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Entre Chien et Loup T.1 - Le Royaume du Soleil de Goldenheart



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Informations

» Auteur : Goldenheart - Voir le profil
» Créé le 15/05/2019 à 11:38
» Dernière mise à jour le 26/12/2019 à 18:01

» Mots-clés :   Alola   Conte

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Chapitre III
Assis sur un rocher, Hâmama guettait le lever du jour. Tout autour de lui, la forêt demeurait silencieuse. Seul un vent frisquet animait les frondaisons, charriant avec lui une odeur de pétrichor. Il n’allait pas tarder à pleuvoir.

Au loin, venu des lointaines montagnes, le chant solitaire d’un loup de roche résonna. Hâmama se joignit à lui, prolongeant la note comme à son habitude. Un troisième écho se mêla très vite au duo. Hâmama ne l’aurait pas juré, mais il lui semblait avoir reconnu le timbre de sa compagne.

Leurs chants s’éteignirent très vite. Le silence retomba sur l’île de Poni. Malgré le sérieux avec lequel les loups de roche exécutaient leur tâche, il fallait se l’avouer : ces derniers temps, le cœur n’y était plus. Bien que l’absence prolongée du soleil, bien dissimulé derrière un épais rideau de nuages, n’aidât pas beaucoup, ce n’était pas tant ce facteur qui mettait leur ardeur à mal que la faim qui leur tordait le ventre.

Sans perdre une seconde, Hâmama descendit de son perchoir. Mais avant, par mesure de précaution, il étendit sa patte arrière : elle ne lui faisait plus mal. Parfait. Il aurait besoin de toutes ses ressources s’il espérait trouver de quoi nourrir sa famille.

Cependant le loup de roche était inquiet. Cela faisait maintenant presque deux lunes qu’il peinait à trouver du gibier. Bien sûr, il y avait toujours des périodes où les proies restaient enfouies dans leurs terriers plus longtemps que d’habitude ou migraient vers d’autres territoires ; mais le climat tropical de Poni offrait des températures toujours suffisamment chaudes pour satisfaire les espèces qui y vivaient. De ce fait, il était rare que les prédateurs viennent à manquer de gibier, du moins au point de devoir quitter leur périmètre de chasse pour aller trouver pitance.

Et pourtant, Hâmama en avait été rendu à s’y résoudre.

Au cours des deux dernières lunes, le nombre de proies avait subitement baissé en forêt. En voir une était devenu presque aussi rare que la pluie en saison sèche. Coup du sort, cela arrivait pile au moment où les louveteaux étaient en pleine croissance. Il avait déjà été difficile pour Imala de les allaiter suffisamment au cours de la dernière lune, le manque de nourriture ayant conduit son lait à se tarir. Les sevrer prématurément avait été une solution certes drastique, mais nécessaire. Il leur fallait à tout prix se nourrir s’ils voulaient survivre.

Hélas, cela ne suffirait pas à arranger le problème. Car il faudrait désormais plus de viande pour pouvoir nourrir toute la famille, du moins jusqu’à ce que les louveteaux soient assez forts pour partir chasser leur propre nourriture. Ce qui ne se ferait pas avant plusieurs lunes, hélas. Et encore moins si la pénurie les affaiblissait.

L’autre jour, Hae ne s’était pas réveillée pour jouer avec ses frères. Un coup de truffe avait suffi aux parents pour comprendre qu’elle ne se relèverait plus jamais. Aku et Koa tenaient encore le coup, mais pour combien de temps ? Leurs côtes devenaient un peu plus saillantes chaque jour, et leurs jeux de moins en moins énergiques. Même Aku, qui pourtant ne ratait jamais une occasion d’exercer ses techniques sur son frère, avait cessé de le harceler à tout bout de champ. Comme si un sérieux inculqué bien trop tôt le poussait à préserver ses forces.

Ils étaient si jeunes ; et pourtant les louveteaux étaient déjà soumis à rude épreuve.

Hâmama n’avait pas le choix. Il fallait chasser, toujours plus loin, pour que sa descendance survive. La rude vie de Poni avait gravé en lui comme en tous ses ancêtres cette règle immuable : le futur en premier. S’il devait trouver une proie, elle ne serait réservée qu’aux louveteaux. Tout cela afin qu’ils puissent grandir et vivre par eux-mêmes le plus tôt possible. C’était la seule solution.

