Métal Hurlant de Flageolaid

Kainis se sent chuter au ralenti. La vision brouillée de sang, elle distingue les parois de la falaise remplacer lentement son adversaire. Elle n'a pas besoin d'en contempler davantage. Elle estime le sol à une vingtaine de mètres plus bas. L'espace d'un instant, la jeune femme se revoit enfant, lorsque son instructeur la poussait à grands coups de pied du haut d'une butte pour lui apprendre à limiter les dégâts en cas de chute. Instinctivement, elle plaque son menton contre son sternum, rabat ses genoux sur sa poitrine et place ses mains autour de sa nuque.

Son corps percute une première fois la falaise escarpée qui descend en biais vers le fond du précipice. La pierre frappe durement la hanche gauche de la guerrière, qui retient un cri. Elle rebondit dans les airs et serre la mâchoire en attendant le prochain impact.

Voyant l'urgence de la situation, Cylia vomit un jet de flammes sur les brigands les plus proches, saisit Zaro dans sa gueule et plonge dans le vide, portée par un élan formidable. Quand les circonstances l'exigent, les arcanins parviennent à se déplacer durant un court instant à une vitesse tellement extrême qu'il devient difficile de les suivre du regard. Cylia dévale la pente raide de la falaise, ignorant la gravité, jusqu'à rattraper Kainis. Au contact de la fourrure chaude de sa monture contre ses cuisses, la guerrière se défait de sa position pour enserrer l'arcanine des deux bras.

Le fauve tigré poursuit sa course folle jusqu'en bas du ravin, puis continue son chemin, à une allure plus lente, afin de mettre Kainis et Zaro à l'abri. Deux tirs de flèche fusent derrière l'arcanine, mais guère plus. Les ravisseurs n'ont pas de temps à perdre avec une poursuivante isolée et blessée.

Au bout de quelques minutes, Cylia finit par s'arrêter près d'un renfoncement rocheux à la sortie du ravin, qui s'ouvre sur une large plaine. Kainis devrait y être en sécurité et, en cas d'attaque, l'arcanine pourra la protéger sans être gênée par le terrain. Tout en s'efforçant de ne pas perdre connaissance, l'androgyne rousse se félicite d'avoir une monture aussi efficace qu'un guerrier vétéran. Que ferait-elle sans sa brave Cylia ?

Kainis se laisse tomber à terre et rampe pour se mettre à l'ombre dans l'alcôve. Elle ôte ses fourreaux devenus inutiles, avant de se mettre à fouiller faiblement dans la doublure de sa large ceinture. La bâtarde sent ses forces la quitter. Redoublant d'effort pour rester consciente, elle en extirpe enfin une petite flasque. L'onguent qu'il contient a été concocté à partir de fluides d'anaconducée, un pokémon qui ne vit qu'à Sicane.

Ressemblant à un serpent vert vif doté d'une paire d'ailes et d'une double queue qui s'entortille, les anaconducées sont célèbres tant pour leurs poisons mortels que pour leurs pouvoirs guérisseurs. À la fois impitoyables et compatissants, ils sont l'emblème de la famille royale de Sicane. La croix ansée marquée sur l'épaule de Kainis ne représente rien d'autre qu'un anaconducée simplifié.

La jeune femme commence à appliquer l'onguent avec parcimonie sur son visage, qui saigne abondamment suite à la dernière attaque de ce Dewitt. Avant de s'occuper de ses autres blessures, Kainis utilise ce remède sur son pauvre Zaro. Le sonistrel a combattu vaillamment le roussil ennemi, mais sans réussir à le vaincre. Il porte les traces de plusieurs brûlures et coups de bâton. C'est un allié trop précieux pour le négliger, aussi la jeune femme se montre bien plus généreuse quant à la quantité d'onguent qu'elle lui administre. Elle agit de même avec Cylia, blessée au flanc.

Kainis panse ensuite le reste de ses plaies. Hormis son éraflure à la hanche, ce ne sont que de simples entailles sur les bras et les cuisses, mais elles lui font atrocement mal, comme si la lame sombre du Fer Dansant était encore plongée dans sa chair. C'est la première fois qu'elle affronte un adversaire maniant une arme aussi terrifiante. Si le goût de la défaite reste infect au fond de sa gorge, la guerrière rousse, pourtant pragmatique, ne peut s'empêcher de louer Heatran d'être encore en vie. Et sur cette étrange pensée de sa part, elle s'écroule d'épuisement.



