Chapitre 4 : Les gorges de la Samaria
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Est-ce que je regrette la capitale qui s’éloigne derrière moi, sous le Soleil levant ? Pas le moins du monde ! On étouffe dans cette flaque de boue. Et pour ma part, j’étouffe encore plus dans les flaques de boues que j’ai contribué à bâtir ! C’est toujours un immense plaisir de voyager.
Partir, loin, à l’aventure, sans un regard derrière soi pour la maison qu’on laisse, oser plonger dans l’inconnu et le surprenant, ces endroits de nulle part et partout dont on ne peut ressortir qu’une fois assez émerveillé au goût de la Nature qui les a faits, ce goût si exquis qu’on voudrait en appréhender toutes les plus infimes nuances, voir et sentir le monde entier pour y percevoir la splendeur de cette création sans créateur qui semble mieux organisée que le travail de tout architecte, car tout n’y est que faux-semblants, apparences et impressions pourtant tellement plus réelles que la petite réalité minable qu’on traîne toujours derrière soi… Oui, c’est vraiment une bouffée d’air indispensable de quitter le centre du monde miniature qu’est cette île.
Pour les premières heures de marche, j’avance plus vite qu’il n’est nécessaire, sans pour autant trop forcer et m’épuiser. Ce n’est pas tant que j’ai hâte d’être arrivé, car le voyage lui-même sera au moins aussi satisfaisant que sa destination ; non, je veux juste prendre une bonne avance sur la cohorte qui me suit. Quand je suis arrivé à la sortie de Cnossos, je l’ai découverte prenant elle aussi la route de l’ouest : une compagnie de prisonniers de guerre emmenés par des hommes en armes, vraisemblablement pour aller effectuer les travaux les plus difficiles des carrières des Montagnes Blanches.
Je ne suis pas repoussé ainsi par leur statut : ils sont plutôt des victimes du roi que des soudards. Appelés au service militaire par leur Cité qu’ils écrivent avec une majuscule, vaincus au combat et capturés, se rendant ainsi indignes de leur honneur militaire ; et maintenant employés pour remplacer les esclaves locaux, avec des chances de survivre qui s’amincissent drastiquement avec le temps pour accélérer les négociations de libérations mutuelles de prisonniers… J’ai beau être cynique, je peux compatir à une telle misère.
Et cependant, je fuis, car si je suis aperçu en train de m’acoquiner avec l’ennemi, je peux dire adieu à tout ce que j’ai ; et d’autre part, ce n’est pas parce que je compatis que je m’imagine que leur conversation ne m’ennuierait pas en un rien de temps. Je ne peux rien ni pour eux, ni par eux, ni avec eux ; alors le plus sage est de les oublier et de les distancer.
Dans trois jours, je serais à Sfakia, et le lendemain, j’irais moi-même dans les Montagnes Blanches, dont les carrières si cruelles offriront à mes yeux les marbres qu’elles gardent enfouis en leur sein, ces blocs de roche à la perfection minérale, inaltérée par leur grand âge, et pourtant si changeante sous l’œil et l’outil de l’esthète… Mais trois jours, c’est long. Auparavant, il me faudra traverser les contreforts au nord du mont Psiloritis et la plaine qui entoure la ville de Réthymnon, puis obliquer vers le sud-ouest et gravir les larges reliefs de Koumas, au-delà desquels s’étend mon objectif.
On dit qu’il existe des massifs si élevés que le froid peut y engloutir des armées entières, si l’air raréfié ne les étouffe pas avant. Ce n’est pas le cas en Crète : même comparées aux reliefs pourtant inoffensifs de la Grèce continentale, nos montagnes sont une sinécure, quoique présentant parfois des pentes plutôt rudes. Le trajet que j’effectue tient beaucoup de la promenade. Et un bon promeneur, ça admire les paysages.