En règle générale, Imala restait avec les petits ; mais depuis la diminution du nombre de proies, il arrivait que les deux parents laissent leur progéniture et s’en aillent chasser ensemble. Il était risqué de laisser de si jeunes créatures magiques – surtout si affaiblies – seules ; mais à deux, ils avaient plus de chances de débusquer et d’attraper de grosses proies. Sans compter qu’ils dissuadaient les autres prédateurs solitaires, qui réfléchissaient à deux fois avant de faire passer leur faim devant l’infériorité numérique.

Ce jour-là, toutefois, Hâmama chassait seul.

Inspirant profondément, le loup de roche traquait la moindre trace, même éventée, de la présence de proies dans le secteur. En vain. Les terriers et les nids étaient vides de tout occupant, comme toujours depuis plusieurs cycles-soleils. Dépité, le prédateur laissa ses pas le guider, une fois de plus, vers la lisière de la forêt.

Quitter le couvert des arbres, son meilleur allié, ne l’enchantait guère ; néanmoins c’était cela ou mourir de faim. Mais ce n’était pas la seule raison pour laquelle Hâmama n’aimait pas la plaine. On y trouvait également bien plus de créatures magiques dangereuses qu’en forêt. Le genre qu’un loup de roche prenait de grands risques à affronter seul. Mais quand la famine sévissait, le choix ne se posait plus. Hâmama espérait simplement qu’il ne tomberait pas truffe à bec avec un vautour-squelette, cette fois-ci. Il avait gardé un amer souvenir de sa dernière rencontre avec l’un de ces oiseaux qui recouvraient leurs corps avec les os des charognes qu’ils pillaient sans vergogne. Alors qu’il venait d’attraper sa première proie depuis des jours, le volatile avait surgi de nulle part pour lui voler son butin. En cherchant à garder son bien, Hâmama avait décollé du sol, pour finalement lâcher et retomber au sol. Sa mauvaise réception lui avait valu une patte blessée qui l’avait fait boiter pendant plusieurs jours.

Un chasseur volé devient un chasseur averti : désormais Hâmama scrutait le ciel dès que celui-ci devenait accessible à son champ de vision. Le danger pouvait venir de partout.

Progressivement, le sol se couvrit d’une herbe jaune et sèche, tandis que les arbres se faisaient plus clairsemés. Ils devinrent rapidement rares ; à l’occasion, un spécimen au tronc noueux et aux branches tordues surgissait du sol, solitaire. Les autres végétaux se résumaient à des buissons épineux et des ronciers osseux, dont les épines disproportionnées faisaient passer l’envie de s’en approcher. Partout, des herbes folles couleur paille se balançaient mollement sous la caresse du vent. Lorsqu’elles étaient assaillies par le soleil, elles exhalaient un parfum puissant, sec et gorgé de chaleur – ce qui changeait de la saveur épicée des résineux.

Ce jour-là, cependant, le soleil n’était pas au rendez-vous. Comme le jour précédent. Et le jour encore avant. Cela faisait quelque temps maintenant que les loups de roche chantaient sans que celui à qui ils adressaient ces louanges ne se montre. Petit à petit, les mélodies se firent de plus en plus courtes, et plus dissonantes également. Comment savoir quand chanter l’apparition du soleil à l’horizon, si celui-ci était obstrué par les nuages ?

Mais le plus inquiétant était que de moins en moins de loups de roche semblaient se joindre au sempiternel oratorio chaque jour. Ce ne pouvait être par lassitude ; ces créatures magiques avaient un sens du devoir très exacerbé. Et en l’occurrence, chanter à la gloire du soleil était pour eux une tâche importante, à laquelle ils se pliaient avec une dévotion rare. Alors quoi ? Était-il arrivé quelque chose aux semblables d’Hâmama ? Les proies n’étaient peut-être pas les seules espèces à disparaître… À moins qu’ils ne soient tout simplement morts de faim, ou que ceux habitant les montagnes se soient entretués en désespoir de cause ? Dans n’importe quel cas, cela ne rassurait guère le loup bleu. Car si la situation ne s’arrangeait pas, lui et sa famille seraient sûrement les prochains à s’éteindre.

Le vent, bien plus froid à mesure qu’il se dirigeait vers l’est, fit onduler la crinière d’Hâmama. Le loup de roche leva la tête, avisant le ciel plombé. L’air était lourd, et les nuages menaçants. L’odeur de la pluie était plus forte que jamais. L’orage était proche.

Hâmama s’ébroua, irrité. La pluie allait effacer les maigres traces qu’il peinait déjà à détecter. Il lui fallait se dépêcher.

Hormis les gémissements discontinus du vent, la plaine était plongée dans le silence le plus total. Le prédateur tentait de faire abstraction de ce vide oppressant en se concentrant sur sa chasse.

