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Entre Chien et Loup T.1 - Le Royaume du Soleil de Goldenheart



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Informations

» Auteur : Goldenheart - Voir le profil
» Créé le 29/05/2019 à 14:11
» Dernière mise à jour le 26/12/2019 à 17:59

» Mots-clés :   Alola   Conte

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Chapitre V
Un calme étrange s’était abattu sur la forêt.

La forêt. Cette démoniaque grandeur. Cette masse immobile mais grouillante, cette chose muette mais emplie de murmures. Des hommes qui avaient traversé les mers pour venir pénétrer ses entrailles, certains avaient eu la décence de la craindre. Les autres, portés par leurs étroites certitudes et guidés par le zèle du pouvoir, l’avaient impunément défiée, souillée, mutilée.

À présent, même la tombée de la nuit ne conférait plus à la divine végétation son atmosphère menaçante. Ce n’était guère plus qu’une masse inerte, que plus aucune vie n’aimait.

Ce silence absolu, pareil au silence de la mort… cela l’apaisait.

Revenant de sa trompeuse accalmie, le vent avait forci, et chassait désormais les épais nuages qui obstruaient le ciel. Telle une file de spectres, les volutes nébuleuses glissaient sur la pâle silhouette de la lune, œil blanc déversant sa lumière nacrée sur la terre ensommeillée.

Au bout du troisième essai, le feu daigna enfin consumer le maigre rouleau de tabac. Maudit vent. On ne pouvait décidément pas s’en griller une tranquillement, avec cette météo capricieuse.

Une longue inspiration, le temps de laisser le goût de la fumée pénétrer son palais, puis il relâcha son souffle, ses épaules s’affaissant comme lors d’un soupir. Les laiteuses volutes furent aussitôt emportées par le zéphyr.

La clope fermement coincée dans le bec, il passa son énorme main dans ses cheveux brun-roux, dans une vaine tentative de dompter les mèches rebelles qui se laissaient porter par le vent. Non, tout de même, y’avait pas photo : cette quiétude, ça lui faisait un bien fou. Aucun brouhaha incessant, aucune agitation vaine… Juste le silence, l’immobilité… et la lune, muette spectatrice.

Et aussi ce fichu vent.

Son compagnon félin ne semblait pas plus perturbé que ça par la brise. Couché à ses côtés, il semblait presque dormir ; mais lui savait que son Léopardus restait toujours sur le qui-vive. Brave bête.

Nouvelle inspiration, nouveau soupir. Puis les lèvres figées se rehaussèrent en un rictus, pâle esquisse de sourire. Peut-être y avait-il quelque condescendance dans ce bien-être ressenti. Après tout, il n’était pas donné à tout le monde de pouvoir s’asseoir sereinement au beau milieu d’une forêt, sans craindre qu’une bestiole ne se jette sur vous pour vous dévorer.

Il retira la cigarette de sa bouche, souffla un nouveau coup, et tapa du bout du doigt pour éparpiller les cendres. Au fond, lui aussi était un animal avide de pouvoir. Quelle créature en ce bas monde ne pouvait s’enorgueillir d’avoir conquis un nouveau territoire ? Assis ici, seul au cœur des ténèbres, il ressentait pleinement l’impact qu’avait eu l’arrivée des hommes et de la technologie sur cette terre sauvage. Et cet impact, s’il n’était pas de son fait – du moins pas directement – il en tirait tout de même une certaine fierté. Mine de rien, il adorait cette sensation. Si ce n’était pas le cas, il ne serait pas posé ici comme un roi sur son trône…

« Monsieur Graham. »

En entendant son nom, il pivota légèrement la tête, cherchant à peine à masquer son irritation. Fallait qu’on vienne gâcher son moment de tranquillité, évidemment. Rien ne durait jamais éternellement…

Le gusse qui venait d’arriver, il le reconnaissait, sans pour autant être capable de coller un nom à ce visage aigu et allongé. Un crâne quasi dégarni, hormis quelques touffes frisées et grisonnantes sur les côtés, un nez long et si plat qu’on eût dit qu’il avait été écrasé dès la naissance, deux petits yeux noirs sévères à peine cachés derrière de ridicules lunettes rondes… Impossible de ne pas enregistrer la tête du gars. Par contre, son nom…

« Phineas McCoy, chef de chantier de la compagnie Ouvrifier&Co. Je suis en charge de la réhabilitation de ce terrain.

— Et ? C’est une raison suffisante pour interrompre ma méditation ? J’étais plutôt peinard avant que vous arriviez. »

Le félidé gronda doucement, ses yeux azur braqués sur l’importun. Seule la main apaisante de son maître posée sur son encolure le retenait de se lever pour aller lui montrer ses crocs d’un peu plus près. Guère rassuré par la présence de la créature, le dénommé Phineas se racla la gorge afin de reprendre contenance.

« Les ouvriers m’ont informé de ce qu’il s’est passé ce soir. Comment pouvez-vous expliquer cela ?

— Cela quoi ? Y’a un Pokémon qui a foutu le merdier et malmené pas mal de ceux des ouvriers et… et ben, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise de plus que vos gars vous aient pas déjà raconté ?

— Monsieur Graham ! »

L’intéressé sentit son irritation enfler comme une mauvaise plaie. Il détestait qu’on l’appelle par son nom de famille. Il avait l’impression de revenir sur les bancs de l’école, quand le professeur s’apprêtait à le réprimander.

