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Fragments d'Espérance de Clafoutis



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» Auteur : Clafoutis - Voir le profil
» Créé le 28/04/2019 à 22:53
» Dernière mise à jour le 28/04/2019 à 22:53

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Chapitre 2 : Protections


 Sous l’immense statue de Lumaes, le Grand Accordeur, une petite foule priait. Le dieu de granite était celui qui montrait la voie aux âmes recluses. Dans sa main droite, il tenait les mystérieux arcanes akashiques, ce texte mystique où était recensée les moindres faits de l’univers, qu’ils soient présents, passés, ou futurs. Lumaes, possesseur des arcanes, savait ce qui était juste. Il savait ce qu’il fallait faire. Il savait comment être sauvé. De sa main gauche, il pointait vers le haut, vers l’avenir.
La marque de Lumaes, le symbole de l’infini brisé, ornait le front de la majestueuse statue. L’infini, à l’image de l’infini souffrance que subissait le genre humain. Lumaes promettait de briser cet infini. Il promettait de sortir de cette boucle de malheur, et d’enfin trouver le bonheur.
Toutes les strates du bunker était parsemée de statues de Lumaes, afin que n’importe quelle âme perdue puisse retrouver la voie et l’espoir dans sa divine protection.
Lionel Mélric priait avec ses pairs. Il souhaitait la protection de sa famille. Il souhaitait que leurs sourires ne s’effacent jamais. C’était tout ce qui l’importait dans ce monde détruit.

— Hé, tu as entendu ? Il paraît que ça a recommencé…
— Oui, c’est arrivé à la 5ᵉ strate…
— Sérieusement ? C’est là que j’habite !

Petit à petit, des voix indiscrètes se mirent à émerger de la foule. Personne ne savait de qui elles provenaient exactement, mais chacun les entendaient. C’était un l’effet boule de neige ; dès que quelqu’un entendait quelque chose l’intéressant, il répondait, et sa voix se perdait elle aussi dans la foule, jusqu’à ce que d’autres inconnus s’en mêlent, et ainsi de suite.
Les statues de Lumaes, plus que des lieux de prières, étaient des lieux de rassemblements. Certains venaient juste pour libérer ce qu’il avait sur le cœur. D’ordinaire, Lionel ne prêtait pas attention à ces bruits de fonds, mais le sujet du jour n’était pas n’importe quel sujet, c’était LE sujet.

— Mes voisins ont été cambriolés, leur réserve de nourritures s’est envolé…
— Comment peut-on oser…
— Plus personne n’est à l’abri, mais que fait l’église…
— Il paraît que le monstre se cache dans les strates désaffectées…
— Impossible ! Personne ne peut vivre là-bas !
— Il n’y a même pas d’éclairage…
— Mais le monstre n’est pas une personne…
— L’un de mes amis l’a aperçu ! Ce serait un mutant empestant la mort, capable de briser des murs d’une seule main !
— C’est terrible…

Lionel leva les yeux au ciel. Lorsque les bruits de fond duraient trop longtemps, ils devenaient toujours farfelus. Cependant, l’inquiétude le rongeait. Il ne croyait pas à ces histoires de monstre bien sûr, mais ils savaient que les cambriolages, eux, étaient bien réels.

Parmi tous les crimes, le vol était le plus grand tabou d’Espérance. Tous les jours, chacun ruinait son corps pour ramener de quoi manger à sa famille. C’était le fardeau que tous partageaient. Chacun savait à quel point la moindre miette de pain était précieuse. Sans nourriture, il n’y avait simplement plus de vie.
Dans ce monde en ruine, la cohabitation pacifique était essentielle à la survie. Si chacun se mettait à se méfier de son voisin, le stress cumulé finirait par tuer tout le monde. C’était donc tout naturel que chacun respectait son voisin. Ce n’était pas par bonté d’âme, mais par instinct de survie.