Enfin, après une longue marche, la piste d’une proie se présenta à ses narines. Et elle était récente. Réfrénant son excitation, Hâmama la remonta, la truffe presque collée au sol. La piste, peu linéaire, semblait suivre le cours d’une ancienne rivière. Sans doute la créature magique cherchait-elle à débusquer la source pour s’y abreuver, si toutefois il y restait un peu d'eau.

Soudain, la piste s’arrêta. Décontenancé, Hâmama tourna sur lui-même afin de la retrouver. Non, rien à faire : les odeurs n’allaient pas plus loin. Voilà qui était étrange. Rien n’indiquait que la créature magique ait rejoint un terrier ou creusé une galerie. Un autre prédateur ? Hâmama n’en flairait pas la trace. Peut-être un oiseau de proie ? Le loup savait qu’outre les vautours-squelettes, des aigles d’argent sillonnaient les cieux de la plaine.

Hâmama renifla. Retour à la case départ. Dire qu’il avait été si près du but…

Un gargouillis sinistre fit se tordre les entrailles du loup. Hâmama s’ébroua de nouveau ; la faim et la fatigue pesait de plus en plus sur chacun de ses muscles. Plus les cycles-soleils s’enchaînaient, plus ses forces s’amenuisaient. Les courtes nuits qu’il s’octroyait, dans l’espoir de débusquer quelque créature nocturne à ramener à sa tanière, n’aidaient pas beaucoup. Mais Hâmama persévérait malgré tout. La survie de sa descendance dépendait du tribut de sa chasse.

Le loup de roche leva la truffe, prêt à repartir, quand le vent lui apporta une odeur âcre, qui l’interpella. Quelques foulées vers le sud lui suffirent pour en découvrir l’origine. Disposés au centre d’un cercle de pierres, des morceaux de bois de toutes tailles tombaient en morceaux, noircis par un élément qu’Hâmama, comme beaucoup de créatures magiques terrestres, craignait : le feu. Le canidé fronça le museau. Il avait déjà aperçu ce genre d’agencement tout sauf naturel, un jour où il s’était aventuré du côté des tanières d’argile situées à l’ouest de la forêt. Les bien nommés faiseurs de feu arrangeaient les pierres qu’ils trouvaient en des cercles comme celui-ci afin d’invoquer le terrible élément, qui leur servait généralement à faire cuire leur nourriture.

Hâmama frissonna, et leva la tête. Aussi loin que son regard pouvait porter, il ne distinguait aucune des constructions qui servaient de tanières aux faiseurs de feu. Par ailleurs, les seuls spécimens qui chassaient parfois dans la forêt ne le faisaient que dans la partie ouest. Jamais Hâmama n’avait senti la moindre trace de faiseurs de feu venus du côté de la plaine.

Étrange. Tout cela était bien étrange. Une baisse brutale et drastique du nombre de proies, la disparition de la plupart des loups de roche – ou du moins de leurs chants – et maintenant ces traces de faiseurs de feu qui se trouvaient là où elles n’auraient pas dû être… En temps normal, Hâmama aurait accueilli ces changements avec un froid pragmatisme ; rien n’était jamais figé, sur Poni. Il fallait savoir s’adapter à toute évolution.

Cependant, cette fois-ci, c’était différent. Tous ces événements ne pouvaient pas survenir en même temps que par pure coïncidence. Était-il possible qu’une colonie de faiseurs de feu aient pris toutes les proies ? Cela paraissait improbable, mais… ce n’était pas impossible. Quelque chose clochait, le loup le sentait. Ce n’était pas un raisonnement logique, simplement une sorte de pressentiment, qui faisait se dresser ses poils sur son échine et lui glaçait les sangs. Comme si son instinct lui soufflait un message qu’il ne parvenait pas à interpréter, mais qu’il savait signe de danger.

Tout à coup, Hâmama se raidit. Le sol vibrait de manière anormale sous ses coussinets. La terre entrait-elle dans une de ses colères intempestives ? Non. Le tremblement n’était pas assez puissant.

Le rugissement qui accompagna cette secousse confirma les craintes du loup. Une créature magique fonçait dans sa direction.

Là ! Sur sa droite, un nuage de poussière grossissait à vue d’œil. Ce n’était pas une tempête : aucune tornade ne faisait trembler le sol de cette manière. Ce ne pouvait être qu’un colosse vénéneux. Ces créatures magiques, bien qu’herbivores, figuraient parmi les plus redoutables de l’île de Poni. Les mâles en particulier étaient très territoriaux, et n’hésitaient pas à attaquer quiconque s’approchait trop près de leurs frontières. Reconnaissables à leur cuirasse violette hérissées de pointes, lesquelles contenaient un poison très virulent capable de vous occire en seulement quelques heures, les colosses vénéneux mâles pouvaient broyer les os de presque n’importe quelle créature d’un seul coup de queue.