La mer, au-delà de vertes collines, le ciel bleu comme une prairie où pâturent des Wattouats de nuages… Il y a beaucoup à admirer. Dire que certains se contentent de voir vaguement les villes et parfois les campagnes ! Le soldat et l’artiste doivent être deux Humains différents. Quand ils voient une carte de l’île, nos Stratèges voient la fertile plaine centrale à préserver en priorité, les espaces moins hospitaliers donc sacrifiables de part et d’autre ; les baies nombreuses pouvant abriter autant de navires, les chapelets d’îles où installer des tours de guet ; la population nombreuse qui alimente leurs guerres…
Mais la Crète, ce n’est pas ça. C’est une île, donc une côte, et cette côte abrite une profusion d’Habitants (dont surtout les élégants Goélises) ; ce sont des montagnes parfois rudes, battues par les vents marins, et que la pluie arrose généreusement (ce qui en fait les montagnes les plus vertes de toute la Grèce) ; ce sont des fleuves au cours joyeux et joueur, incapables de filer droit, et ne résistant jamais à l’envie de dévaler un précipice ; la Crète, ce sont des Humains qui cultivent assez pour laisser tranquille la viande d’Habitant, et des Habitants satisfaits de leurs montagnes, qu’on n’a jamais vu attaquer un Humain.
C’est un équilibre, une harmonie constante entre la montagne et la mer, entre le Soleil et la pluie, entre les Humains uniformes et les Habitants éclatants de diversités. Un équilibre qui pourrait être rompu par d'autres Habitants, ou par plus d'Humains ; un équilibre qu'on sit impossible dans certaines régions du moned. Ce qui ne le rend que d'autant plus beau.
Suis-je le seul Humain de l’île qui la voie ainsi ? Je ne sais pas, et je m’en moque. Peu m’importent mes congénères, j’ai une île entière à contempler.
***
Sfakia. Une ville bien plus charmante que Cnossos. Elle s’étage le long d’un versant assez doux des Montagnes Blanches, ce qui permet de voir en tout endroit le port et la mer. C’est un port de pêche, qui a tendance à être peu rempli : une birème y est stationnée, et le reste de la flotte est de sortie dans une mer pas trop dangereuse. Au sud, l’eau étale ses reflets argentés ; au nord, le massif couvert de forêts resplendit de verdure.
L’échoppe de Hioklon n’a droit à aucun de ces deux panoramas. Elle est située au fond d’une ruelle sombre, dans la partie haute de Sfakia, et signalée seulement par quelques mots gravés sur une porte. Mais cette apparence relativement misérable ne reflète absolument pas l’intérieur. Hioklon tient en effet à ne sculpter qu’à la lumière solaire, et il trouve encore le moyen d’y poser ses conditions. Selon les matériaux qui dansent dans ses mains, il exigera une lumière indirecte, voire une pénombre crépusculaire ; ou bien il voudra être éclairé directement par le Soleil. Résultat : il a détruit le toit le jour où il s’est installé ici.
J’entre ainsi dans une cour intérieure écrasée par la chaleur de midi, pour y trouver sans surprise l’esthète en train de jouer du burin sur un bloc d’ébène. Un matériau dont les tons sombres justifient de le travailler à la lumière, mais de là à s’exposer à la fournaise comme le fait Hioklon, il y a plus qu’un pas. Je pourrais presque le soupçonner de ne pas voir clair si je ne l’avais pas vu tailler le marbre à la seule lumière des étoiles.
Alors, Hioklon ? Encore en train de faire fondre tes outils ?
— Si un commentaire pareil ne vient pas de ce bon vieux bougre de Dédale, rétorque-t-il, je veux bien m’admettre surpris !
Sa voix nasillarde fait référence à une vieille histoire entre nous.
Quoi, lui demande-je innocemment, tu ne t’es toujours pas remis de cette petite bricole ?
— Tu as quand même remplacé les manches de mes marteaux !
— Hioklon, c’était il y a vingt-cinq ans.
— Ce n’est pas une excuse !
— Pff… Arrêtes de t’agiter et viens plutôt discuter avec moi à l’ombre. Un de ces jours, tu vas attraper une insolation !
— Et toi, est-ce que tu attraperas une pneumonie avec ta manie de dormir dehors ? Cesse donc de dire des insanités pareilles. Je suis à toi dans un instant, le temps de finir les lignes directrices de ceci.