« En tant que commandant de la division Dresseurs, il est de vôtre devoir d’empêcher ce genre d’incidents de survenir !

— J’étais pas là au moment des faits. Pas ma faute si les gars placés sous mon « commandement » sont pas fichus de capturer un Pokémon sauvage, même en s’y mettant à trois.

— Vous étiez en charge de ce secteur, lui rappela Phineas. Où diable pouviez-vous bien avoir disparu, encore ?

— Aux toilettes. J’vous passe les détails, je suppose ? Et jusqu’à preuve du contraire, j’ai pas le don d’ubiquité : y’a un temps pour le bronze, un autre pour la chasse aux Pokés. »

Visiblement outré par son vocabulaire fleuri, Phineas se pinça le haut du nez. D’un geste vif et précis, il remonta ensuite ses lunettes qui avaient glissé.

« Avez-vous idée de ce que cela va nous coûter ? Cette créature a détruit l’un de nos véhicules et blessé plusieurs de nos hommes. Sans parler des Pokémon ! Presque un quart des effectifs du secteur B seront inopérants pour plusieurs jours. Le projet de réhabilitation pourrait s’en retrouver fortement ralenti. Or, nous avons un planning à respecter et…

— Eh, détendez-vous un peu, mon brave. Le problème est résolu, non ? Le fauteur de troubles n’est plus là, que je sache. Quant à ses renforts, ils sont soit morts, soit capturés. »

Zophar aurait d’ailleurs préféré tous les capturer… C’était du gâchis que de tuer des Pokémon inconnus aussi doués pour le combat. Quoiqu’aucun des monstres simiesques qui avaient rappliqué n’avait eu le niveau de celui qui avait semé la pagaille, et qu’il avait combattu…

Tirant une autre bouffée de tabac, le brun plongea son regard dans l’immensité noire qui s’étalait face à eux. Le Pokémon inconnu – il faudrait que les spécialistes lui donnent un nom d’espèce au plus vite – avait disparu, emporté par le glissement de terrain provoqué par l’effondrement d’une galerie souterraine. Qui pouvait dire s’il s’en était sorti vivant ?

Si pragmatique qu’il fût, Zophar espérait tout de même que la bestiole avait eu de la chance. Un Pokémon avec de telles compétences physiques et mentales, ça ne se trouvait pas sous le sabot d’un Ponyta. Et d’après les techniques qu’il avait employées, il était à coup sûr de type Combat. Zophar n’avait encore jamais dressé des Pokémon de ce type. Il avait vraiment envie de l’intégrer à son équipe ; ça pouvait donner naissance à de beaux matchs…

« Avez-vous au moins envoyé vos hommes inspecter la zone ? Les travaux de déblaiement doivent se poursuivre au plus vite : si en plus de la météo, les créatures locales nous empêchent d’avancer… »

Agacé d’avoir été interrompu dans son flot de pensées, le brun balaya la question d’un geste de la main.

« Ouais, j’les ai envoyés ratisser le terrain, relax. De toute manière, avez-vous déjà vu une forêt aussi calme ? Même la nuit, y’a toujours des bruits… Ah ! mais non, j’oubliais : un citadin comme vous doit pas y connaître grand-chose, en nature. »

Le chef de chantier encaissa la remarque sans broncher.

« Tâchez d’évacuer tous les Pokémon qui traînent dans les zones que l’on vous a indiquées. Vous pouvez les tuer, les capturer, les empailler, peu m’importe ! Plus aucun retard ne doit être toléré. À la moindre faute, j’appelle le commandant pour demander votre remplacement !

— Faites donc, mon brave, faites donc…, marmonna Zophar. »

Phineas s’éclipsa, le claquement de ses bottes étouffé par la terre encore légèrement humide. Pas certain qu’il ait entendu la réplique du brun. De toute manière, s’ils décidaient de le remplacer, Zophar s’en fichait pas mal. Alola n’était pas le seul lieu sur terre où l’on pouvait dénicher des espèces rares. Si ses patrons ne voulaient plus de lui, alors il irait voir ailleurs. C’était toujours ainsi que cela se passait.

Non loin de lui, un frémissement dans la terre craquelée attira l’attention du brun. Sa surface croûtée se trouait progressivement, comme si elle était creusée depuis l’intérieur. Il ne fallut pas longtemps avant qu’une petite tête mauve émerge du sol. Zophar lâcha un sourire. Son Arbok était enfin revenu.

« Yo, Kaa. Alors, t’as trouvé quelque chose ? »

Le serpent mauve s’extirpa avec difficulté de la terre humide, l’immense collerette qui déployait au niveau de son cou le dérangeant quelque peu. Une fois la moitié de son corps à l’extérieur, le reptile baissa la tête, sa langue bifide frétillant dans un faible sifflement.

« Rien ? Mince alors… L’est quand même pas tombé au centre de la Terre, le bestiau ! »

En voulant gratifier son Pokémon d’une tape conciliante sur la tête, il s’aperçut soudain que celle-ci était couverte de gouttelettes. Leur contact frais le surprit.

« De l’eau ? T’as déniché une rivière souterraine ?

— Hissss ! »

Réponse positive, apparemment. Voilà qui changeait la donne. Si les galeries menaient jusqu’à une rivière souterraine… Alors il y avait deux possibilités : soit le Pokémon simiesque était tombé dedans et s’était noyé, soit il avait suivi le cours d’eau pour espérer remonter à la surface.

