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Dissension de Lacrima



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Informations

» Auteur : Lacrima - Voir le profil
» Créé le 21/03/2019 à 10:30
» Dernière mise à jour le 24/03/2019 à 10:08

» Mots-clés :   Action   Hoenn   Organisation criminelle   Présence de personnages du jeu vidéo

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Chapitre 2 - Un thé pour un foyer
Le crépitement des flammes cessa dès qu'elle tourna le bouton de sa gazinière et Annie prit avec précaution la casserole avant de l'emmener jusqu'à la table. Deux bols l'y attendaient, contenant chacun un petit sachet rempli de feuilles vertes et de baies séchées. Elle y versa l’eau bouillante et s'installa sur un des coussins qui servaient d'assise autour de la table aux pieds coupés. Tout était comme ça ici ; quand on vit au rythme des vagues, il vaut mieux être près du sol pour ne pas perdre l'équilibre.
En face d'elle, le garçon qu'elle avait récupéré en mer la veille la remercia en prenant un bol. Il baissa les yeux et fixa pendant quelques instants la surface du liquide qui se colorait petit à petit ; elle ne cessait d'être agitée de légères vaguelettes. Tout autour de lui, le sol sous ses pieds, les murs en bois verni et le plafond qui les protégeait du soleil ardent tanguaient lentement au rythme des vagues.
A son réveil, il s'était d'abord à nouveau cru à bord du Lokhlass et une vague de panique s'était emparée de lui. Il s'était levé d'un bond du matelas au sol sur lequel on l'avait installé, avant de se souvenir de la suite de l'incident.
Oui, une inconnue l'avait emmené vers un village flottant sur l'océan avant qu'il ne perde connaissance.

« Alors… Arthur, c'est ça ? »

Tiré de ses pensées, il se redressa et hocha lentement la tête.

« Oui, madame.
- Tu peux m'appeler Annie, sourit-elle tendrement. Comment tu te sens ?
- Je… ça va. »

Il détourna le regard et fixa le plancher. En réalité, il n'allait pas bien du tout. Il était terrifié. Il ne savait pas où il était, ni qui était cette « Annie », et surtout…

« Je… j'ai juste du mal à croire que je suis encore en vie. »

La pêcheuse inclina la tête et se mit à remuer lentement le contenu de son bol avec une cuillère en bois. Un fort pigment orange s'échappait peu à peu du sachet pour se répandre en tourbillonnant, et un délicieux fumet fruité se propagea dans la pièce.

« Qu'est-ce qui t'es arrivé, exactement ?
- J'étais à bord d'un ferry pour Hoenn. Le Lokhlass. Mais… on a été pris dans la tempête et le bateau a coulé.
- C'est ce que j'ai entendu dire, en effet. C'est une chance que tu t'en sois sorti en vie, fit-elle en prenant une gorgée de thé.
- C'est surtout le Carvanha que vous avez vu avec nous qui m'a sauvé. Sans lui, la petite et moi, on se serait noyés. »

A l'évocation de l'enfant, il se souvint tout à coup qu’il n’était pas arrivé seul au village et une once de panique passa dans son regard.

« D'ailleurs, où est-elle ? Elle va bien ? »

Ses yeux inquiets balayèrent frénétiquement les murs de bois et les rideaux faisant office de portes, mais Annie l'invita au calme en posant une main douce sur son bras.

« Rassure-toi, elle est en bonne santé. Elle s'est réveillée ce matin et je lui ai donné à boire et à manger, mais elle s’est rendormie juste après avoir terminé son bol. La pauvre est épuisée.
- Et elle vous a dit quelque chose ? Qui elle est, d'où elle vient ?
- Eh bien, à vrai dire... »

Annie prit le temps de s'installer de nouveau dans son coussin et prit une longue gorgée de thé, hésitante. Finalement, sous le regard intrigué d'Arthur, elle se lança.

