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Fragments d'Espérance de Clafoutis



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» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 01/05/2019 à 17:02
» Dernière mise à jour le 01/05/2019 à 17:02

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Chapitre 4 : Héroïnes


 Une canette de bière ; trois jours avant le prochain ravitaillement. La soirée commençait mal. Arthur Mélric soupira. Il faisait toujours la même erreur. Il s’enfilait toutes ses bières en début de semaine, et était en manque vers la fin. Mais que pouvait-il faire d’autre ? Seul l’alcool pouvait panser ses blessures.

— Peut-être que les voisins pourraient me dépanner, espéra-t-il.
— N’y compte pas trop, asséna Fiona.
— N’est-ce pas…

L’alcool était un véritable luxe à Espérance. Seuls les ouvriers de rang argent ou supérieur pouvait en recevoir. Arthur Mélric avait la chance d’être de rang or, ce qui lui garantissait une réserve de bière assez conséquente. Théoriquement, il pourrait boire trois bières par jour entre deux ravitaillements. Une théorie qui ne prenait pas en compte les pulsions consuméristes d’un alcoolique notoire.

— Fiona, tu ne voudrais pas changer tes privilèges ?
— Non.
— N’est-ce pas…

En plus d’avoir des ravitaillements plus conséquents, les rangs or et plus avaient des privilèges. Ils avaient le choix entre recevoir une quantité supplémentaire d’eau, ou de nourriture, ou d’alcool. Dans la famille Mélric, Fiona avait choisi la nourriture, Lionel l’eau, et Arthur l’alcool. C’était le choix stratégique qui profitait le plus à toute la famille.

— Tu es toujours si froide avec moi, ma fille. Papa est triste !
— Si tu veux voir sœur Mélric, va à l’église. Ici, il n’y a que la méchante Fiona.

Arthur sourit faiblement.

— N’est-ce pas. Mais tu ne trompes personne, tu es de mauvais poil parce que Lionel est encore en retard.
— …

Fiona grimaça, découverte. Consciente qu’il était inutile de le nier, elle se laissa tomber sur la première chaise qu’elle vit.

— Il aurait dû rentrer il y a déjà deux heures. Je sais que son travail est important mais… il en fait trop…

Arthur hocha tristement la tête. Le pas lourd, il partit s’asseoir juste à côté de sa fille.

— Je comprends, moi aussi il m’inquiète. Il ressemble à…

La phrase resta incomplète. L’émotion empêchait le père de famille d’aller plus loin. Fiona se pinça les lèvres :

— Il ressemble à maman, c’est ça ?
— …

Arthur Mélric soupira et leva la tête. Son regard vide s’égara au plafond.

— Oui, c’est ça. Il ressemble à Eleanor. Il lui ressemble bien trop.
— Dis papa, tu crois qu’il risque de… ?
— Je ne sais pas ma fille, je ne sais pas…

Eleanor Mélric. Dans tout le bunker, personne n’ignorait son nom. Elle était l’héroïne d’Espérance, une source d’inspiration infinie. Les Maîtres s’étaient même servie de son histoire pour créer un nouvel adjectif, le Mélricisme, qui signifiait s’abandonner corps et âme pour le bien commun.

Espérance avait des usines qui produisaient énergies et nourritures, cependant, ces mêmes usines avaient besoin de matériaux bruts pour fonctionner et être réparé. Et où trouver ces trésors ? À l’extérieur.
Tout en haut d’Espérance, au Dôme des Maîtres, se trouvait une immense porte qui menait à la surface glacée de la Terre.

La surface terrestre était extrêmement hostile. Les températures extrêmes de l’ère glaciaire n’était malheureusement pas le seul problème. Non, le principal ennemi de l’humanité était la pollution. Des déchets par milliers se cachaient sous glace et neige. L’air toxique regorgeait de maladies redoutables et incurables.
Et pour parfaire ce tableau apocalyptique, il y avait les Pokémon sauvages. Ces Pokémon régnaient en maître, sans aucun autre prédateur qu’eux-mêmes. Avec les années, ils avaient fini par atteindre des tailles gigantesques et une force phénoménale. Il faudrait que tout Espérance collabore pour espérer tuer un seul de ces monstres, et encore, les innombrables pertes humaines rendraient la victoire amère.