Sauf que dans le premier cas, l’Arbok n’aurait eu aucun mal à dénicher le cadavre du singe…

« Bon boulot, buddy. Remonte cette rivière et mène-moi là où elle débouche. Si tu trouves quoi que ce soit, remonte et préviens-moi. »

Le serpent siffla, puis s’en fut en ondulant. Zophar renvoya son Léopardus dans sa Pokéball, et écrasa son mégot sous sa botte. Avant de suivre le reptile, il prit une seconde pour vérifier sa ceinture : en plus de celles de ses trois Pokémon, trois autres balles de fer s’y trouvaient attachées. Il haussa les épaules. Ce serait amplement suffisant.

Cette fois, ce Pokémon ne lui échapperait pas.


*~*~*

Koa roula sur le dos pour la dixième fois de la nuit. Impossible de fermer l’œil ; pas quand votre ventre se tordait douloureusement sous l’effet de la faim. Les quelques larves à pinces qu’Imala avait déniché n’avaient pas suffi à apaiser l’estomac capricieux du louveteau. Il réclamait un vrai repas, bien consistant.

Le louveteau gémit, aussi doucement que possible pour ne pas réveiller sa mère ou son frère. Si les proies s’étaient faites plus rares en forêt, elles n’étaient pas tellement plus nombreuses dans cette brousse située à la lisière nord de celle-ci. En tout cas, Imala n’en avait pas trouvé. Avait-elle seulement cherché ? La petite famille n’avait fait que marcher, prendre un détour, marcher encore, pour encore changer de cap… C’était à croire que la louve ne savait pas où aller.

Koa secoua la tête. Ridicule. Sa mère savait forcément où les mener. Elle n’agirait jamais sans penser au bien de Koa et Aku en priorité. Ces tours et détours avaient forcément une raison… mais laquelle ? Est-ce qu’Imala cherchait à fuir quelque chose ? Entre leur départ précipité et la nervosité croissante de sa génitrice, le louveteau était de plus en plus convaincu que la source du malaise qui planait au-dessus de leurs têtes était un danger. Un danger que sa mère – sa si forte, si imperturbable mère – ne pouvait affronter.

Koa se tortilla de plus belle, le museau enfoncé dans la terre meuble comme s’il espérait y ensevelir ses tourments. Quel pouvait bien être ce danger invisible que les loups de roche fuyaient ? Jusqu’ici, Koa avait toujours su identifier les menaces : elles avaient une odeur, produisaient un son, étaient palpables au toucher. Un nid de guêpes-poison bourdonnait férocement pour prévenir toute tentative d’assaut. Les mouffettes gaz-puant émettaient un parfum très… prononcé – pour ne pas dire immonde – comme moyen de défense. Aku grognait et montrait les crocs lorsqu’il s’apprêtait à attaquer.

Mais là, c’était différent. Le danger n’avait ni odeur, ni forme, et n’émettait pas le moindre son.

Au contraire, sa seule signature semblait être le silence. Un silence oppressant, bien loin du calme relatif de la forêt drapée dans son voile nocturne. Plus aucune chouette-une-patte, ni aucun hibou-feuille ne venaient bercer la nuit de leurs chants mélodieux. Plus aucun champignon-lumière n’éclairait les recoins les plus sombres de la forêt de leurs lueurs hypnotiques.

Koa frissonna. Le monde autour d’eux était devenu aussi froid et inerte qu’Hae le jour de sa mort.

Un froufrou tout proche manqua soudain de faire bondir le louveteau. Ses yeux à présent habitués à l’obscurité captèrent les mouvements furtifs d’un louveteau de roche s’éclipsant de leur tanière de fortune. Qu’est-ce qu’Aku pouvait bien traficoter ? Avait-il une envie pressante… ?

Autant par curiosité que pour tromper l’ennui – et oublier ses sombres pensées, il fallait l’avouer – Koa se faufila à la suite de son frère.

Une fois qu’il eut quitté le couvert de la pile de rochers, Koa découvrit, perdue là-haut dans le ciel, une sphère blanche comme son collier de fourrure. Malgré les nuages sombres qui persistaient à vouloir cacher sa rondeur, elle déversait tant bien que mal sa pâle lumière sur le paysage, parant celui-ci d’un manteau argenté.

Ce devait être la lune. Koa savait que ses parents avaient pour habitude de chanter dès lors que l’autre sphère de lumière, le soleil, sortait de son sommeil et mettait fin à la nuit. En revanche, ils n’avaient jamais vraiment fait cas de la lune. Elle qui régnait sur la nuit, n’émettait guère plus de lumière que son frater le soleil et, contrairement à ce dernier, ne procurait aucune chaleur. Du reste, elle disparaissait parfois à la vue des âmes de Poni, plongeant l’île dans le noir le plus total. Les loups de roche préféraient ignorer cet astre froid et mystérieux, qui n’avaient à leurs yeux pour seul mérite que celui d’exister.

Ce qui était un peu injuste. Koa, lui, trouvait la lune très belle. Surtout cette nuit-là, où l’on pouvait l’observer dans son entièreté. C’était la première fois qu’il voyait la pleine lune. La manière dont elle bravait les ténébreux nuages, repoussant leur noirceur de toute la maigre force de sa lumière nacrée, subjuguait le louveteau. Il aurait pu rester à la contempler toute la nuit.

