Chapitre 5 - Mauvaise pêche
Une femme en blouse blanche passa la porte et essuya ses lunettes dans sa manche. Elle n'eut pas le temps de faire un pas dans la pièce qu'une petite silhouette lui bondit dessus.
« Qu’est-ce qu'ils ont ? Ils vont mourir ? »
Elle se pencha vers la petite fille et lui sourit.
« Non, Emi. Ils vont bien. »
Elle se tourna ensuite vers les autres personnes présentes dans la salle et essuya à nouveau ses lunettes dans la manche de sa blouse, plus comme un tic nerveux que pour réellement les nettoyer.
« Ne vous en faites, pas, tout le monde va s'en sortir. Ce n'est rien de grave. »
Les hommes et femmes qui la fixaient intensément laissèrent échapper un soupir de soulagement, leurs fronts ridés par l'anxiété. Emi et plusieurs enfants étaient là aussi, ne comprenant pas trop ce qu'il se passait. Ils étaient déjà tous allés se faire examiner par Eve lorsqu'ils étaient malades, et le médecin les avait toujours soignés. Ils ne voyaient pas pourquoi les adultes s'étaient fait tant de souci.
Tous ceux qui passaient entre les mains d'Eve se voyaient guéris.
Une femme qu'Emi reconnut comme la mère de Sarah s'avança pour sortir du petit groupe.
« Alors, que s'est-il passé ? Qu'est-ce qui leur est arrivé ? »
La doctoresse se tourna vers elle et fronça les sourcils. Elle semblait préoccupée et aussitôt une vague d'inquiétude s'empara à nouveau des adultes dans la salle.
« Ils ont été victimes d'un léger empoisonnement.
- Un empoisonnement ? s'exclamèrent plusieurs personnes en chœur.
- Oui. Heureusement, c'était à un taux très faible. Ce que j'ai retrouvé dans leurs corps ressemble aux substances nocives qu'on trouve dans les produits détergents.
- Qui aurait pu faire ça ? Vous pensez que c'est l'un d'entre nous ? s'inquiéta un homme en marinière. Et surtout, pourquoi faire une chose pareille ?
- Du calme. Personne au village n'a fait ça. Azumarill et moi avons mené notre petite enquête et il a trouvé cette substance dans les poissons qui ont été pêchés récemment, mais en très grande quantité. »
Elle marqua une pause dramatique, s'assurant que tous étaient suspendus à ses lèvres. À ses pieds, Emi se mordit la lèvre en commençant à comprendre. Est-ce qu’ils étaient malades à cause du poisson ?
« J'ai immédiatement ordonné aux pêcheurs de se débarrasser de la collecte infectée. Il s'agissait d'un banc de Magicarpe pêchés à l'Ouest, et de quelques Remoraid au Nord. Et tous ceux qui sont tombés malades étaient sur les lieux au moment de la pêche. Ils ont donc été empoisonnés à cause de l'eau, qui a elle-même rendus malades les Pokémon pêchés. »
Eve croisa les bras, les reflets sur les verres de ses lunettes rendant son regard indéchiffrable. Chacun savait qu'elle était rarement contrariée par les nouvelles qu'elle rapportait de son cabinet, mais que lorsque c'était le cas, ça ne présageait rien de bon.
« Alors, que pouvons-nous faire ? demanda la mère de Sarah qui semblait soudain avoir perdu de sa prestance.
- Il va falloir que l'on trouve la source de cette pollution et qu'on s'en débarrasse. »
Emi leva la main pour demander la parole et Eve se tourna vers elle pour l'inciter à parler. Hésitante, la petite se racla la gorge et se mit à jouer nerveusement avec son bracelet.
« On pourra les revoir bientôt ? »
Elle avait demandé tout haut ce que tous songeaient tout bas, et le médecin hocha doucement la tête.
« Oui, bien entendu. Je les ai gardés en observation pour être sûre que ce n'était pas contagieux, mais maintenant que je sais comment les soigner ils vont pouvoir rentrer chez eux. Vous pouvez venir les chercher » ajouta-t-elle enfin en ouvrant la porte dans son dos, révélant un long couloir.
L'un des hangars de bois de Pacifiville, le plus grand à l'époque, avait été transformé en un hôpital de fortune. Il relevait plutôt de la grande infirmerie car il ne comportait qu'une dizaine de petites chambres d’un à deux lits, mais c'était amplement suffisant. Les habitants du village étaient rarement malades et lorsque les quelques ressources médicales dont disposait Eve ne suffisaient plus, il leur suffisait d'appeler les urgences pour que le malade ou blessé soit transporté par hélicoptère jusque dans un hôpital compétent du continent.
Emi fut l'une des premières à entrer dans le couloir en lambris, bien loin des murs blancs et froids des hôpitaux de Hoenn dont Annie lui avait parlé. Quelques posters de prévention sur la grippe étaient affichés aux murs mais elle ne s'y attarda pas, connaissant déjà les consignes par cœur. Dans un village aussi petit que Pacifiville, chacun devait prendre soin d'éviter la transmission des maladies. Si plus personne ne pouvait pêcher ou manœuvrer un bateau, ils auraient beaucoup de mal à survivre.
Eve arrêta quelques groupes de personnes à l'entrée des premières chambres en leur donnant des indications avant de leur ouvrir la porte, puis guida l'enfant à la pièce suivante. La blonde posa ses doigts fins sur la poignée de la porte ornée d'un « 3 » gravé à même le bois, et sourit.
