Chapitre 3 : La fille tombée du ciel
An 1700, 15 août, 18h34, Mont Argenté, Château Royal de Johkania, balcon
- Sire… Le château est encerclé ! Toutes les issues sont bloquées, et nos défenses ont été décimées. Il… il faut se rendre…
Je décapitai d’un geste l’insolant qui venait de prendre la parole, avant de me rendre compte qu’il s’agissait de mon Grand Chancelier, sans doute le dernier membre de mon cercle qui me soit resté fidèle. Bah, tant pis. Cet imbécile pensait-il vraiment que les rebelles allaient l’épargner s’il se rendait ? Iskurdan, qui commandait les insurgés, avait beau être un homme de raison et de pardon, il ne pourrait pas tenir sa bande de chiens enragés s’il ne leur donnait pas du sang.
Sur le balcon de mon château, je pouvais voir l’armée rebelle massée tout autour, avec même pas mal de manants sans arme qui étaient venus juste pour contempler ma chute. Si seulement j’avais encore ma Johkanroc, je les aurait tous balayé d’un simple geste, Dix Héros ou non. Mais Myrevia, ma propre fille, me l’avait volée avant de prendre la fuite. C’était plus son idiotie que sa trahison qui me bouleversait. Croyait-elle pouvoir plaider la clémence des Dix Héros pour elle et son gamin ? Valrika aurait tôt fait de la réduire en charpie, quoi qu’elle ait pu faire contre moi…
- MEURS, ROI FOU !
Ce cri provenait de l’un de mes propres gardes, resté derrière moi. Lui et un autre avaient sorti leurs épées et s’étaient jetés sur moi. Une trahison de plus, mais je ne les comptais plus, depuis quelque jours. Ces deux idiots pensaient peut-être pouvoir récolter la gloire d’avoir éliminé le Roi Éternel à eux seuls, et passer ainsi pour des héros aux yeux des rebelles ? Mais ils avaient seulement accéléré l’heure de leur trépas. Sans prendre la peine de me retourner, je bloquai leur épée de mes mains seules, avant de leur ouvrir la gorge avec un seul doigt.
Les domestiques du château qui attendaient nerveusement derrière poussèrent un cri de terreur en voyant les gardes mourir dans leur propre sang. Peut-être que eux aussi étaient des traîtres ? Tout le monde en était, après tout. Peut-être que moi aussi, j’en étais un. J’éclatai de rire, et cela ne fit visiblement rien pour rassurer mes serviteurs. Je me retins de les tuer en passant devant eux. Leurs vies ne valaient même pas la peine que je les prenne…
- Je sors, leur dis-je.
- M-Majesté ? Balbutia l’un d’entre eux.
- Je suis lassé de tous ces coups de poignards dans le dos. Si c’est bien la fin de mon règne, autant qu’elle soit digne d’être contée dans les histoires. Je m’en vais retrouver les Dix Héros. Tout se terminera dans la cour. Regardez, et si vous survivez à tout cela, rappelez-vous de ce que vous aurez vu.
Ils pensaient que j’allais à ma mort, ces mortels imbéciles ? Mais la mort n’avait pas de prise sur moi. J’étais Zephren Karkast, le Roi Éternel ! Même à dix contre un, certains des Héros allaient trembler devant moi. Car j’étais une légende vivante, en place depuis près de deux cent ans. Si les Dix Héros voulaient en forger une nouvelle, ils allaient devoir enterrer l’actuelle.
***
Le contrebas des chutes Tohjo. La base culminait à plusieurs dizaines de mètres. Un spectacle naturel rare, parmi les chutes les plus impressionnantes aux mondes de ce qu’en pensait Garneth. Bon, c’était aussi les premières qu’il voyait mais ça comptait quand même. Et s’il faisait l’effort de se briser la nuque pour lever la tête, il apercevait la cime du Mont Argenté, le point culminant de Johkania, et zone de l’ancien château royal. Sa destination symbolique.
Cela faisait maintenant une bonne semaine que Garneth avait quitté Ville Griotte pour mettre le cap vers ni plus ni moins que la grande aventure de sa vie. Tout ceci accompagné de sa caractérielle mais néanmoins fidèle monture, Bourrinos. Ce début s’était passé relativement bien. En tout cas pas aussi pire que ne l’avait imaginé Garneth. En effet, il était même parvenu à chevaucher son Bourrinos pendant presque une heure avant que celui-ci ne rue à l’entrée de Bourg de Geon, leur première escale, pour le désarçonner face à la population locale. Ce qui n’avait pas manqué de faire rire.
