φC’est quand même étrange, cette manie Humaine de tout nommer. Quand nous étions sur la montagne-aux-pentes-sans-longueur, déjà, Dédale pouvait attribuer une suite de sons à chaque caillou un peu plus élevé que les autres ; mais maintenant que nous sommes en territoire Humain, il peut tout nommer. Tout ! Que le dernier village que nous avons laissé derrière nous s’appelle Tilissos, encore, c’est compréhensible ; que la rivière que nous traversons en ce moment même s’appelle Rema Gazanos… à la limite. Par contre, pourquoi diable nommer les arbres ?
Et là ? — Facile, un cyprès.
—
Celui-ci, à côté ? — Plus dur. Un hêtre, je pense. À ton tour ! Nous avons déjà croisé celui-ci. À gauche du chemin.
Ben voyons ! Je n’en ai retenu aucun ! Bon. Cet arbre est évasé, avec des branches qui s’écartent rapidement. Ses feuilles sont fines et pointues, sombres elles aussi ; et toutes à peu près au même niveau, formant un sol au-dessus de l’arbre. Quant à son écorce, elle est brune est striée de crevasses, qui délimitent des écailles recouvertes de peau.
Aucune idée. — Un pin pignon !
—
Pfff. — Plus facile : celui-là !
Celui-là me dit vaguement quelque chose… Nous avons croisé beaucoup de ces petits buissons rabougris, à l’écorce claire et aux feuilles grises ; ou vertes, difficile à dire, d’autant que toutes ne se ressemblent pas. Ses fruits sont très appréciés des Humains, mais impossible de me rappeler son nom. Ça commence par un epsilon, je crois.
Elià, l’olivier !
—
Quelle idée de nommer des arbres ! — C’est parfois bien pratique. Mais nous arrivons à Cnossos ; elle s’étend par-delà cette colline.
—
Connais-tu aussi le paysage par cœur ?— Non, je suis juste capable de sentir la ville. J’imagine que tu as remarqué une odeur différente de celle des montagnes ? C’est la puanteur des villes, et même moi, j’ai assez d’odorat pour l’identifier.
Tiens, oui. C’est subtil, mais je sens quelque chose. Ça me rappelle d’abord ce qu’on obtient quand on met beaucoup trop de gens dans un endroit exigu, puis je me rends compte que c’est le cas. Les Humains appellent ça une ville ; à long terme, j’imagine que l’odeur s’est répandue assez loin dans la région qui l’entoure pour l’annoncer…
Je prends un instant pour apprécier cette dissonance surprenante : les Humains ont un sens olfactif atrophié (difficile d’appeler ça autrement !) mais marquent tout de même leur territoire par leur odeur, comme le font certains Avec-Essence ; à tel point qu’ils arrivent eux-mêmes à le sentir ! Un illogisme de plus qui s’assemble à peu près à leur convenance ; cette faculté à tirer profit de leurs points faibles est-elle la raison pour laquelle ils ont réussi à survivre depuis si longtemps sans l’Essence ?
Nous arrivons au sommet de la colline, et puisque la ville sent de si loin, je vais réessayer une technique que je n’ai jamais très bien maîtrisée : le Flair. Par rapport aux Oreilles-Tunnel qui me l’ont apprise, je n’ai moi non plus pas un odorat très efficace. Je défocalise tout de même mon regard vers le ciel, et me concentre sur les odeurs autour de moi.
Je reconnais tout de suite l’odeur de la plaine, version vallonnée sous forte chaleur. Air sec ; poussière ; des bouffées de la forte senteur des arbres (mais pas de tous : certains sentent plus fort que d’autres). Puis je distingue les fragrances plus subtiles de la vie. Il y a une tanière à proximité, où vivent sans doute des gens assez petits pour creuser aisément.
Dédale et moi arrivons alors au sommet de la colline, et le contraste me frappe. Il fait plus chaud, déjà : la vie est bien plus concentrée par-devant moi, et forcément, ça réchauffe l’air. Mais surtout, l’odeur devient plus forte. Pas moins subtile que quelques instants plus tôt, mais désormais, elle me sature d’informations.
Je sens la boue. Ce n’est pas réellement de la boue, mais une poussière qui s’en rapproche, soulevée et reposée au sol à longueur de journée afin de bien la mélanger aux diverses substances qui s’y ajoutent… Moi, j’appelle ça de la boue.
