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Métal Hurlant de Flageolaid



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» Auteur : Flageolaid - Voir le profil
» Créé le 03/02/2019 à 09:31
» Dernière mise à jour le 03/02/2019 à 09:31

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Aventure   Médiéval   Mythologie   Présence d'armes

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Épisode 3
Les quelques azurills qui pataugent gaiement dans la source claire détalent, effrayés par cette soudaine apparition. Ils n'ont pas entendu arriver la figure humaine qui se penche au bord de l'eau pour se désaltérer. Cachés derrière un tas de cailloux polis, ils observent l'intruse avec inquiétude. Entre chaque gorgée, elle jette un regard aux environs, à la recherche d'un ennemi potentiel. À sa droite, un sonistrel apprivoisé lape également la surface de la source pure. Tous deux portent les marques de dangereuses péripéties.

Ils ne restent que le temps de s'abreuver et de remplir une petite gourde. Avant de partir, l'humaine scrute brièvement son reflet dans l'eau. Puis ils disparaissent sans un bruit. Les azurills, prudents, hésitent quelques minutes avant de retourner se baigner, mais l'appel du jeu se fait le plus fort. Les voilà donc qui barbotent à nouveau dans la source limpide reflétant, tel un miroir, le ciel orangé parcouru d'une étrange lueur verte.

Débarrassée de la paralysie, Kainis porte la main à la balafre rouge qui part de son front, rase de très près son œil gauche et descend jusqu'à son menton. Dewitt aurait pu lui crever l'œil, elle a eu beaucoup de chance. Malgré l'onguent appliqué un peu plus tôt, elle risque de conserver cette vilaine estafilade toute sa vie. Elle qui n'a jamais été spécialement jolie, la voici devenue laide. En dépit d'un célibat imposé, Kainis est connue à Sicane pour multiplier les amants. Ses talents de séductrice ont su attirer dans son lit bon nombre d'hommes et de femmes. Une époque révolue, songe-t-elle avec amertume, en caressant une dernière fois sa cicatrice.

Elle oublie bien vite ces pensées futiles pour se concentrer sur sa mission. Les ravisseurs ont repris de l'avance sur elle qui, sans monture, risque de se faire distancer. Néanmoins, elle ne les poursuit plus au hasard. Depuis plus d'une heure, elle suit la piste des bourrinos des bandits. Cette cavalerie lourde martèle si fort le sol à chaque pas qu'une averse ne pourrait en effacer les empreintes. Celles-ci semblent mener vers le massif montagneux qui domine la plaine. Hélas les bourrinos sont tellement endurants qu'ils peuvent trotter durant trois jours et trois nuits en tirant une charge derrière eux sans se fatiguer. Même au sommet de sa forme, Kainis n'est pas capable d'en faire autant à pied. Or la jeune femme demeure affaiblie par ses combats contre Dewitt et le Bosquet Nomade. Il faudra encore quelques heures aux fluides d'anaconducée pour la guérir totalement.

Malgré une situation peu encourageante, la jeune guerrière ne doute pas un instant de réussir à sauver son demi-frère. Où que ces gredins le mènent, elle saura le retrouver et le libérer. Elle en a la force, on l'a entraîné toute sa vie pour protéger la famille royale. Échouer dans sa mission demeure inenvisageable. Ne serait-ce que pour Cylia, que sa mort ne soit pas vaine.

Kainis se mord la lèvre inférieure en songeant à sa fidèle arcanine, dont le décès brutal quelques heures plus tôt laisse un goût amer au fond de la gorge. Après tant de dangers affrontés ensemble, il a fallu que sa brave Cylia lui soit arrachée par la folie d'un Bosquet Nomade. Quelle fin injuste ! Kainis n'ignore pourtant pas l'absurdité de la violence et du combat. Elle sait qu'un jour elle crèvera sans honneur dans le sang et la boue, mais elle espérait mieux pour une amie aussi loyale que Cylia. Elle s'imaginait...

