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Le Diable au cœur de Ronflexosaurus Rex



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Informations

» Auteur : Ronflexosaurus Rex - Voir le profil
» Créé le 16/03/2019 à 15:48
» Dernière mise à jour le 16/03/2019 à 16:03

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Guerre   One-shot   Unys

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Partie II
— Ça m'étonne que vous soyez encore là. Je m'attendais à ce que vous partiez très vite.

De bonne humeur, le voyageur lui accorde un sourire indulgent, à la manière d'un parent ayant entendu son enfant proférer une énormité. Au bout d'une branche de bois, un morceau de viande — de Rapion ou d'un autre de ces insectes — grille lentement à la flamme. Les crépitements accompagnent un silence presque confortable.

Avec la lumière du jour, la vieille solitaire discerne bien mieux son singulier visiteur. Dans la force de l'âge, les cheveux sombres et la peau tannée par le soleil. Malgré tout, cet air d'habitant de la ville — ce qu'il dit être — est toujours là. De même que cette diffuse impression de malaise, quand elle l'a vu cette nuit, perché sur son puissant cheval. Quelque chose de curieux se dégage de cette présence. Et elle ignore toujours ce qu'il fait ici.

La question attendra.

— Vous allez me raconter ? s'enquit-elle.

Il y a un mince instant de flottement. L'homme goûte la viande d'un air distrait, comme s'il s'apprêtait à ignorer totalement la question posée. La femme ramène ses genoux contre sa poitrine et attend. L'odeur de chair grillée lui donne un peu faim, mais elle n'avalera rien, elle le sait. Tout ce qui tord ses entrailles est une curiosité puissante. Insupportable, même. C'est la première fois qu'un tel sentiment la ronge ; c'est désagréable.

Quand il a terminé son repas, le prétendu citadin s'essuie les doigts sur sa chemise déjà sale et abîmée, et reste un moment à contempler l'horizon. Au loin, il n'y a pas grand chose à voir. La silhouette biscornue de la montagne tâche de rester debout, dominant largement le territoire plat et désertique autour. Dans le sol lézardé de petites fissures, des crevasses plus larges ouvrent des gueules menaçantes. Et le ciel, toujours gris, donne quelque allure brumeuse à ces terres rouges et poussiéreuses.

Parfois, dans un sursaut d'excentricité, certains trouvent ça beau.

Au milieu de ce monde sec et vide, la voix d'un homme qui en sait trop s'élève.

— Il y a plus de cent ans, cette région s'appelait « Unys ». Ce nom était un symbole d'unité entre humains et Pokémon. Contrairement à aujourd'hui, notre espèce et beaucoup des leurs coexistaient en paix.

L'orateur retire son large chapeau noir pour sentir la morsure du soleil sur son visage. Puissante, chaleureuse.

— La vanité humaine a fini par causer du tort à notre monde. Une guerre sans précédent a éclaté : plus violente, plus destructrice, et à plus grande échelle. Un déluge de feu s'est abattu sur la Terre et l'a meurtrie. Regardez le sol, les arbres, l'eau. Les Pokémon. Tout est maladif.

La sédentaire ne peut s'empêcher de suivre son bras, de regarder chaque chose qu'il désigne. Elle s'interroge : est-ce l'humanité qui est responsable de ça ? Malgré la chaleur ambiante, elle se surprend à frissonner. Cette idée l'effraie. La terrorise.

Elle pose un regard neuf sur la silhouette gracieuse et musclée, quoiqu'un peu maigre, du Galopa. Le cheval, stoïque, n'exprime rien du tout. Elle se mord la lèvre. C'est leur monde, à eux aussi.

— Nous avons développé une technologie si puissante, que dans une volonté de se détruire, l'humanité a aussi détruit la Terre. Elle en porte les cicatrices aujourd'hui. Mais nous sommes tenaces, et maintenant, nous nous reconstruisons. Ici, dans ce désert, ça ne se voit pas. L'ancienne capitale, elle, est encore debout. Partiellement, mais c'est une base honorable...
— Est-ce qu'en ville, les choses sont « comme avant » ? intervient la femme.

Un silence suit immédiatement la question, posée dans un sursaut d'espoir. Le voyageur ne répond pas tout de suite. Il sonde son interlocutrice du regard, comme pour déterminer s'il faut donner l'information ou non. Un sourire se forme sur ses lèvres sèches.

