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Codélia Network - Tome 1 : La justicière virtuelle de Kazumari



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Informations

» Auteur : Kazumari - Voir le profil
» Créé le 13/03/2019 à 12:54
» Dernière mise à jour le 15/02/2023 à 17:18

» Mots-clés :   Action   Aventure   Région inventée   Science fiction   Suspense

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Prologue : Prototype (2050 A.D.)
- La finale du Festival Numérique ? J'avais complètement oublié que c'était cette semaine…

Tsubasa Albiki et Dennis Keyton profitaient de la pause déjeuner pour converser au sujet du prochain événement majeur du Réseau Codélia. Le tournoi mensuel ouvert à tous les utilisateurs atteignait déjà son dernier match qui se déroulerait dans seulement quelques jours. Quelque peu débordée ces derniers temps, Tsubasa ne s'était pas vraiment préoccupée de la compétition ou de son déroulement, contrairement à son ami.

- Les deux finalistes ne sont pas vraiment étonnants, ajouta Dennis en posant son plateau de nourriture à l'une des tables libres de la cafétéria. Elkira et Meijin, respectivement les deuxième et troisième meilleurs dresseurs de toute la plate-forme. Et le vainqueur du match pourra alors affronter Cataclysme pour tenter de lui dérober son titre.

- Je vois que tu as toujours l'air aussi passionné par ce qui se passe sur le Codélia... faudra que tu penses à t'inscrire à la prochaine édition au lieu de te contenter d'être spectateur, nota Tsubasa en prenant place en face de son camarade de classe.

Les deux compères, âgés de dix-huit ans, venaient d'entamer leur première année à l'Université Vermillion. Tsubasa Albiki était une fille de taille normale et à la silhouette mince. Sa chevelure brune coiffée sous la forme de deux couettes mi-longues n'empêchait pas une mèche de s'échapper et de lui retomber sur le devant de son visage, juste entre ses deux yeux marron. Contrairement à ses camarades de sexe féminin, Tsubasa portait l'uniforme scolaire des hommes. L'idée de porter une jupe la rendait malade.

Dennis Keyton, quant à lui, avait des cheveux grisâtres plutôt courts. Portant le même uniforme que Tsubasa, il la dépassait d'une bonne tête. Son visage, possédant de légères taches de rousseur, affichait presque constamment un sourire, que ce soit d'excitation ou sous l'effet de la timidité. L'un de ses principaux soucis avait toujours été son manque de confiance en soi, qui l'empêchait de s'inscrire à ce tournoi où s'affrontaient des utilisateurs du Codélia en tout genre.

- Et pourquoi tu n'irais pas t'inscrire, toi ? demanda Dennis après sa première bouchée. Tu es bien meilleure que moi pour les combats Pokémon. Et en plus tu as déjà participé à une édition l'année dernière.

- Et je te rappelle que je me suis fait sortir dès le premier tour, rappela Tsubasa d'un ton morne. Je ne sais pas... j'avoue que ça ne me tente pas vraiment. Et même si j'ai un peu d'expérience, ça ne veut pas dire que j'ai la moindre chance de gagner. Regarder quelques matchs sympas de temps en temps me suffit amplement.

Les deux compères se connaissaient depuis des années, inséparables depuis les temps oubliés du collège. Et depuis que la brunette avait quitté son orphelinat pour aller vivre avec une de ses amies, ils étaient même devenus voisins. Lorsque Tsubasa n'était pas perdue dans ses travers informatiques ou avec sa correspondante sur le Codélia, ils passaient souvent leur temps libre ensemble, parfois à effectuer des combats Pokémon.

Le Codélia, une véritable révolution pour l'art des batailles à l'aide de Pokémon. Immense espace de réalité virtuelle, voilà déjà quelques décennies que le système était bien en place au sein de la mégapole d'Ebravia. Le seul matériel qu'il fallait pour se connecter était ce que l'on appelait une Codéwatch, appareil ayant l'apparence d'une montre que les habitués du Codélia portaient au poignet quasiment en toutes circonstances.

La dimension numérique comptait maintenant cinq millions d'utilisateurs, soit une portion non négligeable de la population d'Ebravia. Le Codélia avait fini par devenir un phénomène de société, son système inédit de Haute-Vitesse pour livrer des combats Pokémon ayant grandement contribué à sa popularité montante. Lors des événements comme le Festival Numérique, les matchs étaient retransmis sur des écrans géants accrochés sur la façade des immeubles, en plus de passer à la télévision comme n'importe quel sport.

- Dans ce cas, nous n'avons qu'à faire un pari ! Dès l'instant où je parviendrai à gagner un combat Pokémon contre toi, nous nous inscrirons tous les deux à l'édition du Festival Numérique qui suivra, qu'est-ce que tu en penses ? proposa alors Dennis, tout sourire, alors que son interlocutrice se levait de table avec son plateau vide.

- J'en pense que ce n'est pas près d'arriver, mon grand, répondit simplement Tsubasa en lui ébouriffant sa chevelure grise. Je suis peut-être davantage penchée sur l'informatique que sur les affrontements mais ça ne veut pas dire que tu pourras me battre un jour.

- Tu risquerais d'être surprise, j'apprends très vite. Blizzi et moi devenons de plus en plus forts jour après jour.

- Dans ce cas, pourquoi pas ? Mais je n'accepterai que si le combat que tu remportes est de la Haute-Vitesse sinon ce ne serait pas drôle.

Contrairement à la jeune fille, qui avait obtenu son Feunnec il y a déjà quelques années en tant que cadeau d'anniversaire, Dennis était devenu dresseur récemment. Il avait créé un compte sur le Réseau Codélia afin de s'amuser en compagnie de son amie mais de part son manque complet d'expérience, il ne tenait pas encore à se lancer dans les affrontements Haute-Vitesse. Il préférait attendre d'être fin prêt mentalement pour cette épreuve.

Le garçon savait que la demande de Tsubasa allait lui compliquer la tâche mais il ne s'avouerait pas vaincu pour autant. Il comptait bien atteindre les sommets un jour en compagnie de son fidèle Blizzi et peut-être un jour se confronter aux plus grandes pointures de la dimension numérique. Une bataille contre Elkira ou Meijin, tous deux finalistes de l'édition actuelle, donnait envie. Et l'un des rêves de Dennis était de serrer un jour la main de Cataclysme, le numéro un absolu du Codélia et son idole.

Alors qu'ils rangeaient leurs plateaux afin de quitter la cafétéria, Dennis révéla à son amie qu'il avait obtenu deux places dans le stade où se passerait la grande finale. Son frère aîné, qui travaillait directement au siège du Codélia Network Industries, la société qui gérait l’événement, lui avait fait un petit traitement de faveur. Il proposa donc à Tsubasa d'aller assister à l'affrontement ensemble. Jugeant que cela ne lui ferait pas de mal de changer un peu d'air, elle accepta.

Au moment où le duo s'apprêtait à quitter la cafétéria, la brunette entendit quelqu'un l'appeler. En tournant la tête, elle aperçut sa déléguée de classe qui lui faisait signe depuis une table située non loin de la sortie. Tsubasa souffla à son camarade de partir rejoindre la salle d'informatique pour le prochain cours sans lui, prétextant qu'elle le rejoindrait plus tard. Allant rallier la table de sa camarade, Tsubasa ne doutait pas de la raison de cet appel. Cela avait probablement un rapport avec la sortie du mois prochain.

- Tu n'as toujours pas remis la feuille d'autorisation pour l'excursion organisée au CNI, n'est-ce pas ? demanda la déléguée en croisant les bras. Il va falloir y penser autrement tu ne pourras pas accompagner la classe et madame Viltrust…

- J'avoue être un peu étourdie à ce sujet, soupira Tsubasa, qui avait laissé traîné cette affaire pendant trop longtemps. D'autant plus que ma tutrice est rarement à la maison ces temps-ci, je ne lui as pas parlé depuis des jours.

Depuis son plus jeune âge, elle était orpheline et ne gardait pas le moindre souvenir de l'un de ses deux parents. Après l'événement noir ayant entaché son passé, Tsubasa avait grandi dans l'un des nombreux orphelinats d'Ebravia. Mais depuis quelques années maintenant, elle en était sortie et vivait à présent en compagnie de l'une de ses anciennes amies de l'orphelinat. Cette dernière, devenue journaliste pour le compte du Réseau Codélia, avait des horaires de travail assez désastreux.

Tsubasa n'appréciait pas vraiment Aya Milani, sa déléguée de classe. Pour une raison assez simple, elle ne parvenait pas vraiment à la cerner. Inconnue au bataillon, elle n'avait pas vraiment d'amis au sein de l'Université Vermillion et restait souvent dans son coin. Les rares fois où Tsubasa lui avait adressé la parole s'étaient révélés fort gênants. L'expression du visage d'Aya ne correspondait pas toujours à ses propos, le sarcasme, la joie ou l'ennui ou la colère étant toujours montrés sous la forme de ce visage impassible.

Aya Milani était une fille de petite taille, aux cheveux noirs cendrés attachés en une queue de cheval sur le côté de sa tête. Contrairement à son interlocutrice, elle ne ressentait aucune gêne particulière à l'idée de porter l'uniforme scolaire féminin de l'établissement, qui disposait d'une jupe en tant que partie inférieure. Comme à son habitude, son visage ne changeait presque pas, esquissant parfois l'ombre d'un sourire. Un véritable robot.

La brunette savait qu'elle ne pourrait pas passer à côté de cette expédition. Pour cette première année à l'université, tous les étudiants se trouvaient dans un tronc commun avant de se spécialiser. Et le sujet de prédilection de Tsubasa demeurait l'informatique, qu'elle pratiquait pour son propre compte depuis son plus jeune âge. Comme une visite au Codélia Network Industries était organisée par ce cours, elle ne pouvait pas le rater. Il s'agissait là d'une occasion inestimable pour voir des spécialistes à l’œuvre.

- Ce serait bien que tu t'en occupes d'ici la fin de la semaine, ajouta la déléguée. Je suis censée réunir tous les papiers rapidement pour faciliter la tâche à madame Viltrust. Comme c'est sa première année en tant qu'enseignante, elle n'est pas habituée à organiser ce genre de choses.

- Je me demande si elle a terminé de corriger les examens de début d'année…

Malgré elle, madame Viltrust était déjà en train de se constituer une réputation de procrastinatrice parmi les élèves mais également ses collègues professeurs. Débutante en la matière, sortant tout juste de l'université avec son propre diplôme, elle n'avait obtenu ce poste que grâce à ses excellents résultats au concours de l'été dernier. Il ne faisait aucun doute qu'elle prendrait de l'assurance au fil du temps mais ses erreurs de débutante faisaient souvent rire ses élèves, qui la trouvaient néanmoins très sympathique.

Même si son opinion demeurait biaisée par sa passion de l'informatique, le cours de madame Viltrust restait son préféré de très loin, malgré les imperfections de son enseignements. De toute façon, Tsubasa n'apprenait pas grand chose en classe, pratiquant déjà en solitaire depuis un bon moment. Si elle ne parvenait pas à coincer sa tutrice pour faire signer l'autorisation d'ici un ou deux jours, elle se rendrait probablement directement à son bureau pour le lui demander.

Pendant sa période noire il y a quelques années, Tsubasa avait passé le plus clair de son temps à s'isoler et regarder les autres de loin. Cela lui avait notamment permis d'acquérir cette capacité d'étudier le comportement d'autrui et de comprendre ce qui leur passait par la tête. Mais pourtant, cette faculté ne fonctionnait pas avec Aya Milani. Impossible de deviner ce qui lui traversait l'esprit peu importe les circonstances, ce qui ne faisait qu'accroître le malaise de la brunette de rester en sa compagnie.

- Je ferais mieux de rejoindre Dennis, il doit déjà se trouver devant la salle d'informatique... nota-t-elle en jetant un coup d’œil à sa Codéwatch pour regarder l'heure. Merci de m'avoir donné cette piqûre de rappel, Milani. Je m'occupe de cette autorisation le plus vite possible !

Alors que Tsubasa quittait la table, la déléguée de classe reporta son attention sur sa tablette électronique posée juste devant elle, qui affichait justement son planning de la journée. Lâchant un soupir, Aya comprenait très bien qu'elle avait encore des sacrés progrès à faire si elle souhaitait se comporter et s'intégrer correctement parmi des jeunes adultes. Pourtant ce n'étaient pas les données qui lui manquaient à ce sujet-là.

- Je dois effectuer une maintenance dans la soirée, il va falloir que j'en touche deux mots à Charlotte…



***


- Et bien, que me vaut le plaisir de cet appel, Vicky ?

- Rien de spécial, je souhaitais simplement te souhaiter bonne chance pour ton prochain match. Tu es en finale du Festival Numérique, n'est-ce pas ? Je serais dans le stade pour t'encourager, j'ai obtenu deux places pour y aller avec ma sœur.

Victoria Viltrust, professeur d'informatique au sein de l'Académie Vermillion, profitait de sa pause déjeuner pour effectuer un appel vidéo à son ancien camarade de classe Takeru Lerendal. Alors qu'elle était parvenue à devenir enseignante avec brio, lui-même souhaitait poursuivre dans la même voie mais demeurait à l'heure actuelle coincé dans les concours et les révisions qui leur étaient associés. Dans la situation où il les réussissait, il ne pourrait commencer à exercer qu'à partir du trimestre suivant.

Victoria était une jeune femme âgée de vingt-trois ans, à la chevelure blonde mi-longue qui se stoppait peu avant ses épaules. Elle se considérait banale d'un point de vue physique, ses yeux émeraude représentant la partie préférée de son anatomie. Vêtue d'un uniforme à cravate pour vouloir impressionner ses élèves, elle était de grande taille, à la silhouette élancée. L’institutrice manqua de se brûler avec sa tasse de café, ce qui entraîna l'hilarité de son interlocuteur.

- Je vois que tu es toujours aussi maladroite, madame la prof.

La concernée préféra ne pas tenir compte de la remarque, habituée à se faire taquiner par son ami. Takeru Lerendal, du même âge qu'elle, était un homme de stature normale, à la chevelure mystérieuse composée de blanc et de rouge. Son regard était encadré par des lunettes vertes dont les verres carrés se salissaient à grande vitesse. Souriant et aimable, il était pourtant connu comme le flamboyant Meijin au sein du Réseau Codélia, dresseur à la réputation formidable pouvant se vanter d'être à la troisième place du classement.

Victoria elle-même possédait un compte dans la dimension numérique. Elle avait passé beaucoup de temps en compagnie de Takeru en son sein durant ses années de lycée mais avait préféré privilégier ses études après avoir rallié une université. Mais maintenant qu'elle avait disposait enfin d'un emploi stable, elle s'y était remise il y a peu. La jeune femme avait même fait la connaissance d'une autre utilisatrice qui était rapidement devenue une grande amie virtuelle.