Hâmama hésita une seconde de trop. Le temps d’évaluer la situation, le colosse avait presque achevé d’avaler la distance qui les séparaient. Le loup finit par détaler, mais trop tard : il était déjà à portée des attaques du mastodonte.

BROUUUM !! Une violente explosion survint à seulement deux griffes des flancs d’Hâmama. Quelques particules de roche en fusion se logèrent dans sa fourrure, lui arrachant un cri de douleur. Fort heureusement, il conserva suffisamment de lucidité pour esquiver la deuxième explosion, qui souleva un geyser de poussière et de vapeur brûlante. Tout en se réceptionnant, Hâmama identifia son adversaire : c’était bien un colosse vénéneux, mais sa cuirasse bleue et ses cornes atrophiées ne laissaient aucun doute : il s’agissait d’une femelle.

Encore une chose inhabituelle ! Les colosses vénéneux femelles, au contraire des mâles, étaient pacifiques, et n’attaquaient que si leur progéniture était en danger. Ce qui ne les rendaient pas moins menaçantes que leurs contreparties masculines, loin de là. Il suffisait de voir ce colosse-là tout dévaster sur son passage, distribuant au petit bonheur des coups de queue et de patte suffisamment puissants pour pulvériser un rocher, pour se rendre compte de la puissance de la créature. Les yeux fous, la femelle rugissait à pleins poumons, emplie d’une rage dont la raison était inconnue.

Et qu’importe cette raison ! L’essentiel pour Hâmama était d’échapper à sa folie destructrice. Rugissant à son tour, il fit jaillir des lames de roc du sol déjà malmené. Le coup fit mouche, mais c’est à peine s’il égratigna l’épaisse cuirasse céruléenne du mastodonte. Celui-ci n’eut qu’à balayer les lames avec son énorme queue pour les réduire à l'état de gravier, avant d’invoquer de nouvelles explosions, auxquelles Hâmama eut toutes les peines du monde à échapper.

De par sa capacité à plier la terre et l’énergie tellurique qui sommeillait dans ses profondeurs à sa volonté, le colosse vénéneux possédait un avantage naturel sur le loup de roche, qui évoluait sur ce terrain et usait de son tranchant et ses aspérités pour attaquer. Qu’importe les lames de roc ou les éboulis qu’Hâmama pourrait invoquer ; s’il n’était pas assez rapide ou précis, le colosse pouvait les faire imploser grâce à ses pouvoirs magiques, et les rendre ainsi inoffensifs.

C’était très risqué, mais le loup ne voyait qu’une solution : il fallait tenter le corps à corps.

Un coup de truffe permit à Hâmama de jauger grossièrement la direction et la force du vent. Tout en esquivant les assauts telluriques du colosse – c’était comme progresser dans un champ de mines ! – il fit en sorte de se placer dos au zéphyr. Ainsi, il put acquérir suffisamment d’élan pour amorcer sa technique favorite : concentrer l’énergie magique qui parcourait son corps dans ses pattes, afin d’atteindre une vitesse inégalée. Cette opération effectuée, il n’avait plus qu’à se jeter sur l’ennemi et laisser les pics rocheux de son collier blesser celui-ci.

Bien trop lent, le colosse ne pouvait pas riposter ou le stopper dans sa course. Cependant, il pouvait compter sur son cuir très épais ; le contrecoup du contact ébranla Hâmama jusqu’aux os. Mais ce n’était pas cela qui allait le décourager. Le loup continua d’accélérer, multipliant les assauts à une vitesse vertigineuse. Les pointes de son collier lacéraient les écailles robustes de son adversaire qui, s’il bronchait à peine, se retrouvait immobilisé malgré lui.

L’expérience d’Hâmama lui avait appris que face à un ennemi aussi dangereux, frapper au hasard était aussi inutile que périlleux. Ainsi, il enchaînait les coups rapides mais peu puissants, tout en esquivant les maigres contre-attaques de son adversaire, guettant le moment propice pour attaquer.

Sans doute à cause de la colère qui l’aveuglait, la femelle colosse tentait vainement de frapper son assaillant, sans penser à protéger son ventre, son point sensible. Un simple faux pas, un bon angle d’attaque, et Hâmama sut que c’était là l’occasion rêvée.

Aussi vif que le vent, il plongea vers ce ventre blanc exposé, et y fit une profonde entaille à l’aide de son collier de pierres. Le sang gicla.