À quoi bon y penser ? Seule sa mission importe, ramener Lucil sain et sauf à Sicane. Kainis met de côté ses sentiments et poursuit sa traque en accélérant le rythme. Mais avec le ventre vide, elle se fatigue très vite, sans maintenir sa vitesse. Cela lui rappelle les épreuves d'endurance qu'on lui faisait subir dans son enfance, des courses forcées du crépuscule jusqu'à l'aube, sans eau, ni nourriture. Et des privation de sommeil pour ceux qui s'effondraient avant le lever du soleil. Tout cet entraînement inhumain, des années durant, afin qu'elle dispose aujourd'hui de toutes les ressources nécessaires pour remplir son devoir de bâtarde royale.

Ce n'est même pas de nourriture dont elle a le plus besoin, c'est d'une arme. Sa dague est utile pour se débarrasser du menu fretin, mais pour battre ce Dewitt et son Fer Dansant, il faut au moins un glaive ou une matraque en fer, le genre d'objets qui ne pousse pas sur les arbres. En acheter n'est pas une option ; elle a perdu sa bourse en voulant fuir le Bosquet Nomade. Si elle veut une arme, il lui faudra en voler une. Avec un rictus mauvais, Kainis continue de courir vers l'horizon rouge orangé, qui se découpe derrière un vaste massif de montagnes.



Les marchands de Cité Blanche ne s'inquiètent pas des brigands. Ils en rient. Ils n'ont qu'à planter leur étendard devant leur caravane pour repousser tous les criminels à vingt lieues à la ronde. La bannière rouge et blanche, représentant la Flamme et le Dragon, est bien connue du monde civilisé. C'est un symbole de prospérité, mais également de cupidité et de cruauté. Le Conseil régissant Cité Blanche ne recule devant aucune mesure pour inspirer la peur parmi ceux qui convoitent ses richesses. Même traquer les voleurs jusqu'aux confins du monde.

Il a fallu faire écorcher vif des milliers de pirates, de brigands, de spéculateurs, mais à présent les caravanes de Cité Blanche traversent le continent de long en large sans avoir besoin d'escorte. Or ces économies en hommes et en armes profitent grandement au Conseil et aux marchands.

Une fois les étendards placés aux quatre coins du campement, les deux maîtres-marchands Cadfan et Alguin, entourés de leurs apprentis et serviteurs, s'offrent une bonne rasade de vin épicé. Rien de tel pour réchauffer le corps tandis que la nuit tombe. Le feu au centre du camp fait aussi très bien l'affaire, bien que les hommes lui préfèrent l'ivresse procurée par la boisson. Si les brutapodes – ces mastodonte leur servant de bête de somme – dévorent goulûment leurs baies, le ragoût pour les humains cuit encore. En attendant que le repas soit servi, les marchands et leurs novices s'amusent avec un invité impromptu.

« Alors pouilleux, apprécies-tu la charité des gens de Cité Blanche ? s'exclame Cadfan en abattant une nouvelle fois son bâton.
- Réponds, vermine ! »

Mais le miséreux reste muet et serre les dents, encaissant le coup sans gémir. C'est un sophiste de Cité Noire, drapé d'une toge sale, offrant son savoir au gré de ses vagabondages. Même loin de chez lui, il doit subir les rivalités opposant à sa patrie à celle de ces marchands.

Cité Blanche et Cité Noire sont deux villes entourées de murailles, construites en flanc de montagne l'une en face de l'autre. Entre les deux coulent deux cours d'eau séparés par une presqu'île recouverte de végétation. Chacune des deux cités vénère un dragon, l'un blanc comme l'ivoire, l'autre noir comme l'ébène. La première prône un enrichissement matériel, la seconde une quête spirituelle. Cet écart de pensée est la cause d'une interminable guerre entre les deux nations, d'une haine tenace entre les deux peuples.