Deux jours plus tôt à Eduna, la capitale du royaume de Sicane, chacun vaquait paisiblement à ses occupations sans se douter qu'une troupe de bandits s'apprêtait à enlever le plus jeune des enfants du roi. Celui-ci se perfectionnait à la lyre en compagnie de son professeur, de sa garde personnelle et de quelques amis, dans les jardins verdoyants entourant le palais royal. Le prince Lucil était un enfant d'une rare beauté, au visage rond et bronzé illuminé par deux yeux clairs, presque irréels.

Les murs épais et gris séparant les jardins du reste de la ville dataient de l'époque archaïque où Eduna ne possédait pas encore ses propres remparts. À moitié délabrés et recouvert de lichen, ils ne protégeaient plus le palais depuis bien longtemps. Cependant, ils offraient une excellente cachette en un endroit situé derrière le palais, où ils rejoignaient les murs d'enceinte de la cité. Cela nécessitait un peu d'agilité pour escalader un gros bloc de pierre fendu, mais personne ne passait jamais par ce coin-là, hormis Kainis.

Dissimulée par ces fortifications archaïques, la guerrière chevauchait Alban, le fils du capitaine de la garde. Tous deux devaient apporter des provisions aux tours de guet de la campagne proche, mais avaient abandonné leur mission pour une activité plus plaisante. Leurs râles de plaisir étaient étouffés par la végétation enveloppant leur cachette. En outre, Zaro surveillait les environs et alertait Kainis si quelqu'un s'approchait. La peur d'être surpris semblait exciter son amant qui montrait plus d'ardeur que d'habitude.

Ils ne se doutaient pas qu'un incendie était en train de se déclarer à l'opposé de la ville, attirant une partie des veilleurs en faction pour éteindre les flammes. D'autres foyers commençaient à s'embraser, vidant le palais et ses alentours d'une grande partie de ses gardes. Dans la panique générale, personne ne fit attention au groupe, arrivé la veille en ville, qui se dirigeait rapidement vers les jardins où se trouvait le prince Lucil.

Quand la musique cessa subitement de jouer, Zaro fit la moue. Ses grandes oreilles en forme de larme lui permettaient d'entendre parfaitement tous les sons à une lieue à la ronde. Plutôt que de subir les gémissements obscènes de Kainis et Alban, il avait préféré se délecter de la douce mélodie émanant de la lyre du jeune prince. L'arrêt brutal des notes fut suivi d'un court échange verbal assez agressif et du fracas caractéristique de deux lames qui s'entrechoquent. Zaro en alerta immédiatement Kainis.

Le sonistrel possédait ce don, assez rare au sein de son espèce, de pouvoir se faire entendre de n'importe quel autre pokémon pour agir de concert ; c'était un télépathe. Après tant d'années à côtoyer la guerrière rousse, il avait fini par être capable de communiquer de la même manière avec elle. Sa télépathie ne fonctionnait sur aucun autre humain. Aussi, alors qu'elle s'apprêtait enfin à atteindre l'orgasme, Kainis entendit une sorte de bourdonnement dans sa tête, un chaos de bruits divers, derrière lequel une voix semblait piailler « Danger, combat ! ».

L'androgyne rousse se leva d'un bond, rajusta le bas de sa tunique, puis enfila sa ceinture et ses armes, ignorant les grommellements immatures son amant. Avec une étonnante agilité, Kainis escalada à toute allure le bloc de pierre fendu pour gagner l'allée vide longeant le palais. Elle n'avait pas fait dix pas qu'une étrange créature enflammée, vaguement humaine, fit irruption devant elle. La Danse-flamme avait été abandonnée sans ordre par son invocateur.

« Par les cornes d'Heatran ! »

La bâtarde n'eut que le temps d'éviter la ruade du diable enflammé. À grands coups d'ailes enragés, Zaro généra des bourrasques tranchantes qui lacérèrent la figure de feu jusqu'à ce qu'il n'en restât plus rien. Kainis eut un regard de gratitude pour son fidèle compagnon, puis courut aussi vite que le purent ses jambes jusqu'à l'entrée du palais.

Son premier réflexe fut de se précipiter à l'intérieur, mais une odeur de sang frais l'arrêta dans les jardins. Avec circonspection, elle avança vers les grands saules sous lesquels son demi-frère avait pris l'habitude d'étudier ou de jouer. On lui avait interdit l'accès à cette partie du jardin, sous prétexte qu'elle terrifiait Lucil. Une douzaine de cadavres y maculaient l'herbe d'un rouge sombre. Parmi eux, Kainis reconnut Lazare, lui aussi bâtard du roi, chargé de la protection personnelle du prince. Mais nulle trace de ce dernier. À nouveau dans sa tête résonna le bourdonnement de la télépathie de Zaro qui l'avertissait « Danger, combat ! ».