Je sens le bois. C’est le matériau avec lequel la ville est construite, après tout. Mais impossible de le confondre avec une forêt : c’est un bois mort, coupé depuis longtemps, mais si largement amassé que sa senteur règne encore. Elle est étrangement tordue, altérée par le temps et le soleil, mais ce n’en est pas moins du bois.
Je sens la roche. Celle-là est diffuse, éparpillée ; mais aussi assez insistante. Il me faut un moment de concentration pour la saisir : c’est l’odeur des tanières de Cnossos. De grands amas de pierres, dont l’uniformité amplifie la présence.
Ces courants mineurs étant tous clairs, je m’intéresse au principal. Le quelque chose subtil qui émane de la foule. Il est d’abord confus, entremêlant trop de nuances diverses ; mais les quantités impliquées sont grandes, alors je m’applique. Et je commence à percevoir des tendances qui émanent du flot. Les traces de la fatigue et de l’effort. Un certain abus de chaleur ; je suppose qu’on ne peut jamais s’habituer totalement à l’Essence du
quand on n’en est pas issu. D’autant plus quand on
travaille
. Et cela…
Est-ce de la peur ? Ça n’a aucun sens. Pourquoi les Sans-Essence auraient-ils peur au cœur de leur propre territoire ? L’incompréhension ramène mon regard vers la terre. J’ai eu un aperçu de la ville par le Flair, et maintenant j’emploie tous mes sens à essayer de comprendre.
Ça ne fait aucune différence, ceci dit. À cette distance, je n’entends qu’un bourdonnement confus, et je ne vois qu’un amas de bâtiments impossibles à identifier, entre lesquels circulent des Humains. Je pourrais me plonger dans l’Essence du
, mais je ne le fais pas : je me suis pris au jeu, et j’essaie de deviner le sens de ce que je sens.
C’est bien de la peur, mais il y a bien plus. Mêlées à la fatigue, des émotions traversent l’azur au-dessus de la ville : de la joie, de la colère, et d’autres encore que je n’identifie pas… Bon. Joie, colère, je veux bien, ces deux là ont tendance à survenir un peu n’importe où. Mais la peur ?
Bienvenue à Cnossos ! Flaque de boue, tas d’immondices et aussi, accessoirement, capitale de Crète et siège du palais royal.
Sans doute Dédale pourra-t-il m’éclairer là-dessus. J’en profiterais pour l’inonder de questions sur la société Humaine : au départ, c’était quand même mon idée de voyager ensemble ; et pourtant, je n’ai toujours pas appris grand-chose ! Ces sacrés bipèdes sont encore plus tordus que je ne me l’étais imaginé ; mais maintenant, avec leur ville sous les yeux, sans doute arriverais-je (enfin) à saisir les mystères de leur conduite… ou du moins leur essence.
J’adore de plus en plus les illogismes que permet l’imprécision du langage Humain. Rien de tel que ces petites discordances, ces accrocs au bon sens, pour se rappeler un instant ce miracle qu’est la communication de deux personnes. À propos… Je devrais répondre à Dédale. N’abusons pas du silence.
Bon, c’est parti alors. Comment est structurée la ville entre les forts et les faibles, comment ceux-ci sont-ils définis et qu’est-ce qui leur permet de l’afficher aux yeux de tous ; et puisque les tous en questions cohabitent chaque jour, quel niveau de précision peut-on trouver dans cette distinction sociale, et que se passe-t-il quand deux individus de même niveau doivent interagir et éventuellement déterminer lequel domine l’autre ? Dédale a tourné la tête vers moi pendant cette tirade, et il me fixe maintenant avec les yeux complètement écarquillés. Histoire d’en rajouter une couche, je lui refais le coup du sourire narquois ; mais il ne tombe pas dans le piège et prend lui-même un air goguenard.
Mon pauvre Icare… Tu dois avoir passé un temps fou à préparer cette question, et je m’apprête à te faire une réponse abusivement courte. Vois-tu, quand ils se croisent dans la rue, les Humains s’ignorent mutuellement.
Ah. Dommage.
***Comme Dédale n’avait aucune idée de ce qu’il pourrait bien me proposer de faire en arrivant en ville, j’ai suggéré de déambuler au hasard et de voir tout ce qu’il y avait à voir. Bizarrement, il n’a pas eu l’air particulièrement enthousiasmé. D’après lui, la ville est particulièrement moche. Il est vrai aussi qu’il refuse de la considérer d’un œil vide, et la compare à une Nature qu’il érige en beauté suprême.
