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Le Diable au cœur de Ronflexosaurus Rex



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Informations

» Auteur : Ronflexosaurus Rex - Voir le profil
» Créé le 16/03/2019 à 15:50
» Dernière mise à jour le 16/03/2019 à 16:14

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Guerre   One-shot   Unys

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Partie III
Quatrième jour.

La femme parle à l'enfant, un peu. Il écoute d'une oreille, acquiesce et plonge le nez dans ses livres. Toute la journée sans faute. Elle observe par la fenêtre de temps en temps, mais ne sort pas. À la place elle s'occupe du Maraiste qui traîne dans la maison, pas encore asséché par la chaleur.

Dehors, le voyageur flâne auprès de la demeure : chasse, marche, contemplation de la montagne, même une toilette avec l'eau pas propre de l'étang. Galopa rumine et avale des herbes sèches. Et la nuit tombe.


• • •

Cinquième jour.

De bon matin, la femme se lève. Le soleil est encore couché, mais qu'importe. Ses vieux doigts noueux tâtonnent contre les murs et tout ce qu'il y a autour. Les planches et les bouts de tôle empêchent la lumière lunaire d'envahir l'intérieur. Seules quelques lignes blanches bien maigres sont capables de se faufiler dans cet ersatz de salon défoncé. À chaque pas, le bois gémit. Mais il n'y a personne pour l'écouter.

Les yeux encore embués par le sommeil, elle avance doucement, sans détacher le regard de la porte. La frontière avec le dehors, toujours. Sa gorge, sèche comme la terre, lui permet tout juste de déglutir. La journée a été rude. Ennuyeuse, surtout. Pour satisfaire l'enfant, elle a daigné se cloîtrer à l'intérieur et ignorer ce citadin, cet envoyé d'Arceus. Tout ce torrent de méfiance dans un si petit corps ! Elle en vient à se demander s'il ne serait pas plus heureux avec sa véritable mère.

Dans un recoin, la bête marécageuse somnole. Elle est paisible, au moins. La sédentaire soupire. Elle aimerait bien y croire, au salut. Ce voyageur sympathique fait tout ce chemin et s'arrête ici en leur offrant un espoir. Il n'y a qu'à saisir la main tendue. C'est facile. Très facile, peut-être trop. C'est pour ça qu'elle se l'interdit. Ou alors c'est à cause du petit. Lui, il ne veut pas. Et elle ne peut pas le laisser seul, n'est-ce pas ? Elle a promis.

Mue par un bête élan de courage, elle ouvre la chétive porte, prête à tomber en poussière. Une lumière agréable l'accueille à son premier pas sur le porche. De ses yeux plissés, elle étudie les flammes dansantes. À côté, l'homme est assis, bien éveillé, son chapeau posé à terre. Il la regarde, évidemment, avec ce sourire indulgent. Le cheval dort ; ou semble dormir.

— Bonjour, m'dame.

Elle ne répond pas tout de suite. Pourquoi des banalités maintenant ?

— Venez vous asseoir, propose l'étranger en toute bonne foi. Il fait plus chaud près du feu.

D'abord, elle ne bouge pas. Elle consent à s'approcher du tas de bois brûlant, mais reste debout, les bras croisés sur une poitrine amaigrie. Elle pense à simplement tourner le dos, à retourner à l'intérieur, à fermer la porte et à oublier cet être jusqu'à ce qu'il s'en aille. S'en ira-t-il ? Si elle le lui demande, peut-être.

Mais elle ne le fera pas.

— Peut-on vraiment trouver le salut en ville ? questionne-t-elle plutôt. Est-ce que ce n'est pas un fantasme ?

L'idée ne vient pas d'elle, mais du garçon. C'est ce qu'il pense, et il a insufflé l'ombre d'un doute en elle. Malgré tout, elle a juste besoin d'une réponse claire. Un simple « oui », et là, peut-être... Arceus est un dieu, après tout. Et s'il a envoyé ce voyageur et l'a mis sur son chemin, c'est bien qu'il y a quelque chose. À attendre, à espérer. N'importe quoi. Le gamin est une forte tête, mais il suivra l'adulte plus avisée, non ?

Le citadin hausse les épaules, sans quitter son sourire.

— Je crois qu'on peut trouver le salut partout, si on s'efforce de chercher. Tout le monde y a droit. Mais il y a ceux qui se donnent les moyens, et les autres.
— Les autres...
— Ils ne le trouvent pas. Ils stagnent, et peut-être qu'à un moment donné ils finissent par recevoir quelque chose. Un signe qui se manifeste, vous voyez ?

La vieille femme tressaille. Elle voit, oui. Ça ressemble à sa situation, en fait. Cet enfant la fait stagner, en quelque sorte. Entre deux eaux, elle attend la noyade. Sans rien dire, elle se détourne et regagne la bicoque exténuée.


o o o

En pleine journée, le soleil cogne plus fort que jamais. L'enfant est réfugié à l'intérieur avec ses livres, comme toujours. Le Maraiste, intrépide, a décidé de s'aventurer dehors et s'est traîné jusqu'à l'étang, de sa démarche pataude.

