comme avant sous cette forme, c'était horriblement difficile. Il me fallait tout réapprendre. Mais bon après tout... Devenir une noctali, une vrai noctali, je ne trouvais pas ça si mal. Je pouvais tout laisser tomber derrière moi, tout abandonner et recommencer à nouveau.
Je n'étais pas sans attache, mais j'avais eut tellement de problèmes que je ne voulais plus de cette vie là. Je préférais la perte de mes responsabilités, quitte à perdre bon nombre de choses auxquelles je tenais plutôt que de devoir de nouveau tout gérer et supporter.
Maintenant la seule question à aborder c'était : pour quelle genre de vie ?

Je ne savais pas. Je m'enroulais dans ma queue et songeais à dormir. Je n'avais plus de forces et récupérer allait m'aider à me lancer la suite des évènements.

Ce fut trois heures plus tard, dans un craquement sonore, que mon mur éclata... Le mur qui menait à l'extérieur, le mur sans fenêtre. Je me trouvais en-dessous lorsque ça arriva. Je n'eus le temps que de voir un éclair blanc passé suivi par un troupeau d'autres créatures qui défoncèrent le second mur en s'enfonçant dans les lieux, dans un grondement assourdissant. Sonnée sous les débris, je m'extirpais avec difficulté en entendant une alarme s'enclencher cette fois-ci. C'était le branle-bas le combat.

Toujours dans un état ensommeillé, je repris mes esprits à la vue du décor qui s'offrait à moi derrière les décombres. Une forêt, gigantesque, par une nuit de clair de lune.
Cette fois personne ne serait-là pour m'arrêter.

Cette fois je m'en allais.