Sauf que son frère avait trouvé quelque chose de bien plus intéressant que la lune.

Le grondement de son aîné interpella Koa, le tirant de ses rêveries. Le louveteau s’ébroua et rejoignit son frère. Ce dernier avait la truffe presque collée au sol, le museau froncé d’un air extrêmement concentré. Intrigué, Koa flaira à son tour. Il y avait bien une odeur… Une odeur qu’il avait déjà sentie une fois… mais où, et quand ?

L’excitation de son frère donna sa réponse à Koa : une proie ! Il s’agissait du fumet d’une proie ! Était-ce possible ? Les proies disparues étaient-elles finalement ici, aux frontières même de la forêt ?

Aku ne perdit pas une seconde : truffe à ras du sol, il inspira longuement, méthodiquement, rampant sur le sol avec légèreté. Koa crut voir leur mère. Soudain, l’aîné se redressa brusquement, une patte en l’air. Surpris, Koa retint son souffle. Les deux louveteaux laissèrent passer trois battements de cœur, puis Aku fila comme une flèche.

Paniqué de le voir partir aussi précipitamment, Koa se lança à sa poursuite en jappant. Sa vision avait beau s’âtre accommodée à la pénombre ambiante, ce n’était pas du tout la même chose qu’en pleine journée. La vue de Koa était presque inutile en pleine course ; il comprit bien vite que seul son odorat lui permettait de repérer les obstacles avec suffisamment de précision.

Il arriva rapidement dans une zone où les arbustes de la brousse côtoyaient les arbres de la forêt. Voir qu’ils étaient revenus sur leurs pas effraya Koa. N’était-ce pas dangereux ? Imala ne leur avait pas fait quitter la forêt sans raison…

Heureusement, quand Koa retrouva Aku, il était tapi au pied d’un petit arbre, juste à l’orée de leur ancien territoire.

Le frère de Koa lui tournait le dos, tapi au sol, sa queue stabilisée au-dessus du sol. Koa adopta la même position, quoique plus maladroitement, et s’approcha à pas feutrés. Tout doucement, il se plaça parallèlement à son frère, qui ne remua pas une vibrisse.

Un fumet inconnu parvint alors aux narines de Koa. Un fumet qui rappelait les fleurs, mais en plus prononcé. Le louveteau tendit le cou au maximum, cherchant l’origine de cette étrange odeur. D’un coup de tête dans l’épaule, Aku lui intima de cesser son manège et, du museau, lui indiqua le sommet de l’arbre. Là ! Un oiseau solitaire se reposait dans un nid coincé entre deux branches.

Koa n’avait jamais vu ce genre d’oiseau dans la forêt : légèrement plus gros que lui, ses plumes aux couleurs allant du violet foncé au mauve pâle prenaient une teinte plus bleutée dans la pénombre argentée. Son bec incurvé frémissait de temps à autre au rythme de sa respiration.

À côté de lui, Aku frissonnait, atteint par un sentiment de joie contagieux : ils avaient vraiment trouvé une proie !

Le problème étant : comment faire pour l’attraper ? L’arbre n’était peut-être pas aussi élevé que les pins, mais les louveteaux de roche n’étaient pas non plus des queues-mains. Escalader le tronc sans réveiller leur cible était une opération trop délicate pour qu’elle réussisse…

Koa se tourna vers son frère. Aku fixait l’oiseau sans bouger un poil. Puis les yeux du louveteau s’illuminèrent. Koa agita la queue : son frère venait d’avoir une idée, il en était certain.

D’un grommellement, Aku intima à son cadet de reculer. Ce que Koa fit docilement. L’aîné des louveteaux se positionna ensuite sur un rocher plat non loin, queue parallèle au sol, museau pointé vers son objectif. Un grondement sourd monta des tréfonds de sa gorge. Les pierres qui ornaient son cou se mirent soudain à briller, du même éclat blanc que la lune. Les grognements d’Aku s’accentuèrent.

Émerveillé, Koa assista à la première attaque magique de son frère : de petites pierres se matérialisèrent au-dessus de la tête de ce dernier. Concentré à l’extrême, Aku inspira à fond… et tira !

Les pierres filèrent à une vitesse ahurissante. Certaines percutèrent le tronc en éclatant l’écorce, d’autres allèrent trop haut et arrachèrent des feuilles. L’une d’entre elles manqua sa cible de peu : le nid fut délogé violemment. Son occupant, réveillé en sursaut, battit frénétiquement des ailes en poussant des cris stridents.

Aku profita de sa confusion pour sauter, gueule grande ouverte, prêt à mordre cette chair appétissante qui s’offrait à lui CLAC ! Ses crocs ne se refermèrent que sur le vide. Mince ! Ça s'était joué à trois fois rien !

Le volatile reprit de la hauteur, et s’enfuit à tire-d’aile dans les profondeurs de la forêt. Aku se lança à sa poursuite en jappant férocement. Koa, emporté par l’agitation soudaine, fila à sa suite sans trop se poser de questions.

Fort heureusement, l’odeur fleurie de leur proie la trahissait : il était facile de repérer sa présence. Tout en courant, Aku essaya de nouveau d’invoquer son attaque magique. Les pierres de son collier brillèrent, mais il n’était pas encore assez expérimenté pour à la fois se concentrer sur sa course, et canaliser son flux d’énergie magique.