Hurlant de douleur, le colosse cracha un rayon glacé, qui gela instantanément tout ce qu’il heurta, plantes comme rochers. D’un bond agile, le loup évita ce laser blanc comme neige. Tandis qu’il passait au-dessus de son agresseur, il transféra son énergie magique de ses pattes à sa queue. Les poils de celle-ci se raidirent, jusqu’à durcir et adopter une masse et une consistance similaire à l’acier. D’un tour de reins, Hâmama abattit cette queue de fer sur l’épaule du colosse, juste à la base du cou. Sans sa cuirasse, la femelle aurait eu la nuque brisée par l’impact. Le mugissement de détresse qu’elle lâcha laissa Hâmama croire qu’il avait réussi à calmer ses ardeurs.

Grave erreur.

La femelle fit un tour sur elle-même, scindant l’air de sa lourde queue. Toujours en apesanteur, impossible pour Hâmama de l’esquiver ; il fut fauché en plein vol.
La douleur qui envahit ses flancs fut si grande qu’elle annihila presque celle qui irradia de sa mâchoire et de son épaule lors de sa lourde chute sur le sol. Le souffle coupé, le loup sentit le goût du sang emplir son palais.

Par chance, la douleur paralysait également le colosse. Toujours par chance, Hâmama fut le premier à reprendre ses esprits. Plus question d’hésiter, cette fois. Le loup détala aussi vite que ses pattes fourbues le lui permettaient. Les mugissements du colosse ne furent bientôt plus perceptibles au milieu des gémissements du vent, qui forcissait plus que jamais.

Les côtes d’Hâmama le brûlaient affreusement. Néanmoins, le loup continua de courir, jusqu’à apercevoir, à l’horizon, une bande bleu sombre séparer la terre et le ciel. Hâmama s’effondra sur la terre sablonneuse, meurtri mais vivant. Le contact doux et rugueux du sable lui procura une sensation de bien-être fou, délice bienvenu quand le reste de son corps lui paraissait réduit en miettes.

Reprendre son souffle était un supplice. L’attaque du colosse lui avait brisé plusieurs côtes ; Hâmama savait qu’il lui faudrait plusieurs lunes pour s’en remettre complètement. Or, il ne pouvait pas se permettre le moindre repos. La survie de sa famille dépendait de lui…

Le vent, glacial, transportait avec lui une odeur iodée. Le loup devina la présence, au-delà de la lande, du lac géant. Cette grande étendue d’eau, imbuvable car salée, s’étirait à perte de vue, et marquait la fin du territoire de Poni.
Dans sa fuite, Hâmama avait visiblement parcouru une grande distance… Trop grande, peut-être. Il ne réussirait jamais à rentrer avant la tombée de la nuit. Sûrement pas avec de telles blessures.

Bien qu’inquiet de rester ainsi à découvert, Hâmama prit un peu de temps pour lécher ses plaies et ses brûlures. De toute manière, il n’y avait plus l’ombre d’un arbre, ni même d’un taillis pour se cacher. Seulement une immense lande sablonneuse, ponctuée de menues fougères çà et là. Et pour couronner le tout, les rafales apportaient avec elles les premières gouttes de pluie.

Luttant contre la fatigue et la douleur, le canidé azur se redressa tant bien que mal sur ses pattes. Celles-ci tremblaient, leurs muscles suppliciés demandant grâce. Mais Hâmama ignora les cris de détresse de son corps. Son instinct lui soufflait qu’il ne fallait pas rester au beau milieu de cette lande, qui pourtant paraissait déserte.

Un pas après l’autre, le loup se remit en route en direction de la forêt, son foyer. Ce ne serait pas la première fois qu’il rentrerait bredouille. Du reste, dans son état actuel, il n’était pas en mesure d’attraper quoi que ce soit. Malgré la situation qu’il savait critique, Hâmama restait lucide : il avait besoin de repos. Et pour ce faire, il fallait se mettre à l’abri – de la pluie comme des autres prédateurs.

Le vent ne cessait de siffler à ses oreilles bourdonnantes. À mesure qu’il se renforçait, sa direction se faisait plus aléatoire, si bien que le flair d’Hâmama devint presque inutile. Le crachin qui détrempait la terre agressait ses yeux, submergés par des myriades de gouttelettes glacées.

Ce qui explique qu’il n’ait ni senti, ni vu les faiseurs de feu arriver.