Perché sur son Galopa, chapeau sur le crâne, le voyageur observe un moment le lointain. Il voit finalement apparaître la pauvre sédentaire sur le pas de sa porte. Plus reposée que cette nuit. Vaguement. Elle quitte les planches de bois et se poste à quelques mètres de lui. Les bras toujours croisés, comme en position de défense. Ça le fait sourire.

— Vous partez ? demande-t-elle, sans préambule.

L'homme sourit encore davantage, et se gratte la joue, couverte de poussière, de sable et de poils noirs clairsemés. La femme se demande une seconde s'il se rase avec cet affreux couteau à sa ceinture. Ou bien peut-être que ça pousse au ralenti, comme la végétation — ou ce qu'il en reste.

— C'est ce que vous voulez ?
— Je ne sais pas, je vous ai déjà dit.

Il hoche la tête, tranquillement.

— Non, en fait j'emmène ce vieux camarade en balade, explique-t-il en tapotant doucement l'encolure du cheval de feu. On ne laisse pas une bête pareille s'engourdir ! Je reviendrai demain soir, et puis après ça je partirai. Réfléchissez pendant ce temps là, m'dame.

Sans un mot de plus, le cavalier donne un léger coup dans le flanc de l'équidé, qui se lance au galop. La femme les regarde disparaître au loin, se demandant si ce sera la dernière fois.


• • •

Sixième jour.

Le garçon est assis par terre, dans la pièce principale de la bicoque. Ses genoux repliés soutiennent un gros et vieux livre poussiéreux, dont les pages semblent prêtes à se dissoudre au moindre contact. Avec une infinie délicatesse, de ses doigts maigres, il les tourne, tout empreint d'un presque religieux respect. Le texte est rendu presque illisible par le passage implacable du temps, mais les images, intemporelles gravures monochromes, persistent à plaire à l'œil.

Son regard, cependant, n'étudie pas l'ouvrage avec l'assiduité et l'enthousiasme qu'il y met habituellement. Ça fait quelques jours, maintenant, que le papier et les relents du passé n'ont plus la même saveur. À présent, ça coule de façon si amère sur la langue. Ça fait quelques jours, aussi, que le livre sacré du culte d'Arceus est posé sur la table et qu'on n'y a pas touché. L'enfant se refuse à parcourir ces psaumes comme pourtant il aime le faire chaque jour. Pas quand un représentant de Dieu, qui dégage une absurde odeur de maléfice, se tient sur le pas de sa porte.

Il est parti, paraît-il, et ne reviendra que dans la soirée. Alors l'être fatigué pourrait poser le grimoire et se traîner jusqu'à la table bancale pour feuilleter les pages saintes. Mais le cœur n'y est pas. L'étrange impression de danger n'est pas encore écartée, et ne le sera peut-être jamais. La femme a dit qu'il partirait demain après avoir entendu la réponse à son offre. Ça devrait suffire, mais non : le garçon a peur qu'elle fasse confiance au citadin.

Il baisse sa tête rousse et sale, les yeux rivés sur une gravure à l'effigie d'Arceus. Instinctivement, il rapproche un peu plus ses genoux de sa poitrine comme pour se recroqueviller sur lui-même et se défendre.

Ce n'est qu'un enfant.


o o o

Installée sur le perron, la femme regarde le gentil Crabicoque qui vit dans le coin, et l'indolent Maraiste qui daigne lui prêter sa maigre attention. Ainsi postés l'un à côté de l'autre dans une attitude paisible, ces Pokémon se font l'écho d'un monde meilleur désormais effondré. C'était peut-être comme ça, « avant-guerre ». Elle aimerait en savoir davantage, oui, mais s'interdit d'y penser, d'imaginer à quoi la vie pouvait ressembler avant d'acquérir cette fade dureté.

Pendant quelques secondes, elle observe le gris constant du ciel nuageux et poussiéreux. Pas de bêtes volantes en vue, aujourd'hui. Il y en a qui passent, parfois. Des créatures au plumage tranchant comme l'acier, ou d'abominables oiseaux de proie sombres au cou décharné. Plus rarement, de beaux monstres bleus cotonneux. Ou bien est-ce peut-être toujours le même. Il ne reste guère de jolies créatures.

Abrutie par la chaleur qui lui frappe le crâne, elle tâche de ne plus penser à rien et saisit sa vieille guitare. Les cordes usées sont encore en état de produire quelque son fatigué, pas trop discordant. Toute empreinte d'un presque religieux respect, elle joue sa mélodie préférée, composée il y a des années de ça par un père vieillissant à l'ombre d'un bosquet d'arbres morts. Dans un coin de son esprit trône l'image d'un Dieu bienveillant.


o o o

À la nuit tombée, le cavalier s'arrête près de la maison endormie.

Il n'y a pas trace d'un feu, ni de la femme vieillissante qui pourrait attendre son arrivée. Il descend de son Galopa, qui aussitôt s'approche d'un gros tronc noirci et se couche à côté pour profiter d'un sommeil enchanteur.

L'homme sourit, sans malice, et s'allonge à côté en attendant que vienne le jour.