Voyant son frère en difficulté, Koa décida d’agir. Poussant au maximum sur ses petites pattes, il accéléra, jusqu’à dépasser l’oiseau. Une fois certain que le volatile l’avait dans son champ de vision, il aboya aussi fort qu’il le pouvait, avec le souffle qui lui restait. L’oiseau eut un temps d’hésitation, durant lequel il fit resta sur place pour analyser ce potentiel danger qui hurlait à tue-tête.

Il n’en fallait pas plus à Aku. Cette simple seconde d’immobilité de la part de sa proie lui laissa suffisamment de marge pour viser, concentrer son énergie magique, et tirer de nouveau. Miracle, l’une des pierres fit mouche, cette fois ! L’oiseau, touché à l’aile, s’effondra en piaillant d’effroi.

Koa jubilait : lui et son frère avaient réussi à travailler en équipe ! Cette proie promettait d’avoir une saveur encore plus incomparable !

Lorsque les deux frères arrivèrent à hauteur du volatile, Aku prit un moment pour gratifier son cadet d’une bourrade dans l’épaule. Koa sentit le cuir de son épaule protester au contact des pierres acérées du collier de son frère ; mais la joie et la fierté qui résultèrent de cette marque de reconnaissance effacèrent bien vite toute douleur physique.

Aku se jeta ensuite sur l’oiseau, avec laquelle il lutta pendant quelques secondes. Puis le méli-mélo de poils et de plumes s’immobilisa, le louveteau dominant la carcasse encore chaude de sa première proie. Koa s’imaginait déjà en train de plonger ses crocs dans cette chair nourricière… Il était bien loin, le temps où la simple vue de la viande le dégoûtait !

Soudain, tous les poils de Koa se dressèrent sur son échine. Quelle était cette odeur étrange ?

Trop affairé avec sa proie, Aku ne remarqua rien. L’odeur entêtante des plumes de l’oiseau devait brouiller son odorat. Koa sentit un frisson le parcourir. Il y avait une autre créature non loin d’eux, et elle se rapprochait…

Puis il les vit : les yeux luisants de la bête. Koa jappa. Au même instant, Aku perçut cette présence oppressante qui furetait dans son dos. Juste à temps ! Les crocs effilés du serpent effleurèrent sa fourrure de peu.

Koa n’avait jamais vu de serpent aussi gros que celui-ci. Son corps, aussi long qu’épais, ondulait de manière quasi hypnotique, ses écailles mauves luisant sous le clair de lune. Une espèce de collerette s’étirait sous sa tête – minuscule en comparaison – et arborait des motifs noirs, rouges et jaunes rappelant des yeux intimidants. Koa se pétrifia à cette vue.

« Mince alors, y’a encore des Pokés ? »

Les louveteaux se retournèrent d’un bloc. L’odeur qu’avait perçue Koa se fit plus présente.

À pas lents, une créature comme ils n’en avaient jamais vue surgit des ombres. Bipède, elle se dressait de toute sa hauteur, lorgnant les deux frères d’un regard fatigué. Une sorte de feuille était coincée entre ses dents, et dégageait une senteur désagréable, qui se mêlait au parfum du nouvel arrivant. En dehors de la touffe couleur sable sur le sommet de son crâne, le bipède ne semblait arborer aucune fourrure. En remplacement, son corps était recouvert d’espèce de… plumes ? écailles ? Non, ces choses fripées qui cachaient sa peau n’étaient comparables à rien de ce que Koa et Aku connaissaient.

« Pff… Fallait s’en douter… ça reste pas statique, ces choses-là. Faudrait peut-être que ces ouvriers de mes deux le comprennent, un jour… »

Koa ne comprenait rien aux grognements du bipède. Ils n’avaient aucun réel sens pour lui, au contraire de ceux que pouvaient produire sa mère ou son frère. En revanche, sa voix, grave et profonde, avait un timbre presque apaisant. Comme une sorte de ronronnement sourd.

Le louveteau se secoua brusquement. Allons, il fallait rester sur ses gardes ! Le serpent était toujours là, et il était jusque là impossible de dire si cette créature bipède représentait elle aussi un danger. Auquel cas, les louveteaux seraient dans de beaux draps…

Puis le bipède fit quelque chose d’étrange. Il porta ses longues pattes dépourvues de griffes à son abdomen, et en détacha quelque chose. Un petit « clic » résonna dans le silence pesant qui régnait dans la combe : et là, tout à coup, un éclair illumina les environs. Koa jappa, aveuglé. Il dut cligner plusieurs fois des paupières pour laisser ses yeux se réhabituer à la pénombre.

« C’est pas contre vous, les p’tits gars. Mais faut que vous débarrassiez le chantier. »

Le timbre n’avait pas paru changer tant que ça ; pourtant, les grommellements du bipède comportaient cette fois une note qui déplut fortement à Koa.

« Les ordres sont les ordres. »

Lorsqu’enfin, ses yeux purent de nouveau distinguer ce qui se trouvait autour de lui, le jeune loup de roche les écarquilla de stupeur. Une troisième créature, d’apparence féline, se tenait désormais entre lui et le bipède. Impossible ! D’où venait-elle ? Comment Koa n’avait-il pas pu sentir son odeur ?