Il en avait, cela dit, profité pour se recueillir au petit culte local de Destinal afin de favoriser son propre et formidable destin. Il avait pu dormir la veille dans une auberge du village, laissant Bourrinos dans une étable. En tout cas c’est ce qu’il avait fait s’il n’avait pas du garder ses pièces pour faire des achats le lendemain. Donc il dormit dans l’étable avec son Pokemon.
Le lendemain matin, lorsqu’il se leva à cause du boucan dans le bourg, il constata d’abord qu’il faisait assez tard. Il avait dormi comme une souche et le soleil n’était pas loin de son zénith. Super, il allait encore prendre trois plombes de retard à cause de son chemin. Il sortit avec Bourrinos en enlevant la paille de ses vêtements et parti vers la place du marché dans l’espoir de faire quelques courses. Encore une fois, c’était loupé. Beaucoup d’étales étaient vides, certaines d’ailleurs semblaient avoir été abandonnées à l’arraché. Bref, il devait rester à peine un ou deux marchands. Tant pis, il ferait avec.
Faisant le plein de provisions avec ses maigres économies, il s’était lancé pour contourner le lac séparant Bourg de Geon des chutes Tohjo. Oui, il avait déjà dû reconstituer son stock de nourriture. Son Bourrinos avait été particulièrement vorace, et lui-même était un piètre chasseur. Et, manque de chance, il avait chuté dans des hautes herbes avec son paquetage et des Pokemon sauvages en avaient profité pour venir se servir.
- Dans mes mémoires, je noterai que j’aurai fait don de tout ça aux pauvres Pokemon affamés, ça fera plus héroïque et moins… Garneth, avait-il alors marmonné, très impliqué par l’empreinte qu’il allait évidemment laisser dans l’Histoire.
Quant au contour du lac, eh bien… il aurait été beaucoup plus simple de le traverser avec une barque, mais il n’avait pas les moyens d’en louer une et, en plus, Bourrinos refuserait de monter dessus, en pauvre Pokemon Sol détestant l’eau qu’il était. Il avait donc dû tout contourner à pied, à travers l’épaisse et dense forêt. Parcours de combattant épique qu’absolument personne de sensé ne prenait. Mais Garneth Tenzio n’était pas n’importe qui. Du coup, lorsqu’il parvint enfin à en sortir, il considéra ça comme le premier de ses hauts faits. Aussi relatif soit-il. Il croisa en arrivant à l’entrée de la caverne quelques personnes mécontentes qui allaient en sens inverse. Pourquoi râlaient-ils ? Aucune importance aux yeux de Garneth.
Et le voilà donc enfin face aux majestueuses chutes Tohjo. La beauté des lieux correspondait aux descriptions qu’il en avait eu. Il n’était pas déçu. A quelques détails prêts. En effet, depuis la fin de la révolution contre la monarchie, le lieu portait toujours les féroces stigmates d’une bataille qui s’était déroulé ici même. Et si les chutes étaient belles, eh bien, les contours n’étaient ni plus ni moins que les restes d’un immense champ de bataille. Avec les cadavres décomposés que cela implique.
Garneth en avait entendu parler. Les armées de l’Ouest et de l’Est devaient faire jonction au niveau du fameux Plateau Indigo, puis faire marche ensemble jusqu’au château royal de Johkania. Mais pour les armées de l’Ouest, le seul accès était le passage des Chutes Tohjo. Et c’est donc évidemment là que les armées royales avaient posé un barrage au sommet pour accueillir l’armée de l’Ouest en contrebas. La bataille avait dû être terrible, Garneth le voyait bien, certaines armes de siège détruites trônaient d’ailleurs toujours là.
Mais, toujours d’après la légende, c’est une percée héroïque de Sainte Alysia et de sa Sainte Garde qui permit aux armées de l’Ouest de forcer le barrage et de balayer l’armée royale. Comment avait-elle réussi ? Il n’en avait pas la moindre idée, mais il s’imaginait une charge majestueuse et héroïque, avec la lumière divine tombant sur Alysia détruisant à elle seule quintaux de soldats royaux et qui…
Garneth fut tiré de ses pensées en se rétamant de façon totalement ridicule par terre, sous le regard désespéré de son Bourrinos. Il se releva et regarda en jurant comme pas possible et en donnant un violant coup de pied dans l’indigne objet responsable de sa chute. Mauvaise idée. C’était tout simplement une armure cassée restée sur place et qui bloqua comme dans ses beaux jours le pied de Garneth.
- Mais c’est pas vrai… j’suis vraiment un poissard, bon sang de bonsoir !
Ou un crétin impulsif, semblait songer Bourrinos. Selon le point de vue c’était sans aucun doute correct. Mais de celui de Garneth Tanzio, c’était encore un obstacle de posé sur son incroyable destin. C’est alors qu’en plissant les yeux, Garneth eut une formidable révélation. Il reconnut sur l’armure le logo à moitié effacé de Destinal.