• • •

Septième jour.

De bon matin, la femme se lève et traverse la maison jusqu'à la porte. L'enfant, avec la gorge nouée par l'appréhension, la suit de près, sans aucun livre dans les bras pour le protéger de la dureté du vrai monde.

L'humaine aux traits ridés regarde ce garçon qu'elle connaît à peine et qu'elle ne sait pas aimer. Son visage est calme, et non crispé par quelque colère. Soulagée, elle hoche la tête comme pour donner son assentiment, et ouvre la porte. Le soleil, puissant, pénètre dans l'habitacle sous forme de rayons chauds et aveuglants. Elle vacille un moment, songe à refermer le panneau de bois, puis s'avance finalement en pleine lumière, humant la senteur terreuse du dehors.

Elle entend le petit qui bouge avec hésitation derrière elle, restant bien dans son ombre. C'est bien la première fois qu'il avoue sa peur devant quelque chose. Le voyageur se tient debout, à côté de sa monture qui paraît presque menaçante. Dans une attitude noble et imposante, le cheval à crinière de feu semble plus en forme que jamais. Et même les côtes qui se dessinent sous sa chair blanche ne nuisent pas à l'aura de force qu'il dégage.

Sous son grand chapeau noir, l'homme sourit de son air bienveillant, avec l'attitude de celui qui sait qu'il a déjà gagné. De fait, c'est certainement le cas. La femme ne se sent pas la force de faire quoi que ce soit.

— On dit qu'Arceus a mis sept jours à façonner le monde à l'aide de ses mille bras. Le Diable aurait besoin de moins de temps que ça pour le détruire, mais l'Homme s'en est occupé en premier.

La sédentaire hoche la tête. Elle a déjà entendu cette histoire. Derrière elle, le garçon se tend, à l'affût de la moindre intention suspecte. Mais l'étranger ne bouge pas d'un pouce, ne fait pas mine de s'approcher. Il continue de parler, avec un calme parfait et un ton badin.

— De cette vieille histoire est née une coutume que le Diable aime bien. Peut-être que ce n'est pas une figure très avenante, mais nous aimons tous les traditions. Le Diable accorde sept jours aux âmes qui ne trouvent pas le repos pour qu'elles se rendent... ou non.

L'homme fait un geste de la main, pour signifier une chose sans importance.

— L'issue est la même, évidemment. Mais se rendre de son plein gré a une saveur plus agréable que de se faire tirer par le bras. Collecter des dettes n'a rien d'amusant, vous savez.

Les habitants de la maison écoutent. Que peuvent-ils faire d'autre ? Une étrange paralysie semble prendre possession de leurs corps. Pourtant le voyageur n'a pas bougé. Toujours debout, les mains derrière le dos, dans une position de sympathique passivité. Mais il ne sourit plus.

C'est alors qu'ils le remarquent. La femme, ébahie, et l'enfant, résigné. Une chose noire, un peu plus loin, qui s'agrandit au fil des secondes, jusqu'à prendre la forme d'une sorte de porte ouverte ; une gueule béante. Il y a l'air d'y avoir des choses, de l'autre côté, mais impossible de discerner ce dont il s'agit. De cette ouverture sur un autre monde émane une singulière puissance. Ils ne peuvent pas l'entendre, mais ils croient ressentir un appel en provenir. Un appel inéluctable. Celui d'Arceus, ou peut-être celui du Diable.

Sans dire un mot, l'étranger retire son chapeau et le tient contre sa poitrine, dans un geste d'une incongrue solennité. La femme se retient de céder à la panique. Le garçon espère qu'il n'ouvrira pas la bouche pour proférer des paroles dénuées de sens et des vœux de paix factices.

Il s'approche, le pas sûr et tranquille, pour accorder un sourire sincère et une tape sur l'épaule. Son regard est grave lorsqu'il se tourne vers la porte noire, dont l'appel se fait de plus en plus insistant.

— « Malheur aux vaincus », disent les vainqueurs. Reposez-vous et oubliez ce monde sale et détruit. Giratina sait être accueillant.

Le gamin se fend d'un regard haineux et s'en va vers cet autre monde qui le demande. La femme le regarde faire, hébétée, incapable de bouger les jambes et de le suivre. Elle sent une main se poser dans son dos et la pousser doucement. Le voyageur marche à côté d'elle, l'aide à marcher jusqu'à sa destination. Elle lève les yeux pour regarder son visage et croit y voir son défunt fils, ou ce qu'il aurait été s'il avait survécu jusqu'à un âge plus adulte.

La dernière chose qu'elle voit avant d'être arrachée à la Terre par des mains invisibles est cet être qui s'éloigne en remettant son chapeau.

Le Galopa accueille son compagnon de route avec un léger hennissement, et se met immédiatement au trot une fois qu'il est en selle. Les flammes de la crinière se font vives et plus chatoyantes sous l'implacable puissance de l'astre solaire. Ce qui peut passer pour une brise agite les braises en silence.

Le voyageur solitaire s'en va, le cœur léger et la voix chantante. Il n'y a plus de guitare pour l'accompagner.