Je ne réponds rien et vais m’adosser à un mur. Que répondre à une tête de bois aussi bornée ? En attendant qu’il estime avoir assez avancé son ouvrage pour l’interrompre sans nuire aux inspirations de sa Muse, je laisse traîner mes yeux sur son atelier. Aucun risque de les y perdre, avec l’organisation dont Hioklon fait preuve. Il est incapable de supporter le désordre, à tel point que chaque outil laisse une légère marque sous lui là où il est posé. Au centre, un bon espace est réservé au travail des matériaux. Tout autour, des établis alignant leurs rangées d’instruments, des tables où exposer diverses œuvres à la vue des visiteurs, quelques chaises au cas où… Le long du mur, quelques plants de vigne grimpent vers une tonnelle, améliorant un peu l’habitabilité de la cour.
Hioklon, malgré son apparence peu amène et sa voix étrangement autoritaire, ne prolonge pas ses efforts dans le seul but de me faire patienter. Il donne un dernier coup, puis s’estime satisfait. La conversation que je suis venu chercher aura lieu dans une trentaine de secondes. Le sculpteur s’écarte de son sujet, et repose une à une les extensions de ses mains à leurs emplacements respectifs. Puis il tire deux chaises à lui et m’en offre une. Maintenant, les coups de ciseau et le murmure étouffé de la ville qui s’étend hors d’ici vont laisser place à la parole. Une parole au ton plutôt accueillant
Bien… Dis-moi, mon vieux Dédale, pourquoi diable as-tu pris la peine de venir de Cnossos jusqu’à Sfakia, et même de Sfakia jusqu’à chez moi ?
— Plusieurs raison. Fuir Cnossos, déjà. Ensuite, je devais aller examiner pour le compte du roi les derniers filons découverts dans les gorges de la Samaria. Mais tout cela ne m’a que donné un prétexte pour passer. Hioklon…
— Tu arrêtes avec ce silence tout de suite et tu me dis ce qui ne va pas au lieu de me faire perdre mon temps.
Hioklon est capable de passer de la gaieté à une extrême froideur à une vitesse incroyable. J'ai l'impression de parler à deux personnes différentes tant sa voix a changé de résonance.
Le roi se méfie de toi. Et tu sais ce que ça signifie.
— Ben voyons, répond-il en retrouvant sa bonne humeur. Tu as beau faire partie de l’entourage proche de Minos, Dédale, même toi tu ne peux pas savoir ce qui se passe dans la tête de cet homme. Tu es nul quand il s’agit d’interpréter les signes qu’envoie le corps.
— Certes. Néanmoins, quand il t’évoque, c’est toujours d’un ton de plus en plus sombre. Je crois bien que ta dernière fresque en l’honneur des ancêtres d’Ogyndon lui a semblé un peu trop honorifique, un peu trop—
— Cesse, Dédale, coupe-t-il d'une voix qui a encore changé au profit d'un désintérêt légèrement amusé. Si le roi a parlé, et je te connais assez pour savoir que tu n’aurais rien compris à moins de cela, alors c’est qu’il n’y a plus rien à faire pour moi. Laisse-moi… Tu es un joyeux compagnon, mais si ma liberté doit s’éteindre bientôt, alors je veux terminer ce bloc.
— Es-tu soucieux à ce point d’honorer tes contrats ?
— Non. Je changerais ses lignes, j’en ferais la dernière mémoire de moi. Toi aussi, tu seras une mémoire de moi… Garde le souvenir de ce que tu veux. Mais à présent, fuis-moi. Il ne fait pas bon rester dans l’entourage de gens comme moi.
Je me lève, mais je ne peux pas partir comme ça, sans un dernier mot pour un vieil ami… Il le faudrait, mais je m’y refuse.
Tu as toujours été un meilleur observateur que moi, Hioklon… Tu reproduis la Nature, et moi, je ne peux que m’en rappeler. Voilà ce que je garderais de toi : cette méticulosité dans l’observation.
— … Merci.