Aku gronda, le poil hérissé. Son cadet le regarda, horrifié, gonfler sa fourrure au maximum, l’énergie magique pulsant dans ses veines de manière presque palpable.

Koa gémit. Chacun des deux louveteaux savaient combien Aku était fort. Il était le champion de la portée. Le premier des deux frères à avoir réalisé une attaque magique. Mais là, ses succès lui montaient à la tête. Croyait-il vraiment pouvoir tenir tête à trois créatures magiques en même temps ? Tout en protégeant leur proie si durement acquise ? L’opération était désespérée, Koa le savait. Tout son être lui hurlait de fuir ; cependant Aku restait sourd à ses implorations.
Le bipède saisit la feuille qu’il avait dans la bouche entre ses longs doigts, et souffla une fumée blanchâtre.

« Allez-y. »

Au son de sa voix, les créatures se mirent soudain mouvement. Le serpent plongea sur Aku, tandis que le félin bondissait sur Koa. Le petit loup n’eut pas le temps de réagir ; des griffes s’enfoncèrent dans ses flancs. La douleur lui arracha un glapissement. Par réflexe, il tendit le cou pour mordre son agresseur. Sauf que celui-ci n’était déjà plus là. Décontenancé, Koa fit l’erreur de rester planté sur place. Erreur dont profita le félin, qui apparut comma par enchantement sur sa droite, et lui faucha les pattes.

En un éclair, les souvenirs de ses luttes contre son frère revinrent à l’esprit de Koa. Le louveteau roula au sol, tâchant d’éviter d’exposer son ventre fragile. Le félin disparut de nouveau en se fondant dans les ombres. Koa leva la truffe : s’il ne pouvait le voir, il le localiserait à l’odeur.

Hélas, l’odeur du félidé semblait venir de partout à la fois. Koa commença à paniquer. Mais où pouvait-il bien se cacher ?

Tout à coup, il sentit une présence derrière lui. Le temps de se retourner, il aperçut une fourrure ocre se faire percuter par une fourrure brune, bien plus petite. Koa jappa de joie : son frère l’avait sauvé !

Aku martela le visage du félin avec ses pattes, avant de brusquement le lâcher pour s’écarter. Si la panthère se crut libre, elle ne s’attendait sûrement pas à recevoir son acolyte le serpent mauve sur la tête. Koa jubila. Son frère avait feinté une attaque sur l’autre créature magique pour forcer son adversaire à attaquer son comparse !

Et l’aîné des louveteaux ne comptait pas s’arrêter là. L’énergie magique affluaient tel un torrent furieux. Avec un hurlement rageur, il la matérialisa en plusieurs petites pierres, qu’il lança à pleine puissance sur leurs agresseurs. Encore sonnés par leur collision, ces derniers prirent les projectiles de plein fouet. Le félin s’effondra, touché à la tête. Le serpent en revanche bloqua la plupart des pierres avec son énorme queue. Aku l’esquiva avec agilité, et les deux adversaires

Koa recula, essoufflé. Ses flancs blessés le faisaient atrocement souffrir. En voulant se pencher pour lécher ses plaies, il aperçut du coin de l’œil le bipède, qui n’avait pas bougé d’un poil depuis le début du combat. Ses grands bras pendus le long de son corps massif, il se contentait d’observer la mêlée de loin. Koa s’en étonna : pourquoi restait-il si stoïque ?

Puis le bipède se saisit de nouveau de l’une de ces étranges baies qu’il portait à la taille, et la brandit à bout de bras. Une espèce de rai de lumière rouge jaillit d’une tache de la même couleur, et traversa l’air. Sous les yeux stupéfaits du louveteau, le félin inanimé fut frappé par ce rayon, avant de littéralement se décomposer. Le rayon carmin se rétracta ensuite, rétrécissant jusqu’à rejoindre sa source, où il disparut pour de bon. Les traits tirés du sans-fourrure se crispèrent, comme s’il était mécontent.

Quoique ce n’était pas là le plus terrifiant : qu’avait-il fait à cette créature magique ? Où était-elle passée ? Était-ce dû à ces baies étranges ?

Le bipède cria soudain quelque chose. Au même instant, le serpent – contre lequel Aku luttait toujours – s’enroula sur lui-même, ses écailles émettant une faible lueur alors que l’énergie magique circulait dans son corps longiligne.

Le louveteau comprit alors que c’était là le pouvoir du bipède. Cette créature était capable de faire apparaître et disparaître d’autres créatures, ainsi que de les faire combattre selon sa volonté. Koa ne l’avait pas entendu jusqu’ici, mais c’était bel et bien lui qui guidait les créatures magiques, et leur indiquait comment riposter à chaque nouvelle tentative des louveteaux.

De nouveau, Koa supplia son frère de s’enfuir. Ils ne pouvaient rien contre un tel pouvoir ! Sans compter que les créatures magiques contrôlées par le bipède étaient démesurément fortes. Qu’Aku en ait assommé une était un heureux coup de chance, mais rien ne garantissait que cela allait se reproduire. Du reste, le louveteau commençait à ressentir le poids de la fatigue et de la faim : cela se voyait à ses mouvements, qui se faisaient moins vifs et moins précis à chaque seconde. S’ils restaient ici, ils risquaient d’y laisser leur peau !

