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Le Diable au cœur de Ronflexosaurus Rex



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Informations

» Auteur : Ronflexosaurus Rex - Voir le profil
» Créé le 16/03/2019 à 15:45
» Dernière mise à jour le 16/03/2019 à 15:58

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Guerre   One-shot   Unys

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Partie I
Premier jour.

Un air sec et torride enveloppe le monde. L'ombre d'un vent souffle au-dessus de terres rouges et craquelées, couvertes d'un écrin de poussière sombre. Là-haut, le ciel est paré de son éternel manteau de grisaille. Un soleil de plomb, invisible, conspire pour rendre l'atmosphère plus invivable encore. Personne à la ronde.

Quelques bêtes volantes, maigres et laides, survolent la campagne balafrée. Par intermittence, des choses différentes s'imposent à la vue entre deux grandes plaines vides de vie. Des ruines, surtout. Les témoignages d'un autre âge sont légion : murs de béton éventrés, routes lézardées de cicatrices, panneaux défoncés et vitres brisées. Des tas de rouille informes, montés sur des roues fondues, infestent les bas-côtés.

Les quelques âmes qui vivent ici restent cachées, et ne sortent qu'en cas d'absolue nécessité. Elles viennent peut-être pour y survivre, animées d'un regain d'espoir ; elles finissent par y mourir, tiraillées par la faim, la soif et la fatigue. Les charognards, trop heureux, terminent le travail. Ils s'entre-tueront un autre jour.


o o o

Au crépuscule, qui pare d'un orange maladif le ciel grisonnant, la terre est frappée par les sabots d'un grand cheval. Sa crinière de flammes remue à peine, excitée par l'ersatz de brise qui daigne souffler. Le pas est régulier, monotone. Cet éclat de vie est comme une tache, parmi les vestiges d'une humanité autrefois triomphante. Les yeux sombres de l'animal ne flanchent pas, trop habitués maintenant aux ravages de ce monde. Voilà bien des années qu'il y survit.

C'est une terre de peur, colonisée par des créatures fangeuses et dangereuses. C'est une terre hostile et dévorée par la rouille, où règne la loi du plus fort. C'est une terre détruite qui essaie de se reconstruire.

Galopa, du reste, le sait bien. Ça ne l'empêche pas d'avancer : il n'y a que ça à faire. Sa charge stoïque sur le dos, l'équidé marche vers l'est où le soleil se lèvera demain. Car en dépit de tout ce qui s'est passé, des souffrances que la Terre a dû goûter, le soleil n'interrompt jamais sa routine. La moindre constante est bienvenue.

L'Homme, perché sur sa monture, ne dit rien. Assez bien vêtu et protégé par un couvre-chef, il supporte la chaleur et le silence. Alentour, de rares formes de vie, qui ne sont plus que l'ombre de ce qu'elles ont été, observent de loin l'inhabituel spectacle. Les plus téméraires attendent le moment opportun pour bondir et planter leurs crocs dans ces gorges appétissantes ; les plus lâches attendent qu'il y ait quelques restes à se mettre sous la dent.

Le danger, rapidement, est perçu. Et les flammes vivantes s'élèvent un peu plus haut, se font plus menaçantes. Les prédateurs et charognards tournent les talons. Il doit rester quelques proies faciles, tapies dans les ruines de béton. Ces créatures se réfugient toujours dans ces fantômes d'un passé qui leur était glorieux.

Monture et cavalier continuent leur chemin. Vus du ciel par quelques hideux vautours, ils ne représentent qu'un petit point qui avance en ligne droite, sur un sol fissuré qui les engloutira peut-être.

Ils dépassent le grand panneau, vieux de plus de cent ans. « Arpentières » est écrit dessus. Rongées par le temps, les lettres s'effaceront bientôt.


o o o

Une épaisse fumée grise commence à naître, et s'élève en direction du ciel nocturne. Quelques pauvres brindilles sont ajoutées au tas de feuilles et de branchages. Le feu prend difficilement, mais le léger vent parvient à le maintenir en vie. Il n'y a au moins pas de risque d'incendie accidentel : la terre balafrée est bien insensible. Cet éclairage sommaire constitue aussi une protection. La plupart des Pokémon dangereux des environs, pour beaucoup des insectes, craignent les flammes.