- Tu affrontes Elkira, je me doute ? questionna-t-elle, embarrassée par la dernière remarque de Takeru. J'avoue ne pas m'être tenue au courant du déroulement du festival mais c'est celle qui est devant toi au classement général donc c'est le plus logique…

- Elkira effectivement, confirma Takeru, une légère pointe d'amertume discernable dans son ton. Lorsque le tableau des affrontements nous placent dans les côtés opposés, nous nous retrouvons tout le temps en finale. La seule raison pour laquelle elle est la numéro deux à ma place, c'est parce qu'elle a deux victoires de plus que moi…

- Estime toi heureux d'être troisième monsieur. Comme j'ai eu un rythme de connexion apocalyptique, mon rang possède au moins six chiffres, je vais avoir du pain sur la planche.

Entendant un bruit provenant du couloir, Victoria préféra écourter sa conversation avec son ancien camarade, comprenant que son élève accro de l'informatique allait probablement arriver pour le cours une demi-heure avant tout le monde comme à son habitude. Elle en eut la confirmation en reconnaissant Tsubasa qui ouvrit la porte de la salle de classe d'un geste brusque pour pénétrer à l'intérieur de la place, accompagnée par son ami Dennis Keyton.

Assise à son bureau, Victoria attrapa sa tasse de café qui avait légèrement refroidi pendant que la jeune fille brune posait son sac sur le siège de l'ordinateur qui lui était attribué. En tant que novice dans l'enseignement, Tsubasa représentait un sérieux problème pour elle. Nul doute que sa passion pour l'informatique allait au-delà des cours et que cette dernière s'instruisait depuis déjà bon nombre de temps. Cela entraînait donc des siestes répétées pendant son cours, qui perturbait parfois les autres élèves.

Heureusement que Dennis Keyton, délégué de classe et inséparable de Tsubasa, était là pour la surveiller. Même si ses résultats en informatique avaient toujours été médiocres au cours de sa scolarité, il redoublait d'efforts pour ne pas se retrouver en retard sur le programme. Pressant le bouton permettant d'allumer son appareil, la brunette s'approcha par la suite du bureau de son professeur, jetant un léger coup d’œil à la paperasse chaotique éparpillée dans tous les sens avant de reporter son attention sur Victoria.

- Alors madame Viltrust, vous avez bientôt terminé de corriger les contrôles du mois dernier ? s'enquit-elle avec curiosité, posant la question au moins une fois par semaine.

Victoria manqua de s'étouffer avec sa gorgée de café, toujours prise au dépourvu lorsqu’elle était questionnée à ce sujet précis. Les légendaires copies de l'examen d'entrée de l'Académie Vermillion, qui avaient déjà acquis leur réputation dans tout l'établissement et dont elle avait un mal fou à se débarrasser de la correction. Étrangement, Tsubasa était la seule qui continuait de demander régulièrement des nouvelles du contrôle, les autres élèves se passant bien de recevoir leur note.

Dennis se rappela avec amusement que le fameux jour de l'examen d'informatique, qui s'était étalé sur deux heures, sa camarade avait quitté la salle après seulement trente minutes. Et pourtant, il ne doutait pas une seule seconde qu'elle obtiendrait le meilleur résultat de la classe voire même de toutes les classes du tronc commun de la première année. Même si son niveau dans tous les autres sujets allait de mauvais à médiocre, elle était imbattable dans l'informatique. Sauf peut-être par Aya Milani, l'autre déléguée.

- Bientôt Tsubasa, prends ton mal en patience... répondit simplement le professeur en reprenant son souffle. Et non, je n'ai pas encore atteint ta copie. Je ne doute pas que ce sera la dernière corrigée, je te rappelle que tu es partie bien avant tout le monde... tiens d'ailleurs, profitons que tu sois là et que le reste de classe n'arrive que plus tard. J'aimerais discuter un peu avec toi, tu peux t'asseoir vite fait en face de mon bureau ? Je ne serais pas longue, c'est promis.

La jeune fille eut un frisson, pensant qu'elle allait se faire enguirlander pour son comportement pendant l'examen. Alors qu'elle s'asseyait, elle déclara rapidement qu'elle ne pensait pas que le contrôle était du niveau « de maternelle » comme elle l'avait clamé haut et fort en fermant la porte. Dennis lâcha un petit rire en attrapant un ouvrage de biologie qui traînait dans son sac, comptant faire de la lecture en attendant que l'heure du cours ne sonne enfin.

- Non, ce n'est pas à propos de ce petit détail, assura Victoria, réprimant elle-même un gloussement. Je voulais simplement m'assurer de quelque chose. Je te surprends régulièrement à faire la sieste pendant mes cours. Ils sont si ennuyeux que ça ? Comme tu le sais, je débute en tant qu'institutrice et je ne souhaiterais pas me faire renvoyer pour incompétence…

- Oh c'est pour ça... faut pas vous en faire madame Viltrust, vous n'avez rien à vous reprocher. C'est juste que quand il s'agit d'informatique, je suis au taquet. J'ai passé la majeure partie de ma vie là-dedans. Je me souviens qu'à l'âge de neuf ans quand je suis parvenue à pirater le système de mon orphelinat et…

Tsubasa se stoppa net dans son élan, réalisant qu'elle venait de lâcher une information qu'elle aurait dû garder pour elle-même. La jeune fille oubliait régulièrement que ce genre d'activité relevait de l'illégalité. Et maintenant qu'elle avait atteint la majorité, elle pourrait plus facilement finir derrière les barreaux sans problème si elle se faisait prendre en flagrant délit. Mais étrangement, la réaction de son professeur ne fut pas celle qu'elle attendait.

- Pirater un circuit informatique à l'âge de neuf ans, c'est assez impressionnant je dois l'admettre. Pas étonnant que dix années plus tard, tu t'ennuies autant pendant des cours aussi modestes. Je me doutais bien que tu avais acquis des connaissances en dehors du système scolaire, ce n'était pas possible autrement. Mais même si tu connais déjà tout ce que j'enseigne à tes camarades, je préfère quand même que tu évites de les déranger avec tes... ronflements…

- Je... je ferais attention, murmura Tsubasa, rougissante, tout en baissant la tête.

- Cette histoire de piratage me rappelle d'ailleurs qu'il y aurait des problèmes dernièrement avec un hackeur qui s'amuse à s'infiltrer dans le système du gouvernement. Un hackeur qui laisserait des messages de conseil pour améliorer la sécurité mais qui parvient à passer les protections à chaque fois. Tu n'as rien à voir avec cette histoire, je suppose ? questionna Victoria, le regard suspicieux.

- Je n'oserais jamais faire une chose pareille ! décréta solennellement la brunette en hochant toutefois positivement la tête. Je suis une personne tout ce qu'il y a de plus honnête et j'ai énormément de respect pour le gouvernement. Et puis c'est pas ma faute si leurs barrières se franchissent aussi facilement non plus…

Elle avait prononcé ces derniers mots tellement bas qu'elle ne pouvait pas savoir avec certitude si son professeur les avait entendus. Même fatiguée à cause de sa surcharge de travail, Victoria n'était pas dupe et comprenait très bien le petit manège de son élève. Malgré ses talents d'informaticienne, Tsubasa restait une piètre menteuse. Garder des secrets ne constituait pas une tâche trop compliquée pour elle mais seulement du moment qu'on ne lui posait pas les bonnes questions.

Il était vrai que depuis quelques temps, elle s'amusait à pirater les services secrets d'Ebravia environ une fois par semaine. Au départ, c'était réellement pour percer leurs défenses dans un simple but d'amusement et elle leur laissait même des propositions pour les fortifier. Mais dernièrement, au vu de ce qui se tramait dans le Réseau Codélia, elle avait commencé à chercher des informations dans le système à l'insu de tous. Douée comme elle l'était, elle parvenait toujours à effacer ses traces pour qu'on ne puisse pas la retrouver.

- Allons, je ne vais pas aller te dénoncer pour si peu, assura Victoria avec le sourire. Je vais sûrement me répéter mais j'avoue être étonnée que tu disposes d'un tel niveau à ton âge. Quand il s'agit de faire du hacking, je n'aurais jamais osé m'attaquer au gouvernement.

- Est-ce que ça veut dire que vous avez déjà fait du hacking ? s'exclama Tsubasa qui manqua de tomber à la renverse de sa chaise.

- Ce n'est pas ce que j'ai dit ! trancha le professeur d'un ton qui ne pouvait tromper personne. Puisque je t'ai fait part de mes appréhensions sur ton comportement pendant les cours, je vais te laisser tranquille. Il ne reste plus beaucoup de temps avant que le reste de vos camarades n'arrive. Essaye quand même de prendre en compte mes remarques, ce serait sympa de ta part de laisser à tes collègues une chance de progresser.

- Promis ! assura la jeune fille en se levant pour rejoindre son ordinateur. Mais en échange, si vous avez quelques tuyaux concernant le piratage, je serais ravie d'apprendre avec vous. On pourrait devenir partenaires du piratage, ce serait génial !

Victoria lâcha un soupir alors que Tsubasa se rendait à sa place habituelle, juste à côté de celle de Dennis. Éreintée comme elle l'était, gérer une pile électrique comme son élève en tête à tête se révélait compliqué. Et rien que le fait de penser à la montagne d'examens à corriger qui traînait encore sur son bureau chez elle suffisait à la terrifier. Peut-être aurait-elle dû y réfléchir à deux fois avant de prendre la décision de travailler dans l'enseignement.

La femme blonde ne put s'empêcher de penser que Tsubasa ressemblait beaucoup à son amie virtuelle rencontrée récemment sur le Codélia, dont le pseudonyme était Axerola. Cette dernière était également jeune, dynamique et passionnée au même titre que son élève. Perdue dans ses pensées, Victoria manqua presque de remarquer que le reste des élèves de classe commençait à entrer dans la pièce et à prendre place sur les différents ordinateurs. Une nouvelle journée d'enseignement l'attendait.



***


Surfant tranquillement sur un amas de données, Meijin analysait calmement la situation et s'apprêtait à donner le coup de grâce à son adversaire. En vue de son futur match important contre la numéro deux du Réseau Codélia, il voulait être prêt. De ce fait, le troisième de la dimension numérique acceptait toutes les demandes de combat Haute-Vitesse pour la soirée, peu importe le niveau de son adversaire. Cela lui offrait un échauffement non négligeable.

L'affrontement Haute-Vitesse était ce qui avait permis au Réseau Codélia d'acquérir sa popularité au fil des années. Un tout nouveau moyen d'effectuer des batailles en compagnie de ses Pokémon. Plutôt que de rester sur la terre ferme limitée à un terrain, les possibilités d'un espace de réalité virtuelle se révélaient infinies. Au cours d'un combat Haute-Vitesse, les deux opposants naviguaient sur un circuit constitué de données, grâce à des planches de bonne largeur.

Le circuit flottait plusieurs dizaines de mètres au dessus du sol mais une sécurité infaillible empêchait les utilisateurs de tomber. Des barrières invisibles recouvraient les deux parois, certains dresseurs s'en servant parfois à leur avantage pour prendre le dessus. De plus, les Pokémon, même ceux n'étant pas de type Vol ou avec le talent Lévitation, pouvaient flotter et rester en compagnie de leur dresseur pendant qu'il naviguait à travers l'amas numérique.

Une anecdote intéressante était celle du Pokémon appelé Taupiqueur. Lorsqu'un dresseur imprudent avait tenté de combattre à ses côtés au cours d'une bataille Haute-Vitesse, lors des balbutiements du Réseau Codélia, cela avait entraîné des bugs ainsi qu'une des plus grandes pannes systèmes de l'histoire de la dimension numérique. Depuis ce jour, Taupiqueur, son évolution ainsi que sa forme Alola étaient surnommés les «Pokémon Interdits».

Meijin n'avait jamais eu affaire à ce genre de désagréments, s'étant spécialisé dans les Pokémon de type Feu. Pour le combat en cours, il avait décidé de se battre en compagnie de son fidèle Lugulabre, qu'il comptait également utiliser lors de la finale du Festival Numérique qui l'opposerait à Elkira. Mais son arsenal restait rempli d'équipiers enflammés dont il était fier. Le numéro trois du Réseau demeurait un dresseur de haut calibre.

- Qu'est-ce que tu en penses, Lugulabre ? On met fin à ce combat ou on le laisse durer encore un petit peu ? demanda-t-il, toujours à l'écoute de ses partenaires lorsqu'il se battait à leurs côtés.

Il était difficile pour un Pokémon tel que Lugulabre d'exprimer ouvertement ses émotions mais depuis les nombreuses années qu'il avait passé avec Meijin, ils n'avaient plus vraiment besoin de mots pour se comprendre. Le garçon comprenait très bien où le Pokémon Invitation voulait en venir en faisant pivoter légèrement les lanternes constituant son corps. C'était le huitième affrontement consécutif qu'il effectuait contre l'un de ses fans, il était grand temps de faire une pause.

- Dans ce cas, terminons en beauté avec une attaque Lance-Flamme, l'adversaire est en ligne de mire ! déclara Meijin, un grand sourire enthousiaste traversant son visage.

Le circuit Haute-Vitesse où il effectuait ce match n'était qu'un seul parmi les dizaines qui flottaient au dessus de la cité Codélienne, d'apparence futuriste qui se trouvait plusieurs mètres sous leurs pieds. Chacun d'entre eux formait une boucle mais n'était pas constitué d'une ligne droite. En effet, parfois la route se divisait en deux pour permettre aux dresseurs de se séparer et se reposer ou revoir leurs stratégies avant de se rejoindre un peu plus loin.

Lorsque l'embranchement actuel prit fin et que l'opposant de Meijin refit son apparition, Lugulabre ne se fit pas prier. Crachant un véritable jet de flammes en direction de l'Elecsprint adverse, ce dernier fut pris au dépourvu et ne put esquiver l'offensive. Meijin ayant constamment fait pression depuis le début de la rencontre, il n'en fallut pas plus pour que le Pokémon Décharge se retrouve à bout de forces, incapable de poursuivre davantage.

Déçu mais guère surpris, son dresseur s'empressa de rappeler Elecsprint à l'intérieur de sa Pokéball pour qu'il puisse prendre un repos bien mérité. Le numéro trois du Codélia se plaça à hauteur du vaincu afin de pouvoir converser avec lui, le temps qu'ils atteignent la prochaine sortie programmée du circuit qui leur permettrait de regagner la terre ferme. Meijin félicita son adversaire pour sa performance, il était toujours très sympathique avec ses fans.

- Je ne m'attendais pas vraiment à subitement venir à bout du grand Meijin, avoua-t-il avec un rire nerveux. Mais ça m'aurait fait plaisir de tenter l'expérience. En tout cas, je te souhaite bonne chance pour ta finale contre Elkira, ça risque de ne pas être de la tarte.

- En effet, confirma aimablement son interlocuteur. De nos vingt-cinq affrontements sur le Réseau Codélia, je n’en ai remporté que dix. Elkira a douze victoires et trois de nos rencontres se sont soldées par un match nul. C'est l'occasion ou jamais de réduire mon écart, je ne compte pas lui laisser la place de numéro deux trop longtemps.

- Et après, le prochain objectif sera Cataclysme !