« Toi, tu bouges pas ? Ça devrait pas être trop compliqué de t’avoir. »

Koa se pétrifia. Le bipède était juste derrière lui, l’une de ses balles magiques dans la patte. Au moment où le louveteau crut que la balle allait le toucher, un éclair brun s’interposa, écartant la baie d’une charge puissante. Aku !

Cependant le soulagement fut de courte durée. En effet, à la surprise des louveteaux, la baie s’ouvrit en deux. Aku devint du même rouge que le rayon qui avait avalé le félin, et disparut à son tour dans la baie.

Koa aboya comme un fou. Sans laisser le temps au bipède de récupérer son bien, il se jeta avec sauvagerie sur la baie. Malheureusement, ses crocs ricochèrent contre sa surface lisse et froide. Non ! Il fallait qu’il libère Aku ! Il ne pouvait pas perdre son frère, pas après avoir perdu Hae…

Le bipède cria quelque ordre obscur. Envahi par la panique, Koa se rendit à peine compte de la présence du serpent et de ses terribles crochets au-dessus de sa tête. Le louveteau ferma les yeux, s’attendant à un choc.

Au lieu de quoi, ce fut un hurlement aussi familier que salvateur qui envahit la combe. D’un bond furieux, Imala se rua sur le serpent et le cloua au sol, crocs profondément enfoncés dans sa peau écailleuse. Le bipède cracha entre ses dents.

Sous les pattes de Koa, la baie remua, comme possédée. Le louveteau fit un petit bond en arrière lorsqu’elle s’ouvrit, libérant son frère dans un éclair blanc. Aku s’ébroua, visiblement secoué par cette brève expérience. Soulagé au-delà des jappements, Koa frotta affectueusement son collier de pierres contre celui de son frère. Ce dernier le repoussa en grognant.

L’heure n’était en effet pas encore aux réjouissances. Imala les avait certes rejoints, mais le serpent était très coriace. Sa longue queue ondulait sans cesse, cherchant à enserrer tantôt la taille, tantôt le garrot de la louve. Les pics rocheux saillants de cette dernière rendaient l’opération difficile, cependant le reptile n’était pas dépourvu d’armes. Imala prenait soin de toujours éviter les crocs acérés de son opposant, lesquels suintaient d’un liquide violet nauséabond.
Quand il reconnut leur mère, Aku se rengorgea, habité par une énergie nouvelle. Koa, en revanche, ne partageait pas son enthousiasme. Même Imala avait des difficultés à venir à bout de ce…

« Recule ! »

Koa sursauta. La voix grave du bipède avait retenti comme un coup de tonnerre. Au même instant, le serpent esquiva de justesse un éperon rocheux sorti de terre. Imala rugit, et invoqua d’autres rochers au-dessus du reptile.

Le bipède fit claquer sa langue, et lança un autre ordre guttural. Le serpent mauve plongea alors dans le sol, un battement de cœur avant que l’éboulement ne l’emporte. Sur le qui-vive, Imala fouilla les environs du regard : où le serpent allait-il surgir ?

Sous les coussinets de Koa, la terre trembla. Sous ceux d’Imala, elle s’effondra purement et simplement. Lorsque la poussière se dissipa, les louveteaux, tétanisés, purent voir leur mère aux prises avec le reptile, qui avait réussi à la mordre à l’épaule. Aku hurla, et invoqua encore son attaque magique, porté par l’énergie du désespoir. Simultanément, Imala invoqua de nouveaux éperons rocheux, dont l’un réussit à percer la collerette du boa. Les pierres d’Aku frappèrent la créature à l’arrière de ce cou géant. Le sang gicla. Le serpent siffla de souffrance, lâchant par-là même sa proie. Imala retomba lourdement sur le sol, une vilaine plaie violacée sur le garrot.

Tout se passa très vite. D’abord, Koa se précipita vers leur mère en jappant de détresse. Le bipède, quant à lui, s’apprêta à saisir l’une de ses baies magiques. Aku, qui l’avait vu faire, sauta sur lui et le mordit à l’abdomen, de toutes ses forces. Ses crocs perforèrent quelque chose de dur et froid, qui libéra une étincelle en se brisant. Le choc brisa les canines du louveteau, qui tomba aux pieds du bipède, la gueule en sang.

En entendant le cri de douleur de son frère, Koa quitta Imala et son agresseur des yeux l’espace d’un court instant. Mais ce fut amplement suffisant pour que le reptile crache avec précision des myriades d’aiguilles empoisonnées sur le jeune louveteau. Les dards pénétrèrent la peau de Koa assez peu profondément, mais le poison qu’elles contenaient put tout de même se diffuser dans ses veines. En conséquence, la douleur des piqûres lui apparut plus insoutenable qu’elle n’aurait dû l’être. Koa tituba, la langue pendante. Ses pensées s’affolaient. Très vite, son corps cessa de lui répondre. Comme dans un rêve, le louveteau se vit tomber, ses pattes affaissées sous son propre poids.

D’un geste vif, le bipède retira un autre objet de sa ceinture, que Koa n’avait jusqu’ici pas remarqué. Au travers du brouillard qui envahissait son champ de vision, il identifia une chose ressemblant à un serpent, mais en plus fin et plus petit. Le bipède fit onduler son arme, et l’air claqua violemment.

À travers la brume qui envahissait son champ de vision, Koa vit son frère être heurté aux flancs – où était-ce au museau ? – par ce serpent claque-air. Aku s’effondra. Le bipède jeta sa dernière baie magique sur lui. La baie s’ouvrit, aspira Aku, se referma. Une fois au sol, elle remua doucement. Puis s’immobilisa pour de bon.