« Elle semble avoir perdu la mémoire.
- Quoi ? s'exclama-t-il, surpris. Elle ne se souvient pas du tout du naufrage ?
- Ni de sa famille. Elle a été incapable de me dire où elle habite, qui l'accompagnait sur le bateau, elle a oublié jusqu'à son nom de famille et même son âge. Elle a simplement pu de me dire qu'elle s'appelait Emi, et toi Arthur. Je pensais que tu pourrais peut-être l'avoir connue avant le drame pour m'aider à retrouver sa famille, je n'ai personne à contacter.
- Sa famille était avec elle sur le bateau, et ils ne s’en sont pas sortis. C'est tout ce que je sais. »

Le souvenir de l’homme et du garçon qui avaient tout risqué pour lui venir en aide ressurgit avec une violente nausée, et il repoussa doucement sa tasse. L’espace d’un instant, la maison tangua au rythme de la tempête et le doute s’insinua en lui, pervers, vicieux.

S’ils n’avaient pas fait demi-tour pour l’aider, est-ce que la petite aurait encore eu une famille aujourd’hui ?

Et s’il ne s’était pas endormi ? S’il s’était relevé plus vite après sa chute ? S’il avait saisi la main du garçon, lorsqu’ils se tenaient l’un à côté de l’autre sur le pont ?

S’il avait été plus fort, tout simplement ?

Annie l’observait sans rien dire, le souffle court. Quoiqu’il ait survécu sur ce bateau, il ne s’en remettrait certainement jamais.

Ce fut un petit ronflement provenant d’une pièce adjacente qui les ramena à l’instant présent, et ce minuscule signe de vie arracha un soupir de soulagement au garçon.
Puis il fit la moue. C’est vrai que lorsqu'il avait trouvé la petite en mer, elle n’avait pas semblé se souvenir de son propre prénom.
Alors comme ça, elle n'avait pas retrouvé la mémoire en prenant du repos ? Si c'était ça, Annie avait raison. Ils allaient avoir du mal à recontacter sa famille.

« Son prénom, commença-t-il. Elle l'a oublié aussi. Elle avait juste un morceau de mouchoir brodé sur elle, sur lequel il y avait écrit Emi. J'en ai déduit que c'était comme ça qu’elle s’appelait, mais j'ai peut-être tort.
- Tu as bien fait, sourit Annie. En lui donnant un prénom, tu lui donnes une identité, si inexacte soit-elle. C'était son seul repère quand on a discuté, je doute qu'elle aurait été capable de me dire quoi que ce soit sans ça. »

Rassuré de savoir qu’elle était en sécurité, Arthur prit une gorgée de thé. La boisson amère lui arracha une grimace. En notant son nez froncé, la pêcheuse s’autorisa un sourire lui tendit une petite boîte fleurie.

« Tiens, mets-du sucre. Ce sera meilleur. Désolé, je n'ai rien d'autre à proposer pour le moment, nos marchands n'ont pas encore ramené de lait pour cette semaine.
- Merci. C'est vrai que ça ne doit pas être facile d'élever des Ecremeuh en pleine mer, ajouta-t-il pour alimenter la conversation.
- À qui le dis-tu ! Ces bêtes ont un de ces mal de mer, c'est une horreur. Et elles mangeraient toutes nos réserves de baies, je doute que ce soit rentable pour le village.
- À ce sujet... »

Arthur jeta un rapide coup d’œil par la fenêtre, seulement pour y observer quelques barques amarrées et plusieurs pêcheurs affairés sur les pontons flottants. Ils tanguaient tous au même rythme, et le mouvement lui donna légèrement mal au crâne.

« Où sommes-nous, exactement ?
- Je t'ai ramené à Pacifiville. C'est, comme tu as pu le constater, un village flottant. Nous vivons sur la mer et avec elle, mais rien ne nous empêche de descendre sur la terre ferme de temps à autres pour troquer avec les marchands de Poivressel, par exemple. Tu te doutes bien qu'on ne fait pas pousser des baies ici.
- Poivressel ? fit-il en se tournant à nouveau vers elle. Vous voulez dire que nous sommes à Hoenn ?
- Plus précisément dans les courants de Hoenn. On ne devrait pas être loin de Nénucrique, pour les deux semaines qui viennent. Ensuite, on sera certainement poussés vers les montagnes au Nord.
- Le village se déplace ?
- On a une ancre quand on a besoin de rester en place, mais en général nous préférons dériver avec les courants marins. Ils sont nombreux à Hoenn et nous permettent de changer régulièrement de lieu de pêche pour ne pas affecter la vie des Pokémon eau. »

Arthur sentit un poids quitter ses épaules quand il comprit qu'il était non seulement arrivé à Hoenn, mais qui plus est loin de la civilisation. C'était la cachette idéale, et au lieu de passer sa première nuit dehors il était là, à flotter sur la mer avec un matelas et du thé - un peu amer, mais très réconfortant. Et pour la première fois depuis le naufrage, il se surprit à sourire.
Annie nota son soulagement et prit une longue gorgée de thé, curieuse. Qu'est-ce qui pouvait le rendre d'humeur si légère ? A croire que ses deux seules préoccupations étaient le village et la petite Emi.