Kainis se réveille en grognant. Tout en se massant les tempes d'une main, elle parcourt son corps de l'autre. L'onguent a encore fait des miracles, ses blessures ont presque fini de cicatriser pour la plupart. Des miracles certes, mais pas au point d'estomper la douleur d'habitude, or la jeune femme ne ressent rien, sinon une sorte d'euphorie, de légèreté. Elle jette alors un regard halluciné aux environs ; elle se trouve au beau milieu d'une sorte de bosquet fleuri. Comment est-ce possible ? Elle s'est pourtant endormie à la sortie du ravin, face à une plaine nue.

Comme dans son rêve, un crépitement dissonant accable son esprit, et une voix étouffée derrière continue de la mettre en garde, « Danger, combat ! ». Zaro se tient en vol stationnaire au-dessus d'elle, prêt à fondre au premier mouvement suspect. Kainis ne prend pas longtemps à comprendre sa situation et à en mesurer toute l'horreur. Elle a déjà entendu parler des Bosquets Nomades. Ces troupes de pokémons végétaux traquent les voyageurs seuls ou égarés. Ils les tuent à petit feu avec leurs spores et leurs poisons, puis les dévorent sans plus attendre. Des pokémons qui se repaissent de chair humaine, Kainis en a des sueurs froides rien qu'à y songer. Heatran empêche ce genre de monstres d'entrer à Sicane, hélas elle se trouve à plusieurs dizaines de lieues de sa patrie.

La jeune femme ne distingue que des fleurs, des fruits, des champignons et des buissons autour d'elle, formant un ensemble très coloré. Elle ne doute pas que le doux parfum flottant dans l'air perturbe ses sens, l'empêchant de voir la réalité telle qu'elle est. Si Kainis ne se préoccupe pas encore des différentes toxines qui infectent son corps, mithridatisé, la paralysie qui commence à s'emparer de ses extrémités l'inquiète davantage. Sans attendre un instant de plus, la guerrière rousse sort une dague, dont la garde représente l'effigie d'Heatran, de sa large ceinture. Elle s'en sert pour couper les lanières de ses fourreaux qui traînent au sol, avant de les nouer autour du manche de son arme et de sa main droite. Ainsi, elle est sûre de pouvoir utiliser son poignard, même avec les doigts engourdis.

La gorge remplie de spores et de pollens, Kainis éprouve quelques difficultés à respirer. Elle tousse bruyamment, se frappe la poitrine avec le poing, espérant libérer ses voies respiratoires, mais rien n'y fait. Il faut qu'elle s'échappe au plus vite. La jeune femme s'empresse de rechercher du regard son arcanine, la seule capable de lui faire quitter ce Bosquet Nomade rapidement. À cause des substances hallucinogènes qui brouillent son esprit, elle peine à reconnaître sa fidèle Cylia, endormie non loin de là, qu'elle prend d'abord pour une statue. Que ferait une statue au milieu de nulle part ? Kainis se gifle mollement, sans réussir à s'éclaircir les idées.

La guerrière tente d'appeler sa monture, mais ses mots s'étouffent dans un grognement rauque à peine audible. Sans douceur, elle secoue l'arcanine pour la réveiller. La masse chaude de muscles et de poils ne bouge pas, malgré tous les efforts de l'androgyne pour l'extraire d'un dangereux sommeil. Même Zaro s'y met, griffant gentiment le crâne de Cylia. Kainis suppose que le Bosquet Nomade a dû l'exposer à une forte dose de poudre somnifère, l'arcanine étant la seule éveillée à ce moment-là. Puisque fuir n'est pas une option viable, il ne reste plus qu'une solution, combattre.

Comme toute armée a besoin d'un général pour manœuvrer, le Bosquet Nomade nécessite un chef pour assurer la cohérence d'un groupe aussi hétérogène de pokémons. Kainis sait que sa seule chance de réchapper vivante à cet enfer est de tuer le meneur du Bosquet. Mais, faible et armée d'un simple poignard, la tâche ne sera pas aisée. La rousse se traîne, les jambes lourdes, vers où devrait se trouver la plaine. Une liane ne tarde pas à fuser d'un gros bourgeon rose et la saisit au poignet. Malgré ses forces qui déclinent sous l'effet des spores, la Sicanienne tire avec tant de hargne qu'elle finit par arracher du sol le pokémon qui la retient, puis sectionne la liane d'un coup dague assez sec.

