Chapitre 8 : Le Bosquet de Sélène
An 1699, 23 décembre, 15h15, Vallée de Fennel
J’étais furieux. Ça m’arrivait souvent, ces temps ci, à cause de cette rébellion absurde et de tous ces traîtres qui s’accumulaient. Mais je n’aimais pas être furieux. Alors pour calmer ma colère, la plupart du temps, je tuais. C’était assez efficace, il faut dire. Surtout quand je le faisais avec la Johkanroc à la main, me laissant emporter par sa pleine puissance et les pouvoirs millénaires qu’elle me conférait.
J’ai eu vent qu’un groupe de rebelle s’était rassemblé dans la Vallée de Fennel, à l’est de Jadielle, avec l’idée profane de tenter de s’emparer de la ville. Ces manants voulaient me prendre une de mes villes ? À moi ?! Leur hérésie n’avait d’égale que leur folie. Pour la peine, comme Jadielle n’était pas trop éloignée du Mont Argenté, je m’étais déplacé en personne pour écraser dans l’œuf ce soulèvement. Les rebelles était six cent selon mes espions. Mais moi, je n’étais venu qu’avec une petite garde personnelle de cinquante hommes, ainsi qu’avec mon fidèle Duancelot. Nul besoin de davantage.
Quand les rebelles avaient vu notre formation pénétrer dans la vallée, ils s’étaient mis en tête de me capturer. Quand j’ai eu tué une centaine des leurs, ils avaient revu leurs ambitions à la baisse, et ne désirait plus que me tuer. Quand j’ai eu tué ensuite trois cent de leurs hommes en quelque minutes, ils ne désiraient plus qu’une chose : fuir au plus loin.
Avec la Johkanroc, cette pierre divine qui avait fait ma toute puissance et ma longévité, c’était comme si j’étais devenu l’incarnation de la fureur de la planète elle-même. Je pouvais provoquer des séismes, lâcher des ouragans sur mes ennemis, lever des incendies, et ma force physique était sans pareille. Bien sûr, je n’étais pas immortel pour autant, et je comptais donc sur Duancelot, mon Pokemon, ami, partenaire et garde du corps, pour me protéger des balles ou des flèches.
Duancelot pouvait faire bien plus qu’assurer ma protection, bien sûr. Il était plus ou moins l’équivalent d’un Pokemon Légendaire, et avait plus d’un millier d’années. Maniant une épée à double tranchant, il manipulait la glace et le feu à loisir grâce à ses sceaux magiques, et pouvaient également transférer une partie de ses pouvoirs élémentaires à d’autres armes que la sienne. De type Acier et Fée, il ne craignait pas grand-chose, et était vif et rapide.
Nos gardes n’eurent pas grand-chose à faire. En vingt minutes, Duancelot et moi-même avions défait le gros des rebelles. Leurs corps broyés ou en morceaux maculaient de sang le sol de la verte vallée. J’envoyais mes hommes pourchasser les fuyards, et prépara un message par Pokemon Psy à ma générale Valrika pour boucler tous les accès de Jadielle, histoire qu’ils n’aient nulle part où fuir. Une bien belle victoire, qui en plus avait eu l’avantage de me soulager momentanément de ma frustration accumulée ces derniers jours. Mais je trouvais que Duancelot avait l’air bien las et hésitant. Il me demanda alors :
- Je ne comprends pas… Pour doit-on combattre notre peuple ? Pourquoi doit-on tuer nos sujets ?
- Parce que ce sont des traîtres, tout simplement, répondis-je.
- Pourquoi t’ont-ils trahi ?
- Par avidité, par stupidité, par ignorance, parce qu’ils se sont fait manipuler ? Qu’en sais-je ? Le fait est qu’ils ont trahi leur roi, et ils doivent maintenant en subir les conséquences.
- Jamais encore un seul de tes ancêtres n’a eut à subir une révolte de cette ampleur, non non non. Le royaume entier commence peu à peu à te détester, Zephren. Quand ton propre peuple te tourne le dos, c’est que tu dois commencer à te remettre en question.