Le maître-marchand cède sa place à ses apprentis qui molestent le pauvre homme à grands coups de taloches. Les commerçants cupides issus d'une nation aussi mercantile que Cité Blanche ne peuvent qu'éprouver du mépris pour cet ermite chétif, vantant les mérites de l'ascèse, dénigrant leur dépravation morale. Faute de divertissement pour la soirée, passer ce pauvre hère à tabac devrait les amuser un peu. Ils le ménagent pour le moment, mais quand ils seront assez ivres, les coups pleuvront avec plus de férocité.

Tapie dans l'ombre, Kainis observe la scène en silence. C'est à peine si elle s'est détournée de son chemin en s'approchant de cette caravane de marchands, plantée au milieu de la plaine. Attirée par le fumet du ragoût qui mijote sur un brasero, elle y a vu sa chance de mettre la main sur une arme ou une monture. Néanmoins, la bannière rouge et blanche l'a vite fait déchanter. Elle ne peut pas se permettre de déclencher une guerre entre Sicane et Cité Blanche, même si la vie du prince Lucil en dépend. Et sans un sou, on ne négocie pas avec un marchand.

Le sort de l'ermite de Cité Noire ne l'émeut pas. Elle défendrait jusqu'au plus abject des gens de Sicane avec acharnement, mais pas les étrangers, ces barbares aux mœurs étranges. Kainis s'apprête à retourner à sa traque, lorsque les paroles d'un des deux maîtres-marchands l'interpellent :

« Mon cher Cadfan, était-ce bien sage de traiter avec ce gredin de Dewitt ?
– Voyons, vous y songez encore ? raille l'intéressé, un homme corpulent. Il nous a offert un bon prix pour ces vivres.
– Certes, mais ce sont sûrement des objets volés, objecte Alguin en agitant un bracelet d’orfèvre finement ciselé de motifs d'anaconducée.
– Connaissant Dewitt, il y a peu de chances pour que leurs propriétaires soient encore en vie pour s'en plaindre, répond l'autre en haussant les épaules tout en observant son plus jeune apprenti casser le nez de leur "invité". D'ailleurs, je ne pensais pas voir un jour Dewitt travailler pour quelqu'un.
– Ce marchand d'esclave ? Quel homme sinistre !
– Et peu doué en affaires ! Je lui ai proposé deux cents deniers pour ce jeune Sicanien et il a eu l'audace de refuser !
– Un si bel enfant, songe son associé en caressant sa courte barbe, les patriarches du Conseil se seraient battus pour l'avoir ! »

Les jeunes cessent alors de battre l'homme de Cité Noire, remarquant l'intruse qui émerge des ombres derrière les deux marchands. Si Kainis bout à l'intérieur, son visage reste passible. Mais pour Zaro, qui décolle de son épaule, les pulsations de la guerrière ne trompent pas. Elle est furieuse. Le sonistrel vient se poser parmi les brutapodes, à présent repus, qui somnolent un peu plus loin. Il vaut mieux se tenir éloigner de Kainis quand elle est dans un tel état.

Alguin sursaute quand la main de la guerrière se pose sur son épaule, lâchant un cri peu viril. Son compère s'éloigne d'un bond et menace l'androgyne de son bâton. Un sourire cruel étire les lèvres pulpeuses de Kainis, tandis que son regard noir se pose sur le marchand qu'elle tient fermement. D'une voix tranchante comme l'acier, elle assène :

« Il s'agissait du prince de Sicane. Vous l'auriez vendu aux vieux dépravés qui vous gouvernent ?
– Qui es-tu, garce ?
– Je suis au service du roi de Sicane. Son fils a disparu, je suis à sa recherche. Que dirait mon roi s'il apprenait que les citoyens d'une nation alliée sont complices des ravisseurs de son fils ? Donnez-moi une monture et une arme, et je me tairai à votre sujet. »

Pourtant intimidante, Kainis ne récolte que les rires de sa tentative de chantage. L'hilarité des deux maîtres-marchands et de leurs apprentis ne fait qu'accroître sa colère. Les veines de ses tempes se mettent à palpiter furieusement. Alguin tente de se défaire de sa poigne de fer, mais l'androgyne rousse ne le lâche pas. Agacé, son compère déclare avec suffisance :