— On en est encore loin, confesse-t-il. La première étape est la plus difficile : pour aller de l'avant, l'Homme doit reconnaître ses torts et se faire pardonner des dieux. Si le seigneur Arceus n'a rien fait pendant que ces affreux combats faisaient rage, c'est parce qu'une humanité qui se déchire n'est pas digne de Lui. Pour avancer, il faut le comprendre. C'est ce qui a conduit à la fondation de la Nouvelle Église d'Arceus.
— La « Nouvelle Église » ? Qu'est-ce que c'est ?
— Un ordre religieux, si on veut. Construit sur les ruines de l'ancien monde. On a pu récupérer des documents sur le culte d'Arceus, en fouillant les villes et les ruines. Des gens désireux d'améliorer les choses ont voulu commencer par là, peut-être pour donner un espoir à ceux qui n'en ont plus. Comme vous, ajoute-t-il.

L'air grave, la sédentaire hoche la tête. Ces paroles font écho dans son esprit, et encore davantage dans son cœur. C'est vrai, bien sûr : elle a besoin d'espoir. Cette vie, si calme soit-elle, est trop monotone. Il ne se passe rien du tout. Ce n'est en somme que de la survie, mais aucun objectif ne se cache derrière.

Pour la première fois, elle regarde le citadin dans les yeux.

— Et c'est pour ça que vous êtes là ? Pour me donner un espoir ?

Il laisse échapper un rire léger. L'idée est-elle absurde ? Le son se répercute contre les parois de la ceinture montagneuse, anime tout ce vide l'espace d'un instant. Puis s'estompe, comme un mirage.

— C'est ce que l'Église attend de moi. Beaucoup n'ont pas la chance de pouvoir venir en ville ; je vous la donne.

Son regard se détourne, et il contemple à nouveau le paysage épuisé par les années. Tous ces arbres morts qui s'élèvent, noircis, contre le ciel gris... Tous ces petits insectes qui survivent comme ils peuvent...

— Ce si vous le souhaitez, bien sûr. L'Église ne force personne à espérer.


o o o

— Tu en connais beaucoup, des choses, sur Arceus ?

Le garçon, assis à même le sol avec un livre sur les genoux, lève la tête pour regarder la femme. Il a comme l'impression que de nouvelles rides se sont creusées dans sa peau déjà fanée ; mieux vaut ne rien en dire. C'est rare qu'elle le questionne sur toutes ces choses qu'il lit. Elle a peut être une raison. Il a cru l'entendre parler quand elle était dehors...

Seulement, il attend un peu avant de répondre. Leurs rares échanges ne sont jamais aisés.

— J'ai lu des trucs, mais c'est pas grand chose... C'est un dieu. Je crois pas qu'on en sache tant que ça sur lui.

La femme acquiesce, l'air distrait. Comme tout le monde, elle a déjà entendu parler d'Arceus. Même dans les coins les plus reculés, son nom fait loi. Mais c'est bien tout ce qu'elle sait. Ce petit, treize ou quatorze ans environ, reste bien plus malin qu'elle le sera jamais. Il sait lire, pour commencer. C'est peut-être bien tout ce qu'il sait faire.

— Pourquoi tu demandes ça ?

Curieux, l'enfant lève son visage trop mince, couvert de cheveux roux sales et en désordre. Ses yeux brillent encore d'un éclat juvénile, malgré tout. L'adulte essaie de ne pas voir les marques noires sous son regard, ou les joues creusées. Elle sait bien qu'elle fait un mauvais parent de substitution. Mais hors de question de se défaire de cette charge.

Elle jette un coup d'œil à travers la seule fenêtre encore en état. La vitre sale obscurcit un peu sa vision, mais elle parvient à distinguer le voyageur, toujours assis par terre. Son cheval se dégourdit les pattes, un peu plus loin.

Toute à sa torpeur, elle n'a pas entendu le garçon se lever et la rejoindre, pour observer lui aussi l'étranger.

— Qui c'est ?

La question, toute innocente, est bien celle d'un enfant. Le ton, prudent et méfiant, est en revanche celui d'un adulte vieilli trop tôt. La malheureuse ne quitte pas l'extérieur du regard lorsqu'elle répond.

— Quelqu'un de la ville, qui croit en Arceus et en l'espoir.

Elle se tait deux secondes, et appuie son épaule fatiguée contre le mur. Puis, doucement, elle se tourne vers celui qu'elle aimerait pouvoir appeler son fils.

— Il dit qu'il peut nous amener là-bas, si on veut. En ville. Tu vois, il représente Arceus... Le dieu qui pourrait peut-être faire quelque chose pour nous...

Mais l'enfant ne la regarde pas tandis qu'elle lui expose l'idée. Ses mains refermées sur son livre se crispent, et ses yeux se plissent pour saisir, à travers l'épaisse vitre toute sale, les détails qui composent cet individu, là-dehors. Le voilà qui se met à chanter dans cette curieuse langue, entendue cette nuit par la femme.