- Que racontes-tu donc ? Demandai-je avec colère. Tu as passé toutes ces années à mes côtés. N’as-tu pas vu tout ce que j’ai fait pour ce royaume et pour ces gens ?
- Tu as fait beaucoup, oui oui oui. Mais tu as changé, Zephren. Depuis la mort d’Elsora, tu n’éprouves plus rien pour personne. Tu es devenu dur et sec. Ou peut-être est-ce la Johkanroc qui te fait cet effet là depuis que tu l’utilises de plus en plus ? Iskurdan l’a bien remarqué. C’est pour cela qu’il est parti…
- Que sais-tu de ces choses là ?! Tu n’es qu’un Pokemon ! Que peux-tu bien comprendre des émotions humaines ?! Fais silence et contente-toi de m’obéir ! Telle est ta place !
- Oui, fit Duancelot avec tristesse. Je ne vis que pour Johkania…
Sans que je ne le remarque ou que je m’en inquiète outre mesure, Duancelot s’est mis à s’éloigner de moi de plus en plus, jusqu’à qu’un jour, deux mois après cette discussion, il me quitta lui aussi, pour rejoindre Iskurdan et sa bande.
***
- Je l’avoue, je t’ai mal jugé, Ton Altesse, fit Spookiaou d’un air songeur. Au début je pensais que tu étais un voleur de grand chemin qui se donnait des airs, fier de sa petite personne et de son sang royal, alors qu’en fait… t’es juste un gros incapable. Tu nous amènes dans une forêt et tu nous y fais tourner en rond. Pourquoi ne pas admettre qu’on est perdu ? Ta royale fierté souffrirait-elle à ce point ?
- Je ne t’ai jamais forcé de me suivre, carpette volante, lui dit Ametyos pour toute réponse.
Ametyos soupira et regarde le ciel bleu comme s’il cherchait un quelconque lieu d’apaisement loin des jérémiades de son partenaire d’infortune. À son propre désespoir, le Pokemon félin ne vouait plus le lâcher depuis qu’ils avaient échappé aux Vengeurs, et bien qu’il ait tout tenté pour le semer, Spookiaou avait toujours réussit à le retrouver, à sa propre surprise. Comment un animal d’une taille aussi insignifiante et se comportant d’une façon aussi stupide pouvait réussir à le filer à la trace, lui, le meilleur cambrioleur de tout Johkania qui échappait aux Vengeurs depuis des années et qui avait eu les meilleurs précepteurs ?
Il fut coupé dans ses réflexions alors qu’ils approchaient du lieu qu’il cherchait à rejoindre, le bosquet de Sélène, une forêt située entre Céladopole et Azuria, et proche du Mont Sélénite, comme l’indiquait son nom. La forêt n’était traversée par aucune route et peu fréquentée, et c’est en son sein qu’il atteindrait son repère. Il y déposerait alors son butin du manoir Céladon avant de reprendre la route pour Safrania afin de dévaliser au plus vite sa nouvelle cible.
- Une forêt ? Tout ça pour une stupide forêt pleine d’arbres ? Pourquoi on ne va pas vers la civilisation à la place ? Geignit Spookiaou.
- La civilisation, comme tu dis, est parfois aussi dans des lieux inattendus, carpette.
- Et ça veut dire quoi ça ? Qu’il y a un village caché forestier protégé par un mini Pokemon de légende et oublié par tous ? Ridicule…
- Tu délires. Mais d’abord…
Ametyos se retourna et plaça sa dague familiale sous la gorge du petit Pokemon qui poussa un gémissement de surprise, avant de rigoler. Il pensait de prime abord que Ametyos lui faisait une blague, commençant à rire, mais à sa propre surprise, il sentit bien le contact de la lame. Il leva alors ses petites pattes en l’air, lévitant sur place sans plus bouger, tandis que Ametyos lui jeta un regard froid, voir haineux. Il comptait lui demander ses motivations mais… ce n’était qu’un Pokémon après tout. Pourquoi se soucier de son avis ? Parce qu’il parlait ? Il restait pourtant un simple animal inférieur.