Pour ma part, je suis bien forcé d’admettre que l’endroit ne me déplaît pas. Non seulement la structure des constructions égaie mes yeux, avec ses formes régulières quoique toujours réinventées, mais il y a en plus d’innombrables recoins où se cacher, que l’on soit proie ou prédateur ; et en même temps, l’air libre n’est jamais loin. De fait, la vie abonde : au milieu des Humains, de nombreux Avec-Essence vaquent discrètement à leurs préoccupations. Il y a un peu de tout, quoique surtout des gens de petite taille : Petite-Crête, Jeunes-Dents… L’activité Humaine leur offre une nourriture plutôt abondante, sans doute autant que dans un sous-bois ; ainsi des prédateurs pourraient aisément trouver à se nourrir eux aussi.
L’inconvénient de la foule ne joue même pas. Si la moitié des Humains que nous avons croisés étaient des Avec-Essence, j’étoufferais déjà ; mais comme l’a dit Dédale, chacun est transparent aux yeux des autres. Quand on nous voit, on me jauge un instant, puis on détourne obstinément le regard. Plus on attire soi-même le regard, plus on ignore et plus on est ignoré. Encore une bizarrerie tout à fait Humaine, mais pas forcément désagréable.
Dédale applique scrupuleusement la règle : sans que je ne comprenne comment, il parvient à toujours être en train d’admirer quelque détail des bâtiments alentour, et à aucun moment son attention ne désigne quelqu’un. Pour ma part, je ne me prive pas de scruter tout et tout le monde ; mais pas avec mes yeux. Puisque les Humains détournent si facilement le regard de moi, il n’y a pas d’intérêt à essayer d’affirmer une domination ; assez étrangement, leur attitude, qui est chez les Avec-Essence celle de la soumission totale, signifie en fait leur complète indépendance.
C’est donc au travers des courants tumultueux de l’Essence du
que j’examine la foule. Et quand je dis tumultueux, c’est sans exagération ! Le flot des psychismes me rappelle celui d’une rivière qui avait un jour failli réussir à m’engloutir. C’est différent, cependant : à l’époque, mon Essence de
m’avait affaibli ; maintenant, celle de l’
me protège. Aucun risque de me noyer dans ce bouillonnement.
Et j’en apprends beaucoup, bien que le flot soit trop vaste pour que je puisse tout appréhender à la fois ! Les pensées, les émotions et les idées flottent dans l’air et se laissent capturer par qui peut les sentir. Je peux ainsi approfondir ce que mon Flair avait d’abord senti. Du moins en ce qui concerne les émotions. Idées et pensées, elles, sont plus nombreuses et plus complexes, presque impossibles à lire.
Là où un Oreilles-Tunnel aurait d’un seul coup de naseaux perçu l’ensemble des odeurs intangibles qui décrivent la vie, je n’ai en réalité quasiment rien saisi. J’ai identifié correctement les plus marquées, mais un très grand nombre m’a échappé…
Il y a par exemple l’ennui : il consiste pour un Humain à prendre conscience du temps quand il n’a rien à faire. Là où un Avec-Essence s’abandonnerait simplement à ses perceptions et apprécierait sa vie dans l’instant, les pensées Humaines accélèrent follement, sans trouver de sujet auquel s’appliquer ; et ce phénomène leur ouvre un mince accès par lequel ils entendent les Battements du Cœur. La vitesse de ceux-ci leur fait croire qu’une éternité s’est écoulée en quelques instants.
Mais l’ennui, si passionnant soit-il, n’est pas mon intérêt principal. Ce que je cherche à comprendre, c’est cette peur sourde, diffuse, qui imprègne les esprits. Je n’arrive pas à lui donner de raison, ni de forme ; j’ai même l’impression qu’elle est sans forme.
La ville semble empoisonnée par la possibilité d’une peur ; comme si cette peur était ignorée, refoulée, mais qu’elle pouvait resurgir à chaque instant. Ce n’est pas non plus une peur de la peur elle-même ; plutôt une vieille blessure dont l’esprit oublie qu’elle peut encore tuer, mais dont le corps, lui, se souvient…
Et qu’est-ce qu’on fait quand on ne comprend pas quelque chose ?