Je me retourne et sors de son atelier. La ruelle où il se situe est toujours aussi obscure. Et cette obscurité fut ma chance. En arrivant à mi-chemin de la rue éclairée, je vois soudainement un soldat y passer, traversant un fugace instant le bout de lumière que j’aperçois ; et lui ne m’a pas remarqué.
Si j’avais fait ce que me demandais Hioklon, si j’avais quitté cet endroit sans me retourner, ce soldat m’aurait vu en sortir. Il n’aurait rien fait, bien sûr, mais il m’aurait peut-être reconnu. Le bruit aurait couru que Dédale a visité Hioklon en passant à Sfakia. Minos en aurait eu vent. Et il n’aurait pas été long à lier les événements pour deviner mes motivations.
Peut-être rien n’en serait-il ressorti ; mais avec le tempérament imprévisible du roi, c’est un risque qu’il vaut mieux éviter de prendre. Loué soit le hasard qui m’a fait le contourner.
***
Sur ma droite, le mont Pachnès élève sa présence massive vers le ciel. Malgré sa largeur imposante, il veut que son sommet s’élance comme un oiseau, pour distancer ses concurrents. Ceux-ci sont nombreux… Dans les Montagnes Blanches, Pachnès les domine tous ; mais de toute l’île, c’est Psiloritis qui est le point le plus élevé. J’imagine que Pachnès s’en console en pensant qu’il règne sur le massif d’où s’élèvent le plus de hauts sommets, et qu’il les distance tous ; mais une montagne peut-elle supporter qu’on la dépasse sur son propre territoire ? Comment cela pourrait-il être conforme à la volonté des Principes de la Nature ?
Peut-être aussi que, comme le pensent certains, les montagnes ne sont pas des Habitants gigantesques qui vivent à une vitesse dont la lenteur s’étire sur les millénaires, mais seulement des masses de roches, inertes et mortes. Sans conscience. Cela peut-il exister ? Les êtres, les plantes, les cailloux même, pourraient vivre, et pas les montagnes ? Qui sait.
Devant moi, c’est le mont Volakias qui grimpe orgueilleusement le long de ses propres pentes. S’il pense, s’il est, celui-là ne doute pas d’être le plus important de toute l’île, à voir la façon dont il écarte les autres et se dresse en solitaire dans l’azur du ciel. Ou bien peut-être est-il le plus triste car manquant de compagnie ; à moins encore que cet écartement ne soit qu’un état temporaire, un remous de la foule des montagnes, trop court pour être perçu de Volakias ?
Sur ma gauche, aucune montagne ne vient transpercer de sa flèche l’omniprésence de l’eau. C’est à peine si j’aperçois, en plissant les yeux, l’île de Gavdos, à l’horizon. La Terre aime bien la diversité, le chaos, et encourage ses reliefs à rivaliser en tout ; mais l’Océan, lui, exige de ses eaux l’uniformité parfaite.
Derrière moi, c’est le monde des Humains. Il n’est pas aussi lointain que Gavdos, mais pas aussi proche que Pachnès et Volakias : je n’ai marché qu’une demi-journée depuis Sfakia. Ce monde-là est plat comme une foule de bâtiments qui dessinent leur horizontalité comme ils l’entendent, et pyramidal avec un seul homme à son sommet. Il est chaotique dans une guerre qui prône l’ordre. Il s’établit sur la terre, car il ne peut survivre que là, mais se lance sans cesse dans l’océan. Il est, par essence, contradictoire. Si d’un jour sur l’autre il respecte une certaine cohérence, il ne s’en enfonce pas moins dans la non-logique la plus complète.
Et ainsi, en contemplant les Montagnes Blanches, je me tiens à l’interface des mondes. Ce que je viens de dire est faux, car je suis Humain, et donc contradictoire. Je ne suis à l’interface d’aucun monde, seulement entre deux territoires Humains, légèrement différents. Devant moi, comme derrière moi, c’est le monde des Humains, et je ne peux lui échapper nulle part, car je le porte avec moi, et je vais toujours vers lui. Alors, allons.