- Je vais te laisser une chance de me dire la vraie raison pour laquelle tu me suis. Ne me prend pas pour une bille, ton comportement a changé quand tu as su qui j’étais et pourtant tu n’as pas cherché à me vendre aux Vengeurs comme tous ces gens qui détestent les Karkast.
- C’est que… eh bien… tu es un prince, quoi ! C’est une meilleure compagnie que ces humains débiles que je dupais. Et je dois miser sur l’avenir. Ta fougue, ta détermination… Je sens que tu vas réussir à rétablir la monarchie et éliminer ces sales Héros, et moi, ton fidèle allié, serait dans tes petits papiers. C’est juste du business, comme ils disent à Unys.
Ametyos plissa les yeux à l’écoute de l’argumentaire du petit Pokemon. Il ne croyait pas un traître mot de ce qu’il disait. Il lui cachait quelque chose c’était évident, et il n’était pas à exclure qu’il puisse servir de taupe à Valrika. Il se dit que malgré tout, par précaution, il devait le supprimer à défaut de pouvoir le semer. C’était sans doute injuste mais mieux pour tout le monde. Et puis en plus d’un Pokemon, ce n’était qu’un bandit, donc il ne manquerait à personne. Mais Spookiaou sembla deviner ses intentions ou lire dans ses pensées et se remit à parler.
- Je suis de bonne foi, et je vais te le prouver ! Moi Spookiaou le grand, je t’offre, de façon exceptionnelle et exclusive, mes fabuleux services !
- Je travaille en solo, ça ne m’intéresse pas, répondit Ametyos du tac au tac.
- Tu t’en prends aux Héros, pas vrai ? Tu leurs voles les morceaux qu’ils ont gardé de ton grand-père le roi ? Et moi, je suis un Pok… un Pooo…un…
- Un Pokemon ?
- Ouais voilà, ce truc-là. Je suis de type Psy et Spectre. Autrement dit, deux des meilleurs types pour un cambriolage. En plus de ma taille qui n’est pas petite mais discrète. Tu imagines toutes les possibilités ?
Ametyos devait bien avouer que s’il était fiable, il pourrait grandement lui faciliter la vie sur certains cambriolages. Et en plus, il avait preuve d’une certaine puissance de combat contre les Vengeurs. D’un autre côté, il n’aimait pas du tout l’idée de devoir quoi que ce soit à quelqu’un d’autre, sur un Pokemon bandit, pour sa mission bien particulière. C’était son devoir personnel que d’honorer la mémoire de son grand-père et de sa mère en prouvant sa valeur. Il voulait devenir digne d’eux. Cela dit, le nom de Spookiaou étant connu dans la région depuis des plusieurs années, il était donc peu probable qu’il soit un allié des Héros ou de Valrika, son groupe de bandit ayant toujours opéré contre eux.
- J’ai ma fierté, dit Ametyos. Je n’ai pas besoin de ta… charité pour mon travail. Toutefois, on va dire que je t’engage, à l’essai, pour un cambriolage. Et je te paierai pour tes services.
- Tu refuses mon offre gratuite et ne l’accepte que si tu me payes ? Tu risques de ne pas faire beaucoup fortune dans ta vie, gamin.
- Faire fortune ne m’intéresse pas. Je me dois de suivre l’honneur propre à mon nom. Un Karkast honore ses dettes et rémunèrent ceux qui travaillent pour lui à leur juste valeur.
Spookiaou ricana ostensiblement.
- Il semblerait que ton papy ait oublié deux trois règles d’honneur de ta famille alors.
Ametyos arrêta sa marche pour bien dévisagea Spookiaou de toute sa hauteur, sa dague ostensiblement en main.
- Que les choses soient claire, carpette. Si tu restes un temps avec moi, tu as intérêt à ne pas insulter ma lignée ou qui que ce soit en faisant partie. Cela inclut bien évidement l’ancien roi. Sinon, je te tue.