C’était une ancienne armure de la Sainte Garde. Évidemment, puisqu’elle s’était battue ici elle avait forcément dû y laisser tomber quelques objets. Peut-être que Garneth y trouverait de l’équipement utile. Aussi, il décida de faire une pause avant son ascension pour fouiller les alentours du champ de bataille, des fois qu’il trouverait quelque chose d’intéressant. Mais en dehors des épées cassées, des casques fendus, des armures percées, rien de trop bien fameux. C’était presque démoralisant. De temps en temps, Garneth s’arrêtait pour contempler le silence qui régnait sur ce qui avait été il y a quelques années de ça le théâtre d’un conflit violent. Dire que rien que ça l’impressionnait, il avait hâte de voir le château abandonné de Johkania.
Parfois, il était un peu dégoûté en voyant quelques restes squelettiques. Si la plupart des corps avaient été évacués et récupérés des lieux de conflits ces dernières années, il en restait parfois un ou deux ci et là. L’endroit ne faisait pas exception. C’est alors qu’au gré de sa recherche, il parvint à trouver deux trois petits objets intéressants. Une étoffe avec le symbole de Destinal qu’il rajouta à sa tunique, ainsi qu’un fourreau de la Sainte Garde dans lequel il rangea son épée, puis qu’il attacha ensuite dans son dos. Tout de suite, il était beaucoup plus classe ! Et il pourrait continuer à honorer la mission du défunt garde qui était mort aussi pour la gloire de Destinal.
Inspiré, Garneth se dirigea vers droit vers la Chute Tohjo, désireux de prendre une pose héroïque avec son nouvel équipement, pour immortaliser le moment dans son esprit. Le buste droit, l’épée en main droite tendue vers l’avant et le pied droit posé victorieusement sur un reste d’armure royale, le vent balayant sa chevelure rouge… Sans doute une vision idyllique pour quiconque serait passé par là en ce moment.
Hélas, personne n’était malheureusement là pour voir ça. Même Bourrinos s’en fichait et broutait de l’herbe tranquillement. Si seulement il existait un genre d’objet permettait d’enregistrer des moments de la vie réelle… Mais tant pis. Seul l’esprit de Garneth se souviendrait de ce moment. Il en imposait, c’était comme ça, il n’y pouvait rien. Il était Garneth Tenzio après tout…
Alors qu’il était affairé dans ses pensées à tenir la pose, il entendit soudain un drôle de bruit. Bruit qui semblait se rapprocher. Comme un genre de cri strident. Proche. De plus en plus proche… du genre qui arrivait très vite. Il chercha du regard, puis leva la tête pour voir au dernier moment une silhouette lui tomber dessus à grande vitesse. Il eut tout juste le temps d’entendre une chose avant de se le prendre dans la figure et d’être assommé :
- BADABOUM !
***
Ce matin là, le soleil s’était levé et les oiseaux chantaient dans le ciel bleu. Une journée parfaite pour la pétillante et radieuse Spinellie. Qu’allait-elle faire de beau aujourd’hui ? Dépouiller les vils marchands pour offrir aux victimes de la guerre ? Jouer les voleuses de grands chemins sur les routes pour détrousser les notables qui passaient ? Simplement soulager les nantis de Bourg de Geon de quelques pièces d’or pour les mettre dans sa tirelire Ecremeuh ? Nul ne saurait le dire et les idées fourmillaient dans la tête de la fille la plus active et débrouillarde à l’est des ruines Alpha.
Elle mit ses mitaines fièrement, attacha sa petite queue de cheval et enfila son écharpe, sans oublier de prendre son outil de travail, sa dague. Bien évidemment, Spinellie ne tuait pas, pas plus qu’elle ne blessait. En fait elle n’aimait pas sortir sa jolie dague pour menacer les gens. Mais en avoir une faisait beaucoup plus sérieux. Tous les voleurs de grands chemins en avaient une, Spinellie était sûre de l’avoir vu dans les livres. Alors elle aussi en avait une. Elle sortit de sa cabane construite dans la forêt au bord du lac Tohjo, et se dirigea d’un pas décidé et souriant vers le Bourg non loin.
Elle ramassa quelques baies pour faire son petit déjeuner improvisé sur la route. Comme elle passait le plus clair de son temps dans la nature, Spinellie savait parfaitement quels fruits, légumes, champignons ou racines étaient comestibles et lesquels ne l’étaient pas. Elle se refusait à manger de la viande. Tuer pour se nourrir lui semblait être un non-sens. Sa cueillette faîte, un petit Rattata bien décidé à venir faire une collation vint la retrouver. Elle lui fit un grand sourire et lui offrit une baie Mepo.