- Chaque chose en son temps... et puis je ne suis pas sûr que ce soit possible. Quand il s'agit du dressage, il est au dessus de tout le monde, ce type n'est pas humain.

Si Meijin se trouvait actuellement en bas du podium avec Elkira juste devant lui, il existait bien entendu un numéro un. Et il portait le pseudonyme de Cataclysme. Apparu de nulle part il y a à peine un an, il est rapidement devenu une légende au sein de l'espace de réalité virtuelle. On raconte même que personne ne l'a jamais vu perdre un match depuis la création de son compte. Après avoir pris la place d'Elkira, ancienne numéro un, il n'a fait que creuser l'écart toujours plus chaque jour.

Mais Meijin savait garder l'ordre de ses priorités. Le vainqueur du Festival Numérique obtenait le droit d'affronter le tenant du titre en combat officiel pour tenter de lui dérober. Titre détenu par Cataclysme depuis les dix dernières éditions. Généralement, Meijin ou Elkira gagnait le tournoi avant de se prendre une défaite cuisante contre lui. Si Cataclysme avait un point faible, il le cachait avec brio. Le garçon préférait toutefois attendre d'avoir remporté la victoire contre la numéro deux avant de se soucier de lui.

Une fois sur la terre ferme, Meijin savait qu'il n'échapperait pas à son armée de supporters. C'était le petit souci de la popularité, il ne pouvait pas vraiment se balader librement dans la cité Codélienne sans se faire remarquer. Généralement, il modifiait légèrement son avatar par rapport à celui qu'il arborait publiquement afin qu'on ne puisse pas le reconnaître sans jeter un œil à son profil. Cela lui était fort utile pour les connexions qu'il qualifiait de «promenades».

Comprenant que se déconnecter maintenant au beau milieu de ses fans serait le comble de l'impolitesse, Meijin décida de prendre sur lui et de passer un peu de temps en leur compagnie. Il les comprenait très bien après tout. Même s'il avait déjà effectué des combats Pokémon contre lui à plusieurs reprises, lui-même tuerait pour pouvoir passer quelques minutes en compagnie de Cataclysme et respirer le même air que lui.

Son alter-ego du monde réel, Takeru Lerendal, était un homme à lunettes mais elles ne faisaient pas partie de son avatar Meijin. Ses cheveux d'ordinaire blancs devenaient bleus, légèrement plus longs et partaient dans tous les sens. A l'avant de son visage se trouvaient deux mèches rouges et oranges qui tombaient sur le côté de son visage, rappelant le feu, son élément de prédilection. Ses yeux bleus viraient également au jaune, rendant son visage complètement différent par rapport à la vraie vie.

Là où Takeru s'habillait simplement, Meijin disposait d'une combinaison grise parsemée de motifs représentant les flammes. Une écharpe écarlate entourait son cou et s'illuminait, tous comme les motifs, lorsqu'il le souhaitait pour se donner un effet cool. Même la planche que le numéro trois du Codélia utilisait pour les affrontements Haute-Vitesse avait été personnalisée pour se ramener au côté brûlant qui caractérisait si bien sa personnalité virtuelle.

- Je viens de recevoir un message dans ma boite privée, songea le garçon alors qu'il racontait un de ses anciens matchs à un fan qui buvait ses paroles. Et comme j'ai désactivé les notifications sauf pour les utilisateurs dont le rang a maximum deux chiffres, ça doit certainement être important.

Meijin demanda alors à son Lugulabre, resté à l'air libre plutôt que de retourner dans sa Pokéball après le combat, d'occuper les enfants qui l'entourait pendant qu'il se tenait à l'écart pour lire son message. Le Pokémon Spectre et Feu commença alors à user de Feu Follet et s'amusa à distordre le feu de couleur bleu pour faire apparaître des formes en tout genre. Les fans se mirent à applaudir pendant que le troisième du Réseau prenait ses distances pour effectuer une lecture tranquille.

Je sais que tu es en train de t'entraîner en vue de notre match. Quand tu auras un moment, tu pourras me rejoindre ? Je suis sur le toit du Centre Commercial Quatre de la ville. J'aimerais converser un peu avec toi si bien sûr, ça ne te dérange pas.
Elkira


- Alors ça pour une surprise…

Meijin avait rarement des entrevues privées avec Elkira, sa rivale directe et sa prochaine adversaire. Il venait seulement de s'en rendre compte à l'instant mais il ne la connaissait pas vraiment en dehors des combats. L'image qu'elle donnait pendant ses affrontements était celle d'une fille froide et calculatrice. Mais il n'était pas impossible qu'elle se comporte différemment lorsqu'elle n'avait pas les deux pieds posés sur une planche dans un circuit Haute-Vitesse.

Jugeant qu'il serait impoli de sa part de refuser, surtout qu'il avait parfaitement les moyens d'y aller. Il écourta donc son moment en compagnie de ses fans et rappela son Lugulabre à l'intérieur de sa Pokéball, prétextant qu'il allait devoir se déconnecter bientôt. Même si ses supporters ne purent cacher leur déceptions, ils se montrèrent compréhensifs. Meijin était chanceux de ce côté-là, il avait entendu des histoires terribles au sujet de quelques groupies de Cataclysme.

Une fois hors du champ de vision de son public, Meijin prit la peine de modifier légèrement son avatar en ajoutant des accessoires tels que des lunettes, un chapeau et un manteau. Une telle manœuvre serait inutile si quelqu'un s'amusait à regarder son profil directement mais la cité Codélienne comportait toujours des milliers d'utilisateurs en même temps. Cette méthode était constamment mise en place par les joueurs populaires pour se fondre dans la masse.

- Elkira m'a bien dit le Centre Commercial Quatre, ce n'est pas très loin d'ici. A tous les coups, elle s'est amusée à regarder mes affrontements Haute-Vitesse afin de m'analyser…



***


Ses pieds balançant au dessus du vide, la numéro deux du Réseau Codélia observait la cité futuriste s'étalant à perte de vue. Nombreux étaient les gratte-ciels qui surplombaient la cité, une telle prouesse technologique ne serait pas possible dans le monde réel avant encore quelques années. On disait même que la prochaine mise à jour allait amener des petits bâtiments flottant dans les airs, afin que les spectateurs soient toujours plus proches des circuits Haute-Vitesse où se déroulaient les batailles.

De là où elle se trouvait, Elkira pouvait apercevoir le fameux stade où la finale aurait lieu d'ici la fin de la semaine. Il était facilement reconnaissable à son apparence en forme de dôme. Étant l'une des constructions les plus grandes du Réseau Codélia, le stade pouvait accueillir jusqu'à presque cent mille personnes dans ses gradins. Et malgré cette capacité, obtenir des places pour les matchs tels que la finale du Festival Numérique se révélait toujours plus compliqué.

La brise d'un vent virtuel caressant son visage, Elkira aimait beaucoup rejoindre le toit du Centre Commercial Quatre quand elle avait une occasion. Moins fréquenté par rapport à d'autres, personne ne venait la déranger ici. Le fait d'occuper la deuxième place du podium et d'avoir même touché la première place par le passé faisait quasiment d'elle une légende au sein de la dimension numérique. Et pourtant, la gloire et la popularité ne l'intéressaient guère.

- C'est sympa d'avoir accepté de passer... souffla-t-elle sans tourner la tête.

- Comment tu as-pu savoir que j'étais là alors que je n'ai pas fait le moindre bruit ? demanda Meijin, sortant de l'escalier et retirant les accessoires superflus de son avatar. Toujours aussi forte à ce que je vois.

- Disons que je suis dans mon élément dans le Codélia, répondit-elle simplement, cette fois-ci tournant son regard pour croiser celui de son interlocuteur. J'avoue que je ne savais pas à quoi m'attendre en t'envoyant ce message. C'est vrai que nous n'avons jamais pris la peine de s'asseoir quelque part pour discuter. Et pourtant nous avons effectué un bon paquet de combats l'un contre l'autre.

Après avoir dénoué tous les nœuds de son écharpe, Meijin prit place sur le rebord du toit, juste à côté de celle occupant la place supérieure au classement. Recevoir un tel message d'Elkira fut une belle surprise mais finalement, il ne perdait rien à aller à sa rencontre. Si le principe même du Codélia était d'effectuer des nouvelles rencontres, jusqu'ici il ne s'était pas fait un ami qu'il ne connaissait pas directement dans le monde réel. Victoria Viltrust ainsi que sa sœur cadette étaient d'ordinaire ses seules sources d'interactions.

Elkira était vêtue telle une kunoichi. Ses longs cheveux noirs cendrés étaient attachées au niveau de son cou par une barrette rose. Le reste de sa chevelure, divisée en deux, tombait jusqu'au niveau de ses cuisses. Elle portait également un masque de ninja recouvrant la partie inférieure de son visage lorsqu'elle effectuait des affrontements Haute-Vitesse mais le retirait en dehors des batailles. Un tel avatar ne pouvait qu'accroître le mystère émanant d'elle.

De ce que Meijin avait pu voir d'elle jusqu'à aujourd'hui, il avait toujours ressenti une très forte maturité provenant de sa rivale. Il ne faisait aucun doute selon lui qu'Elkira devait être une femme adulte et responsable dans la vraie vie. Certainement plus que lui qui procrastinait la révision de ses concours pour passer son temps dans le Codélia. Lorsqu'il parlait avec d'autres utilisateurs, Takeru avait toujours cette manie d'essayer d'imaginer à quoi pouvait ressembler les personnes derrière les avatars qu'il rencontrait.

- A vrai dire, j'ai beau être quasiment une légende ici, je ne connais pas grand monde en vérité. Je ne sais pas... comment approcher les gens.

- C'est à dire ? Tu es timide ? s'enquit Meijin, curieux.

- C'est un peu plus compliqué que ça... en fait, je ne comprends pas les gens. L'être humain est quelque chose de compliqué que j'ai encore du mal à cerner. Pourtant, j'ai fait des recherches, beaucoup de recherches…

- Tu parles des humains comme si tu n'en étais pas un, fit remarquer le dresseur enflammé. Tu vas me révéler que dans la vraie vie, tu es un Pokémon qui sait parler et utiliser la technologie ?

Elkira pouffa suite à la remarque. En voilà une hypothèse intéressante, Meijin ne manquait décidément pas d'imagination. Son instinct lui soufflait que ce dernier cherchait à détendre l'atmosphère pour lui faciliter la tâche. L'instinct, encore autre chose que le Codélia lui offrait. Entre le monde réel et celui-ci, il y avait un fossé considérable dans sa façon d'appréhender les choses. Peut-être que ce corps constitué de données qu'elle utilisait en tant qu'avatar était plus proche d'un être humain que celui qu'elle avait réellement.

- Je te l'ai dit, c'est assez compliqué. Et même si je t'expliquais clairement, je ne pense pas que tu me croirais. Mais je me sens vraiment vivante dans le Codélia. Alors qu'en dehors, je suis coincée, perdue et ce, malgré tous mes efforts. Je reste renfermée sur moi-même malgré moi mais c'est... différent. Peut-être que je devrais m'installer ici pour de bon et ne plus jamais me déconnecter…

- Ton véritable corps se trouve toujours dans le monde réel et est soumis à la faim et la fatigue. Si tu restes connectée, tu vas mourir et disparaître, rappela Meijin.

- La faim et la fatigue, murmura-t-elle en ramenant ses genoux à proximité de son menton…

Elkira plongea à nouveau son regard dans la profondeur de la cité Codélienne, songeuse. Elle hésitait à se confier à son camarade au sujet de ses conditions de vie. Mais il y avait fort à parier qu'il lui tournerait le dos si jamais elle venait à lui révéler son secret. Jusqu'à présent, seule une seule personne était au courant à son sujet. Pourtant, elle sentait bien que Meijin était digne de confiance. Même sans réellement interagir avec lui, elle avait appris à le connaître par le biais de leurs combats.

Même si elle se sentait vivante au sein du Codélia, Elkira conservait tout de même ses traits de caractère de la réalité. De ce fait, elle ne pourrait pas aborder les autres sans aide. Meijin était un cas à part, ils s'étaient rapprochés malgré eux dans leur quête de vaincre Cataclysme et prendre sa place de numéro un. Peut-être qu'elle souhaitait simplement comprendre le sens du mot « ami », qu'elle avait rencontré à de nombreuses reprises dans des bases de données, avec diverses définitions au point qu'elle n'en comprenne plus le sens.

Le dresseur des flammes attrapa alors l'une des Pokéball attachées à sa ceinture pour libérer son Lugulabre. Il lui conseilla ensuite d'aller se balader sans trop s'éloigner. Meijin savait qu'Elkira possédait un Métalosse et lui proposa de le laisser sortir pour que les deux Pokémon puissent s'amuser ensemble. Jugeant que ce n'était pas une mauvaise idée, la fille ninja ne se fit pas prier. Alors que le duo commençait à flotter dans immensité du ciel éternellement azur du Codélia, Meijin reprit la conversation.

- Être renfermé sur soi-même, je connais ça aussi, révéla-t-il. Il y a quelques années, j'ai subi un incident terrible qui m'a causé des séquelles psychologiques très profondes. Je ne pouvais plus aller à l'école, je restais cloisonné chez moi, j'avais même songé au suicide. Et puis j'ai pris mon courage à deux mains lors de mon entrée en lycée et c'est là que je l'ai rencontré…

- Qui ça ? demanda calmement Elkira.

- Ma nouvelle voisine de table pour l'année de seconde. Une fille maladroite mais très humaine. Grâce à elle, j'ai obtenu le support dont j'avais besoin et j'ai pu me sortir de cette spirale infernale. Aujourd'hui, même si j'ai encore quelques traces de cet indicent, je suis rétabli à quatre-vingt dix pour cent. Ce que je veux dire c'est que tu as peut-être besoin de quelqu'un toi aussi pour te sortir de ce mauvais pas.

Takeru Lerendal n'appréciait pas de parler de son passé et encore moins de cet événement noir qui avait perturbé son enfance. Maintenant qu'il allait mieux et s'était sorti de cette mauvaise passe, il souhaitait faire comme si cette période de son existence ne s'était jamais produite. Mais comme il le disait si bien, c'était bien Victoria qui lui avait permis de redresser la barre. A cette époque, juste avant d'entrer au lycée, Takeru avait même songé à s’ôter la vie.

Toujours aussi peu bavarde, la numéro deux du Codélia n'en demeurait pas moins attentive. Son interlocuteur n'avait pas vraiment tort dans ses propos. Le seul souci était qu'elle ne savait pas vraiment vers qui se tourner. Dans la vie de tous les jours, seule une seule personne connaissait son secret et Elkira passait bien trop peu de temps en sa compagnie pour l'appeler une « amie » selon la plupart des définitions qu'elle connaissait de ce terme.