Ametyos avait pensé que Spookiaou, lâche comme il était, allait s’écraser et acquiescer, mais étrangement, il insista, l’air sombre.
- J’ai vécu plus longtemps que toi, garçon. Et pas dans un château, entouré de domestiques. J’ai vu ce que ton grand-père adoré a fait au peuple lors de ses dernières années de règnes, et ce depuis le tout début, depuis la fameuse Nuit Rouge qui a été le déclencheur de la révolution. Tu peux dire ce que tu veux, avec tout l’honneur que tu veux, Zephren était un fou, et j’ai beau détester le gouvernement actuel et les Dix Héros, je suis content qu’ils l’aient renversé.
Ametyos ne sut momentanément quoi dire, et ça l’agaçait de rester sans voix devant un vulgaire Pokemon. Mais il pouvait clairement ressentir l’amertume dans la voix de Spookiaou. Lui aussi a dû souffrir des exactions du Roi Éternel, comme bien des gens. Ametyos n’était pas aveugle ni sourd. Il savait ce que la grande majorité du peuple disait de Zephren, même ceux qui pourtant étaient partisans de l’ancien régime.
- Mon grand-père a fait des choses horribles, je l’admet, dit enfin Ametyos. Mais il a fait aussi des choses biens. Énormément. Bien plus que ses mauvaises actions durant la fin de son règne. J’honore l’homme de vision qu’il a été, l’ardent défenseur de Johkania qui a tant fait prospérer ce royaume.
Spookiaou n’insista pas. C’est sur ce semblant d’accord qu’ils entrèrent dans le Bosquet de Sélène. La végétation y était dense et touffue, et on n’y voyait presque pas le ciel. Cet endroit demeurait non foulé par l’homme depuis très longtemps, mis à part Ametyos. D’ailleurs, les Pokemon particuliers qui habitaient l’endroit devaient le reconnaître car tous s’écartaient en le voyant. Ils le craignaient car ils savaient très bien qu’Ametyos avait pour habitude de chasser pour se nourrir quand il était ici. Il avait ainsi imposé sa loi aux habitants du Bosquet. Les premiers a subir son règne, en quelque sorte. Il sourit à cette idée farfelue, et fut encore une fois tiré de ses pensées par son irritant petit partenaire, qui avait abandonné son ton sérieux pour retrouver sa voix et ses questions débiles.
- Dis, c’est moi ou il y a des trucs bizarres sous les racines des arbres ? Indiqua Spookiaou en montrant ce qui ressemblait à des pierres taillées prises dans des racines.
- Non, tu ne rêves pas. Je te l’ai dit. La civilisation n’est pas toujours là où on s’y attend.
Ou tout du moins, elle laissait toujours des traces de son passage. Le Bosquet de Sélène recouvrait un lourd secret, un secret oublié par tous et toutes depuis plus d’un siècle maintenant, mais qui se transmettait dans la famille royale. Un secret qui permettait à Ametyos de garantir sa sécurité. Ce secret s’incarnait d’abord par la réputation du Bosquet de Sélène. Toujours dans l’ombre du Mont Sélénite, touffu et épais, ce Bosquet était d’après les superstitions locales peuplé de nombreux fantômes. Des Pokemon de type Spectre qui seraient soit disant inconnus et différents de ceux de Lavanville, et qui hanteraient ce bois depuis un tragique événement survenu ici il y a très longtemps. Évidemment, quand on vivait dans une nation qui avait été dirigée pendant plus d’un siècle par un roi à la réputation de sorcier, on avait tendance à avoir une population assez crédule concernant toutes les manifestations surnaturelles.
- Je ressens une présence qui nous épie, marmonna Spookiaou. Non, plusieurs présences…
- Ce sont les fantômes. Contrairement aux croyances communes, ils ne sont pas agressifs. Du moins ils ne m’ont jamais dérangé.
- Des fan…des fantômes ? Aaaah, au secours, j’ai peur ! S’écria Spookiaou en s’agrippant au carquois d’Ametyos.