- Heeeey, salut Krok ! Bien dormi toi aussi ? Moi j’ai la pêche ! Aujourd’hui, on va faire notre centième pièce tu vas voir !
Krok n’était pas n’importe quel Rattata. C’était tout simplement le meilleur ami de Spinellie. Il lui répondit avec quelques couinements et alla se jucher sur son épaule pour continuer son repas. Elle l’avait rencontré il y a quelques semaines en emménageant dans la forêt, lorsqu’elle avait fait de Bourg de Geon sa nouvelle zone cible. Spinellie déménageait souvent pour raisons… professionnelles. Et sans trop avoir le choix, fallait-il le dire.
Aussi, elle se liait parfois d’amitié avec quelques Pokemon environnants. Et ici, ce fut Krok. Un nom qu’elle lui avait offert sur un éclair de lucidité juste après leur rencontre, et qu’il lui ait mordu le doigt pour qu’elle ne le caresse pas. Ce qui avait donc fait le bruit de Krok. Tout du moins dans l’esprit farfelu de la jeune femme.
Spinellie marcha en direction du Bourg de Geon et entra toute guillerette dans l’enceinte de la ville. Précisément elle entra d’un mètre dans l’enceinte de la ville. Avant d’être stoppée par un Soldat de la Paix qui l’attrapa par l’épaule et la toisa du haut. Elle tenta de lui rendre son regard courroucé, mais du haut de ses cent cinquante centimètres, Spinellie n’impressionnait pas grand monde. Pas pour autant qu’elle se débinait.
- Sache que je t’ai à l’œil petite, toi et ton Rattata. Vous fichez le boxon à chaque fois que vous venez ici, alors ne recommencez pas. Compris ?
- Oui m’sieur Soldat ! Je serais encore plus sage que l’Oracle elle-même ! Parole d’Escroco ! Lui répondit-elle avec son visage enfantin et son air enjoué habituel.
- Parole d’Escroco ? Répéta le soldat, confus.
- Beeeeen… je sais pas moi. Il y a Escroc, il y a croco, fit Spinellie en bougeant ses mâchoires pour mimer un crocodile. On doit bien pouvoir en faire quelque chose non ?
Le soldat soupira, apparemment habitué des bouffonneries incompréhensibles de la jeune femme.
- C’est bon, circule. Mais pas de vagues.
Et il marmonna dans sa barbe des commentaires à propos des jeunes gens désœuvrés et incultes qui devenaient des vagabonds, et que ça n’aurait pas été comme ça du temps du roi, oh que non ! Spinellie quant à elle continua à gambader avec son air guilleret comme si de rien ne s’était passé. Pourquoi parole d’Escroco ? Aucune idée. Elle avait entendu ce nom quelque part un jour, mais ne se rappelait plus d’où ni même de ce qu’il signifiait.
En tout cas ça faisait toujours de l’effet de sortir des mots que personne ne connaissait. Spinellie adorait faire ça, généralement pour finir ses phrases. En plus, elle connaissait pleins de mots dont elle ignorait le sens, ça tombait bien. Alors elle n’allait pas se priver pour les partager avec les autres. On la prendrait alors pour une fille intelligente, forcément !
Elle se dirigea en sautillant sur le marché bondé de Bourg de Geon. Il ne se réunissait pas souvent, mais pour cette bourgade isolée, c’était toujours un moment qui attirait du monde. Et pour la redoutable Spinellie, c’était l’occasion de repérer des cibles pour ses fameux doigts de fées. En se mêlant à la foule, se faisant oublier grâce à sa petite taille, elle essayait de repérer les plus riches manants qui se promenaient dans le coin. Pour ça elle repérait la bourse de pièces d’or qu’ils possédaient et la taille qu’elle faisait. Une méthode infaillible.
Aujourd’hui elle ambitionnait donc de ramener sa centième pièce pour sa tirelire Ecremeuh. C’était une jolie tirelire en porcelaine qu’elle avait trouvé une fois dans les déchets d’une maison de la grande Doublonville. Un peu sale et ébréchée, mais Spinellie s’était immédiatement prise d’affection pour elle, et en avait fait sa cachette pour ses piécettes. Elle avait constaté que cent, c’était le max qu’elle pouvait mettre dedans, aussi, quant elle était pleine, elle allait distribuer le contenu à ceux qui vivaient dans les ruines Alpha. Un lieu abandonné et reclus où étaient réunis tout les démunis et laissés pour compte de l’Est. Elle s’y rendait de temps en temps pour donner le fruit de ses rapines à ceux qui en avaient besoin. Elle irait donc bientôt si tout se passait bien aujourd’hui.
