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Entre Chien et Loup T.1 - Le Royaume du Soleil de Goldenheart



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Informations

» Auteur : Goldenheart - Voir le profil
» Créé le 12/06/2019 à 09:15
» Dernière mise à jour le 26/12/2019 à 17:59

» Mots-clés :   Alola   Conte

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Chapitre VI
Un bruit rauque, sifflant. Aussitôt, son cerveau passa en état d’alerte maximum. Le serpent était-il revenu ?

Il fallut quelques battements de cœur avant que Quibli ne réalise que ce bruit était celui de sa propre respiration.

Le lémurien pesta silencieusement. Il s’était assoupi. Pas étonnant, au vu de son niveau de fatigue et des blessures qui sapaient ses forces... Néanmoins, l’heure n’était pas encore au repos.

Le primate promena son regard autour de lui. Manœuvre bien inutile : il faisait si noir qu’il ne distinguait pas le bout de ses doigts. Même les nuits sans lune offraient plus de visibilité que ça.

Quibli étouffait.

Pour une créature aussi éprise de liberté que lui, c’était le comble que de se retrouver coincé six longueurs de queue sous terre, sans aucun repère. Coupant sa respiration un moment, Quibli écouta attentivement les sons qui lui parvenaient. Il reconnut le glouglou d’une rivière. Le même qui l’avait tiré de sa torpeur après sa longue chute, juste avant que le serpent n’arrive.

Quibli n’avait évidemment pas pu le voir, dans ces ténèbres épaisses. Mais ce sifflement pareil au vent faisant chanter les feuilles, ce bruit de frottement, comme si quelque chose glissait péniblement sur le sol… Il avait déjà croisé suffisamment de serpents, fussent-ils d’herbe ou à collerette, pour reconnaître les sons qu’ils produisaient.

Le lémurien pouvait s’enorgueillir d’avoir pu lui échapper. La plupart des serpents magiques pouvaient repérer leur proie grâce aux vibrations qu’elles émettaient. Or, il avait beau s’être caché dans le creux d’une galerie, Quibli n’avait pu empêcher son pauvre cœur de battre la chamade. Que le serpent ne l’ait pas repéré avec un tel tintamarre dans la poitrine, cela relevait du miracle.

Seulement, Quibli n’avait pas le temps de s’en réjouir. La priorité était de s’échapper de ce réseau de tunnels, et de regagner la surface.

Sitôt le serpent parti, il avait songé à longer la rivière souterraine. Puis il s’était ravisé. C’était trop évident. Les prédateurs savaient anticiper ce genre d’actions de la part de leurs proies. Or, Quibli n’était pas n’importe quelle proie. Il était un lémurien des cocotiers, l’une des espèces les plus intelligentes de tout Poni. En cela, il savait prendre des décisions rationnelles afin d’assurer sa sécurité.

Quibli s’était donc engagé dans la galerie qui l’avait abrité. Cependant, il n’avait pas fait trois pas que la baisse de tension, liée au départ du prédateur reptilien, avait achevé de drainer son énergie et l'avait entraîné dans les ténèbres de l'inconscience.

Le lémurien se secoua. Il aurait tout le temps de se reposer une fois à la surface. Pas question de relâcher la garde d’ici là. Quoi qu’en dise son corps épuisé.
Au moins, sa jambe blessée par les tirs de bâton-feu lui obéissait de nouveau. La douleur était lancinante, mais supportable. De toute manière, il faudrait bien la surmonter.

Lentement, sans précipitation – et ce malgré la sensation horriblement affreuse de suffoquer – Quibli parcourut la galerie à tâtons. Par moments, celle-ci se rétrécissait en un boyau plus étroit. Heureusement pour lui, le casque épais, formé à partir de la coque d’une baie spéciale et qui protégeait son crâne l’empêchait de s’assommer quand le plafond descendait brusquement. En revanche, ses muscles développés constituaient un certain handicap. Comme quoi, avoir une bonne masse musculaire n’avait pas que des avantages…

Au bout d’un moment – une éternité, selon lui – le sol sous ses pattes remonta en pente douce. Porté par l’espoir de retrouver la lumière, Quibli accéléra la cadence, tout en restant aux aguets. Outre les serpents, d’autres créatures sommeillaient peut-être dans les profondeurs de la terre.