- Lâche-moi, demeuré ! Comment tu peux avoir peur des fantômes ? T’es pas censé en être un toi-même ?
- Mais justement, stupide humain ! Le Spectre est efficace contre le Spectre, donc j’ai la phobie des fantômes. C’est parfaitement logique !
Ametyos continua sa route sans chercher à comprendre. En dépit des sous-entendus constants de Spookiaou sur le fait qu’ils étaient bel et bien perdus, Ametyos connaissait le bosquet par cœur. Sa mère l’y amenait déjà parfois, avant la révolution. Ametyos en avait ensuite découvert les secrets en fouillant dans les papiers de son grand-père. C’était devenu depuis sa cachette secrète ainsi que son lieu d’entraînement. Avant de devenir son refuge et repaire.
Après plus d’une demi-heure de marche sinueuse et tortueuse, ils parvinrent à l’entrée de ce que ressemblait à une clairière. Toutefois le ciel n’y perçait que peu car l’immense feuillage des arbres la dissimulait en quasi entièreté. Voilà pourquoi Ametyos aimait ce lieu. Un vrai dédale sans moyen de s’y repérer par la voie des airs.
Il se dégageait une ambiance très particulière de ce lieu remplit de vieilles pierres cassées, disposées ci et là dans ce qui donnait l’impression d’un semblant d’organisation. On pouvait même deviner d’anciennes constructions recouvertes de lierre et de mousse. Un tel lieu donna naturellement à Spookiaou l’envie d’encore ouvrir sa bouche, au grand désespoir d’Ametyos.
- Ce ne serait pas… un cimetière, cet endroit ?
- Ouais, le cimetière de Sélène, qui jouxtait l’ancien village qui était ici auparavant, dont tu as vu les ruines. Pas grand-monde ne vient ici, à cause de sa réputation d’être hanté… ce qui n’est pas faux d’ailleurs.
Il y a un peu plus de soixante-dix ans, un village s’était tenu en lieu et place du Bosquet de Sélène, un village dont tous avaient oublié le nom depuis lors. Il fut le théâtre d’un terrible affrontement entre les Gardiens de la Destinée et les Agents de la Fatalité, car c’est dans ce village que devait un jour naître une des plus grandes Oracles à n’avoir jamais servi Provideum, d’après une de ses visions. Les Agents avaient donc décidé de détruire le village pour empêcher cette naissance. Et ils y parvinrent, au prix d’un sanglant affrontement qui marqua la première intervention du Roi Éternel entre eux.
D’après les archives qu’Ametyos avaient consultées, il était venu seul, sans armée, et avait réduit par sa seule force les Gardiens et les Agents au silence, battant les deux groupes à lui seul. Malheureusement il était trop tard pour le village qui fut réduit en cendres. Zephren ordonna aux deux groupes de disparaître avant qu’il ne les anéantisse définitivement, avant de par la suite faire disparaître les ruines sous une vaste forêt pour une raison connue de lui seul.
En réalité, à l’époque, Zephren était juste et bon, et il avait découvert en venant un jeune couple qui était la cible des Agents, et les protégea de tous et toutes en les envoyant vivre loin dans un petit village isolé du nom de Surocal. Des années plus tard, comme prophétisé par Provideum, leur enfant naquit et devint une Oracle immensément douée et influente pour les Gardiens de la Destinée.
- En tout cas je ne comprends toujours pas ce qu’on fabrique ici. C’est glauque, perdu et loin de toute jolie jeune femme. Car je suppose que tu n’as aucune belle servante dans ta demeure ? Se plaignit Spookiaou.
- Je n’ai ni servante, ni demeure. Tu l’auras peut-être remarqué, mais il ne fait pas bon se nommer Karkast ces temps ci.