Elle avait repéré sa cible. Un type bien habillé qui faisait le tour de tous les stands. Il avait un gros sac plein de pièces qu’il récupérait des marchands. Ce serait un gros coup, elle aurait même sûrement trop pour Ecremeuh, mais tant pis, elle ferait avec. Spinellie pris la position la plus discrète qu’elle pouvait, c'est-à-dire accroupie derrière quelques caisses en bois près d’un étale que le type n’avait pas encore visité. Et elle attendait, prête à agir, son fidèle Krok à l’affut qui revint vers elle lorsque l’homme fut à portée.
Elle s’avança vers lui à pas feutrés, avec toute la discrétion dont elle pouvait faire preuve, puis tandis doucement sa main vers la bourse attachée à la ceinture de l’homme. Elle scruta autour d’elle, personne ne regardait. Elle rapproche sa main, doucement, délicatement. Elle mit enfin la main dessus et commença à l’ôter de la ceinture avec son légendaire doigté, puis s’empara de l’objet de ses désirs. Lorsqu’elle réalisa qu’elle y était enfin parvenue, elle brandit la bourse en l’air d’un air victorieux en s’exclamant fière d’elle avec un air ravi :
- VICTOOAAAARE ! Hurla-t-elle, tendant deux doigts en V en avant.
Naturellement, tout le monde, alerté par son cri, se retourna pour la regarder, y compris l’homme qu’elle venait de détrousser. Spinellie réalisa soudainement sa bêtise, regardant tout le monde autour d’elle en cachant la bourse dans son dos, comme si ça allait changer quoi que ce soit. Krok semblait tirer sur l’écharpe de Spinellie comme pour lui dire de partir, tandis qu’elle riait nerveusement devant l’homme qui lui jeta un regard noir.
- Rends-moi ça, sale petite voleuse ! As-tu la moindre idée de qui je suis ?
- Euuuuuh… euuuuuh… DiKrokversion !
Elle jeta Krok au visage du type. Le Rattata lui mordit le nez tandis qu’il se débattait en hurlant. Spinellie en profit pour partir en courant aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient, tandis qu’elle entendait l’homme hurler des jurons colorés. Les Soldats de la Paix se mirent en mouvement pour la poursuivre. Hélas pour eux, nulle personne sur terre n’était aussi doué que Spinellie lorsqu’il s’agissait de détaler.
Elle l’ignorait, mais elle s’était mis à dos Jeremiah Kifor, le notable de Bourg de Geon, principale personnalité du village, qui venait juste récupérer les droits d’emplacement des marchands venus vendre leur camelote. Et c’était précisément ces droits qu’elle avait dérobé. Autrement dit, ils ne comptaient pas la lâcher.
Elle fila se cacher dans les bois où Krok la retrouva comme prévu. Rapide fin et discret, le Rattata savait toujours passer dans les divers recoins pour s’échapper. Et cette fois n’avait pas fait exception. Aussitôt après avoir mordu Jeremiah Kifor, il s’était laissé tomber et avait disparu entre les jambes des chalands pour suivre et rattraper Spinellie. Certains avaient essayé de l’attraper, mais bon, réussir à coincer un petit rongeur au milieu d’une telle foule était tout sauf évident. En plus comme la région grouillait de Rattata attirés par les odeurs du marché, ils avaient vite fait de le confondre avec les autres.
Tout ne s’était pas passé comme prévu mais en fin de compte, Spinellie s’était bien procurée les pièces tant espérées. Elle ne réussissait pas tout le temps mais là pour le coup c’était une belle prise. Peu importe ses poursuivants ; elle changerait juste de ville, comme souvent. Pourquoi ne pas partir vers l’Est pour changer d’ailleurs ? Il y avait la nouvelle capitale, Safrania, avec sans doute des gens très fortunés. Tout plein de richesses qui n’attendaient que la jeune voleuse.
Elle se rua dans sa petite cabane. Elle gravit l’arbre rapidement et se saisit de sa fameuse tirelire Ecremeuh, tentant de la remplir avec ses nouvelles pièces. Raté, comme elle le craignait, tout ne rentrait pas. Elle tenta de tasser mais cessa, de peur d’abîmer sa belle tirelire. Elle réfléchit alors à une autre solution qui lui vint comme l’éclair. Elle enroula précieusement les autres pièces dans un morceau de tissu après avoir jeté la bourse de cuir qui pourtant aurait très bien pu contenir les pièces restantes.
Alors qu’elle se dit que dès demain elle irait aux Ruines Alpha, elle entendit de la clameur en bas de son arbre. Elle sortit la tête et aperçut avec surprise que la garde arrivait. Et pas seulement, des marchands aussi et des villageois ! Elle avait sacrément attiré l’attention, et ils organisaient une battue pour la retrouver. Superzut ! Il fallait mettre les voiles de toute urgence et pour l’instant dans la direction opposée à Bourg de Geon.