Enfin, au prix de quelques mottes de terre délogées à coups de griffes, le lémurien retrouva avec bonheur l’air libre. Ah, que c’était bon de sentir un air frais remplir vos poumons !

Dehors, une pluie fine s’était mise à tomber. Les nuages, épars, masquaient à grand-peine un ciel ou la lune et les étoiles pâlissaient à l’approche de l’aube. La luminosité n’était pas parfaite, mais après son séjour dans les souterrains, Quibli avait l’impression de pouvoir distinguer chaque détail de son environnement comme s’il était en plein jour. En l’occurrence, il reconnut la forêt, plus précisément un secteur situé au nord du territoire de sa colonie.

Quibli hoqueta. Sa colonie. Comme ressurgis d’un lointain passé, les souvenirs de la veille lui revinrent avec la puissance d’une vague déferlante. Ses camarades avaient répondu à son appel, et étaient venus à sa rescousse. Ils avaient affronté les faiseurs de feu. Et ensuite…

La terreur serra le cœur de Quibli. Pendant un instant, il resta planté là, incapable de remuer le moindre muscle, paralysé par une terrible révélation. Ses camarades… son chef…

Non. Son chef était mort, cela ne faisait aucun doute. Quibli revoyait avec netteté le sang jaillir de sa nuque tranchée par le félin couleur feuille morte. Quant aux autres, qui l’avaient suivi…

Le primate passa une main boueuse sur ses yeux fatigués. Nul doute qu’en voyant leur chef se faire occire, les autres membres de la colonie avaient dû paniquer. Le chef était la source et l’emblème de la cohésion de chaque groupe de lémuriens des cocotiers. C’était lui qui formait les jeunes au lancer de baies, c’était lui qui prenait les décisions, c’était lui qui assurait la bonne entente entre chaque membre de la colonie. Sans chef, leur clan ne pouvait rester soudé. Il ne devenait plus qu’un corps sans tête.

Le pire étant que les autres membres de la colonie, ceux qui avaient réussi à fuir et à sortir de la forêt à temps, ceux-là devaient attendre patiemment le retour de leur chef. Combien de temps s’écoulerait-il avant qu’ils ne comprennent que celui-ci ne reviendrait jamais ? Et si les faiseurs de feu les trouvaient bien avant qu’ils ne réalisent la perte de leur leader ?

Leur clan serait condamné.

Et tout ça par sa faute.

Quibli se figea. Avait-il rêvé ? Ou était-ce bel et bien des gémissements qu’il entendait par-là ? Le lémurien s’ébroua, plus pour chasser ses remords que pour chasser la pluie qui salissait son pelage. Tout doucement, il s’approcha de la source des bruits. Par chance, le sol détrempé absorbait le son de ses propres pas ; mais cela valait également pour ceux de potentiels prédateurs. Tous les sens aux aguets, Quibli pénétra dans une petite combe.

Hormis le frémissement du crachin sur la végétation, il y régnait un silence mortuaire. Quibli en eut des frissons. Sans savoir pourquoi, il était certain que quelque chose de grave s’était déroulé ici.

Ses soupçons furent confirmés par la carcasse brisée d’une baie magique, à quelques pas de sa position. Quibli grinça des dents. Ainsi les faiseurs de feu étaient venus jusqu’ici… Sans oser les toucher, il examina les morceaux de la baie détruite. Visiblement, celle-ci était composée d’une sorte de métal, comme les créatures tueuses d’arbres. Une légère odeur de brûlé, diluée par celle de la pluie et du pétrichor, s’en échappait.