Une nouvelle fois plongée dans l'analyse de la situation, une action qu'elle effectuait beaucoup trop, elle n'ouvrit plus la bouche. Mais visiblement, le fond de sa pensée devait être visible sur son visage car Meijin lâcha un sourire avant de lui faire une proposition. Si Elkira avait besoin de se rapprocher de quelqu'un qui ne la jugerait pas pour ses différences avec les autres, le dresseur enflammé jugea qu'organiser une rencontre dans la vraie entre eux pouvait peut-être l'aider.

- Se voir... pour de vrai ? souffla-t-elle, surprise.

- Je ne vais pas te forcer si tu ne le souhaites pas mais je me sentirai mal à l'idée de te laisser dans tes problèmes maintenant que tu t'es en partie confiée à moi. Nous avons un combat l'un contre l'autre dans quelques jours en plus, ça serait bien que tu puisses être au maximum de tes capacités.

- Je... je ne sais pas…

La surprise comme l'appréhension. Encore des concepts qu'elle cernait bien mais qu'elle ne maîtrisait réellement que sous les traits d'Elkira. Comment Meijin allait-il réagir en apprenant son secret ? Serait-il dégoûté ? Effrayé ? Ou pire encore ? Maintenant qu'elle avait réussi à faire le premier pas vers lui, ce serait dommage et cruel de devoir prendre ses distances sous prétexte qu'elle n'était... pas vraiment comme les autres filles.

Mais pourtant, elle savait très bien au fond d'elle-même que cette rencontre pouvait vraiment beaucoup lui apporter. Meijin n'était pas un mauvais garçon, il pourrait peut-être réagir calmement et intelligemment après la découverte de son secret. Après moult analyses, Elkira finit par prendre sa décision et accepta de le rencontrer, en espérant vraiment ne pas avoir à le regretter par la suite. Affichant son habituel sourire, le garçon commença à lui proposer des dates.



***


- Tu vas rencontrer la personne derrière Elkira, demain ? s'exclama Victoria, choquée. Tu fais ça pour lui soutirer des informations sur son style de combat pour mieux la battre par derrière lors de la finale ?

- J'avoue que ça ne m'avais pas vraiment traversé l'esprit... avoua Takeru en lâchant un petit rire.

Maintenant que l'homme à lunettes en avait terminé avec ses activités dans le Réseau Codélia pour la journée, il avait jugé que poursuivre ses révisions en vue du concours n'était pas une mauvaise idée. Mais seulement au bout d'une dizaine de minutes, il avait lancé un appel vidéo à son éternelle amie Victoria, qui semblait heureuse d'avoir une excuse pour stopper la correction des contrôles. Comme il fallait s'y attendre, la conversation avait rapidement dévié vers Elkira.

Takeru ne comptait pas révéler quoi que ce soit au sujet de la dresseuse ninja, même à Victoria. Même lorsqu'il découvrirait enfin la vérité au sujet de cette mystérieuse différence qui la séparait des autres, il allait la garder pour lui. C'était à Elkira de parler de son histoire aux personnes dont elle avait envie, colporter des secrets n'était pas dans les habitudes de Takeru. L'institutrice d'informatique fut tout de même déçue de ne pas pouvoir venir au rendez-vous.

- Tu peux au moins me récupérer son autographe ? Elle est quand même numéro deux du Codélia. Tu sais, la place qui est meilleure que la troisième.

- Je le sais très bien ma chère Vicky, dit-il sans tenir compte de la remarque. Ma foi, je peux sûrement t'arranger ça.

Après avoir coupé l'appel, Takeru referma son ordinateur et poussa aussitôt son fauteuil vers l'arrière pour s'en extirper et s'écroula sur son lit sans passer par le sol. La chambre de l'étudiant était ce que l'on appelait communément un capharnaüm. Des fiches de révision traînaient dans tous les coins, sans parler de vêtements lavés ou non. Déjà qu'il n'avait pas les moyens de s'offrir davantage qu'une chambre, il n'optimisait pas vraiment l'espace.

La curiosité s'emparait facilement du garçon. Qui se cachait derrière l'avatar d'Elkira ? Sa « différence » devait être extraordinaire pour ne pas accepter de lui en parler directement dans le Réseau Codélia. Takeru avait beau réfléchir, toutes les idées qui lui traversèrent l'esprit se révélaient bien trop farfelues. Il était en effet fort peu probable que la numéro deux soit en réalité un alien venu détruire les humains ou une espèce de super-ordinateur. Et pourtant, cette dernière option était proche de la vérité.

L'étudiant n'eut pas à attendre longtemps pour être fixé. Le lendemain, il fut le premier à rejoindre le point de rendez-vous fixé la veille, à savoir la petite cafétéria qui avait ouvert récemment dans une avenue du secteur quatre d'Ebravia. Meijin et Elkira s'étaient en effet rendus compte qu'ils n'habitaient pas si loin l'un de l'autre, les adresses étant situés dans des secteurs voisins de la mégapole. Jugeant que cela lui donnait une autre excuse pour ne pas réviser ses concours, Takeru n'avait pas tardé à se présenter.

- J'espère qu'elle n'aura aucun mal à me trouver avec les indications que je lui ai donné, songea-t-il après avoir commandé un soda auprès du sympathique vendeur.

Afin qu'Elkira puisse le localiser, le garçon lui avait signalé qu'il portait une veste rouge avec des motifs de flammes, sa préférée et avait mentionné ses lunettes carrées à monture verte. Comme il était le seul à avoir donné un semblant de portrait robot, il ne pouvait pas situer sa future adversaire avec précision. Mais normalement, cette dernière ne devrait avoir aucun mal à le rejoindre. La fille ninja avait affirmé qu'elle viendrait rapidement après la fin des cours.

Pensif, Takeru alternait souvent son regard entre la télévision accrochée dans un coin de la pièce ainsi que la vitre qui donnait une belle vue sur l'avenue. L'actualité du Réseau Codélia demeurait plutôt calme en attente de la finale, tout le monde attendait Meijin et Elkira au tournant. Alors qu'il sirotait le soda qu'il avait commandé, l'étudiant nota que le ciel azur était dépourvu de nuages. Heureusement qu'une pluie soudaine n'avait pas éclaté, risquant d'entraver cette première entrevue dans le monde réel.

A cette heure de la journée, la cafétéria n'était pas très fréquentée. Un simple vendredi où tous les habitants du coin étaient certainement occupés par leur travail ou leurs études. Takeru trouvait le monde réel reposant par rapport au Codélia. Il n'avait pas besoin de se cacher sous peine d'être reconnu en permanence lorsqu'il souhaitait être tranquille. L'anonymat de la dimension numérique était vraiment un point qu'il appréciait.

Soudainement, un son de clochette put se faire entendre, signe que quelqu'un venait d'ouvrir la porte de l'établissement. S'extirpant de ses pensées, Takeru leva aussitôt la tête vers l'entrée. Une fille venait de pénétrer dans la pièce, restant cloîtrée sur le seuil. Même si cela n'était pas forcément un signe, le jeune homme put noter que la chevelure de cette nouvelle venue, attachée en une queue de cheval sur le côté, était de la même couleur que la tignasse d'Elkira.

- Je crois que c'est elle, souffla-t-il en la voyant réagir lorsque leurs regards se croisèrent.

- Meijin ? demanda-t-elle sur un ton neutre, semblant peu inquiète qu'elle puisse se tromper de personne.

Le désigné acquiesça d'un signe de tête, l'invitant à s'asseoir sur le canapé en face du sien, séparés par la table où il avait posé son verre de soda. Malgré lui, Takeru analysa physiquement Elkira, tentant de comprendre la nature de son problème. Mais rien ne semblait donner une indication à ce sujet-là. Le numéro trois du Codélia avait, dans ses hypothèses, songé qu'elle puisse être défigurée physiquement ou handicapée. L'une comme l'autre venaient d'être réfutées.

- Je m'appelle Takeru Lerendal, se présenta-t-il en tendant la main vers elle. Autant utiliser nos véritables noms, ça évitera d'attirer l'attention sur nous inutilement. On ne sait jamais où les fans peuvent se cacher dans le monde réel.

- Aya Milani, répondit-elle en l'attrapant pour la serrer.

- Ce ne serait pas l'uniforme de l'Académie Vermillion que tu portes ? J'ai une amie qui est professeur là-bas, comme quoi le monde est vraiment petit. Peut-être que tu la connais, elle s'appelle Victoria Viltrust.

- Elle est mon institutrice d'informatique, confirma Aya, qui fixait visiblement la table plutôt que Takeru.

En voilà une surprise qui ne manqua pas de surprendre l'homme à lunettes. La mégalopole d'Ebravia était un lieu immense, habité par des millions d'habitants. Qu'Elkira soit dans la vraie vie étudiante dans la classe de Vicky se révélait être une agréable coïncidence. Par respect pour sa véritable identité, il n'irait pas dévoiler à son amie que la numéro deux du Réseau Codélia, dont elle était fan, figurait parmi ses élèves et qu'elle pouvait la voir régulièrement.

Lorsque Takeru proposa de lui acheter quelque chose pour s'hydrater, Aya refusa en prétextant qu'elle n'en avait pas besoin. Le garçon n'insista pas, jugeant qu'elle aurait tout le temps d'accepter plus tard si jamais leur conversation s'étirait en longueur. Avec la vague de chaleur qui s'abattait sur Ebravia ces derniers temps, s'abreuver continuellement était presque nécessaire pour survivre. La jeune fille devait avoir une constitution physique solide.

- Comme promis, nous sommes face à face. Tu vas pouvoir me parler de tes petits soucis, je suis là pour t'écouter et te venir en aide. Ce serait dommage que ma future adversaire soit troublée pendant notre match, n'est-ce pas ?

- En effet…

Aya avait apparemment du mal à se lancer, ne sachant pas comment Takeru allait réagir quand il connaîtrait enfin son secret. Elle n'avait pas encore ouvert suffisamment la bouche depuis son arrivée pour qu'il puisse se douter de quelque chose. Mais la deuxième du Codélia le savait, elle ne pourrait pas tenir une conversation entière sans que son interlocuteur ne finisse par être mal à l'aise. C'était toujours comme ça que cela se passait lorsqu'elle approchait quelqu'un dans le monde réel.

- Je suis un androïde, lâcha-t-elle subitement sans prévenir.

- En effet, c'est assez surprenant, nota Takeru en buvant une gorgée de son soda…

Les capteurs internes d'Aya lui indiquèrent aussitôt que ce dernier n'avait pas complètement réalisé l'ampleur de ses propos. Il ne tarda toutefois pas à le faire en manquant de s'étouffer avec sa boisson quelques secondes plus tard. Heureusement pour lui, il sortit de cette terrible épreuve sans la moindre séquelle mais préféra éloigner son verre pour le moment. Il n'était pas à l'abri d'une autre nouvelle surprenante de la part de la jeune fille.

- Un androïde ? répéta-t-il, estomaqué. Comme ceux qu'on voit dans les films ? Je sais que la technologie d'Ebravia est assez avancée par rapport aux autres régions mais de mémoire, les androïdes que nous pouvons concevoir à l'heure actuelle se contentent des tâches ménagères ou de petits boulots et ne sont guère capable de communiquer de manière intelligente.

- Je suis parfaitement capable de communiquer de manière intelligente et je ne me contente pas de tâches ménagères ou de petits boulots.

Encore un échec de la part d'Aya, qui avait souhaité alimenter sa voix pour indiquer qu'elle était vexée sans y parvenir. Pourtant, elle avait parfaitement analysé diverses définitions de ce mot et pensait pouvoir le reproduire mais en vain. Tout ce qu'elle pouvait faire était continuer de parler sur ce ton monocorde qu'elle ne maîtrisait pas. Quand elle voyait que Takeru était un garçon qui ne refoulait pas ses émotions, c'était elle qui devrait se sentir mal à l'aise.

Même si l'étudiant ne prit pas la peine de lui demander une preuve, jugeant qu'elle n'avait aucune raison de mentir, Aya souhaita tout de même lui en apporter une. Surveillant qu'aucun des autres clients de la cafétéria ne prêtait attention à eux, elle dévissa discrètement sa main et la posa sur la table. Des câbles rouges et jaunes reliaient le membre au trou où démarrait à présent son bras. Même si Takeru n'était pas branché sur la mécanique, il trouvait tout de même ce phénomène fascinant.

- J'ai été conçue il y a environ cinq ans, je n'ai plus la date exacte, raconta Aya en replaçant sa main là où elle se trouvait auparavant. J'ai apparemment effacé mon disque dur et ma boite noire peu de temps après ma mise en circulation donc je ne saurais dire d'où je viens ni dans quel but j'existe vraiment.

- Phoenix System peut-être ? suggéra Takeru. De ce que je sais, c'est l'entreprise de robots la plus populaire d'Ebravia. Mais comme je le disais juste avant, les androïdes actuels sont encore très limités. Tant que le développement des intelligences artificielles n'aura pas éclaté, je ne pense pas que des robots comme toi puissent envahir le monde…

- Phoenix System... c'est possible en effet. Comme j'étais perdue et sans ressources dès le premier moment enregistré dans ma mémoire, j'ai erré à travers Ebravia. J'allais dans les bibliothèques pour lire des ouvrages, je me rendais dans des cybercafés pour me connecter à Internet. C'est grâce à ça que j'ai pu emmagasiner un maximum d'informations sur les humains et leur façon de fonctionner.

Takeru frissonna. Même si en tant qu'androïde, Aya ne souffrait pas des problèmes liés à la fatigue ou la faim, un tel mode de vie n'était clairement pas enviable. N'importe qui en aurait souffert. Mais pourtant, la jeune fille en parlait sans sourciller, sans le moindre ton mélancolique. Son intelligence avait beau être similaire à celle des humains, elle n'arrivait vraiment pas à se comporter comme eux. Pas étonnant qu'elle se sente isolée et incapable de s'ouvrir aux autres, le garçon comprenait mieux la situation.

Aya expliqua que cette façon d'exister n'était pas viable même pour elle. Son corps robotique la libérait des problèmes typiquement humains mais en apportait d'autres. Il ne pouvait pas fonctionner correctement sans subir une maintenance propre au moins une fois par tranche de deux mois. Par le biais des cybercafés, elle était parvenue à recharger tous ses composants pour les maintenir en état le plus longtemps possible mais après presque cinq ans, elle avait subitement cessé de fonctionner.

- Je ne peux pas dire avec précision ce qui s'est passé pendant le passage où j'étais hors d'usage. Mais lors de ma remise en fonction, je me trouvais en compagnie d'une fille qui avait effectué la maintenance dont j'avais besoin, expliqua-t-elle. Depuis ce moment, c'est elle qui me rend visite tous les deux mois environ et ne pose pas trop de questions sur ce que je fais de mon côté.

- Donc quelqu'un est au courant de ta situation, comprit Takeru. Pourquoi ne pas avoir tenté de discuter de tes problèmes avec elle ? Même si on s'est souvent croisés dans le Réseau Codélia, nous sommes des étrangers l'un pour l'autre dans le monde réel…

- Je ne saurais pas vraiment l'expliquer, tous mes capteurs m'indiquent que je ne peux pas faire entièrement confiance à Charlotte…

- Charlotte ?