Elle prit son sac de voyage et rangea dedans tout ce dont elle avait absolument besoin, à commencer par sa tirelire Ecremeuh et son surplus de pièces. Quoi d’autre ? Elle pris rapidement ses rares vêtements de rechange, sa carte très abîmée de Johkania, et jeta même sans faire attention Krok dans son sac. Ce dernier se plaignit en ressortant, tandis que Spinellie s’excusait de sa maladresse. Elle mit son sac en bandoulière autour de sa taille, Krok sur son épaule, et parti le plus vite possible de sa cabane.
Qu’y avait-il à l’opposé de Bourg de Geon ? Les chutes Tohjo, parfait ! Elle les grimperait donc et sèmerait donc ses poursuivants là bas. Pas le temps de réfléchir, elle se mit en route en courant, se faisant vite repérer par la battue organisée. Elle alla au plus vite qu’elle pouvait, utilisant le terrain à son avantage pour empêcher les gardes en armure de la rattraper. Heureusement pour elle, elle se faufilait rapidement entre les arbres et faisait des tours et des détours pour les perdre. Toutefois, leur nombre était quand même impressionnant et il y en avait toujours un pour la voir au bout du compte.
Lorsqu’elle arriva dans la grotte des Chutes Tohjo, elle resta quelques secondes à les admirer et à reprendre son souffle jusqu’à ce qu’elle entende la foule arriver dans son dos. Prise d’un petit cri de panique, elle repartit de plus belle en grimpant aussi vite que possible à la paroi. Spinellie était agile, très agile. Et visiblement, ils n’étaient pas armés d’arcs ou de ces nouvelles armes à feu que possédait la Sainte Garde. Bourg de Geon était relativement pauvre et ignoré donc les soldats n’étaient pas très bien équipés.
Une fois arrivée en haut, elle rigola bien en se moquant d’eux puis détala à toutes jambes, pour aller se cacher derrière un rocher, essoufflée. Elle prit quelques minutes pour se reposer, serrant son sac et sa tirelire contre elle. Elle repartit vers la sortie opposée, allant donc vers l’inconnu. Elle trouverait bien un moyen d’aller aux Ruines Alpha de là bas, maintenant qu’elle leur avait échappé. Sauf qu’à sa propre surprise, moins de cinq minutes après, elle retrouva deux soldats face à elle. Elle écarquilla bien grand les yeux en les voyant.
- Ben comment vous m’avez dépassé ? J’vous ai pas vu grimper ! J’vous préviens j’rendrai pas les pièces. Je les ai volé honnêtement, crottes de Chartor violettes !
Les deux gardes se regardèrent d’un air surpris. Les voleurs ne se dénonçaient pas d’eux-mêmes, généralement, encore moins en parlant de « crottes de Chartor violettes ».
- Montrez-nous votre sac, mademoiselle, répliqua calmement le soldat.
C’était effectivement Soldats de la Paix. Mais pas ceux de Bourg de Geon qui avaient abandonné la poursuite. Juste des soldats surveillant les chutes. Comprenant qu’elle avait encore gaffé, Spinellie pris la décision la plus logique et radicale qui soit. Partir en courant en sens inverse. Et ça ne manqua pas les soldats la poursuivirent de nouveau. Elle accéléra et tourna la tête pour tenter de les dissuader.
- J’vous jure que j’ai rien fait ! C’est une erreur, foi de Tritox !
Visiblement, ils ne furent pas convaincus, et elle continua donc à fuir comme une personne innocente devrait le faire, naturellement. Elle sentit soudain Krok tirer sur son écharpe sans savoir pourquoi. Elle le vit même sauter de son épaule. Puis soudain, elle réalisa. Dans son élan, elle n’avait pas vu la fin du chemin et percuta une pierre, tombant de tout son long dans les Chutes Tohjo. Les gardes se penchèrent pour regarder en bas, sa silhouette rétrécir au fur et à mesure de sa descente.
- Laisse tomber, elle survivra jamais à ça de toute façon…
Son compagnon acquiesça et ils repartirent. Quant à Spinellie, et bien dans sa chute elle serra bien son sac contre elle en hurlant, s’apprêtant à se fracasser non pas contre le sol, mais contre un jeune crétin qui prenait la pose en bas et ne voyait pas le danger venir…
- BADABOUM ! Cria Spinellie en le percutant, comme un cri du cœur.