Quibli tressauta soudain. De nouveau, les gémissements s’étaient fait entendre. Le lémurien remarqua alors la présence d’un loup de roche et de son petit dans la combe. Avec leur pelage brun et leur fourrure souillée de boue et de sang séché, ils se fondaient presque parfaitement dans le matelas ocre du tapis d’aiguilles.

Le primate n’avait pas un odorat très développé, mais l’air avait un goût étrange sur sa langue. N’osant trop s’approcher à découvert, Quibli repéra un arbre à proximité des prédateurs et entreprit d’y grimper discrètement. Il grimaça lorsque sa jambe manqua de céder sous son poids ; il faudrait remédier à cette blessure au plus vite.

De son perchoir, Quibli avait une plus nette vue de toute la scène. Blotti contre la joue de son parent, le louveteau gémissait à qui voulait l’entendre, donnant parfois des coups de museau comme pour l’inciter à se lever. Tout son corps était hérissé de petites aiguilles qui luisaient dans la pâle lueur matinale. Au vu des yeux brillants et hagards du petit loup, il était évident qu’il s’agissait d’aiguilles d’une créature magique vénéneuse. Pouvait-ce être le serpent qui avait traqué Quibli dans les tunnels ? Le lémurien préféra ne pas trop s’avancer. Cela pouvait tout aussi bien être le fait un insecte ou d’une araignée-poison.

Le loup adulte eut un bref tressautement. Au prix d’un terrible effort, il réussit à lever le museau et à donner de faibles coups de langue à son petit. Quelques aiguilles se détachèrent de la fourrure de ce dernier, qui sembla à peine le remarquer tant il était soulagé de voir son parent bouger.

Quibli esquissa une moue d’effroi en avisant la blessure qui avait terrassé le prédateur : une morsure empoisonnée. La fourrure avait blanchi à l’endroit où le sang suintait sans coaguler, et des veines violacées s’étiraient sur la patte et la croupe telles des toiles d’araignée-poison.

Ce loup de roche n’en avait plus pour longtemps à vivre.

Le poison qui affaiblissait son petit était sans doute moins puissant, mais il le tuerait à petit feu. Non, cette famille était définitivement condamnée.

Le cœur lourd, Quibli s’éloigna, passant de branche en brache sans oser sauter, de peur de réveiller sa blessure. Il lui fallut un moment avant de se rendre compte qu’il serrait les dents à s’en faire mal aux gencives. Ces maudits faiseurs de feu. Jusqu’où s’étendait leur cruauté ?

Quibli repensa alors à son chef. Manifestement, les faiseurs de feu n’hésitaient an réalité pas à tuer les créatures magiques qui croisaient leur route. Mais pour qui se prenaient-ils, à choisir qui devrait disparaître dans leurs baies magiques et qui devrait être tué ? Ils étaient arrivés depuis à peine quelques lunes, et ils se comportaient déjà comme s’ils étaient les maîtres de l’île.

Ce qui, en un sens, n’était peut-être pas entièrement faux. Cela avait toujours fonctionné ainsi, sur Poni : le plus fort l’emporte, les faibles périssent ou se soumettent. Qu’importe que leurs méthodes soient exotiques, les faiseurs de feu venus de la mer ne faisaient qu’appliquer la règle.

Quibli s’arrêta et donna un coup de poing rageur dans le tronc à côté de lui. L’écorce résista, mais les branches supérieures frémirent, et libérèrent les gouttelettes que leurs feuilles avaient réussi à retenir jusque-là.

Il enrageait tellement ! Se soumettre était pareil à une défaite pour Quibli. Or, il détestait – non, haïssait – perdre. Jamais il ne pourrait souffrir l’idée de vivre dans la peur de croiser un museau-plat ; il avait déjà fort à faire avec les prédateurs. Encore que, les prédateurs, il pouvait combattre à armes égales avec… Mais les museaux-plats possédaient des tas d’armes tels que les bâtons-feu ou encore ces baies magiques. Sans compter que grâce à elles – d’après ce que Quibli pouvait en déduire – ils étaient capables de commander à n’importe quelle créature magique.