« Rassure-toi, ils vont très bien. Je leur ai déjà dit quoi faire pour aller mieux, ils doivent juste faire attention à ce qu'ils mangent et prendre du repos. Je compte sur toi pour les forcer à rester au lit, d'accord ? »
Emi acquiesça sans un mot et Eve lui fit signe d'entrer dans la pièce avant de continuer à accompagner les autres.
La petite salle de bois ressemblait plus à l'intérieur d'un chalet de montagne qu'à celui d'une maison flottant sur la mer, avec tous les tableaux et les plaids à carreaux qui l'ornaient. Lorsqu'elle entra, une personne se redressa dans l'un des lits.
« Emi ? C'est toi, ma petite ? »
La brunette reconnut Annie et bondit vers la pêcheuse, un immense sourire illuminant son visage.
« Annie ! Annie, ça va ? Tu n'es plus malade ?
- Je suis encore un peu fatiguée, mais c'est tout. Eve m'a bien soignée.
- Oui, je le savais, elle soigne toujours très bien les gens ! »
Puis elle parcourut le reste de la salle du regard et ses yeux se posèrent sur un second lit. Une forme qu'elle reconnut comme celle d'un corps roulé en boule soulevait la couverture régulièrement, au rythme du souffle de son occupant. Emi se tourna de nouveau vers Annie, s'assit sur ses genoux, et chuchota.
« C'est Arthur ?
- Oui. Il dort encore, il n'a pas beaucoup fermé l'œil de la nuit. Il faut dire qu'il est allé pêcher plus loin que moi, et tous ceux qui étaient avec lui ont eu aussi plus de mal à s'en remettre.
- Qu'est-ce qu'on fait ? On le porte jusqu'à la maison ?
- Non, il est trop lourd pour ça, ma puce. On va juste attendre un peu ici pour voir s'il se réveille bientôt. Sinon, on va rentrer sans lui. »
La petite brune sursauta.
« Mais ! Mais moi je veux Arthur ! J'ai pas arrêté de m'ennuyer sans lui. »
Elle ferma ses yeux larmoyants et renifla bruyamment, les poings serrés.
« Je veux pas qu'il meure. »
A la fois touchée et amusée, Annie s'autorisa un léger rire.
« - Mais non, petite puce. Il ne va pas mourir.
- Alors pourquoi il ne se réveille pas ?
- Je te l'ai dit, il est juste très fatigué. Il ne faut pas le réveiller. »
Emi inclina légèrement la tête puis sembla réfléchir, avant de se laisser glisser au sol. Elle se dirigea à pas feutrés vers le lit d'Arthur et se pencha au-dessus de lui. Les yeux fermés et la respiration calme, il était allongé sur le flanc et ses genoux étaient repliés contre sa poitrine en position fœtale. Annie se leva à son tour pour la rejoindre.
« Qu'est-ce que tu fais ? chuchota-t-elle, curieuse.
- Je vais le réveiller pour qu'il vienne avec nous.
- Emi, non ! Il est fatigué, laisse-le tranquille. »
La petite l'ignora avec superbe et se pencha si près de l'oreille du garçon que ses cheveux bruns s'étalèrent sur sa joue.
« Arthuuuur, il faut se lever... »
N'obtenant pas de réponse, elle ignora le raclement de gorge d'Annie et continua, un petit sourire malicieux sur les lèvres.
« Je vais manger le dernier poffin jaune et tu ne pourras pas m'en empêcher, si je rentre sans toi. Tu sais, le tout moelleux avec un cœur acide ? Miam, j'ai faim rien que d'y penser... »
Aussitôt, Arthur ouvrit les yeux et lui lança un regard noir.
« Si jamais tu fais ça, je te jette à la mer avec un boulet au pied. Tu m'as déjà pris le mien la dernière fois. »
Emi se redressa pour le laisser s'asseoir et éclata de rire, alors qu'Annie soupira.
« Désolée, elle est trop têtue et elle voulait vraiment que tu rentres.
- J'ai entendu, sourit Arthur en s'asseyant.
- Mais t'inquiètes, Annie ! Je savais bien qu'il dormait pas pour de vrai. Quand il dort il s'étale et même que des fois il bave !
- Hé ! »
Arthur fronça les sourcils et s'apprêta à riposter, mais Annie le coupa avec un petit rire.
« Oui, c'est vrai. Mais il voulait peut-être quand même prendre du repos, tu sais ? »
Le brun acquiesça vigoureusement dans le dos de la pêcheuse, mais Emi haussa les épaules et s'approcha du sac d'Annie pour remballer leurs affaires.
« Alors il pourra se reposer à la maison. »
Cette fois, la dresseuse éclata de rire et donna une légère tape au garçon, qui leva les yeux au ciel avant de se dresser lentement sur ses jambes tremblantes. Il était encore très faible, cette stupide intoxication l'avait cloué au lit pendant trois jours. Trois jours pendant lesquels il n'avait pas pu participer à la vie du village, trois jours pendant lesquels il avait été inutile.
Et puis surtout, il était inquiet.
S’ils ne pouvaient plus pêcher, qu'allaient-ils bien pouvoir manger ?
En quittant l'infirmerie, son fidèle sac à dos en jean sur son épaule, il serra un poing faible et tremblant. Dès qu'il serait de nouveau en état de prendre la mer, il irait aider les hommes du village à trouver la source de pollution, et à s'en débarrasser.