C’est très instructif, de circuler parmi les Humains. Certaines des questions auxquelles tu n’avais pu répondre il y a trois jours sont déjà plus claires… En revanche, cela pose aussi de nouvelles questions. Qu’est-ce qui cause cette peur qui imprègne l’air ? — Hum. Pas ici ; suis-moi.
Dédale a marmonné plutôt que parlé ; si je ne m’étais fié qu’à mes oreilles, je n’aurais pas entendu. Je l’ai aussi écouté dans l’Essence du
, heureusement… Je le suis donc, sans rien ajouter ; et j’en profite pour essayer d’expérimenter l’ennui. J’ouvre tous mes sens à la ville, sauf ceux qui participent de l’Essence. Ceux-là, je les concentre sur les Battements du Cœur. On verra bien si ça marche : il se trouve que je m’y prends à l’envers. C’est le désœuvrement qui doit ouvrir au Temps ; mais je n’ai pas accès à cet état d’esprit, alors…
Nous tournons à gauche dans la ruelle suivante. Les gens défilent autour de nous, s’écartant de part et d’autre de Dédale quand ils le voient plongé dans ses pensées, avec un Habitant inconnu à ses côtés. Un peu plus loin, ce sont les murs de pierre qui se déplacent lentement : les palais de Cnossos voguent de part et d’autre du flot Humain, semblables aux vaisseaux de bois qui abondent dans cette région du monde. Et nous remontons ces deux courants, obstinément plutôt que vite.
Le Temps a tendance à provoquer ce genre d’état contemplatif sur ceux qui en abusent. Ça peut être encore plus brutal que certaines baies qui veulent à tout prix être mangées (c’est pour manger leur mangeur de l’intérieur, à mon avis, et je les évite donc soigneusement), alors je m’en écarte un peu et je m’applique à admirer l’architecture Humaine.
Dédale a raison quand il dit qu’elle s’éloigne de la Nature. Rien de ce que je vois ne pourrait exister sans avoir été modelé par des mains Humaines. Par exemple, ce splendide bâtiment qui détonne avec ses couleurs sombres, au milieu d’une ville qui aime le blanc. Il est fait d’une pierre noire qui reflète la lumière, reposant sur des piliers rouge sombre. Ceux-ci, détail étonnant, sont incurvés ; ils serpentent en s’élevant… Bizarre.
L’architecte m’a dit qu’il était Dédale. Ou… plutôt l’inverse. Bref. C’est à lui qu’on demande de dessiner les plans qui permettent de construire ce genre de palais. Et en le voyant, je comprends tout de suite pourquoi il est nécessaire d’imaginer le bâtiment avant de le construire, et de partager cette imagination par le dessin avec ceux qui doivent le construire : une seule erreur, et il pourrait s’écrouler, avec ses colonnes en spirale…
Nous marchons, plus ou moins tout droit, et avec le Temps qui Bat, la ville change. La pierre taillée laisse la place à une couche blanche uniforme ; les frontons triangulaires deviennent des toits de briques orange. Les détails s’estompent, s’amincissent, et puis disparaissent. Les palais commencent à se ressembler de plus en plus. Les gens aussi changent : ils portent moins de couleurs vives et chamarrées, et de plus en plus de vêtements ternes, parfois blancs, toujours plus ou moins de la même couleur. Leur comportement, également, est de plus en plus proche de celui des Avec-Essence : fixer le nouvel arrivant quelques instants, puis passer à un autre. On ne nous ignore plus ostensiblement. Et on fait plus de bruit, aussi.
Nous sommes dans le quartier pauvre de la ville, commence Dédale avec une certaine aigreur. Nous étions entrés par le quartier riche, et tu as peut-être remarqué qu’il ne serait guère différent s’il était habité par des cadavres. Ici, les gens vivent. Ils parlent, ils échangent ; ils ne considèrent pas la rue simplement comme un lieu de passage, mais de rencontre. Et tous ces mouvements rendent l’endroit plus discret. Ici, je peux parler de sujets qui fâchent ; je peux surtout parler à un Habitant. Dans la ville haute, c’est le meilleur moyen d’attirer une attention indésirable ; ici, les gens n’y prêteront pas attention. Car oui, la question que tu m’as posée est un sujet qui fâche.