Cela lui coûtait de l’admettre, mais jamais il ne pourrait vaincre ces faiseurs de feu tout seul. Pas alors qu’ils étaient une troupe toute entière…

Ce qui le conduisit à resonger à son chef décédé, et à la colonie. Cette dernière ne pouvait survivre sans un meneur. Et tant que ses membres ne sauraient pas que leur ancien meneur était mort, ils ne penseraient jamais à en choisir un nouveau.

Pensif, Quibli contempla les feuilles vert sombre qui décoraient ses bras et son torse. Disposées deux par deux de façon à former un V, elles indiquaient son appartenance à un groupe. bien que Quibli ne se fusse jamais senti réellement proche de ses camarades, il n’était pas égoïste au point de les abandonner à leur sort.

Le lémurien s’ébroua. Il avait pris sa décision : il allait retrouver sa colonie et leur annoncer le décès de leur meneur. Il leur devait bien cela.

Une douleur à la cuisse droite ramena soudain Quibli à ses priorités. Il lui fallait d’abord soigner ses blessures. S’il restait ainsi diminué, il ne serait jamais en mesure d’aller aider qui que ce soit.

En regardant tout autour de lui, le lémurien s’aperçut qu’il était arrivé dans une partie de la forêt ou les pins se mélangeaient à des feuillus. Cela ressemblait à son ancien foyer, quoiqu’il ne reconnût pas les lieux.

Quibli repéra en contrebas un petit ruisseau, non loin duquel poussaient des prêles. Pour être un féru de combats habitué à être amoché, Quibli avait appris à reconnaître par lui-même les différentes plantes qui soulagent les blessures.

Quibli tendit l’oreille, à l’affût du moindre bruit suspect. Mais la forêt demeurait murée dans son terrifiant silence. Quibli descendit prudemment, la queue en panache. Il se sentirait tellement plus en sécurité s’il avait une arme entre les mains. Malheureusement, aucun des arbres alentour ne présentait de baie suffisamment mûre pour servir de projectile. Et si les museaux-plats continuaient de décimer la forêt, il n’en trouverait sans doute plus jamais.

Une fois assuré qu’il était bel et bien seul, Quibli cueillit les prêles et les mâcha méthodiquement. Tandis qu’il appliquait la bouillie obtenue sur ses plaies aux bras et sa peau contusionnée à la jambe, il repéra des arbres ou poussaient des pêches anti-poison.

Quibli resta un temps à les lorgner du regard, avant qu’une idée ne germe dans son esprit.


*~*~*

Koa était au comble du désespoir. La respiration de sa mère se faisait de plus en plus sifflante, et ses flancs se soulevaient de manière de plus en plus imperceptible.

Lui-même ne se sentait pas bien. Il n’aurait su dire ce qu’il éprouvait vraiment. Il avait mal, mais n’avait pas conscience de la douleur ; il mourait de chaud, mais grelottait comme en plein vent. Parfois, dans un sursaut, il retira à coups de crocs les épines qui hérissaient sa fourrure, et que le serpent mauve lui avait craché à la figure.

Koa se demandait d’ailleurs où étaient passés le serpent et son maître. Lorsque le contact frais et humide des premières gouttes de pluie lui avait fait reprendre connaissance, ils avaient disparu. Tout comme Aku. Koa avait d’abord tenté d’appeler son frère, sans succès. Puis il avait remarqué la présence d’Imala près de lui, et son odeur l’avait tout de suite inquiété. Elle dégageait une senteur âcre, désagréable, et…

Koa ne se le serait jamais avoué, mais cette odeur était assez semblable à celle que dégageait Hae peu avant sa mort.

Le louveteau de roche avait d’abord tenté de faire manger sa mère. Peut-être avait-elle juste trop faim pour bouger ? Par chance, l’oiseau que lui et Aku avaient chassé était toujours là, quoiqu’il commençât à sentir le pourri. Imala avait repoussé l’offrande. Son fils n’avait pas insisté. Lui non plus n’avait pas très faim.