Cependant, ces derniers temps, ce tabou était violé. Le premier vol avait eu lieu il y a trois mois. Lorsqu’il avait été découvert, c’était la stupéfaction générale. Jamais un honnête ouvrier, élevé dans les préceptes de Lumaes, ne pourraient commettre un crime aussi abominable. Surtout qu’il y avait autre chose.
Sur les lieux du crime, ainsi que sur ceux qui suivront, la même scène se rejouaient. Dans chacune des maisons cambriolées, le sol était recouvert d’un étrange matière noire et immonde, empestant la putréfaction. Ça, plus les témoignages qui affirmaient avoir aperçu une horrible silhouette dégoulinante traîner dans les rues, c’était largement suffisant pour donner naissance à la rumeur du monstre voleur.

Mais ces rumeurs n’étaient que de la poudre que ces gens s’envoyaient eux-mêmes dans leur propre yeux. Au fond, chacun savait qui était réellement ce voleur. Un enfant sacrifié. Un de ceux qui avaient été jetés dans la fosse menant aux strates désaffectées. La plus grande honte d’Espérance. On ne comptait plus le nombre d’enfants qui avaient connu ce triste sort. Certains étaient de simples enfants accidentelles, des enfants de prostitués, ou encore, des enfants d’une famille devenu trop pauvre pour les nourrir.

Les enfants sacrifiés étaient, comme leur nom l’indique, des sacrifices. Les maintenir en vie risquait de mettre celle de plusieurs autres en danger, alors, il était raisonnable de les sacrifier avant le pire. Mais qu’importe la raison, c’était toujours une tragédie.

Une tragédie qui remontait peu à peu à la surface. Pendant longtemps, les enfants sacrifiés n’avaient posé aucun problème. Une fois dans la fosse, ils devenaient passés. Les strates désaffectées étaient invivables. Il n’y avait aucun éclairage, aucun chauffage, et aucune nourriture. De plus, elles servaient d’égout et de déchetterie pour les strates supérieures. Comment de très jeunes enfants pourraient survivre dans de tels conditions ? Lionel n’en avait aucune idée. Cependant, une chose était certaine. Si par miracle l’un de ces enfants y était capable, il ne serait pas à sous-estimer.

— Encore cette odeur…, marmonna Lionel.

Un mince filet putride sortit soudain Lionel Mélric de ses réflexions. Il priait chaque matin devant cette statue de Lumaes, et depuis quelque temps, une mystérieuse odeur le gênait terriblement.
Lorsqu’une foule s’accumulait autour d’une statue, il était certain que cela ne sentait pas la rose. Cependant, ce que Lionel percevait n’avait rien à voir avec un mélange de sueur ; c’était bien plus morbide.
Lionel repensa soudain à l’une des rumeurs concernant le monstre cambrioleur. Mi-amusé, mi-inquiet, il ne peut s’empêcher de marmonner :

— J’espère que ce n’est pas l’odeur de la mort…



***

 L’entrée de la Ferme Pokémon était extrêmement bien protégé. Même Lionel Mélric, pourtant l’ouvrier responsable de l’établissement, devait passer des dizaines de contrôle de sécurité avant de pouvoir pénétrer à l’intérieur. C’était dire à quel point la Ferme était si cruciale pour Espérance.

— Tout est en ordre, déclara un agent de sécurité. Désolé pour le désagrément, Monsieur Mélric.
— Ce n’est rien, vous ne faites que votre métier. Bonne journée à vous, Monsieur Lias.
— Bonne journée, Monsieur Mélric.

Cet échange mécanique était quotidien. Ces quelques mots avaient tellement été répétés qu’ils ne voulaient plus rien dire. Cependant, Lionel tenait à les prononcer. En tant que responsable, il tenait à maintenant un contact oral avec ses subalternes. Il était important de soigner le moral de ses troupes. Si quelqu’un restait dans son coin à travailler nuit et jour sans contact humain, il finirait par devenir fou. Lionel voulait à tout prix éviter cela. Ici, chaque humain était précieux. Il était difficile de trouver du personnel compétent, et encore moins de le remplacer. Encore une fois, si Lionel s’inquiétait autant du bonheur de ses collègues ce n’était pas par bonté d’âme, mais simplement par instinct de survie.