Assise sur le porche de bois pourrissant devant la vieille maison, — véritable miracle ayant échappé à la totale destruction — une femme d'âge incertain observe les alentours à la lueur du feu. Il n'y a rien à voir. Des légions d'arbres morts qui fournissent de la matière, un point d'eau à la couleur repoussante, et de la terre rouge et sèche à perte de vue. Une ceinture montagneuse fait mine de protéger la bâtisse de plusieurs siècles, renforcée avec de la tôle et des morceaux de béton.

De temps en temps, le croassement d'un affreux oiseau de nuit troue le silence ponctué de crépitements chaleureux. Ces bêtes ne s'approchent jamais. Elles se méfient ; comme tout et tout le monde.

Éreintée, l'humaine s'oublie un moment pour se focaliser sur la nature, ou plutôt ce qu'il en reste. Il n'y a pas grand chose pour réfléchir, ici. Des vieux livres, mais encore faut-il savoir lire. Elle ne le sait pas. Elle laisse volontiers ça au petit. La seule chose du vieux monde qu'elle arrive à comprendre, c'est cette guitare en fin de vie, qu'elle a apportée voilà quelques années. Ça lui rappelle les longues journées en selle avec son père, qui lui jouait des morceaux au coin du feu et lui apprenait sur le tas à la nuit tombée.

Peut-être que le fait de reproduire ce rituel est une façon de s'accrocher au passé. Ou bien est-ce seulement pour tromper l'ennui.

C'est presque à l'instinct que ses doigts noueux, de plus en plus marqués par l'âge, grattent les cordes usées de l'instrument. Des sons faiblards déchirent le silence, comme tant de hurlements. Les Cornèbre se taisent. L'enchaînement des notes est maladroit, paraîtrait ridicule à une oreille exercée ; heureusement qu'il n'en existe plus. La musique attire le Crabicoque qui vit dans une minuscule caverne, à deux pas, et qui vient souvent voir les habitants de la baraque en ruines.

Soudain, une voix semble se joindre au concert. D'effroi, elle sursaute et cesse de jouer. Un frisson sinueux lui longe la colonne vertébrale et hérisse les fins cheveux sur sa nuque.

Le silence.

Ce qui lui reste de logique lui souffle qu'elle a imaginé ce timbre venu de nulle part. C'est néanmoins avec une certaine appréhension qu'elle se remet à toucher les cordes pour revenir à sa mélodie. Quelques secondes s'écoulent et la voix revient, fredonnant des paroles dans une langue incompréhensible. Impossible de déterminer une direction ou une distance.

Cette fois, elle n'arrête pas. La curiosité guide ses mains.


o o o

Lorsqu'une forme imprécise se dessine et qu'un bruit de sabots s'impose, le feu est au mieux de sa forme. Il danse au gré de pulsions aléatoires, et réchauffe cette nuit froide. La femme est debout, le bras appuyé à l'une des poutres du porche. La guitare muette repose à même le sol, et le Crabicoque gesticule, mis sur la défensive par la soudaine apparition.

C'est un Galopa. Et sur son dos, un être humain.

L'information semble incongrue. Personne ne passe jamais par ici. Les éboulis montagneux empêchent tout passage jusqu'à des groupements plus à l'est : c'est plus ou moins un cul-de-sac. Elle s'approche tout de même des arrivants. L'homme descend de sa monture.

D'humeur mondaine, il soulève son chapeau à bord large poliment.

— M'dame. Bien le bonsoir.

Quelque chose dans les yeux de la femme laisse penser qu'elle est sur la défensive, ou qu'elle a vu un fantôme. Du personnage à cheval émane une désagréable aura, tranquille mais en même temps porteuse d'une certaine arrogance. C'est un adulte, et il est seul. Certainement rompu à une vie itinérante. Cependant il n'y a pas trace de bagages. Il ne possède guère qu'un couteau à la ceinture et les vêtements qu'il a sur le dos. Ce ne sont pas ceux d'un vagabond ordinaire, on dirait plutôt l'une de ces tenues du vieux monde : une chemise sale, un pantalon sombre dont un morceau de jambe est un peu déchiré, et des chaussures dans un état acceptable.

Du reste, le personnage lui-même n'a pas l'allure d'un mendiant qui erre de route en route. Ni barbe broussailleuse, ni attitude fermée et distante. Au contraire, il serait presque trop avenant.