Ce ne fut que lorsque leurs clameurs – peu discrètes malgré le vent – parvinrent à ses oreilles qu’Hâmama comprit qu’il n’était plus seul. Aussitôt, le loup pressa l’allure. Sa vieille blessure à la patte se réveilla suite à cet effort, le faisant boiter. Le loup renâcla. Si d’autres créatures magiques le voyaient ainsi diminué, ils n’hésiteraient pas à s’en prendre à lui. Il devait rejoindre le couvert des arbres au plus vite…

« Hé mais… Qu’est-ce que c’est que ça ? »

Hâmama se figea tout à fait. Un faiseur de feu se trouvait à seulement quelques longueurs de queue de lui. Le loup gronda, sur la défensive. Aussitôt, le faiseur de feu pointa vers lui une sorte de branche grise, qu’il fit craquer de manière sinistre. Quelle que fût cette arme, elle devait être dangereuse, pour qu’une créature dénuée de crocs et de griffes la brandisse sans la moindre hésitation face à un loup de roche. La fourrure blanche d’Hâmama, rendue terne par le sable et la pluie, se gonfla au maximum. Si les deux opposants essayaient chacun d’intimider l’autre, il était clair que le sans-fourrure était le moins rassuré. Hâmama sentait l’odeur de sa peur imprégner l’air, se mêlant à celle de la pluie.

« Hey, Seth ! Seth, viens voir, vite ! »

Horreur. Répondant aux cris de détresse de son comparse, un deuxième faiseur de feu surgit de derrière une dune. Étrangement, ni l’un ni l’autre ne ressemblaient aux faiseurs de feu qui vivaient à l’ouest de la forêt. Leurs fourrures factices semblaient plus épaisses, plus… sophistiquées. S’ils partageaient ce même pelage bleu sombre strié de rayures dorées, seul le deuxième portait une bande de tissu rouge autour du cou, ainsi qu’un étrange accessoire sur la tête, dont les rebords protégeaient son plat museau de la pluie.

Mais qu’importe leur apparence ; cela ne changeait rien au fait que les faiseurs de feu étaient dangereux, surtout quand ils étaient plusieurs. Et ceux-là avait un comportement tout sauf amical.

Le bipède qui venait d’arriver siffla en voyant Hâmama.

« Wow. Belle bête que tu nous as déniché là, Miles. C’est un de ces Pokémon qui vivent exclusivement dans cet archipel, non ? Jolie couleur, ma foi !

— Qu’est-ce qu’on fait ? On le capture ? »

Les iris d’Hâmama allaient et venaient de droite à gauche, analysant la zone. Tendu comme un arc, le loup cherchait une possible échappatoire. Malgré ses blessures, passer en force semblait être la seule option. Au diable les maux qui le déchiraient ! Il pouvait avoir une chance de distancer ces faiseurs de feu grâce à sa vitesse… D’autant plus que ces créatures n’avaient aucune défense naturelle : il leur serait impossible de parer ses attaques rocheuses.

Soudain, le sans-fourrure au couvre-chef se saisit d’un objet accroché à sa taille. De forme sphérique, ses couleurs gris sombre et rouge brillaient d’une manière étrange, tout comme le bâton du premier faiseur de feu. Le loup se tapit plus près du sol, prêt à bondir. L’espace d’un instant, son regard croisa celui du faiseur de feu. L’intelligence et la sagacité qu’il lut dans ces prunelles mordorées le laissa transi. Le faiseur de feu le toisait comme un rapace toise sa proie depuis les cieux : il guettait chacun de ses mouvements, anticipait chacune de ses actions.

Le bipède laissa tomber la sphère qu’il tenait. En touchant le sol, celle-ci s’ouvrit, libérant un éclair bleuté qui éblouit temporairement le loup. Lorsque ses yeux se réhabituèrent à la pénombre ambiante, ce fut pour s’écarquiller de stupeur.

Une créature magique qu’il n’avait jamais vu se dressait désormais face à lui, comme surgie de nulle part. Quadrupède comme lui, ses pattes palmées et sa queue en forme de gouvernail indiquaient qu’il s’agissait d’une créature marine. Sa peau lisse, de couleur bleu foncé, était recouverte sur les quatre pattes de sortes d’écailles, ou d’une carapace, couleur ivoire. La même protection se retrouvait sur son crâne, protégeant son museau fuselé, lequel était garni d’une moustache de poils gris impressionnante. Cette véritable couronne d’albâtre avait une forme évoquant un coquillage, agrémenté d’une corne effilée pointant vers l’avant. Et en deçà de celle-ci, deux iris sanguins, froids, considéraient Hâmama d’un air impérieux.