***
Spinellie sentait quelque chose lui lécher la joue. Elle ouvrit peu à peu les yeux, se massant le crâne, souffrant de la chute. Elle vit Krok qui était à ses côtés. Elle le gratifia d’un petit sourire puis regarda autour d’elle, tentant de se resituer. Elle était en bas des Chutes Tohjo, et à priori, elle n’était miraculeusement pas blessée, elle avait juste un peu mal au crâne. Un drôle de canasson brun était debout à côté d’elle, elle plissa les yeux en le regardant puis lui offrit un grand sourire.
- Bonjour monsieur dada !
Elle ne s’attendait pas à une réponse mais au moins à une réaction. Ce ne fut pas le cas. Elle vit qu’en fait ce n’était pas lui qu’il regardait mais ce sur quoi elle était assise. Elle baissa les yeux et aperçut qu’elle était juchée sur un jeune homme évanoui. Elle se leva soudain en criant et en gesticulant. Elle paniqua quant elle compris que c’était sur lui qu’elle était tombée et qu’elle était responsable de son état. Elle tenta de le supplier de se réveiller, le saisissant et le secouant comme un prunier. Elle vit qu’il saignait un peu du crâne et paniqua de nouveau. Spinellie déchira une partie de son écharpe pour bander le crâne du jeune homme, espérant que ça serve à quelque chose, puis se remit à le secouer avec une force clairement surhumaine.
- NE MEURS PAS MONSIEUR ! DIS, NE MEURS PAS, SPOINK NECROMANCIEN !
Comme il ne réveillait toujours pas, elle décida donc de veiller sur lui, ne sachant trop quoi faire d’autres. Elle savait qu’il y avait des gens ou des Pokemon pour guérir les blessures, mais elle n'avait jamais eu à faire à eux, car Spinellie ne se blessait jamais. Et retourner à Bourg de Geon n’était pas la meilleure idée qui soit. Visiblement lassé, Bourrinos eut une autre solution à proposer. Il s’avança et marcha sur le pauvre jeune homme avec son sabot, écrasant son ventre comme si de rien état. La réaction ne se fit pas attendre, il ouvrit rapidement les yeux en hurlant de douleur tandis que Spinellie cria aussi en pensant que la monture voulait le tuer.
- Arrête Dada ! Tu vas lui faire mal, supplia-t-elle.
- Que… il s’est passé quoi ? Questionna l’homme aux cheveux rouges, reprenant son souffle. Une attaque des Agents de la Fatalité ? Ça y est, la guerre a commencé ?! Ils ont eu trop peur que je rejoigne les Gardiens, et ont tenté directement de me tuer ?!
Spinellie ne comprit pas grand-chose à son charabia, mais fut soulager de le voir en forme. Elle s’assit en face et lui offrit son plus beau sourire malgré un air un peu gêné qui traduisait clairement sa culpabilité dans la situation.
- Beeen… il se pourrait bien que j’sois tombée de tout la haut pile sur ta caboche, dit-elle en pointant le sommet des Chutes Tohjo. Mais tu m’en veux pas hein dis ? Ce n’est pas ma faute, ce sont de méchantes personnes qui me poursuivaient ! J’suis super gentille, alliage de carbonate d’Etouraptor.
Spinelle lui fit une petite moue et des yeux humides dignes d’un Caninos battu, ce qui eut tôt fait d’embarrasser le jeune homme et de le faire rougir. Une drôle de fille que voilà, qui parlait drôlement et qui tombait du ciel tout aussi drôlement. Mais elle était assurément très mignonne.
- C… ce n’est pas grave… balbutia-t-il. Je n’ai pas l’habitude que des jolies filles me tombent littéralement dessus, mais je ne vais pas flancher pour si peu. Je suis un héros après tout ! Je me nomme Garneth, enchanté !
Spinellie se stoppa en ouvrant grand la bouche à l’annonce de Garneth, elle semblait très impressionnée par la personne qu’elle avait face à elle. Elle se recula pour le scruter de bas en haut, faisant le tour du garçon toujours assis.
- T’es un héros ? Un vrai de vrai ? Mais c’est méga super trop classe !
- Je.. oui évidemment que je suis un héros ! Ha ha ha ! Alors ne t’en fais pas. En fait tu ne m’es pas tombée dessus, c’est moi qui ait essayé de te rattraper héroïquement ! Expliqua Garneth sans se vanter… ou très peu.
Spinellie semblait vraiment estomaquée par les dires de Garneth, avalant absolument toutes ses paroles. Garneth lui-même semblait surpris de la crédulité de la jeune femme mais en profita pour se faire mousser et sauver les apparences. Pour une fois qu’il pouvait tourner sa malchance à son avantage, il n’allait pas se priver. Et puis, il avait vraiment l’allure d’un héros après tout, avec sa tenue de voyage et son épée trop stylée.