Il paraît remarquer les réserves de la femme d'âge mûr, car il lève deux mains sèches et calleuses et offre un sourire.

— Non, m'dame, moi je ne vous veux pas d'ennuis. Juste un peu à manger et à boire.

La requête paraît naturelle. Dans un tel monde, combien sont ceux qui ne peuvent même pas se nourrir à leur faim ? Si cet étranger a une carrure solide, il semble tout de même évident qu'il n'a rien pour se restaurer dans l'immédiat. Toutefois, une impression désagréable retient la femme. Un genre de déjà-vu ? Peut-être son accent. Il vient de très loin, sûrement du sud de la région. Elle en a entendus, des accents similaires, dans sa jeunesse.

— Je veux bien attraper le repas, ajoute-il en esquissant un geste vers son couteau rouillé. Mais si vous pouviez m'offrir un peu d'eau...

Il n'y a rien à opposer à ses arguments. Elle hoche la tête, faute de pouvoir dire quelque chose d'intéressant. L'apparition sourit et part à la chasse.


o o o

La viande partagée autour du feu a bon goût. Le voyageur en a donné une bonne part à Galopa. Le Crabicoque errant alentour est venu grappiller quelques morceaux. Une gourde d'eau étonnamment fraîche a grandement soulagé les lèvres séchées du curieux personnage.

— Il y a un Pokémon de type eau à l'intérieur de la maison, a expliqué la femme. Le point d'eau, à côté, finit par rendre malade.

Ce n'est pas difficile à croire. Peut-être un peu : les Pokémon eau sont assez rares, surtout dans une partie si sèche de la région. Mais aussi indispensables quand on s'éloigne de tout. Les ruines les plus proches ne donnent guère l'impression d'être habitées par autre chose que des charognards aux dents longues.

— Ça fait longtemps que vous êtes ici ? s'enquit l'homme au chapeau.
— Quelques années, sans doute. On ne compte pas le temps, il y en a bien trop.

Cette parole de sagesse fait écho. C'est vrai. C'est fini, l'époque des « pas le temps ». Aujourd'hui, il ne reste que ça. Le temps.

— Et vous y êtes seule ? J'ai cru voir du mouvement à travers une fenêtre. Votre Pokémon ?

La femme semble soucieuse. C'est plutôt commun. Mais en même temps, une lueur de compréhension passe à travers ses yeux pâles.

— Vous êtes bien curieux.
— On n'a guère de compagnie là-dehors ! Ma dernière conversation est déjà vieille de plusieurs jours. Malgré l'habitude, la solitude ronge. Surtout quand on a connu la ville.

Ce dernier mot résonne plus longuement que les autres. La ville ! Elle l'a déjà entendu, oui. Mais comme chez beaucoup d'autres, il ne résonne que comme une légende. Un énième vestige du vieux monde. Elle ne connaît pas très bien la région, bien sûr, pas plus que toute l'histoire. On attribue souvent l'état de la Terre à quelque catastrophe naturelle. Cet étranger en sait peut-être plus.

— La ville... Comment est la ville ?

Cette question laisse le voyageur quelque peu pensif. Ses yeux se font fuyants, et sa mâchoire se tend. Elle comprend, en quelque sorte : ça doit lui manquer. Ou c'est peut-être tout l'espoir qu'elle a insufflé dans sa question, qui l'ennuie.

— Imaginez...

Il prend une dernière petite gorgée d'eau, comme pour se donner du courage.

— Là où, il y a plus de cent ans, résidait un millier d'êtres... Aujourd'hui, il n'en reste plus qu'un. Debout, mais le dos courbé, les jambes lourdes et la tête pesant chaque jour un peu plus sur ses épaules. Voilà ce que l'humanité a fait d'elle-même.

Il y a une pause, propice au développement d'une sorte de tension. L'habitante de la ruine sent son malaise s'amplifier, sans trop en comprendre la raison.

— C'est à ça que ça ressemble, la ville. Celle d'aujourd'hui, bien sûr. Il y a plus d'un siècle, les choses étaient différentes, grandiloquentes. Les Hommes dominaient même les Pokémon... Beaucoup plus facilement, je veux dire.
— On jurerait que vous l'avez vu de vos propres yeux !

Un sourire d'amusement tord le visage du voyageur, en même temps que les flammes projettent une ombre sur son visage aux pommettes saillantes.