Le regard du garçon, gris comme le ciel, se durcit. Ses doigts serrent encore davantage le vieil ouvrage, le tiennent comme un bouclier dressé contre le monde.

— Moi, je l'aime pas.


o o o

— C'est votre fils ?

L'homme dévisage le garçon, l'étudie. Il n'a pas plus de quinze ans, mais son regard d'acier renferme une impression de vieillesse prématurée. Il paraît assez grand pour son âge, et d'autant plus malingre : il est évident qu'on ne le nourrit pas assez. Faut-il l'attribuer à la femme, ou bien au manque de ressources ? Peut-être les deux.

La sédentaire regarde l'enfant, avec un air de tendresse sur son visage fatigué, rompu à une vie difficile. Le contraste déstabilise un instant. Puis elle secoue la tête, et ses yeux fuient de l'autre côté, vers le Galopa qui s'ennuie.

— Non, je l'ai recueilli il y a quelques années. Sa mère est arrivée jusqu'ici et n'a pas survécu longtemps, alors... C'est un peu comme mon fils, oui. Le mien est mort.

Ces mots, prononcés avec le ton d'absolue certitude de quelqu'un qui a tout perdu, résonnent un moment dans l'espace vide autour d'eux, se répercutent contre la façade branlante de la baraque. L'adulte lasse regarde alors le voyageur, semble le jauger du regard.

— Les cheveux noirs et le regard attentif... Je crois qu'il vous aurait ressemblé.

Avec une lenteur presque précautionneuse, le sourire poli et bienveillant du citadin s'efface, pour laisser place à un air plutôt affligé.

— Vous m'en voyez désolé, m'dame. C'est ce que réserve une telle vie, j'en ai peur. Les terres comme celle-ci...
— Parce que c'est mieux en ville ?

Une voix plus aiguë s'est soulevée contre le timbre grave de l'homme adulte. Ce n'est pas la femme, dont les lèvres séchées sont encore closes, et les yeux mourants écarquillés de stupeur. Le garçon aux cheveux de feu, debout sur le porche avec son livre sous le bras, se croit peut-être menaçant. Il n'arrache qu'un rictus tolérant à l'étranger.

— Allons ! intervient la mère d'adoption avec un temps de retard. Ne sois pas insolent...
— Ce n'est rien, m'dame. Laissez-le parler !

L'homme au chapeau noir s'approche de la maison, sans pour autant poser le pied sur les planches pourrissantes qui risqueraient de craquer sous son poids. Les bras croisés sur sa poitrine, il attend l'argumentaire du gamin, qui se sent d'un coup un peu moins confiant. Le cheval, lui aussi, observe avec une attention renouvelée. Cependant fort en gueule, le petit hausse la voix.

— Vous êtes venu pour nous amener en ville, c'est ça ? Et qu'est-ce qui vous donne ce droit ? C'est chez nous ici !

En manière de défense, l'accusé lève deux mains calleuses devant lui.

— Hé là, petit ! Personne va t'enlever à ta maison si tu veux y rester. Je suis juste là pour passer le message ; le reste, ça vous regarde.
— J'ai pas confiance en vous ! crache le rouquin de but en blanc, une étincelle véhémente allumée dans ses yeux.

Un courage nouveau s'empare de l'enfant, qui descend des vieilles planches pour se planter devant cet inconnu qui ne lui inspire aucune sympathie. Malgré la vingtaine de centimètres qui les sépare, le plus jeune paraît toiser son aîné.

— Je vous conseille de retourner chez vous, dans votre « ville ».

Les prunelles grises s'étrécissent, et les mains maigres se crispent pour former des poings faibles. Le livre tombe à terre, et soulève une nuée poussiéreuse en même temps qu'un bruit sec.

— Vous êtes pas le bienvenu ici.

Affolée autant que désemparée, la femme assiste à la scène, sans savoir quelle réaction adopter. Aucun temps mort dans cette confrontation qui, si elle ne l'arrête pas, en viendra bientôt aux mains... Et que peut-elle faire ? Entre un homme dans la force de l'âge et un adolescent déterminé, il n'y a guère de place pour qu'elle s'interpose.

C'est le hennissement sourd du Galopa qui coupe court à l'échange houleux. Le cri strident du Pokémon paraît rappeler à la réalité les deux combattants de cette joute. Les joues creuses du gamin virent au cramoisi, dévorées par la couleur de la honte ; le voyageur s'offre un rire franc et tente de passer les doigts dans la tignasse crasseuse de l'adversaire, qui esquive la manœuvre.

— Eh bien ! Tous les hommes de la ville n'ont rien à envier à un brave petit comme toi !