En désespoir de cause, il avait léché son front brûlant de fièvre. La fourrure d’Imala exhalait une telle chaleur qu’on eût dit que le soleil s’y était logé. De temps en temps, Imala avait relevé la tête – quoique difficilement – et lui avait rendu ses coups de langues. Ce faisant, elle l’avait aidé à se débarrasser de ces horribles aiguilles qui lui perçaient la peau. Quoique Koa ait vite oublié la présence de ces dernières, obnubilé par la pensée qu’il lui fallait continuer à stimuler ainsi Imala. Chaque nouveau geste de la part de sa mère rassurait le louveteau ; il n’avait que ce maigre espoir auquel se raccrocher.

Cependant, cet espoir commençait à s’éteindre. Le ciel, que l’on entrapercevait entre les frondaisons moins denses que celles de sa pinède natale, pâlissait à vue d’œil, et Imala n’avait toujours pas repris conscience. Koa n’aurait su dire depuis combien de temps elle était restée immobile. Luttant contre le poison qui courait insidieusement dans ses veines, il guettait la moindre réaction de la part de sa mère, impuissant.

Si seulement Aku était là… Lui saurait sûrement quoi faire. Il trouvait toujours une solution.

Un « pouf » étouffé par l’humus fit sursauter Koa. À une longueur de queue de lui, une sorte de baie d’un rose vif venait d’apparaître, comme par magie.

Le louveteau leva les yeux, et aperçut une créature inconnue. C’était un primate, comme les queues-mains que lui et Aku avaient un jour aperçus, du temps où ils vivaient encore à la caverne au bord de la rivière. Sauf que celui-ci était différent des singes violets. D’instinct, il voulut l’identifier par l’odeur, mais les effluves de la maladie qui rôdait autour de lui et sa mère brouillaient toute autre senteur.

La créature arborait une fourrure blanche qui recouvrait presque toute sa peau noire. Un étrange casque décoré de deux feuilles vert foncé surmontait sa tête. Sur ses bras et son torse, d’autres feuilles de la même couleur étaient présentes, positionnées en forme de V.

Le cerveau embrumé par le poison, Koa ne sut d’abord comment réagir. Devait-il grogner ? Se soumettre ? S’enfuir ? Non, la dernière option n’était clairement pas envisageable : Imala n’était pas en mesure de se lever.

Le primate restait assis, sans bouger, le fixant impassiblement de ses yeux cuivrés. Le regard trouble de Koa alla du primate à la baie, de la baie au primate. Ce dernier cligna des paupières, et pencha la tête sur le côté.

Prudemment, le louveteau s’approcha de la baie rose. Quand il fut suffisamment près, il perçut son odeur sucrée, irrésistiblement attirante. Mu par un pressentiment, il croqua dedans. Une saveur douce et sucrée se déversa sur sa langue et emplit son palais ; quel bonheur ! Cependant, la baie était légère, pas suffisante pour apaiser les plaintes de son estomac.

Minute… Il avait de nouveau faim ? Koa bondit sur ses pattes, éberlué. Il ne voyait plus flou, ses nausées s’étaient évaporées… En un mot : il était guéri !
Le louveteau jappa et esquissa quelques bonds joyeux. La baie l’avait guéri du poison ! Certes, il ressentait toujours la fatigue peser sur ses muscles, mais ce n’était pas vraiment important sur le moment. Il n’en revenait pas. Ainsi il existait de bonnes baies magiques, à l’opposé de ces mauvaises baies utilisées par le sans-fourrure et qui…

Koa s’immobilisa brusquement. Le souvenir de son frère emporté dans l’une de ces baies grises lui tomba dessus avec la force d’un éboulement. Aku avait disparu. Potentiellement pour toujours. Si seulement il avait été plus fort… Son frère n’aurait alors pas eu besoin de se mettre en danger pour le sauver. Ils auraient combattu ensemble…

Puis Koa s’ébroua. Le moment n’était pas encore aux regrets : sa mère était toujours malade. Vite ! Il fallait lui donner la baie rose. Sa magie pourrait sûrement guérir son mal, comme elle l’avait fait avec celui de Koa. Une fois remise sur pattes, elle l’aiderait à retrouver Aku. Il devait y avoir un moyen de le sauver, et sa mère le connaîtrait sûrement. Elle savait tant de choses.