Au pied de Volakias passe la Samaria, qui coule de Pachnès. Son cours tempétueux a creusé au fil du temps un défilé profond, et souvent large. Et sur les parois de celui-ci, on trouve de nombreux filons : surtout du quartz, mais qui contient parfois de l’or, et il y a également des pierres agréables à la taille. Dont les fameux marbres des Montagnes Blanches. Ceux que je suis venu voir. Et que je ne verrais pas si je reste ici toute la journée. Le campement principal des mineurs ne va pas venir à moi !
Quand j’y arrive, personne ne vient m’y accueillir non plus. C’est un poste militaire, gardé par des soldats de métiers… Si le chef de la garde se déplaçait pour me recevoir, il ne conserverait aucune autorité sur ses hommes. Cependant, je sais que des sentinelles m’ont repéré et signalé. Mon visage est plutôt connu, et l’on sait que je viens sur la volonté du roi, donc on s’est arrangé pour ne pas contrôler mon identité, mais je ne suis pas naïf. Ça fait partie du jeu.
La partie libre du camp est bien tenue, mais je vois, plus loin, les tentes où vivent les travailleurs de force, et je sais qu’eux n’ont pas droit à autant d’égards que les ouvriers volontaires. Au centre de cette partie libre, la tente de l’intendance se démarque seulement par la bannière de Crète qui flotte au sommet. Là sont traitées toutes les affaires d’administration du camp. Et il y a deux gardes devant. Je m’arrête devant eux, sans un mot ; le plus petit entre. Il ressort un instant plus tard, suivi de Teoppaos, directeur de l’intendance et cousin éloigné. De moi, évidemment. Il m’interpelle gaiement.
Ah, Dédale ! Nous avons été prévenus de votre arrivée. Souhaiteriez-vous descendre dès maintenant vers la rivière ?
— J’ai marché toute la journée, Teoppaos… Bien sûr, que je veux y aller maintenant ! Demain, mes yeux se seront vidés de mon voyage, et je n’aurais plus de quoi comparer un or à un autre.
— Alors, répond-il avec son plus grand sourire, allons-y !
J’aime bien Teoppaos. On peut le faire tourner en bourrique toute la journée, il ne perdra jamais son air joyeux. C’est sans la moindre aigreur qu’il me précède vers l’entrée de la gorge. Le camp est établi près de l’embouchure de la Samaria, pour permettre de facilement en remonter le cours vers le nord, sans avoir à descendre ses pentes.
Et nous remontons à pieds le cours de la rivière. Qu’y a-t-il à en dire ? Ce n'est guère qu'une suite d'actions répétées, sans mouvement véritable. Nous parlons, Teoppaos vérifie que le travail était fait correctement, je contemple les veines de quartz qui sont péniblement extraites du flanc des falaises, et je prends bonne note : pour Minos, que l’or pourrait être extrait sans doute jusqu’à la fin de l'année, et pour moi, qu’aucun des marbres que l’on sortirait d’ici avant longtemps ne m’inspire d’émotion artistique, ni ne vaut d’être acheté et travaillé.
Cela nous prend du temps, et l’après-midi est bien entamé quand nous atteignons le coude au-delà duquel le défilé n’est plus exploité. Teoppaos s’est laissé retenir de bonne grâce, et maintenant qu’il ne peut plus rentrer au camp avant la nuit, pas même en prenant la ravine assez douce qui permet de n’avoir que la moitié de la distance à parcourir, il me propose encore de faire le chemin inverse avec lui. Je refuse ; nous sommes arrivés dans un territoire dont on ne sait pas trop s’il appartient aux Humains ou aux Habitants, mais passer une nuit là ne me dérange pas.
J'occupe donc la fin du jour à apprécier une bonne baignade dans la rivière. Après une longue journée passée à marcher au soleil, rien ne vaut un bon bain. Quand j'en ressors, le soir tombe et illumine le ciel. Les ombres ont déjà envahi la gorge, mais j’ai des yeux assez bons pour voir dans ce clair-obscur. Je n’aurais pas pu rater l’Habitant qui s’est perché à quelque distance de moi, accroché au flanc de la falaise. Un magnifique Pyrax, aux ailes aussi rouges que le ruban de ciel qui passe au sommet des parois.