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Hommage à Bienveillance de Frostou



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Informations

» Auteur : Frostou - Voir le profil
» Créé le 27/02/2019 à 12:04
» Dernière mise à jour le 27/02/2019 à 12:04

» Mots-clés :   Kanto   Présence de personnages du jeu vidéo   Slice of life

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La dernière lettre
Tous étaient présents ce jour-là à Jadielle pour cet événement triste mais nécessaire. Parmi ce beau monde, on retrouvait les champions des arènes de chaque ville, certains la mine faible comme Auguste dont on n'osait plus deviner son âge tant il inspirait le respect ; d'autres le visage plus fermé et sérieux, comme Pierre et Ondine. C'était peut être ce que l'on attendait de ces symboles de la région de Kanto, dont la compétition pokémon était réputée pour attirer le monde entier grâce à son sérieux légendaire et à l'expérience qu'elle a accumulé de part sa longévité. En effet, cela faisait déjà vingt ans que le légendaire Red atteignit le statut de maître pokémon, faisant de lui le premier dresseur couronné dans la région, et par extension dans le monde. Vingt ans aussi que sa disparition provoque une vive émotion par delà les frontières. Peut-être était-il le seul absent ce jour-là, alors que c'était lui qu'il voulait revoir à cet instant pour la dernière fois.

L'événement était retransmis en direct grâce aux nouvelles technologies. Aucune télévision ne manquait à l'appel, aucun journal internet n'osa être absent, et même toutes ces gens du quotidien, qui ne le connaissait pas forcément, avaient allumé leurs téléviseurs, leur téléphone ou tout autre moyen de communication pour pouvoir assister à cette cérémonie. On ne pouvait oublier ce bon vieux professeur Chen aux semblants immortels, qui,même lui, à Bourg Palette, avait arrêté ses recherches pour se recueillir ce jour-là.

Lui aussi, était là, mais sa présence semblait équivalente à une absence. Allongé dans son lit de bois de chêne, il se reposait. Étrangement, il portait ses lunettes. Son apparence était très austère, habillé de ses vieux habits noirs qui inspire aux enfants et à ceux qui ne l'étaient déjà plus le respect que chacun doit au professeur ou au sage. Ce rôle, qu'il jouait si bien, influença jusqu'aux plus grands de ce monde, dont le beau Blue, assis au deuxième rang, avec à ses côtés sa femme et sa jeune fille, dont la douce beauté calmerait même un troupeau de Tauros enragés, selon la légende urbaine. Cette dernière n'osait pas lever les yeux et regarder celui qui se tenait face à elle.

Cet homme, qui n'avait pas bougé depuis le début de la retransmission, devait avoir cent ans. Il n'avait déjà plus de cheveux depuis quelques années, et sa peau était toute tachetée par ces preuves que la vie a été longue et heureuse. Mais son teint était fortement pâle, voire blanc. Son visage tombait légèrement, sa bouche inerte et ses yeux fermés, cachés derrière ses légendaires lunettes rondes. Autour de son lit étaient parsemées de belles fleurs blanches et jaunes.

Cet homme ne bougeait pas, car il était déjà mort deux jours auparavant. Aujourd'hui, c'était l'ultime étape de sa vie alors qu'il n'était déjà plus.

Ils s'étaient tous rassemblés pour lui dire au revoir. Certains ne le connaissait même pas, ne lui avaient jamais parlé, mais ils reconnaissent sa contribution à la société à laquelle cet homme avait contribué à forger depuis au moins vingt ans, si ce n'est tout au long de sa vie. Le dirigeant de la plus grande entreprise du pays, la Sylph, avait même déclaré à l'annonce de son décès dans un communiqué :

« C'est un grand homme. Pour beaucoup, il faut avoir fait de grandes choses, réussi une carrière, voire même avoir accompli des miracles, pour être un grand homme. Mais lui, non, il n'a rien fait de tout cela. Il a seulement montré la voie à la jeunesse, pour qu'elle construit un monde meilleur. Quelques mots et un geste ont suffi pour que nos enfants s'engagent dans l'aventure qu'est la vie ! Il doit rester dans nos mémoires à tous comme un héros de notre société. »

***

Ce vieil homme, beaucoup s'en souviennent comme un vieillard aigri, mal réveillé, qui ennuyaient les jeunes assoiffés d'aventures, tentés par les risques et périls qu'impliquent la poursuite des badges. Mais il était surtout l'homme qui enseigna aux jeunes pousses les rudiments de la capture de Pokémon. Sa démonstration de capture d'un petit Aspicot, il l'a fit durant au moins des dizaines d'années, et chaque courageux dresseur dû un jour ou l'autre croiser son chemin et ses explications.