Ces images, Koa les conserverait dans son esprit avec une acuité bien trop aiguisée par rapport à l’état vaporeux de sa conscience à ce moment-là. Mais à ce moment-là, ce n’était rien de plus qu’un rêve… Oui, c’était cela : un mauvais rêve – un horrible rêve.

Lentement, Koa sentit son esprit glisser vers les ténèbres. Il fallait qu’il se réveille… que ce long cauchemar cesse enfin…


*~*~*

Zophar n’avait jamais autant apprécié le silence qu’en cet instant. Laisser enfin s’échapper son propre souffle, lorsqu’il s’autorisa enfin à respirer, lui parut presque acte de profanation.

« P’tain… ‘sont coriaces ces salauds de Pokés d’Alola ! »

Enroulé sur lui-même, son Arbok lorgnait d’un mauvais œil la louve… Quel était le nom de ce Pokémon ? Ah oui : Lougaroc. Les scientifiques unysiens avaient déjà eu l’occasion d’étudier des spécimens capturés sur l’île d’Akala. Ils n’avaient pas été longs à trouver un nom à cette espèce inédite.

Le brun se laissa tomber sur le sol, essoufflé. Instinctivement, il chercha à récupérer sa cigarette, avant de se souvenir qu’elle était tombée au cours du combat, quand le Lougaroc miniature l’avait attaqué. Un rire nerveux secoua ses épaules. Manquerait plus qu’il foute le feu à la forêt, avec ses conneries.

Zophar testa sa ceinture. Le cuir avait survécu aux crocs du Pokémon, et seule une Pokéball – vide, heureusement – avait été détruite. Au moins, son fournisseur n’aurait pas à se plaindre de l’entendre réclamer un nouveau set de ces précieuses balles.

Tout en rappelant son Pokémon blessé, Zophar considéra la Pokéball qu’il tenait dans son autre main, serrée à un tel point que ses jointures étaient devenues plus blanches que la lune elle-même. Pour un modèle réduit, cette bestiole se battait avec la même férocité qu’un Lougaroc adulte. Il promettait de devenir un bon Pokémon de combat. Un Pokémon que Zophar se ferait un plaisir de dresser. Il allait apprendre les bonnes manières à ce sauvage… Bon sang, il avait failli lui arracher les doigts, quand même !

Le brun inspira un grand coup, habité par un étrange sentiment d’extase. Toute la tension accumulée au cours du combat retombait lourdement ; il en aurait presque ri s’il n’avait pas eu quelque considération pour les vies des créatures qui s’étaient battues.

Il n’y avait vraiment pas meilleure vie que celle de Dresseur de Pokémon. Combattre des Pokémon inconnus en risquant sa vie et celle de ses propres monstres… Cette adrénaline qui parcourait ses veines, c’était pire qu’une drogue pour lui. Rien au monde ne le faisait se sentir plus vivant.

Il ne pouvait pas en dire autant des autres combattants, hélas. L'euphorie de Zophar fut rudement douchée lorsque ses yeux gris se posèrent sur la combe ravagée. Trois corps gisaient, inertes, sur le matelas d'aiguilles de pin. Tiens, il y avait un autre Pokémon ? Zophar ne l'avait pas remarqué, au départ. Doucement, il inspecta de plus près cette sorte d'oiseau aux plumes mauves. À en juger par ses blessures, la créature était morte bien avant le combat – sans doute tuée par la famille des Pokémon canins. Il soupira. Dire que ces pauvres bêtes vivaient tranquillement avant que les hommes du Nouveau Monde n'arrivent pour coloniser cette terre... Enfin bon, les temps changeaient. Elles comme lui n'y pouvaient strictement rien.

Zophar tendit l'oreille. Il ne l'aurait pas juré, mais s'il se concentrait suffisamment, il lui semblait percevoir le bruit faible et saccadé des respirations de la Lougaroc et de son petit.

Le brun soupira. S’il avait eu plus de Pokéballs, il les aurait volontiers enfermés dedans, histoire qu’ils aient une chance de survivre. Mais là, il était à sec. Et quand bien même en aurait-il eu en réserve, le poison aurait emporté ce qu’il restait de vie à ces créatures, le temps pour lui de faire l’aller-retour jusqu’au camp de base.

Zophar fouilla dans la poche intérieure de son veston, d’où il tira une autre cigarette. Saisissant un briquet dans une seconde poche, il alluma le bâton de tabac, et prit une bouffée. Quelle mauvaise veine, tout de même. Non seulement il ne reverrait sans doute jamais le Pokémon singe aux aptitudes de combat exceptionnelles, mais il devait en plus abandonner deux Pokémon à leur sort – chose qu’il détestait.

Un soupir. Un panache de fumée. Tant pis. La vie était injuste parfois.

Après avoir attaché la Pokéball contenant le seul survivant de cette tragédie à sa ceinture, le brun se mit à genoux. Il leva la main droite, paume perpendiculaire au visage, et ferma les yeux.

Vous vous êtes vaillamment battus. Puissent vos âmes reposer en paix.

Suite à cette prière silencieuse, Zophar se leva, et s’en fut d’un pas traînant.

Sous l’œil blafard de la lune, la combe plongea dans un silence funèbre.