- Charlotte Linday. C'est elle qui m'a retrouvé et sauvé... la vie en quelque sorte, même si je ne suis pas vraiment vivante. Elle m'a dit qu'elle prendrait en charge toutes mes maintenances et qu'en dehors de ça, j'avais carte blanche pour faire ce que je voulais. En faisant attention bien sûr…

Décidément, le numéro trois du Codélia allait de surprise en surprise. La célèbre aristocrate de la famille Linday était liée dans l'affaire. Jamais Takeru n'aurait pensé qu'une femme de son acabit puisse avoir de quelconques connaissances dans le domaine de la mécanique. Ses apparitions télévisées donnaient toujours l'image d'une femme digne de son rang. L'imaginer couverte de suie alors qu'elle effectuait la maintenance d'un androïde amusait beaucoup le garçon.

Aya préféra lui confirmer immédiatement que Charlotte Linday ne serait pas mise au courant qu'elle avait partagé le secret de sa véritable nature avec quelqu'un d'autre. L'androïde savait qu'elle avait besoin de la femme aristocrate pour continuer à subsister et elle ne tenait pas à prendre le risque de la contrarier. Takeru donna également sa parole qu'il ne divulguerait ce secret avec personne, ni même qui se cachait derrière Elkira.

- Dans ce cas, je pense qu'on va pouvoir aller au cœur de mon problème…

- Le fait que tu ne puisses pas t'intégrer convenablement à cause de ta... condition ?

- En effet, affirma Aya. Pendant ces cinq années où j'ai vécu en autonomie, j'ai étudié les humains. Comme je te l'ai dit, j'ai analysé beaucoup de bases de données, lu des ouvrages en grand nombre pour les comprendre au mieux. Je pensais que cela suffirait pour m'intégrer. Quand Charlotte Linday a effectué ma maintenance, elle m'a construit un dossier informatique qui me permettrait d'entrer à l'Académie Vermillion sans éveiller le moindre soupçon.

Takeru lâcha un sifflement d'admiration. Qu'un androïde fasse autant d'efforts pour tenter de se mélanger aux êtres humains était admirable. Et même si elle ne parvenait pas à l'exprimer correctement, sa frustration de ne pas réellement y parvenir était puissante. Il se sentait mal pour elle. Comme Aya ne pouvait pas parler librement de sa nature d’androïde, les personnes qui interagissaient avec elle devraient vraiment la prendre pour un cas désespéré.

- La colère, la peur, la joie. Tous ces sentiments, je parviens à les comprendre. Je sais quand il faut les utiliser et sous quelles conditions. Et je comprends, sur le papier, ce que le corps humain doit ressentir par le biais de ces émotions. Mais je n'y arrive pas…

- Comme tu ne disposes pas d'organes humains, ça te pose un problème je suppose…

- C'est certainement ça. Quand je me connecte sur le Réseau Codélia, je me sépare de mon corps d'androïde l'espace de quelques instants pour devenir un avatar de données comme tous les autres. Tu te souviens de ce que je t'ai dit, la veille ?

Takeru n'eut pas besoin de puiser bien longtemps dans ses souvenirs pour s'en rappeler. « Mais je me sens vraiment vivante dans le Codélia.». Tels furent les mots prononcés le jour précédent par Elkira. Cette disparité entre sa façon de ressentir les choses dans le monde réel et dans la dimension virtuelle provoquaient un déséquilibre chez Aya qui en souffrait grandement. Pas étonnant qu'elle ait émis la possibilité de s'installer sur le Codélia.

- Est-ce que tu pourrais m'enseigner comment m'exprimer à la manière d'un être humain ? demanda alors l'androïde en serrant ses mains l'une contre l'autre. Je ne demande qu'à m'intégrer malgré ma nature... que l'on continue à me regarder comme une personne dérangée m'ennuie vraiment à ce stade.

Le garçon avait fini par se douter que la conversation allait en arriver là. Cette tâche allait se révéler tout sauf facile. Lui-même étant humain, on ne lui avait jamais appris à utiliser ses émotions, cela venait naturellement. Et ses études portaient sur les mathématiques et non sur la philosophie. Instruire un androïde sur l'art d'exprimer ses émotions, en voilà une action qu'il n'aurait jamais penser effectuer un jour. Comme quoi la vie était pleine de surprise.

Mais maintenant qu'il avait une bonne vision de la personne derrière l'avatar d'Elkira et les problèmes dont elle souffrait, il aurait été vraiment impoli de sa part de refuser une telle demande. C'était la demoiselle ninja qui avait fait le premier pas vers lui dans le Réseau Codélia après tout. Comprenant que les capacités de calcul d'Aya devaient être hors-norme, Takeru lui suggéra un échange de révisions. Un androïde pourrait l'aider à être au niveau optimal pour ses concours à venir.

Ne s'attendant pas à cette proposition, Aya n'y vit aucun inconvénient. Si cela permettait de se rendre utile auprès du seul être humain auquel elle avait pu se confier, elle serait ravie de lui apporter un soutien. Du moins, elle aurait l'impression d'être ravie. Ses circuits ne parvenaient pas à faire la différence. Mais en s'imaginant ce qu'Elkira en aurait pensé, c'était la conclusion logique à laquelle elle arrivait. Un long chemin s'étalait devant elle avant de pouvoir se comporter comme une personne normale.



***


- Je ne peux rien te dire de plus pour le moment. En tout cas, j'espère que tu parviendras à appliquer tout ce que je t'ai dit, n'hésite pas à me dire comment ça s'est passé avant que la finale ne commence.

Trois jours avaient passé depuis la fatidique rencontre entre Aya et Takeru à cette cafétéria. Pendant ces trois jours, l'androïde avait appris à découvrir les émotions sous un angle introuvable dans tout livre ou base de données à sa disposition. Elle qui pensait tout savoir des êtres humains au point de blâmer son absence de maîtrise sur son corps de métal, elle s'était montrée ignorante sur bien des points. Quant à savoir si elle saurait l'appliquer, du temps serait certainement nécessaire.

Le soir-même, le Réseau Codélia allait se retrouver en effervescence grâce à la finale du Festival Numérique. Le match tant promis entre Elkira et Meijin se dérouleraient bientôt devant de nombreux spectateurs. En guise de remerciements pour ses précieux conseils, Aya n'avait pas l'intention de ménager Takeru. Lui offrir un beau match serait la plus belle des manières de le remercier, que ses leçons sur les émotions portent leurs fruits ou non.

Aya comprenait très bien que s'intégrer comme n'importe quel être humain ne se ferait pas du jour au lendemain. Elle souhaitait simplement provoquer un léger changement chez ceux qui la côtoyaient régulièrement, précisément le milieu scolaire. Si Charlotte Linday voyait tous les efforts qu'elle mettait en place, elle serait certainement amusée. Déjà que sa nature d'androïde à volonté propre la rendait unique, elle poussait toujours plus ses limites.

Il arrivait souvent à Aya de croiser certains de ses camarades de classe sur le chemin de l'université. En temps normal, elle préférait rester en retrait. Comme elle le disait si bien, elle ne savait pas comment approcher naturellement les autres. Mais cette fois-ci, elle voulait changer d'optique pour s'assurer qu'elle avait bien assimilé tous les propos de Takeru. Elle interpella donc le duo qui marchait devant elle dans l'avenue, son collègue délégué Dennis Keyton ainsi que son amie Tsubasa Albiki.

- Tsubasa, Dennis ! Attendez-moi !

Les deux désignés se retournèrent, peu habitués à ce qu'on les appelle en pleine ville à une heure aussi matinale. Aya s'approcha d'eux en tentant de rester naturelle. Elle accéléra la cadence pour rattraper ses deux camarades, fit semblant d'être essoufflée bien qu'il s'agit d'un concept hors de sa portée et tenta d'analyser l'expression faciale de Tsubasa comme Dennis pour s'assurer que sa présence maintenant n'était pas de trop.

- En voilà une surprise. Madame la déléguée qui vient nous aborder en pleine rue, s'amusa Tsubasa. Ce n'est pas moi qui ait piraté le système informatique du lycée pour faire sonner l'alarme pendant un cours ennuyeux de biologie. Je le jure sur la vie de Dennis.

- C'est pas très sympa ça, souffla ce dernier en lui donnant un petit coup dans le bras. Il y a un problème, Aya ? Si c'est à propos de l'excursion au CNI du mois prochain, Tsubasa a réussi à faire signer son autorisation et elle allait te l'apporter.

- Si tu souhaites paraître naturelle, il va falloir laisser tomber cette attitude statique. Faire des petits gestes avec tes bras, donner du ton à ta voix. Sourire quand tu es de bonne humeur. Tout ça sont des éléments importants si tu souhaites effacer cette image de robot.

Les conseils de Takeru bien imprimés dans son disque dur, l'épreuve qu'Aya attendait mais redoutait venait enfin d'arriver. Pendant ces trois jours où elle avait pu passer du temps avec Takeru, elle avait pris le temps d'analyser sa façon de se comporter. Le reproduire ne serait pas une mince affaire mais si elle ne se jetait pas à l'eau, elle continuerait de se sentir isolée et perdue. Elle souhaitait mettre un terme à ces cinq années d'errance robotique.

- Oh non, ce n'est pas au sujet de l'autorisation, assura Aya en tentant de forcer discrètement sur sa voix pour lui donner le ton qu'elle souhaitait. Je me disais juste que... ça aurait été dommage pour moi de rester derrière alors que nous nous rendons au même endroit. Je peux... vous accompagner jusqu'à l'Académie ?

Contrairement à Tsubasa, habituée à juger les gens sans vraiment les connaître, Dennis n'avait aucun à priori particulier concernant sa camarade de classe. Tous deux délégués, ils se parlaient parfois en dehors des cours, notamment lors de la réunion qui avait suivi leur élection. Si le garçon avait été choisi par sa classe grâce au nombre de voix, Aya fut prise par défaut. Le premier collègue de Dennis avait changé d'avis, prétextant que sa nomination n'était qu'une blague.

Même si Dennis avait lui-même senti que quelque chose ne tournait pas rond avec sa confrère déléguée, il se serait bien abstenu de lui poser la question en face. Et il ne se sentait pas réellement mal à l'aise en sa présence. Son amie brune fut bien plus surprise que lui par la demande d'Aya de les accompagner. Tsubasa ne répondit pas, préférant le laisser décider pour elle. Et de son côté, Dennis n'allait pas refuser. Être inutilement abject envers des personnes de bonne foi ne figurait pas dans ses principes.

- Je n'ai pas grand chose à dire sur ta démarche, elle n'est pas aussi raide que celle des robots de fictions. Mais rien que le fait de marcher est un moyen d'exprimer des émotions. Si tu es joyeuse, rien ne t'empêche de sautiller par exemple.

Ayant stocké tous les propos de Takeru dans un recoin de son disque dur accessible en moins d'une fraction de seconde, elle pouvait les mettre en application et se souvenir de chacun d'entre eux efficacement. Ne pas être un parfait être humain avait tout de même quelques avantages. Elle sautilla donc légèrement alors qu'elle prenait place à côté de ses deux camarades de classe, qui semblaient avoir eu jusqu'ici une conversation au sujet du Festival Numérique.

- Tu t'intéresses au Réseau Codélia, Milani ? interrogea Tsubasa, tentant d'ignorer le malaise qu'elle ressentait habituellement à chacune de ses interactions avec elle. Elkira ou Meijin ?

- Elkira, répondit aussitôt Aya. Elle a fait un excellent parcours jusqu'ici et les statistiques la donnent gagnante à quatre-vingt pour cent. Mais c'est tout de même Meijin en face, donc on ne peut pas donner lui donner la victoire aussi facilement. Elle va devoir se battre pour l'obtenir.

- Je pense la même chose, approuva Dennis, toujours très enthousiaste lorsqu'il était question du Réseau Codélia et de ses idoles. Meijin a l'air d'être au sommet de sa forme toutefois, si l'on se fie aux derniers matchs qu'il a effectué. Sa prestation en demi-finale notamment, c'était du grand art.

Se rapprocher des êtres humains était une chose mais l'androïde tenait malgré tout à conserver l'anonymat concernant son lien avec Elkira. Takeru lui avait déjà fait la promesse de garder cette révélation pour lui, même si son amie Victoria Viltrust était une grande fan d'Elkira. Peut-être qu'un jour, lorsqu'elle comprendrait pleinement la notion d'ami et parviendrait à s'en faire quelques-uns, elle en parlerait plus ouvertement. Mais ce n'était pas demain la veille que cela arriverait.

La conversation dévia rapidement sur l'après-finale. Après tout, le vainqueur de la confrontation opposant Elkira et Meijin aurait l'immense honneur d'affronter Cataclysme, le champion en titre invaincu. De ce côté-là, Tsubasa comme Dennis avaient un avis tranché sur la question. Pour eux, à moins qu'il ne soit tombé malade ou ait subitement perdu tout son talent, il ne faisait aucun doute que le numéro un ne tomberait pas du podium de si-tôt.

Si Aya avait été connectée au Réseau Codélia pour le moment, elle aurait été vexée. Elle savait qu'elle devait l'être même si elle ne le ressentait pas. Mais pour préserver son identité, elle préféra se reposer sur ses instincts robotiques et ne pas tenir compte des remarques de ses deux camarades. Elle savait regarder la vérité en face elle aussi. Malgré ses nombreux calculs, parfois même effectués pendant le combat, Cataclysme demeurait imbattable.

- Il faut que j'aille voir madame Viltrust pour lui parler des contrôles de début d'année, indiqua Aya alors qu'ils arrivaient devant l'entrée de l'Académie Vermillion. On se retrouve au premier cours, merci de m'avoir accompagné en tout cas, ça m'a fait très plaisir.

L'androïde se sépara de Tsubasa et Dennis et effectua le petit geste de la main que Takeru lui avait appris en guise d'au revoir. Une fois le dos tourné, Aya préféra avancer sans se retourner à nouveau. Elle n'avait aucun moyen de savoir si cette première tentative de paraître plus humaine avait porté ses fruits ou non, ce n'était pas avec elle qu'ils en parleraient mais plutôt entre eux. Du moment qu'ils aient remarqué la différence, ce serait suffisamment pour le moment. Elle savait que les progrès viendraient au fur et à mesure.

- Tu ne trouves pas que Milani était bizarre ? demanda la brunette alors qu'ils pénétraient à leur tour dans la cour de l'Académie Vermillion. En temps normal, elle ne parle à personne et quand elle doit le faire, c'est toujours d'une façon... mécanique. Je n'ai jamais aimé discuter avec elle.

- Oui, j'ai remarqué. Aya semblait normale pour une fois, approuva Dennis avec le sourire. Du moins à peu près, j'avais tout de même l'impression qu'elle se forçait. Mais ça restait plus agréable qu'à l'accoutumée.

- Je trouve aussi. Elle donnait moins l'impression d'être un robot, j'aurais jamais cru que son visage pouvait avoir plusieurs expressions différentes…



***


- Je me trouve actuellement dans une loge spéciale du stade en attente du début de la finale. Tout comme vous, je suis très impatiente d'en voir le commencement. Je suis certaine que nos deux finalistes nous réservent un spectacle de haut prestige !