Tout en parlant, Ametyos avait commencé à soulever une stèle de pierre qui semblait de prime abord quelconque. Elle était sacrément lourde et le jeune prince avait toutes les peines du monde à la soulever mais y parvint quand même, avec le soutien relatif de Spookiaou qui faisait semblant de pousser avec lui. La stèle retournée révéla non pas une tombe mais l’entrée d’un caveau, totalement sombre et pas accueillant.
- Tu peux faire du feu pour nous éclairer ? Demanda Ametyos.
- Tu me prends pour un Pokemon Feu ou quoi ? Je ne sais pas faire de flamme. Tu veux jouer les charognards en dépouillant les morts, tu assumes.
Blasé qu’un bandit comme lui tente de lui faire la morale, Ametyos s’empara d’une torche qu’il avait laissée à l’entrée à sa dernière visite, puis ouvrit une petite boite en fer dans laquelle il plongea le morceau de bois avant de le ressortir enflammée, sous l’œil étonné de Spookiaou. Il s’agissait simplement d’uns installation avec une orbe flamme, un étrange orbe continuellement rempli de feu, pour lui permettre de se faire facilement de l’éclairage et de la chaleur quand il était ici.
Ils descendirent le long des escaliers, Ametyos utilisant sa torche pour en allumer d’autres murales au fur et à mesure, avant d’arriver dans une grande pièce qui laissa béat Spookiaou. On pouvait la voir séparer en deux parties distinctes. La première semblait avoir été aménagée récemment comme une pièce à vivre de fortune avec une paillasse pour dormir, un établi pour fabriquer des flèches et une réserve de ces dernières. On pouvait voir en arrière quelques caisses scellées devant probablement servir de réserves de nourritures. Il y avait sur le mur au-dessus d’un bureau fabriqué par le jeune homme de nombreuses fiches remplies de notes. Était-ce le fruit de tous ses repérages et ses projets ? Il y en avait en tout cas une sacrée quantité, le jeune prince était de toute évidence très organisé dans sa façon de procéder.
Dans l’autre partie de la pièce, il y avait une réserve. Mais pas n’importe quelle réserve. Des livres portant le sceau royal, des portraits de divers Karkast, des vêtements d’apparats, des armes portant leurs armoiries ou encore des bijoux impressionnants qui devait composer une sacrée fortune. Et la pièce centrale de sa collection, mise fièrement une un portant : l’armure royale de Zephren. Pourpre et dorée, faite de lourdes plaques et avec un manteau d’hermine pourpre lui aussi. Immaculée et brillant toujours de mille feu, signe que le prince en prenait le plus grand soin.
C’était par ce premier vol d’un culot monstre et d’une gravité extrême qu’Ametyos avait fait entendre parler de lui auprès du Conseil. Ametyos avait accumulé tout ça ces dernières années avant de passer au vol des fragments de son grand-père. La disparition d’objets de la dynastie royale n’était pas seulement imputable à Valrika, elle l’était aussi largement à Ametyos qui faisait un point d’honneur à préserver son héritage. Il se dirigea au fond et alluma une dernière torche pour révéler un autel devant une grande tombe richement décorée et ornée. Une personne très importante devait être enterrée là, et une magnifique pierre à l’éclat orangé était incrustée sur la tombe.
- Attends voir, cette tombe… commença Spookiaou.
- Si tu tentes d’y voler la moindre pierre, je te trucide, le prévint Ametyos.
Ce n’était visiblement pas ce qui intéressait le Pokemon. Il semblait profondément troublé.
- Qui se trouve là-dedans ?
- Pourquoi ça t’intéresse ?
- Il y a les blasons de ta propre famille sur cette tombe, et nul n’ignore que la crypte royale des Karkast se trouve à Irisia, sur leur terre natale. Le seul Karkast qui a été enterré sur le continent est…
Spookiaou se tut, plongé dans ses pensées, et semble-t-il ses souvenirs. Les sourcils froncés, Ametyos se mit à sa hauteur pour les regarder dans les yeux.
- Qu’est-ce que tu sais de ce tombeau, carpette ? Et comment tu sais-tu ? C’est un secret confiné à notre seule famille !