- Tu n’as donc pas à t’en faire, jeune demoiselle, tout est parfaitement sous contrôle.
- Spinellie, précisa la jeune fille. C’est mon nom, banquier épicé à l’Elekable.
- Tu dis que tu étais poursuivie ? S’enquit Garneth. Qui oserait donc s’en prendre à une fille si innocente ? Dis-moi leur identité, douce Spinellie, et je m’en irai châtier ces mécréants en les assommant avec le glaive de la justice !
- Ooooohhhhh ! Oui oui, faut les justificier avec ton glaive ! Ce sont de méchants gardes qui ont voulu me voler les piépièces que j’avais volées ! Tu le crois ça, monsieur le héros de la justice ?! Ce n’est pas carrément méchant pas gentil ?!
- Hum hum, si si, assurément, approuva Garneth. De tels personnages ne devraient même pas exister. C’est une insulte à Destinal. Provideum le grand les châtiera, et…
Il s’arrêta soudainement, prenant enfin conscience des paroles de Spinellie.
- Euh… attend voir… tu dis que ce sont des pièces que tu as… volé ?
- Oh, volé, c’est un grand mot, renchérit Spinellie avec un sourire désarmant. Il y avait ce pauvre monsieur qui en avait beaucoup trop et qui était embêté à toutes les porter. Je l’ai juste aidé, et je suis sûre qu’ils se sent mieux sans tout ça.
- Je… je vois…
Le sens de la justice de Garneth fut mis à rude épreuve. Il avait clairement à faire à une voleuse des chemins. Une voleuse sans doute pas très douée ni avec une intelligence remarquable, mais une voleuse quand même. Voler était contre les enseignements de Destinal, et si Garneth arrivait à rejoindre la Sainte Garde, il serait amené à combattre ce genre de criminels. Mais il ne se sentait certainement pas capable de capturer Spinellie pour la livrer aux autorités. Elle lui faisait un peu pitié, et puis… elle était un peu trop mignonne.
- Eh bien, j’espère que tu échapperas à ces… euh… méchants garde. Sur ce, je vais reprendre mon glorieux chemin vers le château royal !
- Le château royal… répéta Spinellie lentement.
Elle avait un ton et un regard absent, comme emprunt d’une certaine nostalgie. Elle parut réfléchir un moment, puis pris une décision.
- Donc, c’est décidé. Je viens avec toi, monsieur le héros justificateur !
- Hein ?
- Tu as essayé d’me sauver, t’as dis. Bon, cette petite chute ne m’aurait pas trop fait mal, mais quand même, c’est l’intention qui compte comme on dit, comptabilité Tutenkafer.
Garneth leva la tête jusqu’en haut des chutes Tohjo. Une petite chute, qu’elle disait ? Garneth voyait mal comment elle aurait survécu à ça. Il voyait déjà mal comment elle pouvait ne rien avoir même en ayant atterrit sur lui.
- Euh… oui, sans doute, mais quel rapport avec mon voyage ?
- Je t’accompagne jusqu’au château, en remerciement. Je te protégerait des méchants. J’en ai pas l’air, mais j’suis super fortiche !
- Je n’en doute pas, mais je t’assure que ce n’est pas nécessaire. Je suis un héros après tout, et je…
- Bon, alors c’est décidé, décréta Spinellie. Direction le château royal !
Elle se mit à regarder au sud comme si elle s’attendait à le voir de loin, alors qu’il était totalement au nord d’ici. Garneth était embêté. Il n’avait rien contre la compagnie d’une jolie fille, et surtout d’une qui semblait l’admirer. Mais cette Spinellie était clairement une voleuse, en plus d’être franchement bizarre et tête en l’air. Elle avait l’air d’être ce genre de fille qui attirait les ennuis comme un Tauros attirait les mouches.
- Le château est plutôt loin à pied, insista Garneth. Puis j’y vais juste en pèlerinage, pour trouver la foi de bien débuter mon voyage héroïque jusqu’à la capitale. Tu es sûre ?
- Sûre comme les mamelles d’un Cadoizo constipé ! Assura Spinellie. Comme le disait un ami à moi, il faut toujours régler ses dettes !
Spinellie ramassa son sac et constata au passage que sa tirelire Ecremeuh était fort heureusement intacte. Krok reprit place sur son épaule, et Spinellie sautilla littéralement sur place, comme un coureur dans l’attente du départ, attendant que Garneth ne démarre. Ce dernier resta un moment immobile, éberlué devant cette fille qui semblait d’un autre monde. Puis finalement, il se leva, et haussa les épaules, l’air de dire : « Bah, finalement, c’est aussi ça, l’aventure : des imprévus et des rencontres étonnantes ».