Journaliste de talent pour le compte du Réseau Codélia, Shironeko ne pouvait pas passer à côté de cet événement mensuel qui donnait toujours un nouveau souffle de vie à la plate-forme. Avec le reste de son escouade, elle se tenait prête à commenter l'affrontement titanesque, qui débuterait d'ici moins d'une heure. Le plus grand stade de la cité Codélienne se remplissait très rapidement, les utilisateurs ayant acheté leurs tickets s'empressant de rejoindre leurs places dans les massives tribunes.

Même si dans la vraie vie, Shironeko était une femme d'apparence normale, on ne pouvait pas en dire autant de son avatar, quelque peu extravagant. Des cheveux neige mi-longs qui tombaient jusqu'à ses épaules de façon légèrement ondulée. Des oreilles de chat sortaient de sa tête et la partie inférieure de son uniforme disposait d'un emplacement spécial pour laisser s'échapper une queue blanche. Les iris de ses yeux jaunes renvoyaient également aux félins.

- Peu de temps avant le début du match, un invité de marque a décidé de nous rendre une petite visite, acceptant d'échanger quelques mots avec nous, annonça la journaliste sur son habituel ton mélangeant à la fois professionnalisme et enthousiasme. Je vous demande donc d'accueillir Meijin, l'un des deux finalistes que nous verrons à l’œuvre très bientôt.

L'avatar derrière Takeru Lerendal s'avança pour être visible sur les écrans diffusés à travers les télévisions et les ordinateurs. Cet entretien n'avait rien d'exceptionnel pour lui, il lui arrivait souvent d'accepter les demandes de Shironeko lorsqu'il se hissait jusqu'en finale. Même si le garçon ne s'intéressait pas vraiment à sa popularité, il aimait bien ces petits moments avec la journaliste. Si une personne était encore plus populaire que le trio du Codélia, il s'agissait bien de la journaliste féline.

- C'est très sympa de ta part d'avoir accepté ma petite invitation Meijin.

- Mais tout le plaisir est pour moi, Shironeko, affirma le désigné, tout sourire.

Même si ses connexions publiques se raréfiaient, il arrivait de temps en temps que le grand champion Cataclysme apparaisse pour répondre aux questions de Shironeko. En revanche, Meijin savait de source sûre que sa future adversaire n'avait jamais accepté la moindre invitation. Jusqu'ici, le garçon avait pensé que c'était pour préserver un certain mystère la concernant. Mais maintenant qu'il la connaissait mieux, il comprenait davantage les raisons qui la poussaient à ne pas faire des apparitions de la sorte.

L'utilisateur enflammé prit place dans le fauteuil rembourré que lui montra la journaliste. Depuis cette loge située à l'intérieur du stade, il était possible d'avoir une vision parfaite de son contenu grâce à l'immense baie vitrée. Depuis cette pièce, Shironeko et son équipe avaient commenté bon nombre de matchs du Festival Numérique et parfois même simplement d'exhibitions et ce, depuis plusieurs années. Ce n'était pas donné à tout le monde de poser les pieds ici.

- Nous sommes à seulement une heure du lancement de cette finale, comment te sens-tu, Meijin ? Excité ? Anxieux peut-être ? Après, je pense que tu es habitué maintenant à livrer des matchs devant des dizaines de milliers de spectateurs.

- Pas anxieux le moins du monde, assura Meijin. Excité par contre, je pense qu'on ne peut rien vous cacher. J'ai travaillé très dur pour me hisser à nouveau jusqu'en finale et je ne compte pas laisser passer cette chance de combattre Cataclysme une nouvelle fois. Mais je sais que j'aurais fort à faire avec Elkira, c'est vraiment une adversaire redoutable.

- Parlons d'Elkira justement, elle se montre toujours très discrète. Malgré sa popularité, on ne sait pas grand chose sur elle. Et sans doute pour se préparer mentalement au combat, elle n'a pas accepté de nous rejoindre ici pour discuter. Toi qui évolue au même niveau qu'elle, peut-être as-tu quelques informations croustillantes à nous transmettre à son sujet ?

Le garçon enflammé se doutait bien qu'on tenterait de lui poser des questions sur sa future adversaire. Mais il ne comptait pas dévoiler quoi que ce soit la concernant, ce n'était pas à lui de le faire. Lorsqu'Elkira se sentira prête pour participer à un entretien avec la grande Shironeko, elle le fera par ses propres moyens. Il avait d'ailleurs hâte de retrouver l'androïde afin qu'elle puisse lui faire part de ses tentatives récentes de paraître plus humaine.

- En effet, je connais un peu plus Elkira par rapport aux autres. Mais je n'irai pas divulguer ses secrets. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'elle est une fille admirable qui se donne beaucoup de mal à atteindre ses objectifs. Elle mérite tout le respect qu'elle reçoit des utilisateurs du Codélia, ça je peux l'affirmer. C'est un honneur pour moi d'être son adversaire ce soir.

- Tu m'as l'air de la tenir en grande estime, nota Shironeko, amusée. J'espère quand même qu'elle acceptera de passer dans notre émission un jour prochain, il serait dommage de ne pas profiter de son expérience en tant qu'ancienne meilleure utilisatrice. D'autant plus qu'elle a toujours la deuxième place.

Takeru se doutait bien qu'Aya regardait l'émission en ce moment et il espérait qu'elle ne sentirait pas gênée. Puis il se rappela que sa nature d'androïde l'empêcherait de ressentir un quelconque malaise. Mais ses propos venaient du cœur, il respectait énormément la jeune fille de métal pour l'avoir approché et avoir accepté de lui révéler son secret et les problèmes qui y étaient liés. Il allait l'affronter sur le circuit Haute-Vitesse en étant complètement serein.

Gardant son professionnalisme, Shironeko n'insista pas concernant la demoiselle ninja et préféra reporter la conversation sur Meijin lui-même, l'interrogeant sur ses méthodes d'entraînements, son parcours depuis la création de son avatar et bien d'autres joyeusetés. Même si à l'origine, il s'était inscrit sur le Réseau Codélia afin de s'amuser avec son amie Victoria Viltrust, il en avait fait du chemin depuis. Surtout quand son amie avait dégringolé du classement général à cause de ses absences répétées dues aux études.

Takeru ne parlait pas vraiment de lui par narcissisme mais pour inspirer ceux qui avaient peur de se lancer dans cette grande aventure qu'était le Codélia. Lui-même s'était retrouvé au fond du trou à cause de son sombre passé mais avait su s'en remettre et se relever. Le dresseur enflammé ne serait pas mécontent de voir émerger de toutes nouvelles pointures qui viendraient mettre en péril le statut de l'élite du Codélia, que ce soit lui, Elkira, Cataclysme ou ceux juste en dessous d'eux au classement.

- Voilà un utilisateur très intéressant que notre Meijin ! Je pense que nous n'allons pas te déranger dans tes préparations plus longtemps. Nous comptons sur toi pour nous offrir un beau spectacle quand tu seras sur le circuit Haute-Vitesse avec Elkira !

- J'y compte bien, Shironeko. Vous n'avez pas à vous en faire !



***


- Et voilà nos places. Ton frère n'y est pas allé de main morte, elles sont super bien placées par rapport aux écrans de retransmission !

Tsubasa Albiki et Dennis Keyton, aux travers de leurs avatars respectifs, s'assirent sur les sièges qui leur étaient attribués. Ils ne pourraient jamais remercier assez l'aîné de Dennis, qui occupait un poste important au sein du Codélia Network Industries, pour ce cadeau inestimable. Même si la brunette s'intéressait aux événements du réseau, elle n'était tout de même pas aussi passionnée que son ami, qui sautillait sur place à l'idée de voir s'affronter deux pointures de la plate-forme.

Au sein de la dimension numérique, Tsubasa devenait Axerola. Une fille aux cheveux bleus, toujours attachés en couettes et portant des lunettes d'aviateur. Quant à Dennis, il devenait Brave, un garçon dominé par le vert, que ça soit pour la chevelure ou sa tenue. Mais là où Tsubasa se connectait de temps à autre pour passer du temps avec sa correspondante, Dennis avait un rang abyssal, n'ayant jamais effectué le moindre combat Haute-Vitesse de sa vie.

- Deltaziroh ne va pas regarder le match ? questionna le garçon, curieux, alors que l'écran géant diffusait l'entretien de Meijin en compagnie de la journaliste Shironeko.

- Elle m'a dit qu'elle se trouvait dans la partie inférieure du stade avec sa sœur, répondit son amie.

- Ah je vois, c'est dommage de ne pas pouvoir regarder le match tout ensemble mais elles n'ont pas eu la chance d'obtenir des places aussi bien situées que les nôtres…

Reportant son attention sur le dresseur enflammé, Dennis se montra discret pendant les minutes qui suivirent. Tsubasa, qui ne savait pas vraiment quoi faire, commença à lire l'actualité du Réseau Codélia afin de découvrir si quelque chose de palpitant s'était passé dernièrement. Et ce qu'elle vit lui déplut fortement au point où son corps tout entier fut parcouru par un frisson vraiment désagréable. Sentant sa camarade s'agiter à côté de lui, le garçon jeta un coup d’œil à ce qu'elle fixait.

- Tu as vu les nouvelles ? Il paraît qu'un groupe de terroristes qui se fait appeler le Cercle des Proxys a tenté de pénétrer en force dans le serveur du CNI, ça a de quoi faire peur…

Une grimace apparut sur le visage d'Axerola pendant l'espace d'une demi-seconde. Cela s'était passé tellement vite que son ami n'était même pas certain de l'avoir vu. Il jugea que c'était son subconscient qui lui jouait des tours. La jeune fille, maintenant plongée dans ses pensées, s'était désintéressée de la finale à la vitesse de l'éclair. Si des gens se faisant appeler Proxys commençaient à causer du désordre, elle allait encore devoir user de ses talents de hackeuse pour mettre son nez là où elle ne devrait pas.



***


Calmement assise dans un vestiaire réservé aux finalistes, Elkira attendait patiemment de recevoir le signal afin de se présenter sur le terrain. Comme Takeru s'en était douté, elle avait attentivement observé l'entretien avec Shironeko. Et comme Takeru s'en était douté, elle n'avait pas ressenti de malaise particulier. L'androïde était même flattée que son prochain opposant ait une si haute opinion d'elle-même alors qu'elle n'était pas un être humain.

Elle ne savait pas si ses entrevues avec Takeru y étaient pour quelque chose mais elle avait pris une mauvaise habitude ces derniers jours, lorsqu'elle se connectait sur le Codélia. D'ordinaire, elle ne remontait son masque de ninja pour dissimuler la partie inférieure de son visage qu'au cours des affrontements Haute-Vitesse. Mais elle le faisait bien plus fréquemment et même sur la terre ferme. Notamment lorsqu'elle ressentait cette impression de gêne qu'elle ne comprenait ni ne saurait expliquer.

L'impatience. En voilà un autre concept qu'elle maîtrisait partiellement dans le Codélia et absolument pas à l'extérieur. D'après les nombreux dictionnaires qu'elle avait téléchargé dans son disque dur, l'impatience provenait d'une attente insoutenable pour un événement particulier. Serait-ce la raison pour laquelle son estomac de données semblait remuer bizarrement. Aya Milani avait encore tant à apprendre sur les êtres humains, malgré ses avancées récentes.

- Je vois que madame est prête pour le grand match !

Elkira leva les yeux vers l'entrée du vestiaire où Meijin se tenait. Visiblement, il en avait complètement terminé avec les entrevues de Shironeko et pouvait pleinement tourner ses pensées vers l'affrontement imminent. Rabaissant son masque afin de faire réapparaître sa bouche, la fille ninja ne dit pas un mot alors que son futur adversaire prenait place sur le même banc qu'elle. L'excitation était clairement visible sur son visage, il n'en pouvait plus d'attendre.

- Alors comme ça, tu me tiens en haute estime ? demanda-t-elle finalement, brisant son silence.

- Ah, j'en connais une qui suit les reportages de Shironeko, nota Meijin, amusé. J'ai simplement dit ce que j'avais sur le cœur, je n'ai aucune raison de mentir après tout. Par contre, ne vas pas te faire des idées. Ce n'est pas parce que je te respecte que tu vas gagner. J'ai des comptes à régler avec Cataclysme !

- Nous avons tous des comptes à régler avec Cataclysme, il a battu tout le monde, rappela Elkira. Et jusqu'à présent, je mène sur le nombre de victoires, non ? Autant creuser l'écart, tu ne penses pas ?

- Madame Aya Milani, auriez-vous appris le sens de la répartie ?

- Disons que j'ai fait mes devoirs…

Takeru ne pouvait décidément pas s'empêcher de sourire. L'androïde avait vraiment envie de se mélanger aux humains au point où on ne puisse plus voir la différence. Elle n'était déjà clairement plus la même personne par rapport à quelques jours auparavant. Lors de leur fatidique rencontre dans la cafétéria qui avait pu amorcer l'évolution d'Aya. Si cela continuait sur cette voie, le garçon finirait peut-être par oublier que sa camarade avait un corps de métal dans la vraie vie.

Comprenant que le moment était enfin venu de passer à l'action, Takeru ne passa pas davantage de temps dans le vestiaire et s'empressa de rejoindre son opposante dans le couloir alors qu'elle s'éloignait. Tous leurs affrontements jusqu'ici furent de haut prestige mais cette fois-ci, il sentait que la barre serait placée encore plus haut par rapport aux précédents. Et à en voir Elkira qui s'efforça d'étirer ses lèvres pour former un sourire, c'était réciproque.

L'étudiant passa rapidement sa main autour de sa ceinture, là où se trouvait la Pokéball de son Lugulabre. Bientôt, son fidèle partenaire allait à nouveau combattre à ses côtés. Il était étrange qu'Elkira soit donnée favorite alors qu'elle se spécialisait dans les Pokémon de type Acier, là où lui préférait le type Feu. Mais tel était le niveau de la numéro deux du Codélia. Une simple différence de type n'était pas suffisante pour lui arracher la victoire.

La lumière au fond du couloir, qui les mènerait directement à l'intérieur du stade où de nombreux spectateurs attendaient leur arrivée, se dessinait enfin. Elkira fut la première à remarquer que quelqu'un se trouvait là adossé au mur. Peu de personnes avaient accès à cette partie du stade et la longue chevelure blanche ne laissait pas l'ombre d'un doute. D'autant plus qu'une seule personne pouvait dégager une telle aura, la fameuse légende du Codélia.

- Cataclysme, tu es venu nous narguer en nous rappelant que peu importe qui gagnera ce match, tu conserveras tout de même ton titre ? interrogea Meijin, peu surpris de le voir là.

- Meijin enfin, tu sais très bien que ce n'est pas mon genre. Je souhaitais simplement vous souhaiter bonne chance à tous les deux. L'un comme l'autre, vous êtes de formidables dresseurs. J'ai hâte d'affronter l'un d'entre vous, quel qu'il soit.