D'autres lianes se referment sur les bras de Kainis, mais cette fois, la créature qui les génère est bien plus massive. Heureusement, Zaro intervient et tranche ces liens végétaux à l'aide d'une lame de vent. Les spores ont moins d'effets sur lui qui se dirige surtout à l'ouïe. Le sonistrel ne s'arrête pas là, repoussant à l'aide d'une seconde bourrasque des bourgeons verts volants qui foncent sur Kainis. Celle-ci s'éloigne de quelques pas jusqu'à s'apercevoir que le sol est jonché d'aiguilles empoisonnées. Tant pis, elle poursuit son chemin au milieu de fleurs géantes, de buissons bourdonnants, de champignons colorés.

Face à elle, dans le ciel, la lueur verte brille de mille feux. À cause de toutes les toxines qui embuent son esprit, Kainis se met à délirer, imaginant cette lumière d'émeraude se muer en une créature abjecte, avec une multitude de gueules béantes qui s'entremêlent en spirale, avalant le ciel alentour jusqu'à ce que les ténèbres s'abattent sur le monde. Terrorisée par cette vision folle, la jeune femme demeure quelques instants immobile, comme hypnotisée, un filet de salive coulant légèrement de ses lèvres. Une sensation étrange autour de sa main gauche la tire de ses hallucinations. Son regard se pose sans émotion sur le fruit doré qui s'est empalé sur sa main. Il lui faut quelques secondes pour comprendre qu'il s'agit d'un pokémon trop glouton pour attendre qu'elle meure.

D'un geste fébrile, Kainis poignarde ce qu'elle devine être un boustiflor, quitte à se transpercer la main gauche. Après une douzaine de coups de dague furieux, elle extirpe enfin son bras de la bouche du pokémon, qu'elle dégage ensuite en le frappant du pied. Tandis qu'elle contemple sa peau rongée par les sucs digestifs du goinfre végétal, la jeune femme surprend d'écœurants bruits de succion à sa droite. En quelques secondes, le fruit doré a disparu, entièrement absorbé par les plantes les plus proches Le cannibalisme du Bosquet Nomade devrait dégoûter Kainis, mais le parfum sucré qui flotte dans l'air l'emplit d'une certaine euphorie.

C'est alors que Cylia se réveille. Zaro le télépathe n'a eu de cesse de harceler son esprit, comme il l'a fait avec Kainis, jusqu'à lui faire quitter le pays des songes. L'arcanine se redresse d'un coup et grogne férocement en remarquant le Bosquet Nomade tout autour d'elle. Sous l'effet des spores hallucinogènes, Kainis voit sa fidèle alliée plus intimidante que jamais, haute comme un arbre, le poil sombre, coiffée d'une crinière de feu. La guerrière secoue la tête pour se remettre les idées en place. Puisque Cylia est éveillée, fuir devient à nouveau envisageable. Du moins le croit-elle un instant, jusqu'à ce que tout vire au cauchemar.

Pour se libérer des spores qui étranglent, l'arcanine dilate son organe calorifique et en extrait une boule de feu particulièrement brûlante qu'elle projette sur une immense fleur rouge. À l'impact, le projectile enflammé explose en de multiples flammèches qui embrasent les plantes alentours. Cet assaut soudain provoque une montée d'agressivité parmi les pokémons composant le Bosquet Nomade. Alors que l'incendie s'étend de végétal en végétal, les créatures se jettent sur la pauvre Cylia, la bombardant de graines, la tailladant de toutes parts, aspirant son énergie vitale. L'arcanine réplique à grands jets de flammes, sans s'inquiéter si Kainis et Zaro pourront y échapper.

Une fumée noire et âcre s'élève alors au-dessus du Bosquet Nomade. Kainis risque l'asphyxie si elle ne s'échappe pas rapidement de cet enfer. Dans la mêlée concentrée autour de Cylia, des tirs se perdent. Un germe vert frappe le biceps droit de la guerrière avec tant de violence que le sang éclabousse son visage. Des radicelles blanchâtres surgissent de la graine pour se planter dans la chair à vif et en sucer l'énergie. Kainis s'empresse d'arracher ce parasite végétal avec ses dents et le recrache le plus loin possible.

L'androgyne rousse remarque alors une silhouette, vaguement humaine, portée par deux énormes champignons mouvants, qui observe la scène d'un air rieur. La dryade se tourne vers Kainis ; elle a le visage de sa mère, encadré par une chevelure de feuilles et coiffé d'une couronne fleurie. Encore un délire, qui fige la guerrière de surprise. Derrière elle, Cylia perd progressivement sa lucidité, vaincue par le déluge de poudres qui s'abat sur elle, en même temps que les attaques végétales. La danse hypnotique d'un lutin floral achève de plonger le fauve tigré dans la folie. La plainte déchirante que pousse l'arcanine en se blessant dans sa confusion ramène Kainis à elle.