Après avoir passé les contrôles, Lionel rentra ensuite dans un sas d’acclimatation, le dernier point de passage obligatoire. La température à Espérance était fixée à 5°, ni plus, ni moins. Cependant, la Ferme Pokémon avait pour principale fonction de produire des œufs et d’élever des bébés Pokémon bien trop fragiles pour se développer dans environnement aussi froid. Ainsi, il était essentiel pour son fonctionnement que la Ferme soit bien plus chauffée que le reste du bunker.
Beaucoup d’ouvriers rêvaient d’intégrer la Ferme pour cette raison, mais Lionel savait plus que quiconque que ce rêve n’en était pas un. Si 5° était froid, 34° était bien trop chaud. Flirter en permanence entre ces deux extrêmes étaient très perturbants.

Immobile dans le sas, où la température montait doucement de 5 à 34°, Lionel profita de cette pause pour passer mentalement en mode travail. Tout Espérance comptait sur la Ferme Pokémon. Et lui, il en était le responsable. La moindre erreur pourrait avoir des répercussions énormes non seulement pour Espérance, mais surtout pour sa famille.

Deux minutes plus tard, le sas se rouvrit. Dès que Lionel posa le pied sur le carrelage blanc de la ferme, ses responsabilités l’appelèrent.

— Ah, monsieur Mélric.

Des responsabilités qui prirent la forme d’Alexandre Brayal, le sous-responsable de la Ferme Pokémon. Hiérarchiquement placé juste en dessous de Lionel, il était par conséquent le second ouvrier le plus important de l’établissement. Certains le considéraient cependant comme le véritable responsable, sous le prétexte qu’il était plus simple d’obéir à un homme de 39 ans plutôt qu’à un gamin de 16.

— Bonjour Brayal, au rapport.
— Certainement, monsieur.

Lionel prêta son attention à son second mais ne s’arrêta pas. Les discussions se faisaient toujours en marchant. Chaque seconde était précieuse ici et il fallait en économiser le plus possible.

— Premièrement, la couvée expérimentale des Voltorbe a bien éclos comme prévu, commença Alexandre. 70 % des éléments ne sont plus capables d’exploser, les 30 % restants ont été éliminés sans encombre. Nous estimons être capables de produire à coup sûr des Voltorbe non-explosifs d’ici un mois maximum.
— Parfait.
— Deuxièmement, l’entraînement du groupe MC-1 a connu des difficultés. Deux Machoc ont mal supporté le traitement d’obéissance et se sont rebellés. Ils ont endommagé l’équipement et ont tué cinq autres Machoc dans leur tentative de fuite. Selon le rapport de l’équipe technique, il nous manque des matériaux essentiels pour la réparation des machines. J’ai déjà passé commande à l’usine, nous devrions être livrés dans la journée. Concernant les Machoc rebelles, ils ont été neutralisés.
— Bien. L’incident est regrettable mais les dégâts sont limités. Bon travail.

Lionel paraissait impassible, mais son cerveau était déjà en ébullition. Le groupe MC-1 était censé être envoyé à la Centrale. Les Machoc y étaient utilisés en tant que main d’œuvre dans les zones trop dangereuses pour un être humain. Bien sûr, les Machoc avaient beau être plus résistant qu’un humain, ils y mourraient tout de même très régulièrement, d’où l’urgence d’en produire toujours suffisamment.
Il était impensable que la Centrale, la source d’énergie de tout Espérance, se retrouve en manque de main d’œuvre. Il devait absolument recevoir leurs Machoc aujourd’hui même. C’était un problème que Lionel devait régler dans les plus brefs délais.

— Et enfin, le Cardinal Dogma va inspecter les lieux lundi prochain à 8 heures. L’ensemble du personnel ouvrier doit être présent.
— Je prends note.