— Il reste bien des documents d'avant-guerre, en ville. Pour les élus qui savent lire. On y apprend des choses étonnantes ; on y obtient des réponses.
— Vous...

La femme vieillissante déglutit pour tenter d'effacer une boule dans sa gorge. Ses doigts noueux se serrent instinctivement sur ses genoux faibles.

— Vous avez dit « avant-guerre » ?

L'homme fronce les sourcils, l'air de chercher l'erreur dans ce qu'il a bien pu dire. À côté d'eux, le fier cheval paraît s'être assoupi et il n'y a plus trace de l'amusant crabe. Malgré la présence rassurante du feu, la température semble s'être rafraîchie. Il n'y a plus la moindre brise pour secouer les cheveux gris de la nocturne sédentaire.

— Quelle guerre ? insiste-t-elle. Vous parlez comme si... comme si c'était une guerre qui avait fait du monde ce qu'il est aujourd'hui.
— Vous ne savez pas ? Vous n'avez pas dû croiser beaucoup de citadins.
— Racontez-moi.

Un franc rire secoue les épaules de l'énigmatique voyageur. Ces légers soubresauts s'estompent rapidement, et il retrouve son expression, à la fois sérieuse et diablement confiante. Comme si le monde, ou plutôt son cadavre desséché, lui appartenait. La femme, elle, ne peut pas en dire autant. La crainte est constante.

— Il se fait tard, même pour moi, commente l'avenant personnage. Je vous raconterais bien l'histoire, mais j'ai chevauché toute la journée. Accordez-moi quelques heures ; je vous dis ça demain.

Et comme pour témoigner de sa bonne foi, il s'allonge à même le sol, près du feu, un bras replié sous sa tête pour se donner une illusion de confort. Son chapeau est posé négligemment sur son crâne, pour cacher ses yeux. L'autre main, tout de même, reste à portée de son couteau abîmé.

Il est certain de dormir. Elle, non.


• • •

Deuxième jour.

Le réveil n'est pas facile. Le sommeil ne l'a pas été non plus. Des images de mort et de désespoir ont longtemps déambulé dans l'esprit épuisé de cette femme, trop âgée pour se battre encore. Avec l'inconscience bienvenue du sommeil est arrivée une forme de soulagement. Maintenant qu'elle ouvre les yeux, tout ça s'estompe rapidement.

Et le doute l'étrangle.

C'est tout ce qu'il faut pour briser sa routine ennuyeuse. Elle se rappelle, bien sûr. Le voyageur lui dira tout. Il le lui a promis.

S'il n'est pas déjà parti.

Elle met plus de force que d'habitude dans sa descente de l'escalier, vieux et vulnérable. Quelques planches pourries menacent de se briser sous ses pas. Pour une fois, elle n'y prête aucune attention. Elle veut savoir. Son indifférence s'étiole à mesure que son imagination travaille, et elle devient aussi curieuse que ces Hommes du vieux monde — d'avant-guerre.

À l'intérieur de la bicoque, la lumière du jour entre difficilement. La plupart des fenêtres sont couvertes par des morceaux de tôle ou des planches, récupérés ici ou là. L'une des vitres est encore entière et permet un relatif éclairage de ce qui fut autrefois un salon. Aujourd'hui, ça n'a guère d'allure : des meubles défoncés ou chancelants, des résidus de tapis et de la poussière à ne plus savoir qu'en faire. L'énorme chose qui pendait du plafond, farcie d'ampoules crevées, est maintenant écrabouillée au sol.

Dans un coin se repose la créature marécageuse et humide, qui vit tantôt ici tantôt dans l'étang sale. C'est une chose bleue, assez massive, avec de minuscules yeux qui lui donnent l'air un peu idiot. Le gamin, toujours fourré dans ses vieux livres, dit que ça s'appelle un Maraiste. Elle pense un instant au petit ; il doit encore dormir. Même si elle l'a recueilli voilà quelques mois, ils ne se parlent guère.

Face à elle, la porte fait barrage entre deux mondes. L'intérieur, plus ou moins sûr et agréable à vivre ; et l'extérieur, porteur d'un danger constant. Serrée autour de la poignée, sa main maigre se crispe.

Avec un grincement sinistre s'ouvre la brèche qui sépare les mondes.