La Terre n’était tout simplement plus le territoire de l’Homme. Si l’un de ces êtres frêles mettait un pied dehors, il était condamné. Mais il fallait sortir. Les déchets accumulés par des milliers de générations d’humains avaient certes fini par empoisonner la planète, mais certains d’entre eux étaient de parfaits matériaux bruts. C’était ironique de tirer sa survie de ce qui nous tuait, mais telle était l’histoire d’Espérance.

Les Maîtres organisaient périodiquement des expéditions à l’extérieur. Bien sûr, les Maîtres eux-mêmes ne s’y risquaient pas ; sacrifier sa vie pour le bien commun était le rôle des ouvriers. Toutefois, les maîtres n’étaient pas ingrats. Les familles des sacrifiés recevaient beaucoup d’honneur.

Eleanor Mélric était l’une de ces sacrifiés. Mais pas n’importe laquelle. D’ordinaire, lorsqu’un individu foulait la surface terrestre, il ne survivait que 24 heures maximum. Eleanor Mélric, elle, était resté en vie une semaine entière. Une semaine où elle s’était battue comme une diablesse. Non seulement elle a ramené à elle seule des quantités énormes de matériaux, mais elle a également découvert de nombreux gisements insoupçonnés.
La rumeur voulait que, même une fois l’un de ses bras dévorés par un Pokémon sauvage, elle avait continué à lutter, seule, pour ramener toujours plus de matériaux à Espérance. Eleanor était une véritable héroïne. Sa légende fit rapidement le tour du bunker, encouragée par les Maîtres.

Grâce au sacrifice exceptionnel d’Eleanor Mélric, toute sa famille avait immédiatement été promu au rang or. Tous, même la petite Fiona âgée à l’époque de 7 ans, et le petit Lionel de seulement 8 mois. Normalement les enfants n’avaient pas droit à des rangs, mais à occasion exceptionnelle, mesures exceptionnelles.
Ce fut ainsi que la famille Mélric devint légendaire. La famille modèle d’Espérance.

Cependant, si Espérance avait gagné une héroïne, Arthur Mélric avait perdu la femme qu’il aimait plus que tout. La petite Fiona Mélric avait perdu sa mère adorée. Le petit Lionel, lui, avait purement perdu l’occasion de connaître un jour celle qui lui avait donné la vie. Le prix était cher payé.

— Je… Je refuse qu’il se sacrifie.

Fiona Mélric les dents, ses poings se serrèrent rageusement.

— Même si c’est au nom du bien commun, je refuse que mon frère subisse le sort de maman.
— … oui. Le bien commun n’est rien comparé au bien notre famille.

Si ces paroles avaient été prononcés à l’extérieur de leur foyer, Fiona et Arthur auraient été immédiatement arrêtés et punis, Mélric ou pas. Remettre publiquement en question le bien commun était le plus grand tabou de tout Espérance. Il fallait que tout le monde suive la marche, pour que personne ne tombe. C’était ainsi qu’Espérance avait réussi à survivre plus de 600 ans, quitte à multiplier les sacrifices.


***

 Dans la pénombre des strates profondes, Edelweiss avait réuni ses deux plus proches amis. À sa droite se tenait l’émotive Primerose, la toute première personne qui avait choisi de l’accompagner. Et à sa gauche, un jeune adolescent, impassible, plongé dans ses réflexions. Cet adolescent, c’était Lotus, qu’Edelweiss aimer surnommer l’imperturbable.

Si les enfants sacrifiés étaient des anomalies, Primerose et Lotus étaient des anomalies d’anomalies. Dans les strates profondes, certaines personnes étaient plus avantagées que d’autres. Les meilleurs savaient rester maître de leurs émotions et réfléchir vite. Deux qualités que Primerose et Lotus ne possédaient respectivement pas.