Même si sa présence, simple et pourtant si imposante, permettrait à quiconque de deviner la véritable puissance qui émanait de lui, le grand Cataclysme a également été aidé par la nature. Les avatars du Réseau Codélia disposaient d'une très large liberté d'utilisation. On pouvait ajouter des attributs animaliers, changer de coiffure, de couleur de peau, yeux ou cheveux. Les avatars à apparence entièrement non humaine étaient également possibles. Un seul facteur demeurait imperturbable.

Une personne se connectant au sein de la dimension numérique conservait sa taille. Takeru n'en était pas dérangé, disposant d'une taille parfaitement normale pour un homme de vingt-trois ans, dans les cent quatre-vingt centimètres. Étrangement, Aya Milani était l'exception du système. Comme elle se connectait en créant un circuit entre son disque dur, sa Codéwatch et un ordinateur, elle avait altéré sa taille pour paraître un peu plus grande dans le Codélia. Son corps robotique ne faisait que cent cinquante centimètres.

Takeru avait toujours considéré Cataclysme comme une autre anomalie. Il n'était pas humain pour une personne d'être aussi grande, le champion du Codélia dépassant les deux mètres. Comme si son charisme naturel de champion ne suffisait pas à lui donner de la prestance. Sa longue chevelure blanche soigneusement coiffée, ses yeux d'un bleu calme et limpide et son immense manteau noir contribuaient à lui donner une image de numéro un bienveillant.

- J'ai l'intention de faire un doublé mon grand ! assura Meijin, qui s'enflammait facilement en se retrouvant en face de son idole. Si je te bats après avoir battu Elkira, je ne vais pas rester longtemps à la troisième place du classement, tu peux en être sûr.

- Je ne demande que ça, affirma Cataclysme en lui ébouriffant ses cheveux oranges et bleus, un signe d'affection chez lui. J'ai regardé vos matchs précédents à tous les deux, vous vous êtes encore améliorés. Elkira, tu donnes vraiment l'impression de ne jamais refaire deux fois la même erreur au point d'approcher lentement la perfection. Et Meijin... tu es sacrément imprévisible !

Elkira ne répondit pas, se contentant de croiser les bras. Son statut d'androïde l'incitait à agir de la sorte pour maximiser sa performance et s'améliorer à chaque match. Elle collectait de plus en plus de données sur de nombreux dresseurs et Pokémon différents afin de créer des stratégies pour les contrer. Si pour l'instant, cela ne suffisait pas pour venir à bout de Cataclysme, elle comptait bien créer une base de données tellement élaborée que même lui ne pourra plus rien faire.

L'imprévisibilité, un domaine où Meijin excellait plus que n'importe qui. Il donnait l'impression d'évoluer constamment sur le terrain. Là où Elkira analysait, il agissait par instinct. Et c'est grâce à cet instinct qu'il avait gravi les échelons du Codélia. Contrairement à ses deux autres camarades du top trois, le compte de Meijin était suffisamment vieux pour avoir connu les anciennes règles du Festival Numérique. Là où le tenant du titre n'était pas encore exempt de compétition et où la règle de mort subite s'appliquait encore.

- Je ne vais pas vous retenir plus longtemps, je pense qu'un bon nombre de personnes attendent votre arrivée, assura Cataclysme. Je regarderai votre match avec intérêt. Et que le meilleur gagne, bien sûr !

Le champion incontesté de la plate-forme libéra le passage afin de permettre aux deux finalistes de passer sans encombre. Il n'en fallut pas plus que quelques mots du grand dresseur pour multiplier la motivation de Takeru par dix. Aya, toujours très discrète, avait bien senti que son futur adversaire semblait s'enflammer sur place. Elle-même souhaitait que le match débute enfin mais n'avait pas les moyens physiques de le montrer aussi ouvertement.

Le stade du Codélia sembla à la limite de l'explosion quand Meijin et Elkira firent enfin leur apparition sur le terrain. Flatté par tant de reconnaissance, le garçon enflammé effectua de grands gestes avec ses bras pour saluer la foule et indiquer qu'il allait se montrer digne de la confiance mise en lui. Toujours muette mais attentive, son futur adversaire étudia son comportement et tenta de le reproduire, à plus basse échelle. Elle se contenta de lever légèrement la main.

Un spectateur normal aurait pensé qu'elle se contentait de rester humble et n'aurait jamais deviné qu'elle ne savait tout simplement pas comment réagir à une horde de fan surexcitée et ce, malgré sa popularité et le nombre de finales auxquelles elle avait pris part. Toujours très amusé par les tentatives d'Elkira de s'ouvrir au monde, Meijin la regarda faire et l'encouragea à lever la main un peu plus haut. Même s'ils étaient parfaitement visibles sur l'écran géant, autant montrer qu'elle entendait l'amour de ses supporters.

- Un grand sourire pour montrer que tu es heureuse d'être là peut être utile, aussi ! ajouta-t-il.

- Compris, je m'en occupe !

Aya ne parvenait pas encore à sourire naturellement dans le monde réel sans faire peur à son entourage. La tâche se révélait un peu plus aisée au sein du Codélia mais cela ne restait pas facile pour autant. Elkira tenta donc d'étirer ses lèvres pour former un arc en essayant de ne pas aller trop loin. Mais ne souhaitant pas rater son coup, elle en vint à utiliser ses mains. Sa tentative de sourire se transforma en grimace faite pour amuser la galerie. Takeru entendit d'ailleurs une partie du public éclater de rire.

- Ce n'est pas trop mal pour une première fois. Essaie de t'entraîner devant un miroir histoire que cela finisse par te venir naturellement. Je suppose que tes bases de données ô combien géniales t'ont appris les moments parfaits pour sourire, n'est-ce pas ?

- Ne sous-estime pas ma base de données, Takeru Lerendal. Mon disque dur dispose d'une mémoire interne de cinq cents terra-octets. Je me trompe délibérément sur un tiers des questions de chacun de mes examens histoire de ne pas avoir le score maximal partout.

- Je vois que madame Aya Milani a appris la vantardise, je note. Encore un peu et tu vas me demander de sortir avec toi sérieusement.

- L'amour est un concept incohérent avec mon existence. Et puis lorsque nous nous sommes rencontrés dans la cafétéria l'autre jour, mes capteurs m'ont indiqué que tu étais déjà amoureux de quelqu'un d'autre donc je ne pense pas que ce soit possible.

Meijin ne répondit pas, son visage virant au rouge, en accord avec le thème flamboyant de son avatar. Il était en train de créer un monstre en permettant à son amie androïde de se comporter un peu plus comme un être humain. Si ses capteurs permettaient d'analyser avec une précision le millimètre près de chaque expression du visage d'un individu, cela revenait quasiment à lire dans les pensées. Heureusement que ses capacités robotiques étaient réduites dans le Codélia, étant séparée de son unité centrale.

- Bienvenue à tous pour la finale du Festival Numérique, le moment que vous attendez tous est enfin arrivé. Nos deux participants préférés viennent d'arriver pour se livrer une lutte sans merci ! s'exclama la voix de Shironeko, résonnant à travers le stade.

Même si les lignes blanches permettant de délimiter un terrain de combat Pokémon étaient visibles sur le sol, elles ne servaient que rarement. Et ce n'était pas ce soir que cela allait changer. La digne bataille entre les deux finalistes prendrait place par la voie des airs, sur un circuit Haute-Vitesse qui traversait la cité Codélienne et formait une boucle juste au dessus du stade. En temps normal, un embranchement de divers circuits se mélangeaient dans le ciel du réseau. Mais il s'agissait cette fois-ci d'un soir de finale.

Le match allait être retransmis en direct sur les écrans géants et l'audience ne manquerait pas de faire du bruit chaque fois qu'ils repasseraient par le point de départ. Meijin comme Elkira y étaient habitués à présent et même si ce n'était pas possible pour la deuxième, le premier n'allait pas céder à la pression. Même si ses débuts devant une audience aussi imposante l'avaient soumis à un stress important, il était expérimenté à présent.

- On dirait bien que c'est l'heure. Comme promis, je ne vais pas te faire de cadeaux ma chère. Te laisser gagner ne faisait pas partie de mes engagements lorsque je t'ai instruit sur les humains.

- Mes chances de victoire sont de quatre-vingt pour cent d'après les statisticiens. Je ferais ce qu'il faut pour faire transformer ça en probabilité totale d'ici les premières minutes, déclara la fille ninja, récupérant malgré elle son habituel ton monocorde.

- Fais gaffe, t'es déjà en train de rouiller !

Le circuit Haute-Vitesse de la finale fit enfin son apparition. Démarrant non loin des emplacements actuels des deux compères, il démarrait en une simple pente ascendante avant de se stabiliser une centaine de mètres au dessus du sol. Un amas de données sur lequel se déroulerait bientôt une formidable bataille. Faisant apparaître leurs planches personnalisées, Meijin fut le premier à se lancer sur la mer numérique, rapidement suivi par son adversaire.



***


Le premier tour autour du circuit Haute-Vitesse était une simple promenade de santé. Le combat ne débuterait qu'au moment où les deux utilisateurs repasseraient par le stade et feraient appel à leurs Pokémon respectifs. Match à un contre un en bonne et due forme où le premier des Pokémon qui termine hors-combat provoque la défaite de son dresseur. Pour conserver une certaine justice, les Bonus Codéliens n'apparaîtraient sur la course que lors du départ officiel de la confrontation.

Meijin continuait de saluer allégrement toutes les personnes qui scandaient autour d'eux. Même si le stade de la ville était immense, il ne pouvait malheureusement pas accueillir tous les curieux qui souhaitaient voir le match. Certains s'étaient aventurés au sommet des immeubles qui dépassaient la hauteur où le circuit Haute-Vitesse défilait. D'autres demeuraient dans le monde réel, observant la retransmission depuis un téléviseur, un ordinateur ou l'un des écrans géants des immeubles réservés pour le Réseau Codélia.

Elkira demeurait calme et ne perdait pas le nord. Très attentive à son entourage, elle comptait les secondes qui les séparaient de leur premier passage au dessus du stade, où les hostilités seraient lancées. Elle avait cessé son geste de la main en pénétrant sur l'amas de données, jugeant qu'elle n'était pas encore entièrement prête pour les interactions avec les fans. Elle aurait tout le temps d'y réfléchir à tête reposée, lorsque le Festival Numérique serait terminé, en attendant l'édition suivante.

La fille ninja profita de ce calme avant la tempête pour remettre son masque en place, recouvrant toute la partie inférieure de son visage. Le signe indiquant qu'elle était maintenant au maximum de ses possibilités. Le cœur de Meijin battait la chamade, son expérience sur le Codélia l'avait amené à combattre de nombreux dresseurs différents mais peu étaient capables de l'exciter autant que ceux face à Elkira, Cataclysme ou d'autres personnes haut classées. Mis à part Victoria bien entendu.

- Nous y sommes... constata le dresseur enflammé faisant une dernière ovation auprès des spectateurs alors qu'ils survolaient le stade. J'espère que tu es prête.

- Je ne l'ai jamais autant été depuis ma mise en marche !

L'un comme l'autre attrapèrent leurs Pokéball et s'empressèrent de libérer leurs partenaires. Comme il fallait s'y attendre, Meijin allait se battre aux côtés de son Pokémon fétiche, son Lugulabre. Ce dernier l'avait accompagné dans la plupart de ses derniers matchs et il comptait bien réitérer tous ses exploits une nouvelle fois. L'équipier d'Elkira, connue pour ses Pokémon Acier, fut exposé au grand jour. Un Exagide. Le garçon pensait à un double-type Roche qui permettrait de contrer le feu, il trouva ce choix surprenant.

- Je ne t'ai jamais vu avec cet Exagide. Où sont passés ton Métalosse et ton Noacier des matchs précédents ? Tu essaies de me surprendre, peut-être ?

- C'est possible en effet…

La voix amplifiée de Shironeko indiqua avec enthousiasme le coup d'envoi de la finale et en l'espace d'un éclair, des sphères lumineuses apparurent à intervalles plus ou moins réguliers tout le long du parcours. Les fameux bonus Codélien. Flottant au dessus du circuit, les dresseurs devaient faire preuve d'ingéniosité pour les attraper, en effectuant des actes acrobatiques ou en s'aidant de leurs Pokémon. Ils permettaient alors d'acquérir des effets utilisables immédiatement ou pouvant être gardés pour plus tard.

Mais dans cette deuxième optique, le dresseur ne pouvait pas attraper d'autre bonus, laissant le champ libre pour son adversaire. Le choix de naviguer devant ou derrière son opposant était également un choix stratégique à ne pas sous-estimer. Se trouver devant permettait de monopoliser les bonus Codéliens mais laissait le choix concernant les embranchements. Meijin quant à lui ne se posait jamais de question et faisait toujours tout pour rester à l'avant.

- Autant se montrer galant, n'est-ce pas ? Je te laisse lancer la première attaque.

- C'est bien trop d'honneur, je n'en mérite pas tant.

Ne perdant pas une seconde, Aya Milani ouvrit les hostilités avec une attaque de priorité bien connue des types Spectre à savoir Ombre Portée. Le Pokémon Noble Lame ne se fit pas prier. Meijin préféra rester sur ses gardes. Dans un combat Haute-Vitesse, il était important pour le dresseur de prêter attention aux Pokémon adverses. Même si le Réseau Codélia était programmé pour que les utilisateurs ne souffrent pas des attaques, ils ressentaient quand même les impacts et tomber de la planche signifiait défaite immédiate.

Préférant éviter les risques, le jeune homme préféra passer par Abri pour se mettre hors de portée. Il savait pertinemment que les utilisations successives augmentaient le taux d'échec mais les capacités de priorité demeuraient bien trop dangereuses. Surtout lorsque leur type était l'une des principales faiblesses de Lugulabre. Profitant de l'absence d'impact, Meijin attrapa le bonus Codélien qui se trouvait à proximité, sautant sur place au beau moment et reposant ensuite ses pieds sur la planche sans bavure.

- Puissance doublée sur la prochaine offensive, nota-t-il pour lui-même en analysant la sphère lumineuse qui disparut dans sa main. C'est le genre de coup de pouce que l'on conserve pour le bon moment. Mais si je tarde trop, je vais laisser le champ libre à Elkira pour prendre les prochains bonus.

L'Exagide adverse, à cause d'Ombre Portée, se trouvait à présent sous sa forme Assaut où sa force de frappe était accrue au détriment de sa défense. Meijin se doutait bien que son adversaire attendait le moment pour user de la capacité Bouclier Royal qui, en plus d'offrir une protection parfaite et de réduire l'attaque de l'ennemi, permettait de retourner sous la forme Parade où la défense était maître. Prendre de court Elkira, l'analyste en chef, n'allait pas être simple.

- Tu fais une drôle de tête. En temps normal, il me semble que tu ne te tortures pas l'esprit avec tes adversaires. Cataclysme a bien dit plus tôt que tu étais imprévisible, non ? Laisse-moi analyser tout et n'importe quoi et retourne à ton style impulsif.