La femme émet un bruyant soupir de soulagement, trop heureuse qu'aucune vague déferlante ne s'abatte sur son monde. S'il daigne se contenter d'une moue boudeuse, l'enfant ne renonce pas à ses premières impressions. Dans son regard, le feu brûle. Et il sait que l'étranger s'en est aperçu.


• • •

Troisième jour.

Le garçon trépigne sur sa chaise. Son regard est braqué vers l'extérieur ; il ne voit pas grand chose, à travers l'interstice de quelques centimètres entre les battants de la double porte. Un rai de lumière tranche le parquet pourrissant, comme un intrus dans la maison. Dehors, la silhouette sombre et mouvante de l'étranger se détache de la terre rouge.

Un éclat lumineux éblouit l'enfant, l'espace d'un instant. L'homme a un couteau, et à en juger par sa posture, il est prêt à en découdre avec un assaillant. Un des innombrables insectes qui infestent les herbes sèches et la grotte, plus loin. Le seul accès à la montagne est maintenant un cul-de-sac à cause d'éboulements, et les pauvres bêtes s'y tassent.

Il aperçoit aussi, bien sûr, la forme couchée du grand cheval de feu. Sa crinière remue lentement, comme au rythme d'une respiration. C'est une bien belle bête.

La femme qui l'a recueilli passe devant lui avec un vague signe de la main, et s'aventure aussitôt dehors. Au sol, la bande de lumière s'élargit. Les maigres poings se serrent, d'instinct. L'être fatigué espère que la porte ne s'ouvrira pas pour ce voyageur. Le gamin reste à l'ombre, à l'abri du soleil et du danger qui guette.


o o o

Perchée sur le vieux porche, la femme observe la joute en silence. Les mouvements du scorpion violet sont rapides, mais un peu saccadés. Son dard effilé se veut menaçant, et brille de mille feux sous le soleil. L'insecte observe attentivement son adversaire penché au-dessus avec son couteau. La spectatrice plisse les yeux à cause du soleil et de la poussière désertique soulevée par l'agitation. Le dos rond et les jambes fléchies, le voyageur ressemble à l'un de ces félins prêts à bondir sur leur proie au moindre signe d'inattention.

Il n'y a aucun doute sur la distribution des rôles de prédateur et de proie.

De fait, le couteau, guidé par une main sûre, plonge allègrement dans les chairs sèches. Quelques secondes passent et le Pokémon s'écroule, raide mort, sous les yeux d'un Galopa qui n'en fait pas grand cas. L'équidé pourrait s'émouvoir du sort d'une autre créature. Il n'en est rien : lui aussi doit se nourrir. Tant mieux si on lui mâche le travail.

L'homme au chapeau, accroupi près de sa victime, essuie ses mains, couvertes d'un sang vert visqueux, sur sa chemise sale. Sans ménagement, le festin est traîné près des bouts de bois qui ne brûlent plus. Ce sera pour plus tard.

— Vous êtes si bien que ça, ici ?

Le citadin lève la tête pour regarder celle qui se tient debout, plus ou moins à l'ombre. Sa silhouette est à moitié traversée par un rayon lumineux, au point qu'elle en ferme presque les yeux. Il sourit, l'air amusé.

— Mieux que dans les ruines à l'ouest d'ici, m'dame. Mieux que dans beaucoup d'endroits.
— Mais pas mieux qu'en ville, suppose-t-elle.

Un moment, le regard de l'énigmatique personnage se fait vague.

— Sans doute pas, confesse-t-il à mi-voix. On n'y passe pas ses journées en plein cagnard comme moi ici...

Ça ressemble à une plaisanterie, peut-être. La sédentaire n'a pas envie de rire. Elle a presque oublié comment faire.

— Vous devriez partir.
— Vous voudriez que je parte ?

Un silence, d'une seconde ou deux, recouvre l'espace aride. On entendrait presque la poussière. Elle secoue la tête, sans fermeté ni certitude aucune.

— Je ne sais pas. Mais vous devriez.
— Ce serait raisonnable, admet volontiers le voyageur. Seulement regardez autour de nous. À quoi bon être raisonnable maintenant ?

La question n'attend sans doute pas de réponse. L'homme sourit à nouveau, la mine bienveillante et pas si fatiguée.

— Je jetterai un œil du côté de la grotte, tout à l'heure... Demain, amenez votre fils. J'aurai peut-être des choses à lui apprendre. S'il veut bien.

Une minute plus tard, le cavalier et sa monture s'éloignent. Songeuse, la femme les regarde rétrécir à vue d'œil. Elle pense peut-être à la ville.