La Sicanienne bondit sur la dryade et la plaque au sol. C'est elle qui dirige le Bosquet Nomade, Kainis en est convaincu. Qu'importe le visage que la créature arbore, cela ne l'empêchera pas de la tuer. Deux pokémons s'élancent sur la rousse pour sauver leur reine ; Zaro les repousse à l'aide de ses bourrasques coupantes. À terre, la dryade se débat, mais Kainis la sonne d'un coup de poing au visage. Puis un autre s'abat dans la seconde suivante. Prise d'une furie démente, la jeune femme fait pleuvoir les coups avec férocité, enchaînant poing droit, poing gauche, sans plus s'arrêter. Ses phalanges se mettent à saigner ; anesthésiée par tous les spores paralysants du Bosquet Nomade, Kainis n'en ressent pas la douleur.

Quand la Sicanienne se relève enfin, son adversaire ne ressemble plus à rien. C'était peut-être une fragilady ou une sucreine, impossible à distinguer maintenant, tant la guerrière s'est acharnée sur la misérable créature. L'aspect de ce cadavre est écœurant, de même que l'odeur de macération qui en émane déjà. Prise d'un haut-le-cœur, Kainis vomit de la bile mêlée de toxines sur le macchabée végétal, avant de s'essuyer le coin de la bouche d'un geste de la main. La jeune femme se sent faible, vidée, sur le point de défaillir. Elle vient de vaincre la reine du Bosquet Nomade, elle en est sûre, pourtant cette flore diabolique, même dévorée par les flammes, continue de s'acharner sur la pauvre Cylia. Celle-ci puise dans ses dernières forces pour s'extraire de la masse des pokémons plantes. Kainis bondit sur le dos de sa fidèle monture qui fuit en direction de la plaine en boitillant.

Le Bosquet Nomade ne cherche pas à les rattraper. La majorité des pokémon qui le compose a déjà péri dans les flammes. L'arcanine s'éloigne d'une vingtaine de mètres avant de s'écraser lourdement, entraînant la jeune femme dans sa chute. Cette dernière reste un long moment allongée à terre, cherchant de ses doigts dépourvus de sensation un petit sachet, rangé dans la doublure de sa ceinture. Elle finit par le trouver et le déplie, exhibant trois pilules semblables à des billes métalliques, grande fierté de la médecine sicanienne. Conçus à partir de fluides d'anaconducée, ces médicaments servent à purger l'organisme des toxines. Kainis en gobe une et garde les autres pour ses pokémons. Elle sort également sa flasque remplie de l'onguent miracle pour panser les blessures de Cylia, bien qu'elle doute d'en avoir assez. Mais il est trop tard.

Un gémissement plaintif s'élève derrière Kainis. La guerrière se retourne pour voir Zaro, blotti contre la fourrure de l'arcanine, ses grands yeux dorés noyés de larmes. Les ultrasons qu'il émet ne mentent pas ; le cœur de Cylia a cessé de battre dès l'instant où elle s'est écroulée à terre. Son corps tigré porte les marques d'un combat impitoyable contre le Bosquet Nomade, nul autre aurait pu survivre aussi longtemps sous les assauts enragés de ces végétaux cannibales. Kainis aimerait se dire que son amie s'est bien battue, mais c'est faux. Elle a été massacrée, purement et simplement.

La guerrière retient ses larmes. Elle se reproche bien trop la mort brutale de sa plus fidèle alliée pour s'autoriser cette faiblesse. Si elle avait réagi, au lieu de se laisser voiler l'esprit par tous ces spores, si elle avait tué la reine du Bosquet plus tôt, si elle avait vaincu Dewitt et sa bande, si elle avait empêché en premier lieu l'enlèvement de Lucil, Cylia serait encore en vie. Tout est de sa faute.

Pas le temps, ni la force pour l'enterrer, la carcasse de l'arcanine pourrira ici, en plein air, rongée par les charognards. En guise de funérailles, Kainis reste droite devant son amie, impassible malgré les pleurs du sonistrel, osant à peine appliquer l'onguent sur ses bras meurtris. Ce dernier salut solennel ne dure pas très longtemps, le prince attend d'être délivré. Bientôt, la guerrière s'éloigne vers la plaine, Zaro voletant à ses côtés, le regard humide. Ils s'efforcent de fixer l'horizon, ignorant le brasier qui consume une foule de rosélias, de saquedeneux, d'herbizarres, de floravols, de parasects, de boustiflors, de lampignons, de rafflesias, de mimantis, de joliflors... faible compensation pour la perte de Cylia.

Ainsi, sans arme, ni monture, Kainis poursuit sa mission.