En fait non, ce n’était pas exact. Iskurdan, le chef des Dix Héros, savaient aussi. Ancien camarade du roi, il avait été présent lorsque la personne en question avait été inhumée ici, aux cotés des deux enfants royaux. Ametyos n’était pas encore né à l’époque, mais sa mère, la princesse Myrevia, lui avait raconté, et l’avait quelque fois amené ici pour se recueillir.
- Je ne sais rien, certifia Spookiaou. J’émets seulement des doutes et des hypothèses. Le savoir est une source de richesse, tout aussi sûre que les joyaux ou l’or. En tant que voleur, tu devrais le savoir. Et si donc je ne me trompe pas… la personne dans cette tombe est ta grand-mère, l’ancienne reine Elsora.
Ne voyant pas de raison de le nier, Ametyos acquiesça. Effectivement, le roi Zephren avait crée ce caveau spécialement pour sa femme tant aimée, au lieu de l’enterrer dans la crypte royale à Irisia, ou encore au Temple de Rosalia, comme les Gardiens de la Destiné d’où elle était issue l’auraient souhaité. Zephren avait voulu garder sa femme non loin de lui, là où il pouvait venir se recueillir quand il voulait.
Si Ametyos se sentait un peu coupable de se servir du caveau de sa grand-mère comme de cachette, il se rassurait en songeant qu’elle ne lui en aurait sûrement pas voulu. C’était d’autant plus une bonne planque que personne ne savait que cette tombe existait. Étrangement, Spookiaou ne chercha pas à en savoir plus, et conserva un silence qui ne lui ressemblait pas. Sur l’autel se trouvaient deux membres coupés, mais intégralement préservé, comme la main qu’Ametyos avait volé à Despero. Il s’agissait d’une jambe et d’un bras. Ametyos sortit la main de son ballotin, et la posa respectueusement à leurs cotés.
- Je vois je vois, fit Spookiaou. Tu veux retrouver tous les morceaux de ton grand-père pour les faire se reposer aux cotés des restes de sa femme ?
- C’est ce qu’il aurait voulu, acquiesça Ametyos. Je suis le dernier Karkast encore en vie. Mon oncle Kieran ne compte pas. Il est encerclé à Irisia et se fera bientôt capturer ou tuer. C’est à moi que revient cette tâche.
Ametyos se dirigea vers son bureau et y consulta ses notes, visiblement pressé de faire son prochain coup. Maintenant, le Conseil allait augmenter sa sécurité, c’était sûr et certain. Il devait donc se dépêcher de s’en prendre aux Héros les moins prudents avant que ces derniers ne se réorganisent.
- Bon, on va pouvoir bientôt savoir ce que tu vaux, carpette volante. Mon prochain coup aura lieu à Safrania. Selon ce que je sais, au moins deux morceaux du roi se trouvent là-bas.
- T’as fait une liste des cachettes des Héros ? S’étonna Spookiaou.
- Pour sûr. La jambe gauche était enterrée à Bourg de Palette. C’est là qu’avait grandi Fral, cette gamine dont les Pokemon sont amoureux. Quant au bras droit, Karion du Tonnerre l’avait simplement laissé dans sa maison à Ecorcia ; vide et sans protection. Ceux là, ils étaient faciles. Le morceau de Despero était le seul à Céladopole, et comme le manoir était quasiment à l’abandon, ce n’était pas trop risqué non plus. Le reste par contre, ce sera une autre histoire. De ce que je sais, Sainte Alysia a laissé son morceau au Saint Monastère, le nouveau quartier général des Gardiens de la Destinée. Quant à Duancelot, il possède une espèce de dojo de combat là-bas, dans lequel son morceau a toutes les chances de se trouver. C’est par celui-là que nous allons commencer.
- Voilà que je me remet encore à douter de ta santé mentale… marmonna Spookiaou. Safrania est la capitale de la région, en plus d’être le siège de Destinal et des Soldats de la Paix. Et toi, le gars le plus recherché du royaume, tu vas y aller tranquillement pour y voler des Héros juste sous leurs nez ?! Pourquoi ne pas plutôt terminer par ces deux morceaux, vu que ce seront les plus durs ? Où sont les autres ?