- Oui, tu as raison, je suis en train de m'embrouiller, avoua le garçon. Dans ce cas, je vais venir à toi sans attendre. Vas-y mon grand, sers-toi de Nitrocharge.

Le Pokémon Invitation s'enveloppa dans une aura de feu et flotta à toute vitesse en direction de l'Exagide ennemi. Et comme il fallait s'y attendre, la réponse fut immédiate. Bouclier Royal, comme Takeru s'en était douté, permit à l'épée d'acier d'éviter tout dommage tout en réduisant la puissance offensive de Lugulabre. Sans parler du retour à la forme Parade. Mais le bon point restait l'augmentation de vitesse opérée par l'utilisation de Nitrocharge.

Et la confrontation se poursuivit ainsi pendant de bonnes minutes. Meijin comme Elkira multipliaient les offensives l'un contre l'autre, essayant de percer la défense adverse. Même si d'un point de vue compatibilité des types, Elkira était clairement plus exposée, elle ne déméritait pas. Lorsque le garçon enflammé se reposait trop sur un bonus Codélien qu'il attrapait au vol, elle en profitait pour s'en dégoter quelques-uns à son tour.

- On dirait bien qu'il faudra encore patienter un petit moment avant de découvrir le vainqueur ! s'écria Shironeko dans son micro alors que les deux finalistes survolaient le stade pour la quatrième fois depuis le lancement de la bataille. Meijin et Elkira se rendent coup pour coup !

Comme le garçon persistait à naviguer devant son opposante, c'était à cette dernière de décider si elle le suivait ou non lorsque le circuit Haute-Vitesse partait en embranchement pour une poignée de minutes. Jusqu'à présent, l'androïde n'avait pas jugé utile de prendre une pause, continuant de faire pression sur Lugulabre, qui montrait peu à peu quelques signes de fatigue. Même en étant doué pour le dissimuler, Meijin était persuadé qu'Exagide souffrait aussi. Ils étaient à peu près à égalité.

- Qu'est-ce que tu en penses mon grand ? demanda-t-il à son partenaire Feu et Spectre. Tu as besoin d'une pause ou tu penses pouvoir en terminer avec la force qu'il te reste. On approche d'une intersection, c'est le moment ou jamais si tu ne le sens pas.

Lugulabre fit agiter lentement ses chandelles de gauche à droite afin de s'exprimer. Pour tenter de ne pas dévoiler à leurs opposants de possibles stratégies, ils avaient personnalisé leurs moyens de communication avec des signes pour converser dans le plus grand secret. Là où un mouvement de la gauche vers la droite ne signifiait rien du tout pour Elkira, son dresseur avait immédiatement compris le message et s'empressa de le mettre en œuvre.

Meijin releva donc sa planche afin de ralentir sa progression, suffisamment pour se retrouver au même niveau que l'autre finaliste, qui le regarda se rapprocher sans réagir. Constamment sur le qui-vive, elle attendait le moindre mouvement brusque de sa part afin d'ordonner un assaut de son Exagide, pour le moment cloîtré dans sa forme défensive. Le spécialiste des types Feu avait notamment un bonus Codélien en stock, dont elle ne connaissait pas encore la nature.

- Qu'est-ce que tu nous prépares ? Encore un de ces coups d'éclats emplis d’imprévisibilité dont toi seul a le secret ? demanda-t-elle calmement.

- Ce serait dommage de te gâcher la surprise aussi vite, tu ne crois pas ? répliqua Meijin avec le sourire. Crois-moi, tu ne seras pas déçue du voyage.

Ni l'un ni l'autre n'auraient su dire depuis combien de temps l'affrontement avait commencé. En un certain sens, Elkira savait que le changement des règles du Festival Numérique, retirant la mort subite, était à son avantage. La fille ninja n'aurait clairement pas pu faire tenir Exagide face à un type Feu si la bataille était entrée dans ses territoires là. D'autant plus que contrairement à elle, Meijin avait connu l'époque où la mort subite était encore en vigueur, il en gardait de bons comme de mauvais souvenirs.

Conscient qu'Elkira ne possédait pas de bonus Codélien et que le prochain n'était pas pour tout de suite, le jeune homme jugea que c'était le moment ou jamais de faire des étincelles. Il demanda donc à Lugulabre d'user immédiatement de Nitrocharge. Le Pokémon Invitation, disposant déjà d'une vélocité augmentée par ses précédentes utilisations, ne se fit pas prier. Répondant du tac au tac, Elkira riposta aussitôt par le biais de l'habituel Bouclier Royal.

Le sourire sur les lèvres de Meijin s'élargit davantage, indiquant qu'il avait visiblement prédit la réaction de son adversaire. Cette dernière le remarqua aussitôt mais ne sut pas comment l'encaisser. Lugulabre, enveloppé dans une aura ardente, cessa son Nitrocharge sans crier garde, modifiant aussitôt son offensive pour un Lance-Flamme. Cette manœuvre rendait la capacité défensive d'Exagide inutile, étant préparée pour la première capacité et non la seconde.

Mais avant que le jet de feu n'ait pu atteindre sa cible, Meijin activa aussitôt le bonus Codélien dont il disposait. Son effet permettait de modifier le type, et parfois les effets selon les cas, de la dernière attaque lancée. Contre toute-attente, il opta pour le type Glace, ce qui était un choix pour le moins étrange. Décontenancée, l'androïde ne cernait pas pourquoi passer d'une offensive efficace contre Exagide contre une autre contre laquelle il était résistant par défaut.

- Je vois que madame la robot a fait une erreur système à cause de ma décision, nota le garçon enflammé.

- Avoue tout de même que ce n'est pas logique, pourquoi donc en arriverais-tu à ce point ? demanda-t-elle, espérant obtenir une explication.

- Tu le sais aussi bien que moi, le bonus Codélien permettant de changer le type des attaques, peut changer les effets sous certaines conditions. Lance-Flamme, qui va devenir de type Glace, peut originellement entraîner une brûlure. Mais ici…

Il n'en fallut pas plus pour qu'Elkira recolle elle-même les morceaux et cerne enfin la stratégie fomentée par son opposant. Quelque chose d'imprévisible dont seul Meijin était réellement capable. Après tout, qui jetterait une attaque dangereuse contre une autre quasiment inoffensive, juste pour infliger une altération de statut. D'autant plus que le pourcentage de réussite se révélait loin d'être maximal, ce qui signifiait que la probabilité d'avoir jeté un bonus Codélien était très élevée.

Sous l'effet du bonus, le jet ardent ricocha contre l'une des parois invisibles du circuit, protégeant les utilisateurs d’une chute de cent mètres qui pourrait leur entraîner des séquelles dans le monde réel. A ce timing précis, les flammes disparurent, laissant leur place à une vague d'air glacée qui frappa violemment Exagide sans prévenir. Le deuxième effet s'activa alors, recouvrant le Pokémon Noble Lame d'une couche givrée qui limitait grandement ses déplacements.

- Pourquoi donc changer un Lance-Flamme en une variation de Laser-Glace alors que la probabilité de réussite de l'effet de gel est seulement d'environ dix pour cent ? souffla-t-elle, ressentant malgré elle un sentiment proche de la surprise. Tu as pris un risque inutile…

- Mais c'est seulement en prenant des risques que je peux venir à bout de la numéro deux du Codélia, je ne peux pas simplement me contenter de me reposer sur mes lauriers, rappela simplement Meijin, content que son petit manège ait fonctionné à la perfection.

Il était dans la nature d'Elkira d'évaluer toutes les possibilités et les statistiques afin de prendre le chemin le plus efficace mais également avec le plus grand succès probable. Elle pouvait affirmer sans l'ombre d'un doute qu'elle n'aurait jamais pris la même décision que Meijin. Voilà peut-être un autre point sur laquelle elle allait devoir travailler pour se rapprocher davantage des humains. Se créer un instinct et s'y fier de temps à autre afin de créer des miracles.

Alors que le garçon soulevait encore plus sa place afin de se retrouver légèrement derrière son opposante, cette dernière nota qu'elle ne pouvait plus rien faire. De cette façon, elle ne put empêcher Meijin de la suivre alors que le circuit se divisait en deux. Incapable de se mouvoir suite à la givre, Exagide observa impuissant Lugulabre préparer un Ball'Ombre. La sphère de ténèbres fut ensuite projetée dans sa direction. Elkira tenta tout de même d'user à nouveau de Bouclier Royal pour se tirer d'affaire.

Malheureusement pour elle, le gel du Pokémon Lame l'empêchait d'effectuer sa directive et il fut frappé violemment par la capacité de type Spectre. Percutant l'une des parois du circuit Haute-Vitesse, il s'écrasa sur l'amas de données dans un bruit sourd, quelques mètres devant les deux dresseurs. L'un comme l'autre étaient bien conscient de la situation. La grande finale du Festival Numérique venait tout juste d'arriver à son terme.



***


Le Réseau Codélia entra en ébullition. Même si Meijin et Elkira se trouvaient à l'heure actuelle sur l'un des points du circuit Haute-Vitesse les plus éloignés du stade, ils pouvaient entendre les rugissements des spectateurs. Sans parler de ceux qui se trouvaient à proximité, sur les toits des immeubles. Le dresseur enflammé se sentait vraiment flatté d'être soutenu par un nombre aussi ahurissant de personnes, cela lui faisait du bien.

Après avoir rappelé son Exagide à l'intérieur de sa Pokéball pour un repos bien mérité, Elkira ne prononça pas une seule parole. Elle était bien trop occupée à analyser ce qui venait de se passer pour comprendre ce qui lui avait fait défaut dans ce match. Malgré son désavantage naturel de type, tout était aligné pour lui assurer la victoire et ce ticket pour le futur affrontement avec Cataclysme. Et pourtant, c'était son adversaire qui obtenait le droit d'affronter le tenant du titre.

- Tu es sûre que tout va bien ? interrogea le vainqueur en s'approchant d'elle, alors que son Lugulabre flottait joyeusement à ses côtés. Je sais très bien que ce n'est pas dans tes habitudes d'être très bavarde mais là, tu n'as pas dit un mot du tout. Ne me dis pas que ton processeur a tellement évolué que tu es capable de ressentir la déception ?

- Non, je n'en suis pas encore là... assura Elkira en baissant son masque de ninja à nouveau. Félicitations pour ta victoire en tout cas, tu n'as pas démérité alors que tout semblait contre toi dans ce match.

- La clé, c'est de ne pas abandonner et de rechercher les possibilités. Peu importe si tu chutes, il faut simplement savoir se relever, expliqua Meijin. Tu pourras le noter dans ton disque dur, ça t'aidera à t'améliorer. Et peut-être que la prochaine fois que nous combattrons, c'est toi qui gagneras.

L'étudiant nota qu'il venait de recevoir un message privé. Alors que les deux dresseurs approchaient lentement du stade où ils pourraient quitter leurs planches et rejoindre la terre ferme, il y jeta un coup d’œil. Et sa surprise fut proche du néant en constatant qu'il provenait de Deltaziroh, il n'y avait qu'elle pour lui envoyer des choses à des moments pareils. Comme il s'en doutait, elle s'était procurée un ticket pour le stade afin de suivre l'affrontement en compagnie de sa sœur.

Bravo pour ta victoire, c'était un beau match. Mais ne monte pas sur tes grands chevaux, hein ? Maintenant que je peux me connecter davantage, je vais rapidement te rattraper.
Deltaziroh


- Sacrée Vicky, songea-t-il, euphorique.

Effectivement, même si son amie Victoria avait un long chemin à parcourir pour espérer le rattraper, il était fort probable qu'elle réduise l'écart prochainement. Avec ses concours qui approchaient à grand pas, Takeru allait devoir enfin prendre ses distances du Réseau Codélia, au moins pendant une certaine durée, afin de finaliser ses révisions dans le calme. Il éviterait probablement la prochaine édition du Festival Numérique, événement mensuel. Ce qui laisserait le champ libre à Elkira par ailleurs.

- Ma chère Aya Milani, je crois que tu as un petit souci, dit-il soudainement, tandis que le stade apparaissait enfin dans leur champ de vision.

- Quoi donc ?

- Tu ferais mieux de te toucher les joues, tu vas vite comprendre.

Elkira ne se fit pas prier et eut alors une sensation totalement inédite chez elle. Après avoir passé sa main sur son visage, elle put constater qu'elle était humide. Des larmes étaient actuellement en train de couler sur ses joues, un phénomène complètement incompatible avec sa morphologie. D'autant plus qu'elle savait pertinemment que les larmes survenaient, dans la majorité des cas, lorsque la personne en question ressentait une certaine détresse.

- Mais qu'est-ce que... je ne comprends pas…

- Dans le Réseau Codélia, tu n'es plus rattachée à ton corps de métal laissé dans le monde réel, rappela gentiment Takeru. Tu n'es qu'un amas de données comme les autres. Tu m'as dit toi-même que tu te sentais plus humaine au sein du Codélia, non ? Cela doit être ton corps qui s'exprime, tout simplement…

- Mais je ne suis pas triste ! s'exclama-t-elle, sortant enfin de son ton monocorde. Pourquoi donc mes yeux se sont mis à pleurer sans me demander mon avis ? Il manque quelque chose à mon équation…

- En effet, madame boulon, souffla son interlocuteur, très amusé. On ne pleure pas uniquement lorsqu'on est triste. Les larmes de joie, ça existe aussi.

- La... joie ?

Ressentait-elle de la joie en ce moment malgré elle ? Alors qu'elle sortait tout juste d'une défaite imprévue ? Décidément, Aya pensait comprendre son corps lorsqu'elle endossait le rôle d'Elkira mais finalement, elle était très loin du compte. Mais elle préféra ne pas s'en plaindre. Cela la rapprochait du statut d'un être humain ordinaire et c'était l'objectif qu'elle poursuivait depuis un moment. Encore un petit effort et sa nature d'androïde ne serait plus un poids pour elle.

- Takeru... je voulais te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi ces derniers jours. C'est grâce à toi que j'arrive à mieux comprendre les humains à présent. Je ne sais pas ce que j'aurais fait sans ton intervention... j'aurais continué sur la mauvaise voie sans doute.

- C'était demandé si gentiment, je n'allais pas refuser. Et puis, j'ai beau être le numéro trois du Codélia et être une figure massivement populaire, tu penses vraiment que j'ai autant d'amis que ça ? C'était aussi l'occasion pour moi de rencontrer une nouvelle personne. Et si tu veux mon avis, je pense m'être fait une super amie de métal.

Aya Milani lâcha un sourire. Mais cette fois-ci, elle n'eut pas besoin de calculer l'angle précis qui l'empêcherait de devenir une grimace, ou de forcer ses lèvres à bouger par le biais de ses mains. Un sourire simple et sincère. Cette fois-ci, elle ne pouvait pas se tromper. Les larmes qui coulaient sur ses joues étaient bel et bien des larmes de bonheur. Pour la première fois depuis sa mise en marche il y avait de cela cinq ans, elle ressentait enfin la joie.