Une autre nouvelle stressante. La visite d’un Cardinal, l’un des Maîtres les plus puissants, rien que ça. Dans les faits, Lionel Mélric n’était pas le véritable patron de la Ferme Pokémon, il n’était qu’un simple ouvrier. Seules les Maîtres avaient le privilège de réellement posséder quelque chose à Espérance.
Les ouvriers et les Maîtres ne se côtoyaient normalement jamais, ils vivaient même dans des lieux très différents. Les ouvriers occupaient les strates, alors que les Maîtres reposaient dans le Dôme, le plus haut niveau d’Espérance. Le Dôme avait la particularité d’être situé à la surface, ce qui en suffisait pour en faire le fantasme de beaucoup d’ouvriers. Beaucoup de rumeurs circulaient sur le fameux Dôme, des rumeurs qui s’accordaient toutes pour fantasmer ce lieu comme un pur paradis.

Les Maîtres étaient ceux qui décidaient de tout. Lionel Mélric devait son poste de responsable à l’un d’entre eux, qui avait reconnu ses talents. Et dans le sens contraire, si Lionel décevait un Maître, il pouvait tout perdre. Raison de plus pour résoudre l’affaire de la Centrale à la perfection.

— Fin du rapport, conclut Brayal.
— Mmh ? s’étonna Lionel. Et pour le chauffage ?
— Le chauffage ?
— Il ne fait pas un peu plus froid que d’habitude ?
— Je ne crois pas ? Les capteurs indiquent toujours 34° et… j’ai aussi chaud que d’habitude.

Lionel secoua la tête.

— Les capteurs indiquent certes 34°, mais ces machins-là ne sont pas assez sensible, je ne cesse de le répéter. Le ‘‘34°’’ actuel n’est pas le ‘‘34°’’ habituel, j’en suis certain. Demandez à un mécanicien d’inspecter la chaudière, il y a un problème à régler d’urgence. Le moindre changement de température peut être fatale pour les œufs de Pokémon.
— Je m’y attelle immédiatement.

Alexandre Brayal fit instantanément demi-tour, sans discuter les ordres de son supérieur. Certains se moquaient de son obéissance à toute épreuve envers un adolescent. Brayal ignorait toujours ces mauvaises langues. Il était un homme qui savait évaluer les autres sans se laisser influencer par des éléments futiles tels que l’âge. Lorsqu’il discutait avec Lionel, il n’était pas un adulte de 40 ans s’adressant à un enfant de 16, il était un simple ouvrier s’adressant à son supérieur.

Lionel continua sa route au pas de course. Il avait décidé d’inspecter la salle de discipline, c’était là où les jeunes Pokémon étaient éduqués à obéir parfaitement aux humains. Les moyens employés pour y arriver n’étaient guère tendres : drogues, électrodes, ou parfois la torture pour les plus récalcitrants.
C’était triste, mais obligatoire. Les Pokémon qui sortaient de l’usine devaient absolument être sans faille. Si un Pokémon décidait de se rebeller dehors, les dégâts qu’il ferait serait considérable, et encore plus si le Pokémon en question travaillait dans un lieu aussi essentiel que la Centrale.

— Le nombre de Pokémon qui se rebelle est alarmant, marmonna Lionel. Les traitements deviendraient-ils caduques ? La serre où travaille papa dispose de Machoc non-utilisés, ils pourraient faire l’affaire pour la Centrale. Augmenter la dose ? Ça serait dangereux. Mais ils n’ont pas été élevés pour ce type de travail. Brayal avait sa cravate légèrement de travers, j’aurais peut-être dû le lui faire remarquer. Peut-être qu’à l’usine de raffinement… Non, le plus efficace serait de trouver une toute nouvelle drogue. Je ne sais pas, déjà que certains me trouvent psycho-rigide…

Une fois perdue dans son monde, personne ne pouvait arrêter Lionel Mélric. Il pouvait réfléchir efficacement à plusieurs choses à la fois, sans jamais se perdre dans le fil de ses pensées ; c’était également l’un de ses talents.
Cependant, Lionel n’était pas né avec ces compétences, il les avait développés. Ce n’était pas de l’instinct de survie, c’était la force de sa volonté. Une volonté qu’il avait rageusement puisée au plus profond de son cœur.

— … j’espère que papa et sœurette vont bien…

La volonté de toujours protéger sa famille.