Lui même disait qu'il s'était donné cette mission à sa retraite, car il aimait cette fougue propre à la jeunesse, et lui rappelait les beaux jours de sa vie. Une rumeur disait qu'il aurait été celui qui enseigna au premier maître de la ligue comment capturer un Pokémon ! Il l'avait sans doute réellement rencontré mais beaucoup n'y croyait guère.

Ce jour-là, le jour de ses obsèques, il était prévu que bon nombre de personnalités prennent la parole. Comme à son habitude, le maire de Jadielle, un homme dont on remarque les marques de l'aristocratie jusque dans la rondeur de son corps, portait un costume bien trop serré pour contenir son embonpoint. Il attendait derrière le pupitre installé à côté du corps inerte le signal du début de la retransmission officielle. Cette attente lui paraissait si long qu'il jouait avec ses deux de ses doigts, tapotant le rebord de l'installation, caché par le pot de fleur qui prenait toute la place devant lui.

Il regarda furtivement sa montre qui indiqua neuf heures et reçut le signal du cameraman pour ouvrir les obsèques. D'un élégant mouvement de sa main droite, il sortait de la poche de son costume son monocle et le posa au niveau de son œil droit. En réalité, il n'en avait nullement besoin pour voir, mais c'était pour lui un accessoire indispensable pour prouver son rang. Il se racla une fois la gorge et commença son intervention :

« Chère Michelle, chers enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants du défunt, chers habitants de Jadielle, chers compatriotes qui avez fait le déplacement de tout Kanto, et même du monde entier, ou qui nous regardez par les moyens de télécommunications. Aujourd'hui, nous sommes rassemblés pour dire adieu à un ami... »

Le maire, passionné par son rôle d'orateur, prenait réellement sa fonction à cœur, même s'il n'était pas vraiment de ce qu'on pouvait qualifier de passionnant, quoiqu'il en dît. Cela ne l'a pas empêché d'être élu pour la septième fois d'affilée l'année précédente, battant son propre record mondial en démocratie. Il était aimé pour son optimiste rare en ces temps difficile et sa capacité à résoudre les problèmes, même en temps critique. Il n'était pas réellement ami avec notre vieillard (serait-ce peut être une appellation commune dans le monde politique?), mais il entretenait avec chacun de ses concitoyens un rapport courtois sans exception.

Son discours fut ennuyeux et long. Blue, installé au second rang, observait cet énergumène avec dédain. Certes peu de personnes pouvaient obtenir l'estime de cet homme imbu de lui-même, et celles qui l'obtint n'étaient sûrement plus de ce monde pour pouvoir en témoigner, à l'exception de sa famille proche.

***

Blue continua à être dresseur de Pokémon, et entamait cette année sa dix-septième année de champion d'arène de la ville de Jadielle. Bien qu'il ne se soit jamais impliqué dans la ville, ne se souciant que son arène, il inspirait la confiance auprès des habitants de cette petite ville et suscitait l'admiration de ceux ayant eu le courage de l'affronter. D'après tous ses adversaires, vainqueurs ou vaincus de l'arène, ils reconnurent tous en lui l'image d'un maître, et allèrent même jusqu'à dire qu'il entrait en transe lorsque le combat éclatait.

Son orgueil restait toutefois sa caractéristique principale. En dehors des combats où sa fougue l'emportait, il se montrait odieux avec les autres dresseurs, notamment dans son traitement de l'histoire. L'adage de Churchill sur l'histoire était toujours d'actualité. Ce sont bien les vainqueurs qui écrivent l'histoire, même quand ils ne sont plus. Blue le savait mais s'y opposait farouchement. Il n'avait jamais pu accepter sa défaite au plateau Indigo, qui est d'autant plus amère qu'il ne pourrait peut-être jamais s'en venger. Il ne crût guère la disparition de Red, et en son fort intérieur, avait toujours l'espoir que le légendaire héros à la casquette rouge réapparaît dans le futur.

Sa présence à cet enterrement n'était guère un hasard. Il savait que le vieillard avait rencontré Red au début de leur quête, car il n'était pas très loin, observant en cachette les moindres mouvements de son rival. Il se souvenait de cette place vingt trois ans plus tôt, de tous ces personnages qu'il vit pour la plupart vieillir et mourir. Il se remémorait les moments passés à attendre Red au coin d'une rue pour le défier, comme si c'était le rôle qu'il devait jouer dans cette pièce de théâtre. Peut-être qu'il était un anti-héros, ou plutôt un héros déchu.

Blue s'en voulait. Il ne désirait pas la disparition de Red. Peut-être l'avait-il pensé une fois, mais cette idée ne provenait certainement pas de lui mais de ce petit diable qui souffle à l'oreille de l'humanité. C'était la même chose pour se vieillard. La sénilité de cet homme le rendait parfois fou, tant il répétait tout le temps ce prénom qui hantait tous les cauchemars de Blue. Il n'en pouvait plus des Red par-ci, des Red par-là...