Son ton comme ses pensées rejoignent ses paroles : le mépris belliqueux envers ceux qu’on croise, omniprésent dans la ville haute, n’existe pas ici. À la place, un intérêt modéré mais discret. Dédale se sent plus en sécurité. Il reprend.
La population Humaine, en Crète, est sous l’autorité du roi Minos. Un homme qui nous protège contre les agressions des autres peuples, ou qui décide que nous devons les agresser. Il gère aussi le fonctionnement de la société, et tout ce qui profite à tout le monde lui appartient : il en prend soin contre un impôt que lui payent les gens.
—
Je vois le genre, oui. Nous appelons ça un Dominant, et j’imagine les problèmes qui peuvent en découler. Avant cela : qu’est-ce qu’un impôt ? — Ça a trait à l’argent… Imaginons que je veuille échanger un objet quelconque contre de la nourriture : il faut fixer une valeur d’échange. Cette valeur est l’argent. Tout objet matériel, palpable, est associé à une certaine quantité d’argent ; et celui-ci permet d’acheter de tels objets. Il peut aussi mesurer et payer le travail : ainsi le roi paye-t-il les travailleurs qui entretiennent le pays en son nom, selon l’effort qu’ils ont fourni. Ça coûte cher et c’est fait dans l’intérêt de tous, alors l’argent nécessaire est donné au roi par la population. Plus précisément, il est pris par le roi. C’est cela qu’on appelle l’impôt.
—
Et si le roi gère mal l’impôt, tout part n’importe comment… Je suppose qu’il faut plus d’argent pour posséder un palais dans la ville haute qu’ici ? — Ici, ce sont des maisons, car la famille qui y vit suffit à les entretenir. Mais oui. Et les gens riches se considèrent supérieurs aux pauvres…
—
Hum. — Exactement. Pour en revenir au roi, il gère assez bien l’impôt ; mais il l’a alourdi pour sa guerre, plongeant des centaines de gens dans la pauvreté… Oh. La guerre.
—
Qu’est-ce ? — L’activité Humaine la plus stupide. Ça consiste à aller combattre contre d’autres territoires, pour des raisons souvent injustifiées, et en causant d’innombrables morts et encore plus de souffrances. Avec tout un tas de subtilités débiles.
—
Ah, oui. On atteint des records de stupidité. — Minos a déclenché une guerre, et son peuple en souffre. Mais c’est un homme cruel, qui exige beaucoup comme si c’était normal. Il est vrai qu’il exige plus encore de lui-même. Par extension, il ne tolère pas qu’on le conteste, alors ses soldats (ceux des Humains qui apprennent à se battre et sont donc équipés d’armes) répriment parfois des mécontents. Toujours en son nom. Et ainsi, le peuple craint non seulement les peuples étrangers, mais aussi le roi qui doit le protéger… Je ne suis pas surpris que tu aie senti la peur dans la ville.
—
Je vois, réponds-je lentement.
Et toi, as-tu peur ?— Je suis assez connu, donc si on m’entendait tenir ce discours dans la ville haute, on songerait peut-être à aller parler de moi à la caserne ou pire, à Minos. Et le roi étant particulièrement soupçonneux, je risquerais gros… Mais ici, dans la ville basse ? La plupart des gens sont d’accord avec ce que je dis. Après tout, c’est la vérité.
En effet, je perçois une certaine dose d’intérêt et d’approbation autour de nous… Un peu nuancée, légèrement discordante, mais ce n’en est pas moins de l’approbation.
Bon, dit Dédale sur un ton plus enjoué, la nuit tombera bientôt. Si tu le veux bien, je t’invite à venir dormir chez moi ; et j’imagine que je devrais répondre à tes questions sur ma maison…
—
Sans doute.— Demain, je dois participer au conseil du roi. Si ça te dis, tu pourras m’accompagner. Ce n’est pas du tout prévu dans le protocole, mais j’imagine que ça passe. Et tu seras sans doute intéressé de voir comment fonctionne un gouvernement.
—
Ça, tu peux le dire !— Bien ! Ça m’épargnera aussi des explications trop conséquentes. Par contre, je te préviens tout de suite : je serais sans doute amené à mentir de temps en temps, et je compte te présenter comme on voit les Habitants : simplet. Comme ça, tu ne seras pas suspecté de trahison.
—
Mentir ? Qu’est-ce que c’est que ça, encore ? Dédale lève les yeux au ciel.