« Il est déjà blessé, ce serait du gâchis… Cela dit, cette couleur n’est pas ordinaire. Je vais le garder pour ma collection. Ça en bouchera un coin à ce prétentieux de Zophar ! »

Hâmama ne pouvait comprendre le langage du faiseur de feu. Néanmoins il était clair que c’était ce dernier qui avait invoqué la créature magique et, plus important, qu’il l’avait invoqué dans le but de lui nuire.

Le faiseur de feu beugla alors quelque chose dans sa langue. À ce signal, sous les yeux ahuris d’Hâmama, le monstre marin se mit en mouvement. D’un geste, il sortit une lame d’ivoire cachée sous la cuirasse de ses pattes avant, prit appui sur celles de derrière, et attaqua.

Le coup était rapide. Si Hâmama avait été en pleine possession de ses moyens, il l’aurait sans doute évité de justesse. Mais le loup blessé n’eut pas le temps de réagir, et dut encaisser un choc d’une rare violence. Le contact froid et humide de la lame lui glaça les sangs. Cette créature manipulait l’eau ; autrement dit, elle représentait un danger naturel pour Hâmama, au même titre que le colosse vénéneux capable de contrôler la terre.

« Encore, Clamiral : Coquilame ! »

De nouveau, la créature aquatique répondit à l’invective du faiseur de feu. Sa lame, qui brillait d’un éclat azur, fondit sur Hâmama. Mais le loup n’allait pas se laisser faire une seconde fois. Au tout dernier instant, il invoqua une lame de roc, qui surgit du sable et contra la lame de son adversaire. Celle-ci lui vola dans les airs, avant de sa planter un peu plus loin derrière son propriétaire. Déséquilibré, ce dernier retomba sur ses quatre pattes.

C’était le moment ! Hâmama se jeta sur son adversaire, laissant les pointes rocheuses de son collier blesser la peau fine de son poitrail. À bout portant, cette attaque n’était pas aussi puissante que lorsqu’elle jouissait de la vitesse et de l’élan d’Hâmama ; néanmoins, les pics rocheux du loup étaient suffisamment acérés pour infliger quelques dégâts non négligeables. Continuant sur sa lancée, le loup mordit le monstre bleu à l’épaule. Ses crocs s’enfoncèrent sans difficulté dans la peau lisse ; très vite, le sang de la créature déversa sur sa langue un goût métallique exécrable.

Le monstre marin étouffa un grognement de rage. Cherchant à faire tomber son agresseur, il enchaîna les cabrioles, se secoua dans tous les sens. Mais Hâmama tenait bon. Ses griffes aussi dures que la pierre plantées dans le cuir céruléen, il raffermit sa prise sans merci.

Une créature magique qui obéissait à un faiseur de feu… Quelle infâmie ! Comment le fier loup ne pouvait-il pas vaincre un monstre qui avait troqué son libre-arbitre contre une soumission complète ? Il n’attaquait que si son maître lui en donnait l’ordre ! Par quelle sorcellerie le bipède parvenait-il à contrôler l’esprit de cette créature marine ?

« Au sol ! Roule sur le dos ! »

Quelque fût l’ordre donné par le faiseur de feu, la créature dut en saisir le sens. Tout d’un coup, elle bascula sur le côté, cherchant à écraser Hâmama sous son poids. Ce dernier fut trop lent à lâcher prise ; ses côtes crurent rendre l’âme, broyées par le mastodonte. Heureusement que le sol meuble avait amorti le choc ! Autrement, Hâmama serait sans doute mort sur le coup.

Sans lui laisser le moindre répit, le monstre marin dégaina la deuxième lame qu’il dissimulait dans son autre patte, et tenta de l’abattre sur Hâmama. Le loup l’esquiva de justesse en roulant sur le côté. La douleur qui suivit ce tour de hanches lui donna l’impression que son corps se brisait en deux. Blessé, épuisé, il dut fournir un effort considérable pour se relever.

« Pour un Pokémon à l’article de la mort, il se défend, le salaud !

— Y r’ssemble à ceux de l’autre île, là… Comment qu’c’était déjà ?

— Akala, imbécile. Je sais que t’es pas très familier avec le patois du coin, mais fais un effort, quand même. »

Le sang perlait aux plaies d’Hâmama. En particulier, une entaille sur son front laissait couler le liquide chaud jusque dans ses yeux, l’aveuglant partiellement. Cependant, même sans ce handicap, sa vision se troublait sous l’effet de la fatigue. S’il poursuivait ce combat, sa mort deviendrait inéluctable. Mais comment échapper à ce monstre saphir contrôlé par les faiseurs de feu ? Si celui-ci l’atteignait avec une autre de ses attaques aquatiques, le loup était fichu.