Mais en y réfléchissant, Blue se disait qu'il cauchemardait de beaux rêves. Avec la disparition du vieux, un fragment de son passé venait de lui être dérobé. Et avec cela, le souvenir de Red se dissipait un peu plus. Blue se demandait ce qu'il désirait réellement, et s'il pouvait un jour pardonner. Pardonner à ce garçon insupportable qui jouait les grands héros de conte de fées, qui se dresse contre le mal, sauve des enfants, purifie les âmes, fait dissoudre le trafic de Pokémon et élimine une bande de criminels organisée.

***

Mais comment pardonner ? Peut-on réellement pardonner à une personne qui ne s'excuse pas, qui ne peut pas s'excuser ? Cette question hante l'esprit de Blue. Le souvenir de Red lui faisait faire des cauchemars, comme si un Ectoplasma s'amusait avec lui toutes les nuits. Prisonniers de sa propre mémoire, il ne pouvait pardonner.

Fallait-il donc oublier ? Ne plus y penser? Cela avait l'avantage de supprimer tous ces rêves horribles qui le faisaient souffrir depuis tant d'années. Mais il s'y refusait. Oublier permet certes de pardonner par extension, puisqu'on oublie en même temps les faits et les actes qui ont amené à la situation qui blessait. Mais aucun humain ne peut s'y résigner, tant la blessure et la douleur qu'elle entraîne subsiste, même quand il ne reste qu'une simple cicatrice.

Blue ne pouvait s'y résigner. Il n'était pas capable ni de lui pardonner, ni de l'oublier. Car ce serait prouver sa faiblesse qu'il cachait pourtant depuis des dizaines d'années derrière son orgueil légendaire. Car ce serait accepter la défaite au plateau Indigo. Car ce serait accepter l'impossibilité de prendre sa revanche, ou son incapacité à surpasser son adversaire de toujours. Tout ça, pour lui, c'était incongru, impensable et inimaginable. La commémoration de ce vieil homme était un moyen de montrer au monde qu'il croyait fort en lui, qu'il n'oubliait pas sa rivalité avec Red et qu'il serait vainqueur lors du prochain combat.

« J'appelle maintenant Blue, champion d'arène de Jadielle, à me succéder pour te parler une dernière fois, mon ami. », conclut le maire, non sans cacher la fierté d'avoir clamé brillamment, selon lui, son discours, qu'il avait lui-même brillamment écrit, toujours selon lui. Blue, le regard fuyant le corps de cet homme, se leva et s'approcha du pupitre. Il regarda l'assistance, reconnu quelques têtes, puis ferma les yeux quelques secondes. Il les ré-ouvrit, dirigea son regard vers le défunt, lui sourit, puis commença son discours.

***

« Ce ne serait pas vous insulter si je vous dis que je ne vous ai jamais aimé. Ne vous méprenez-pas, je ne dis pas que je vous détestais, mais que je n'avais aucune particulière affection pour vous. Comme tant d'autres ici présents. Et pourtant, je suis ici. Je suis ici à vos côtés, pour votre ultime périple. »

Les mots de Blue étaient étrangement doux. Sa voix tremblante faisait comprendre à tous qu'il s'exprimait avec courage, avec honnêteté et avec son cœur. Le glaçon, comme beaucoup osaient l'appeler derrière son dos, dévoilait pour la première fois ses véritables émotions. Même son grand-père ne l'avait jamais vu ainsi. C'était comme si les mots n'avaient pas d'importance et il pourrait parler dans une langue inconnue que tous comprendraient quand même où il voulait en venir. Ce ton d'apparence calme ne faisait qu'amplifier les émotions que Blue tentait coûte que coûte de cacher.

« Ce qui est étrange, c'est que pour moi, vous êtes le commencement, et non la fin. Être ici aujourd'hui n'a pas de sens si l'on croit qu'on commémore la fin d'une vie. Non, je ne veux pas de ce monde là, de ce monde qui s'arrête définitivement. Vous avez été le premier, quand j'avais dix ans, à m'accueillir dans ce monde d'aventures, de joie et de bonheur. Non... vous n'êtes pas la fin, vous êtes le début. C'est vous qui avez annoncé le départ de ma vie, de ces presque trente annnées... »

Blue décrivit toutes ses aventures, de l'obtention de son premier Pokémon à son accession à plus haut niveau du Plateau Indigo, ses défaites, sa dépression, sa courte conversion en tant que chercheur, son obtention du titre de Champion d'arène de Jadielle. C'étaient des histoires passionnantes, pleines de rebondissements. Tout le public s'était transformé en une horde de gamins qui écoutent les histoires que leurs parents leur content avant de dormir.