Lotus savait réfléchir, personne ne pourrait prétendre le contraire. Cependant, il avait besoin de temps, de beaucoup de temps. Un ennemi aurait le temps de le tuer deux fois avant que Lotus ne trouve comment survivre.
Quant à Primerose, un rien la faisant fondre en larme. La mort l’effrayait terriblement. La perte de ses camarades encore plus. Dans ses moments de paniques, elle pouvait se rouler en boule et trembler pendant des heures sans bouger.

Primerose et Lotus n’auraient jamais dû survivre, et pourtant, ils avaient survécu. Ils étaient deux des plus anciens survivants. Ils avaient beau avoir beaucoup de défauts, Primerose et Lotus avait une qualité encore plus essentielle : l’espoir. Un mot qui était inconnu à beaucoup d’enfants sacrifiés.

Et mieux encore, cet espoir avait une forme physique. Cet espoir s’était incarné en une incroyable jeune femme, qui avait prouvé à tous qu’il était capable de toujours survivre, en dépit de tout. Cette jeune femme, qui répondait au nom d’Edelweiss, était l’héroïne de tous les enfants sacrifiés.

— Prime, Lotus, commença l’héroïne, comment s’est passé vos missions d’explorations ?
— J-J’ai fait de mon mieux, hésita Primerose.
— Bien, répliqua sobrement Lotus.

Edelweiss hocha la tête.

— Toi d’abord, Prime.

Primerose déglutit. C’était une mission qu’Edelweiss l’avait confié elle-même. Parmi les multiples appréhension de Primerose, décevoir ses amis – et en particulier Edelweiss – était très haut placé.
Cette fameuse mission était de partir en éclaireuse dans les hautes strates et de déterminer quelles maisons étaient les plus rentables à cambrioler.

— Hé bien, comme nous l’avions déjà deviné, la grande majorité des habitants d’en haut ont à peine suffisamment de nourritures et d’eau pour vivre. Cependant, certaines familles sortent du lot. La famille Marnaval, de la 4ᵉ strate ; la famille Mélric, de la 3ᵉ strate ; et la famille Kriavel, de la 2ᵉ strate. Si on parvient à s’introduire chez eux, on devrait en retirer un bon butin. Surtout la famille Marnaval, elle a l’air d’être réellement extrêmement aisée.

Edelweiss sourit, satisfaite.

— Parfait.
— M-Mais il y a un problème, intervint Primerose.
— Mh ?
— À cause de nos récents cambriolages, tous les habitants d’en haut sont sur le qui-vive. Les patrouilles de sécurités multiplient leur ronde, et en particulier devant les maisons de ses trois familles. J-Je pense que l’on devrait les éviter…

Edelweiss tiqua.

— Juste pour quelques gardes ? Nous avons connu pire.
— Je sais, mais ils ont l’air d’avoir des armes dangereuses… non, j’ai une bien meilleure idée. J’ai appris quelque chose d’intéressant. Chaque début de semaine, les habitants sont réapprovisionnés. L’évènement se passe dans leur église, à la 2ᵉ strate. Il y aura beaucoup d’eau et de nourritures sur place, bien plus que dans n’importe quelle autre maison.
— Oh ?
— Bien sûr, l’église sera sur-protégée, mais pas les habitants d’en haut. Si on les attaque sur le chemin du retour, il y a moyen d’avoir un bon butin.

Edelweiss hocha la tête, satisfaite.

— Tu avais raison, c’est très intéressant. Tu as fait du bon travail Prime, je suis fière de toi.
— …  !

La phrase d’Edelweiss eut l’effet d’une bombe. Dans une explosion de joie et de soulagement, Primerose bondit vers son amie et l’enlaça fortement.

— Hé ! s’étonna Edelweiss.
— M-Merci ! J’avais tellement peur de te décevoir ! Snif ! J’avais peur que si je te décevais, tu m’abandonnerais !
— Mais non, je ne t’abandonnerais jamais…
— Je sais ! Tu es trop gentille pour ça, mais j’avais quand même peur ! J’avais si peur !

Edelweiss pouvait sentir de chaudes larmes couler sur son dos. « Prime a vraiment le chic de se mettre une pression de dingue toute seule… », pensa-t-elle en caressant doucement les cheveux de son amie.