« Tu t'imagines peut-être que ton royaume misérable est l'égal de Cité Blanche ? Que vous méritez notre aide ? Oui, j'aurais volontiers vendu ton prince comme catin pour les patriarches ! Qu'est-ce qu'une femme désarmée comme toi peut y faire ? Tu crois que tu me fais peur, sale garce ? »

Sur ses mots, Cadfan abat son bâton de toutes ses forces sur l'épaule de Kainis qui ne cille pas. Elle pourrait même en pouffer de rire. Que vaut ce faible coup comparé aux milliers de bastonnades qu'elle subissait étant enfant pour accroître sa résistance à la douleur ? Surpris mais non décontenancé, le marchand la frappe à nouveau, en visant la tête cette fois. La guerrière saisit son arme au vol de la main gauche et, relâchant Alguin, frappe Cadfan à la gorge du tranchant de la main droite. Le marchand s'écroule au sol en crachant du sang.

« Tu as signé l'arrêt de mort de ton royaume, siffle l'autre marchand, paniqué. Nous dirons au Conseil qu'un guerrier de Sicane a tenté de nous dévaliser et nos armées viendront raser votre insignifiante nation. Tu finiras écorchée, aux côtés de ton roi, et vos cadavres seront exposés devant les remparts de Cité Blanche !
– J'en doute. »

Sur ces mots, Kainis sort sa dague et la plonge plusieurs fois dans le ventre du marchand. Encore essoufflé par le coup dans la gorge, Cadfan ne peut que regarder la guerrière se saisir de son bâton et se ruer vers les apprentis, choqués par ce meurtre. La courte lame doit ouvrir deux gorges avant que ces jeunes gens ne prennent conscience que leurs vies sont en danger. Les serviteurs sont plus réactifs et s'éloignent à grands pas. Kainis jette sa dague sur l'un d'eux, en pousse un autre dans le feu qui brûle au centre du camp. Quant au troisième, elle le rattrape en quelques foulées et lui assène un coup tellement violent sur le sommet du crâne que le bâton se brise.

Cadfan tente de se relever, les yeux toujours braqués sur le massacre en cours. Il entend le serviteur en feu hurler à mort en agitant les bras, alors que la guerrière plaque un des apprentis au sol et lui martèle le visage avec une pierre ramassée à l'instant. Le marchand voit son neveu, un garçon d'une quinzaine d'années à qui il apprend les ficelles du métier, courir vers lui pour l'escorter hors du camp. Mais la Sicanienne folle saisit le jeune homme et lui brise la nuque sans aucune pitié. Puis sa poigne inextricable se referme sur la gorge de Cadfan qui exhale bientôt son dernier souffle. L'homme en feu s'écroule à son tour.

Il ne reste plus personne dans le campement, hormis le sophiste de Cité Noire qui se redresse péniblement. Kainis l'ignore et s'en va récupérer sa dague, profondément plantée dans le corps d'une de ses victimes. La jeune femme inspire profondément pour reprendre son calme. Ses muscles lui font mal, conséquence de ses péripéties de la journée. Elle songe d'abord au temps et à l'énergie qu'elle vient de perdre en éliminant inutilement ces hommes. Puis les hennissements affolés de deux zéblitz viennent tempérer ce jugement trop hâtif. Il doit s'agir des montures personnelles des maîtres-marchands, choisis parmi les plus grands de leur espèce comme cela se fait dans les environs des cités au dragon. Elle pourrait s'en servir pour rattraper Dewitt et sa bande.

Par ailleurs, l'odeur du ragoût réveille son estomac, vide depuis le matin, qui se met à grogner bruyamment. La guerrière commence par appeler Zaro à elle. Le sonistrel quitte la compagnie somnolente des brutapodes pour se poser sur son épaule. Un jus aux effluves sucrées dégouline de la bouche du pokémon ; celui-ci s'est rassasié avec les restes du repas des mégaplopodes. Kainis lui demande à voix basse de rassurer les zéblitz, terrorisés par le meurtre de leurs propriétaires, afin de pouvoir les monter. Il s'exécute avec un hochement de tête.