Toutes ces histoires, une jeune fille les avait déjà toutes entendues. Elle retrouvait son père, son vrai père, pas celui qu'on voit à la télé dans des combats Pokémon ou des interviews. Pas cet homme froid et austère que tout le monde décrit. Mais bien cet homme passionné dont le sourire radieux lui éclairait le visage tous les matins au réveil. A la fin de son discours, il se retourna vers cette jeune fille, lui sourit, et lui dit :

« Cette histoire, je ne te l'ai jamais racontée. Peut-être parce que j'en ai honte. Le super-héros dont les aventures ont bercées ton enfance n'était d'abord qu'un petit garçon stupide et têtu. Heureux d'avoir son premier Pokémon, sa tête était pleine d'espoir. Le premier jour de son aventure, il arrive dans cette ville, et même à cet endroit précis. Il se sentait fier d'être à l'avance comparé à son rival, mais il était tout aussi inexpérimenté et simple que cet autre garçon qui devint, plus tard, une grande légende. A ce moment-là, un vieux monsieur s'approcha. Je vais l'appeler Bienveillance, car ce prénom correspond à ce qu'il était... »

Des larmes coulaient sur les joues rosées de la fille de Blue. Elle ressentait ce sentiment étrange, proche du bonheur, lorsqu'on retrouve quelqu'un qu'on a pas vu pendant de longues années. A ce moment-là, elle avait l'impression de revoir deux personnes disparues. Le vieillard renaissait au travers des souvenirs que partageaient Blue, et son père, l'homme qui ne lui racontait plus des histoires et qui avait perdu toute la bienveillance qu'il lui portait il y a longtemps.

« …J'essayais tant bien que mal d'attraper ce pauvre Roucool, lançant toutes mes balls en vain. J'en pleurais presque, tellement je me sentais mauvais et ridicule. Mais Bienveillance me calma, juste avec son sourire. Il m'encouragea et m'appris ses petits secrets de capture, que j'imitais immédiatement, et que j'imite encore. Ce jour-là, Bienveillance m'appris le plus important. Non, ce n'est pas ses petits secrets. Mais il m'appris à croire en moi. »

Il se retourna alors vers le vieillard, et lui murmura, comme s'ils n'étaient plus que tous les deux : « Et je crois toujours en moi. Vous avez toujours eu la foi. Vous me l'avez transmise. Vous ne voyagez certes plus, mais votre mémoire, elle, voyagera à travers le temps et les générations. Je vous le promets. » Et Blue retourna à sa place, couvert d'applaudissements.

***

Le défilé des discours continua ensuite selon le protocole, mais sans grande émotion comme l'avait été le discours de Blue. Il ne restait ensuite que quatre personnes à prendre la parole avant que s'achèvent les obsèques. L'un des orateurs était en retard depuis le début de la matinée, et n'avait toujours pas donné signe de sa présence. Il a été décidé alors que ce devait être à la famille de prendre part aux discours. Le premier était le fils cadet, Thomas.

Il avait déjà plus de soixante ans, mais il en faisait facile quinze de moins. Déjà enfant, on le reconnaissait grâce à ses petits yeux, légèrement bridés, qui le démarquait de toute sa famille. Il lui restait encore quelques cheveux gris perdus dans cette tignasse blanche. Il portait des vêtements de ville de couleur marron, ce qui lui avait valu des critiques de son entourage pour ne pas avoir porté de costume. Il assumait son choix car il avait choisi sciemment de porter ces habits-ci. La couleur vive de ces vêtements démontraient qu'ils étaient tout neufs, mais avait ce goût du dépassé, du vieux. C'étaient en fait le même type de vêtements que portaient son père depuis une soixantaine d'années, et portait cet ensemble était pour lui le meilleur hommage qu'il pouvait lui faire.

Thomas était de ces hommes déterminés que même une armée de Pokémon dragon ne pourrait l'empêcher d'agir. Il monta sur le pupitre et agita quelques feuilles légèrement usées. Il annonça : « Voici les derniers mots de mon père. » Un vent de surprise souffla sur la foule. Le fils aîné s'emporta, accusa son frère de jouer avec les dernières volontés de leur père. Mais Thomas, calme, lui répondit qu'il ne s'agissait pas de son testament, seulement des derniers souvenirs que son père voulait partager. Le cadet décida que ce partage devait se faire devant tous, car c'était ce qu'aurait voulu son père d'après lui.
A ces mots, le grand frère se calma. Il regarda son frère, et acquiesça. Il annonça être prêt à écouter les dernières paroles de son père et se rassit. Tous ceux qui s'étaient emportés avec l'aîné firent de même. Et le fils cadet se mit à lire. Bienveillance put alors partager ses mémoires au monde entier.