Il allait falloir ruser.

Alors que le sans-fourrure agitait ses longs bras en beuglant quelque injonction, Hâmama hurla. L’énergie magique qui coulait dans ses veines se matérialisa dans l’air, où se créèrent d’immenses rochers. Avant qu’il ne comprenne ce qu’il se passait, le monstre marin se retrouva enseveli, incapable d’échapper à l’éboulement qui déferlait sur lui.

Sans attendre de savoir si son attaque avait été fatale ou non, Hâmama tourna les talons et s’enfuit. Son corps le rappela rapidement à sa douleur : impossible de faire un pas sans souffrir le martyre.

Tant pis. Pour survivre, il fallait savoir repousser ses limites. Faisant appel à toute l’énergie magique qui lui restait, Hâmama se propulsa à toute vitesse, non plus dans l’optique d’une attaque, mais dans celle d’une fuite désespérée. Son seul objectif : la forêt. Il devait réussir…

Un mouvement à la périphérie de son champ de vision interpella le loup. Malédiction ! Cette masse d’eau qui fendait l’air à sa suite, qui le rattrapait – le talonnait ! – c’était le monstre marin ! Ce dernier glissait littéralement sur l’air, porté par l’énergie magique qui l’entourait sous la forme d’une colonne d’eau.

Sans effort, la créature saphir amorça un virage serré et, de sa lame, faucha les pattes d'Hâmama en pleine course. Le loup valsa dans les airs, avant de retomber lourdement sur le sol.

Non ! Comment ce mastodonte avait-il pu se libérer de l’éboulis aussi vite ? Il fallait à tout prix s’enfuir. Lui échapper… se cacher… dans la forêt…

L'esprit d'Hâmama s'embrumait. La silhouette floue de son adversaire se dédoublait intempestivement, ses couleurs bleu et ivoire se mélangeaient avec le gris du ciel et le brun du sol. Le loup secoua la tête dans une vaine tentative de se ressaisir. Sa respiration, sifflante, lui brûlait les poumons et amplifiait la douleur de ses côtes brisées. Tenir debout était désormais une véritable torture. En face, la créature aquatique se contentait de le fixer, imperturbable.

Honneur ou survie, quelle volonté animait le loup de roche ? Qu'est-ce qui, en cet instant, le poussait à se relever, lui qui refusait de se laisser dompter ? Quelle que soit la réponse, la conséquence restait la même.

Cette créature magique, force de la nature, enfant de Poni, ancra ses pattes profondément dans le sol, et rugit. Ce n'était pas la plainte d'une bête blessée, ni la lamentation d'une créature vaincue qui se soumettait. Non. C'était un cri de défi, venu du plus profond des entrailles du loup : à travers lui, Poni mettait au défi ce faiseur de feu et sa loyale créature de les vaincre.

Face à une telle résilience, le monstre marin frémit. Dans ses prunelles auparavant sans émotion, brilla une lueur qu'Hâmama eut le plaisir d'apercevoir malgré son état d'extrême fatigue : la peur.

Hélas, Poni avait trouvé un adversaire à sa taille.

Le monstre marin, répondant à un nouvel ordre qu’Hâmama n’entendit pas, rejeta la tête en arrière, puis cracha un jet d’eau qui heurta le loup avec la force d’un ours broyeur. De l’eau lui emplit la gueule. Son goût était affreusement salé.

Au contact de cette saumure, toutes les plaies du loup parurent prendre feu. La douleur était insoutenable. C’était comme si chaque fibre de son corps était méticuleusement déchirée, lacérée, broyée, brûlée, tailladée. Impossible de penser ; l’esprit d’Hâmama n’était plus que douleur, son corps n’était plus que souffrance. Et cela durait, durait…

Il n’était plus question d'honneur ni de survie. S’il restait un tant soit peu de conscience au loup de roche, tout ce à quoi elle aspirait désormais n’était rien de plus que l’arrêt de tous ces tourments qui menaçaient de le briser – qui le brisaient.

Puis soudain, tout s’arrêta. La douleur, la fatigue, la faim : tout disparut. Une torpeur, une délicieuse torpeur s’empara du corps d’Hâmama, l’enveloppant comme l’enveloppait sa mère lorsqu’il était louveteau.

Parce que son corps avait cessé d’éprouver autre chose que de la souffrance, Hâmama n’avait pas senti le contact dur et froid de la sphère lancée par le faiseur de feu. Pas plus qu’il ne ressentit la sensation de se décomposer, d’être aspiré vers le vide.

La brume envahit son esprit, et cette fois, il ne lutta pas pour l’en empêcher.