Saisissant le fruit entre ses crocs, Koa l’apporta à Imala, et le déposa tout contre sa gueule. Il s’assit, et attendit. Aucune réaction. Inquiet, Koa se rappela que sa mère avait eu des absences. Tout en frottant les cailloux de son collier contre la tête de la louve, il couina doucement, afin de la rassurer : cette baie la soignerait, cela ne faisait aucun doute. Après tout, lui était parfaitement guéri !

Toujours rien. Koa sentit la panique serrer ses entrailles. Ses coups de patte se firent plus vigoureux, ses couinements plus pressés. Mais rien à faire. Imala refusait de bouger.

Pris d’un terrible pressentiment, Koa inspecta les flancs de sa génitrice. Il colla son oreille dessus, et écouta. Aucun son. Aucun mouvement. Pire encore : le corps d’Imala se refroidissait sous son museau.

Exactement comme avec Hae.

Koa recula en titubant, les oreilles plaquées sur son crâne. Ses petites pattes tremblaient. Le cerveau en ébullition, il se tourna vers le primate. Celui-ci n’avait pas bougé, et observait la scène sans mot dire. D’une toute petite voix, Koa l’implora : peut-être fallait-il une autre baie ? Peut-être que le mal d’Imala se soignait autrement ?

Mais le singe bicolore se contenta de lui rendre son regard. La lueur qui brillait au fond de ces prunelles orangées ne fit qu’accroître le malaise du louveteau.
Non, non… Cela ne pouvait pas se produire !

Animé par la peur et l’énergie du désespoir, Koa tenta de nouveau de réveiller sa mère. Il aboya, se frotta contre elle, lui mordilla l’oreille…

Puis tout à coup, la réalité le frappa. Koa crut qu’une montagne entière venait de l’écraser. Il s’assit subitement, tête et queue basse. Imala était partie. Comme Hae.

Elle était morte.

Au début, ce fut comme si un vent glacial avait emporté au loin chacune de ses émotions. Il se sentait plus vide qu’une coquille de noix. Puis, lentement, comme la vague qui déferle après que la mer se soit retirée, le chagrin afflua, paralysant ses membres, retournant son estomac, broyant sa gorge. Au creux de celle-ci, une boule se forma, une boule qui ne demandait qu’à devenir cri de peine et de désespoir. Peut-être cri de colère, aussi.

Mais alors que Koa combattait les sanglots pour libérer ce hurlement, une patte s’abattit fermement sur son museau, et le plaqua au sol. Autant sonné par le choc que par l’émotion, Koa se débattit mollement. Des griffes rondes et peu développées s’enfoncèrent dans son pelage, tandis qu’un étrange serpent tout en fourrure s’enroulait autour de ses flancs, l’empêchant de bouger.

Koa n’en crut pas ses yeux. Le primate l’attaquait ! Aussitôt, le chagrin qui l’habitait se mua en rage incontrôlable. Ce fichu singe n’avait pas été capable de sauver Imala, et maintenant il s’en prenait à lui ? Comme s’il allait le laisser faire !

Hélas, la poigne du primate était trop forte. Koa sentit qu’on le soulevait du sol, et qu’on le déplaçait. Il tenta bien de hurler, de mordre, mais c’était sans espoir. Bloqué entre les bras et la queue du singe, incapable d’esquisser le moindre mouvement, il ne pouvait que contempler, impuissant, la silhouette inerte de sa mère s’éloigner.

Les larmes qui brouillèrent sa vision l’empêchèrent de remarquer les trois autres silhouettes qui encerclèrent le corps sans vie d’Imala, juste avant que le primate ne plonge dans un taillis, et ne les emporte loin de la combe.