— Ahem, toussota Edelweiss. Je pense que notre petite Prime va sangloter sur mon épaule pendant un bon moment encore. Lotus, ça ne te dérange pas de faire quand même ton rapport ?
— Aucun problème.

Lotus eut un petit sourire amusé.

— J’ai l’habitude.

Edelweiss rit à son tour. Elle ne pouvait pas réellement le contredire.

— Comme prévu, j’ai continué l’exploration des conduits d’aération d’Espérance, déclara Lotus. J’ai trouvé des chemins menant à toutes les strates. Le Dôme reste encore inaccessible cependant. Je pense qu’il est impossible de s’y rendre via les conduits.
— C’est dommage mais ça ne me surprend pas, soupira Edelweiss.

Edelweiss s’était déjà fait une raison. Le légendaire Dôme, là où vivaient les Maîtres des strates supérieurs, n’acceptait aucun intrus.

— Mais outre le Dôme, reprit Lotus, je peux aller où bon me semble désormais. J’ai même trouvé des passages menant directement à l’intérieur des bâtiments importants, comme des usines, l’église, ou la Ferme Pokémon.

Si les enfants sacrifiés devaient avoir un talent, se serait celui de dénicher le moindre passage dérobé. À force de vivre comme des rats dans l’obscurité, c’était devenu une seconde nature pour eux. Et c’était peut-être ce talent qui les sauvera tous.
Toutes les strates d’Espérance étaient reliées entre elle par des escaliers, des ascenseurs, mais aussi par un gigantesques système de canalisations et de ventilation très complexe. Autrement dit, Espérance était un véritable gruyère où quiconque n’ayant pas besoin de ses yeux pour voir pouvait aller où il voulait. Ceux qui avaient construit le bunker à l’époque avaient oublié de prendre en compte des enfants jetés tels des déchets qui voudraient se rebeller.

— Intéressant, admit Edelweiss. Ces passages seront indispensables pour un plan d’infiltration. Enfin, une fois que l’on aura réglé notre petit problème.
— Oui, impossible d’infiltrer ceux d’en haut tant que l’on continuera à…
— … être aussi pourris, conclut Edelweiss.

Le problème pouvait sembler anecdotique, voire stupide, mais il était bien réel. Les enfants sacrifiés vivaient dans les ordures depuis leur jeune âge, la pourriture des lieux avait fini par infiltrer chaque pore de leur peau. Pour eux, c’était naturel. Pour ceux d’en haut, ça ne l’était pas.
Edelweiss avait compris l’amplitude de ce problème dès sa première infiltration dans les strates supérieures. Il lui était purement impossible d’être discrète, tant elle était impure. La pourriture qui dégoulinait en permanence de son corps souillait le sol qu’elle foulait et les choses qu’elle touchait. Son odeur putride finissait toujours par attirer les curieux, qui ne manquait pas d’hurler en la voyant.

— C’est un autre monde, sourit faiblement Edelweiss. Un monde où il y a de la lumière, un monde où il y a de la chaleur, un monde où les gens sont propres.
— Un monde qui n’est pas pour nous ? tenta Lotus.

Edelweiss souffla lentement.

— Peut-être. Même si par miracle ils nous autorisaient à revenir, je doute que nous puissions cohabiter. Nous sommes bien trop différents.
— Mais nous ne voulons pas cohabiter. Nous voulons survivre.
— Tout juste. Nous sommes deux espèces différentes. Nous ne voulons pas spécialement leur perte, mais si les attaquer et le seul moyen que nous avions pour survivre alors nous n’hésiterions pas.

Lotus hocha la tête.

— Edel, nous comptons sur toi. Tu es la porteuse de nos espoirs. Je suis désolé de t’imposer ce rôle, mais tu es là seule qui peut le jouer.
— Je sais Lotus, je le sais. Que je le veille ou non…

Edelweiss caressa doucement la chevelure de Primerose, qui sanglotait encore et inlassablement sur son épaule.

— Je suis votre héroïne.