- Durvan doit garder le sien avec lui, et il est actuellement en campagne contre le prince Kieran à Irisia, donc hors d’atteinte. Pareil pour celui du Roi Reomarinus, qui doit être dans son palais sous-marin. Quant à celui d’Iskurdan, j’ignore où il peut le garder. Peut-être dans son bureau au Conseil des Héros, mais je n’ai aucune certitude. Pareil pour celui de Breven ; déjà qu’on ne sait quasiment rien sur ce type, alors l’endroit où il a pu cacher quelque chose…
- Reste Valrika, signala Spookiaou.
- Oui, il reste Valrika, confirma Ametyos. Mais elle, elle passera à la toute fin. Car en plus de reprendre la partie de mon grand-père, ce sera la seule des Héros que j’irai tuer.
Ametyos avait en ce moment une telle étincelle de haine dans les yeux que Spookiaou n’insista pas.
- Bon, mais comment tu veux qu’on pénètre le Dojo des Sceaux de Duancelot ?
- Comment tu sais qu’il s’appelle ainsi ?
- Arrête de toujours me demander comment je sais les choses ! S’exclama le Pokemon. Je sais, c’est tout ! Je suis Spookiaou le Divin.
- Bien sûr… Bref, on va infiltrer le bastion des Soldats de la Paix, et se déguiser en soldat. Ensuite, on va profité d’un cours de Duancelot et du fait que ce soit un idiot fini pour lui voler son fragment, grâce à tes aptitudes.
- C’est d’un des Dix Héros dont nous parlons, gamin ! Il va nous atomiser.
- Sa réputation est largement exagérée, dit calmement Ametyos. Il est sans doute fort, mais en plus d’être un lâche et un traître, ce n’est pas vraiment une lumière. Tu utiliseras donc tes facultés psychiques pour faire diversion pendant que j’opérerai. Et si tu t’en sors vivant, je te payerai avec mon trésor.
- Si je m’en sors vivant ? T’en a de bonnes toi… Et comment je fais diversion d’abord ?
- En manipulant les élèves de Duancelot, simplement, et en créant du grand n’importe quoi. Tu m’as l’air très doué pour ça.
Spookiaou marmonna son désaccord en une suite de paroles aussi apocalyptique qu’incompréhensibles, jusqu’à qu’Ametyos ne dise :
- C’est toi qui m’a proposé tes services. Tu t’attendais à quoi ? Tu sais qui je suis, qui me pourchasse et ce que je veux faire. Et en plus, tu voulais travailler gratuitement, je te rappelle. Si tu n’as pas les couilles, tu peux toujours filer. Mais si j’apprends que tu m’as balancé à quelqu’un, sois sûr que je te retrouverai pour te…
- C’est bon, c’est bon, calme ! Renchérit Spookiaou. Moi le Grand, le Divin et le Sublime n’a qu’une seule parole. Je me fiche de ton grand-père et de ses morceaux éparpillés, mais je l’aurai mauvaise si je devais te laisser te faire tuer sans rien faire.
- Et on peut savoir pourquoi tu te soucies de ma sécurité ? Demanda Ametyos d’un ton vague tout en consultant ses notes et ses plans.
- Non, tu peux pas.
Ametyos haussa les épaules. Ce fichu Pokemon lui cachait volontaire des choses, mais Ametyos avait décidé qu’il n’en avait rien à faire. Rien ni personne ne comptait pour lui, à part réunir le corps mutilé du roi, et prendre sa vengeance sur Valrika. Spookiaou avait bien cerné l’obsession du jeune humain, qui semblait tout droit le mener vers le suicide. Il s’éloigna dans le caveau et marmonna à voix basse, sans qu’Ametyos ne puisse l’entendre :
- Ton rejeton est vraie tête brûlée. Tu ne l’as pas manqué sur ce point, Myrevia…