« Et toi ? fit-elle en reposant son bol. Tu étais seul, dans le bateau ?
- Non, nous étions plusieurs centaines je pense.
- … hum. »

La pêcheuse toussota et se racla la gorge, prise au dépourvu.

« Je me suis mal exprimée. Tu étais accompagné ? De la famille, des amis, quelqu'un ?
- Ah ! rit-il nerveusement, comprenant son erreur. Désolé, je suis encore un peu perdu. Non, je voyageais seul ce jour-là.
- Tu as vraiment eu beaucoup de chance, alors ! sourit-elle, soulagée qu'il ne soit pas en deuil. Tes parents vont être ravis de te savoir en vie. »

La gorge d'Arthur se serra soudain et un goût familier de bile envahit sa bouche. Pendant un instant, il revit ce visage sévère et furieux flotter devant ses yeux. Ils descendirent jusqu'à ses bras couverts de bleus avant de remonter sur le visage de sa sauveuse. Fallait-il lui dire la vérité ? Il ne voulait pas repartir. Il avait trouvé la cachette idéale, et tout le monde le croyait mort. C'était sa chance de disparaître complètement.
Comprenant que quelque chose n'allait pas, Annie blêmit.

« Oh, je… je suis désolée. Je ne voulais pas…
- Il n'y a pas de quoi l'être, sourit-il pour la rassurer. Je ne me souviens pas de mes parents.
- Et… tu as une famille, des amis à prévenir ? Un oncle, une tante ?
- Rien de tout ça. Croyez-moi, je ne vais manquer à personne.
- Alors qu'est-ce que tu faisais dans ce bateau, tout seul ? »

Il déglutit. Il lui fallait une idée, et vite. Si elle ne se montrait pas trop curieuse…

« Je suis parti.
- Comme ça, seul ?
- Je n'avais plus de raisons de rester là où j’étais avant, alors j'ai voulu tenter ma chance à Hoenn. »

Annie avisa le garçon qui remit le nez dans son bol de thé, coupant court à la conversation.

« Tu dois avoir… douze, treize ans, non ?
- Bientôt quatorze, en fait.
- Et tu as réussi à te débrouiller seul ? »

Il inclina la tête pour toute réponse et son regard alla se perdre par la fenêtre. Annie ne voyait pas pourquoi il mentirait sur son âge. Pourtant, elle avait l'impression qu'il faisait beaucoup plus vieux. Il était certes déjà plutôt grand physiquement, mais il y avait surtout quelque chose dans son regard.
Quelque chose dont il n’avait pas voulu lui parler.
Les yeux de la pêcheuse descendirent sur les bleus qu’il avait aux bras et pinça les lèvres. Elle devrait emmener ces deux enfants sur la terre ferme, les aider à retrouver leur famille et leur foyer. Il avait peut-être fui sur un coup de tête, qui sait si quelqu'un d'honnête ne l'attendait pas au port ?
D'un autre côté, elle avait envie de lui faire confiance, de le croire. Et surtout, elle s'en voudrait de le ramener à ces personnes qu'il s'était donné tant de mal à fuir.

Lorsque Arthur eut terminé son thé, elle se leva et alla rincer les deux bols dans un bac rempli d'eau claire. Elle se retourna ensuite vers lui et lui servit un sourire chaleureux.

« Écoute, Arthur. Je ne peux pas faire grand-chose pour le moment, nous sommes trop loin de la terre ferme. Je vais discuter avec les autres adultes du village pour savoir quoi faire. En attendant, je vous garde ici quelques jours. Peut-être que d'ici là, Emi retrouvera la mémoire. »

Le garçon n’eut rien besoin de dire. Les étoiles qui venaient de s’allumer au fond de ses yeux gris lui soufflèrent qu’elle avait fait le bon choix.