Sans éprouver la moindre vergogne, la guerrière s'empare ensuite d'un des plats en terre cuite dans lesquels les serviteurs s'apprêtaient à servir le repas au moment de son intrusion dans le camp. Après avoir rempli son écuelle de ragoût, elle récupère un pichet de vin épargné lors de la courte bataille, puis commence à dévorer son repas avec avidité. La sapidité de viande grasse et de tubercules farineux baignant dans une sauce à la bière est à peine savourée ; Kainis doit se hâter de rattraper les ravisseurs du prince.

Après un moment d'hésitation, l'ermite se décide à l'imiter. À voir sa démarche claudicante, les marchands l'ont bien amoché. L'homme se saisit d'un bol, le remplit à moitié, s'assoit avec quelques difficultés à côté de Kainis et entame la conversation d'une voix caverneuse :

« Pourquoi m'avoir épargné ?
– Vous êtes de Cité noire. Personne vous croira si vous dites que j'ai tué vos rivaux.
– Je vois. Songez-vous vraiment avoir évité une guerre entre votre nation et Cité Blanche par ce massacre ?
– Leurs patriarches pensent qu'aux richesses, répond la jeune femme entre deux bouchées, sans lui adresser un regard. Du moment que les marchandises sont sauves, le reste leur importe peu.
– Quel cynisme ! Vous n'êtes pas la mieux placée pour parler, les gens de Sicane sont des matérialistes eux aussi. Ne vénérez-vous pas Heatran le forgeron ?
– Eh, bouclez-la ! Vous savez pas de quoi vous causez. Les Sicaniens honorent Heatran pour ses trois visages. Il est autant un artisan, qu'un sage et un guerrier. On nous enseigne qu'un homme doit être les trois à la fois, il doit savoir créer, penser et défendre. Les barbares dans votre genre comprennent pas ces choses-là. »

Kainis jette son écuelle vide et avale une longue gorgée de vin. Elle ne souhaite pas poursuivre la conversation avec le sophiste. En règle générale, les étrangers restent imperméables aux croyances des Sicaniens. Par mesure de précaution, la jeune femme récupère le bracelet en argent que tenait un des marchands. Il s'agit bien d'un bijou de Lucil, or les anaconducées gravés sur le métal ne trompent pas quant à sa provenance. Pour éviter que Sicane n'entre en guerre avec Cité Blanche, Kainis se hâte de fourrer le bracelet dans la doublure de sa ceinture. Puis elle se met en quête d'armes, bien qu'elle ne s'attende pas à en trouver ici.

« Si je me puis me permettre, vous tenez plus du guerrier que de l'artisan, et encore moins du sage, reprend l'ermite après avoir digéré la portée de ses mots. Le philosophe aurait su obtenir ce qu'il veut de ces marchands sans recourir à la violence.
– Le philosophe était à terre en train de se faire tabasser ! rétorque Kainis en haussant le ton. Vous voyez ce symbole sur mon épaule ? Ça veut dire que, bâtarde ou non, je suis fille du roi et que mon devoir est de protéger le royaume à tous prix, par tous les moyens. Je n'ai pas tué ces débauchés par plaisir !
– Certes, mais vous gagnerez à suivre la voie de la méditation et de l'ascèse telle que nous l'enseigne le Dragon de l'Idéal. Elle vous libérera de vos passions destructrices matérielles pour vous offrir une sérénité absolue. »

Kainis lui répond d'un regard meurtrier sans équivoque. Le sophiste comprend qu'il vaut mieux en rester là. Il regarde la jeune androgyne s'éloigner vers les deux zéblitz, calmés par les soins du sonistrel. Les foudrélecs se montrent tout d'abord méfiants, mais rapidement l'un d'eux se laisse approcher et caresser par la guerrière, qui lui noue ensuite la bride autour de la tête, puis le selle. À la grande différence des bourrinos, les zéblitz sont connus pour leur célérité, mais pas pour leur endurance. Kainis espère que les ravisseurs de Lucil n'ont pas trop creusé l'écart, car elle sait sa monture incapable de courir toute la nuit.

Avant de se lancer au grand galop, la Sicanienne cale son sonistrel tout contre sa tunique et harcèle l'autre zéblitz avec le bâton brisé d'Alguin, jusqu'à ce qu'il réplique en lançant une onde de choc électrique. Absorbée par les cornes de sa monture zébrée, la foudre illumine le corps du pokémon, décuplant sa vélocité. En un instant, l'animal s'élance à une vitesse que Cylia n'aurait jamais pu atteindre. La plaine se met à défiler à folle allure devant les yeux de Kainis, tandis que les montagnes au loin se rapprochent étonnement vite.

Laissé seul au centre de la caravane, le sophiste examine les cadavres des marchands d'un air grave. Il s'approche d'Alguin, dont la gorge a été tranchée nette, se penche sur son corps et, à l'aide d'une courte lame de rasoir, lui entaille le visage. L'ermite prend tout son temps pour tracer l'Éclair, symbole de Cité Noire, sur chacune de ses joues. Puis, il passe au macchabée suivant et lui inflige le même traitement. Puisque le royaume de Sicane refuse d'assumer le massacre, autant revendiquer l'acte ; les marchands de Cité Blanche y réfléchiront à deux fois désormais avant de passer à tabac un penseur de la nation rivale.



Passées les dix premières minutes à filer à travers la plaine en laissant des traînées de flammes sur son chemin, le zéblitz peine à maintenir son allure. Pour sa part, Zaro accueille ce changement de vitesse avec soulagement. Maintenu par le bras de Kainis, comprimé entre son bas-ventre et le dos de la monture, sa position n'est guère agréable. En outre, le sonistrel ne supporte pas de garder ses ailes ainsi repliées trop longtemps. De son côté, la guerrière soupire. Elle espérait que le foudrélec serait plus endurant. Rien d'étonnant, au fond, de la part d'un pokémon appartenant à un marchand, habitué à suivre une caravane à faible allure. Néanmoins, il poursuit sa course à une vitesse assez proche de celle de Cylia. Pour combien de temps encore ?

Les paroles du sophiste résonnent dans la tête de Kainis depuis son départ. N'est-elle qu'une guerrière et rien de plus ? Incomplète, en somme, selon la philosophie sicanienne ? On l'a pourtant éduquée comme les enfants légitimes du roi, en lui enseignant autant le maniement des armes, que la littérature ou l'artisanat. Mais son enfance n'ayant été qu'une torture permanente visant à endurcir son mental et son physique, Kainis a préféré suivre le chemin de la violence que celui de l'érudition. De toute façon, on la vouait à une vie de combat au service du roi et de ses héritiers. Ce n'est pas un hasard si, de tous les métiers d'artisanat, la jeune femme s'est tournée vers l'ébénisterie, où l'on taille de la matière organique à l'aide d'outils coupants.

Sans doute l'ermite de Cité Noire a-t-il raison, elle ne crée rien, elle ne philosophe pas, elle ne fait que se battre. Pire, elle ne protège rien, ni personne, elle se contente de détruire. En songeant à tout ce sang versé au cours de la journée, Kainis ne peut s'empêcher de se demander si la lueur verte qui flotte dans le ciel ne rendrait pas aussi les humains agressifs.

Des torches au loin sortent la jeune femme de ses sombres ruminations. Grâce à la célérité exceptionnelle du zéblitz, elle a fini par rattraper les ravisseurs du prince Lucil, rassemblés au pied du massif montagneux. Kainis laisse sa monture repartir vers la caravane des marchands – ou ailleurs – et se rapproche en silence des bandits. Ceux-ci sortent les enfants de leurs cages roulantes, les ligotent et les mènent à l'intérieur d'une grotte plongeant sous les monts. Il s'agit sûrement de leur repaire, songe la guerrière, persuadée que sa traque va bientôt prendre fin.

Dans le ciel, la lueur verte se fait plus brillante que jamais.