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Echos Infinis de Icej



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Informations

» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 12/01/2019 à 12:34
» Dernière mise à jour le 16/07/2019 à 12:04

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 40 : Le procès
Prologue

Iris leva ses yeux violets vers le plafond ouvragé et scruta les dorures anciennes du palais. Dans leurs courbes se perdaient les lueurs du jour mourant ; au creux des moulures s’endormait le soleil. Une nouvelle heure s’écoulait insensiblement. Tandis que les secondes s’enfuyaient, la lumière se faisait plus rouge, et le silence plus accablant. Bientôt le ciel se viderait de son sang. La coupole ouvragée de la Ligue se voilerait de nuit.

Iris se souvenait de ce que c’était d’être tout petite dans un monde trop grand. Elle se souvenait de ses nuits turbulentes et de ses rêves. Elle revoyait le vieux puit de son enfance, imprégné des mystères de la vie et de la mort ; son village si riche en souvenirs oubliés. Il n’y avait pas raison ou de prudence dans le monde des enfants, juste de l’amour et de la peur.

— Je te demande de condamner mon neveu pour haute trahison ; et je m’accuse du même crime.

Elle revoyait les dragons danser. Elle s’imaginait enrouler les feuilles de bananier avec attention et plier son kratong en bateau, imitant le travail de ses aînés. L’offrande de fleurs glissait doucement de ses main alors qu’elle le déposait sur l’eau, emportant son trésor parfumé dans la nuit. Les fleuves d’Unys, qui prenaient leur source dans son village de bois, devenaient des guirlandes lumineuses grâce aux petites bougies piquées au cœur des kratongs. Ainsi le ciel était perclus d’étoiles et les rivières étaient parsemées de petites lueurs chaudes et vacillantes.

Iris se leva. Ce geste sembla trop brusque dans lourdeur du silence.

— Le Conseil a entendu ta demande et est parvenu à une décision.

Elle se força à rencontrer le regard d’Aloé. La Championne se tenait droite, les épaules crispées, le menton relevé. Chacun de ses souffles secouaient son corps et son parfum mêlé de sueur remontait en effluves. De la colère suintait de pupilles comme depuis une meurtrissure noire.

Le Conseil Quatre l’observaient et observaient Iris, jaugeaient la jeune Maîtresse. Sous sa peau tremblait encore une enfant sauvage, une adolescente rebelle, une femme dépassée par le luxe et les protocoles du Conseil. Elle ne serait peut-être pas capable de délivrer leur jugement à Aloé. Elle ne saurait pas contenir la rage de son aîné et son regard cillerait, sa voix se casserait.

Iris déglutit. Elle sembla incapable de poursuivre.
Et puis :

— Nous ne pouvons vous transférer devant la Haute Cour de Justice.

L’air devint irrespirable.

— L’existence du Galet ne peut pas être révélée, poursuivit Iris, les poings serrés. Vous ne pouvez être traduits devant une cours civile.
Les yeux d’Aloé s’écarquillèrent. Sa poitrine se souleva d’un grand coup et tout son corps trembla, sa chair trembla, sa mâchoire sembla sur le point de détruire ses dents. La tension dans ses muscles parut atteindre son paroxysme mais—soudain, son corps se dégonfla comme un ballon en train de crever.

— Nous ne laverons donc jamais la honte qui marque notre famille d’infamie, murmura-t-elle tout bas.

Iris inspira brusquement, comme si elle respirait pour la première fois depuis de longues minutes.

— Si, vous le pourrez, répondit-elle doucement. Vous restaurerez l’honneur de votre famille.

Iris hésita et ajouta : je te le promets. Mais Aloé resta muette, l’air estomaquée. Elle balaya Iris et le Conseil d’un regard de dégoût et frémit. Et puis sa voix grave éclata comme le comme le réquisitoire d’un avocat furieux.

— Ne voulez-vous donc pas protéger tous les innocents qui vont souffrir par notre faute ? Nous méritons une vie derrière les barreaux ! Nous méritons votre haine !

Iris ne put s’empêcher de reculer. Ses grands yeux violets fixèrent son aînée avec désarroi et elle secoua de la tête.

— Non ! Déteste ton neveu autant que tu le souhaites, cela ne ranimera pas les morts du Mont Foré, cela ne sauvera pas Réshiram ! Tu as commis une faute grave, mais pas dans le but de trahir ! Et Syd—
— Il a trahi.
— Syd est un enfant.

Majeur aux yeux de la loi, mais un enfant tout de même.

— Il n’y aura donc pas de justice ! tonna Aloé.

Iris ne répondit pas.

Le Conseil était parvenu à une décision, qu’Aloé veuille l’entendre ou non. Chaque personnage jouerait son rôle. Iris, la Maîtresse du Conseil, qui avait surgi un jour de l’ombre d’une petite fille sauvage et renfermée, conduirait un tribunal populaire pour expliquer le jugement à chacun. Elle inviterait les jurés à se joindre à la résistance qui se préparait, à la révolte qui grondait mais tardait à explorer. Les membres du Conseil Quatre, à ses côtés, observeraient gravement ce simulacre de procès puis se lèveraient quand c’était à leur tour de voter. On amènerait Syd, le petit garçon muet qui pleurait depuis une semaine dans une des chambres sans fenêtre du Palais, et il se tiendrait bien droit au milieu de la salle avant d’accepter sa sentence. Sa famille viendrait et s’assiérait sagement sur les bans des témoins, jouant aussi leur rôle jusqu’au bout. Les Champions encadreraient Aloé jusqu’à ce qu’elle entende sa propre peine, et ils l’emmèneraient silencieusement. La foule se disperserait et puis le soleil se noierait à l’horizon. La nuit recouvrirait le monde de son voile endeuillé.

Voilà, pensa Iris avec amertume. Maintenant que vous connaissez tous les personnages, ils vont pouvoir vous jouer leur histoire.


Acte 1

Il se tenait en équilibre sur le pic d’une montagne et le ciel bleu tournoyait autour de lui. Il faisait froid, si froid que ses yeux écarquillés se recouvraient de glace, et que le sang qui s’écoulait de ses pieds nus gelait sur sa peau. Une inspiration trop soudaine, une quinte de toux, un frisson et il chutait. Et il mourrait. Et il mourrait.

Loin au-dessous de lui, deux lacs luisaient comme des pierres précieuses. Leur éclat rejaillissait les prairies alentours, noyant les herbes soyeuses. Et depuis leurs profondeurs étranges chantaient des dragons aux yeux de saphirs, leur complainte s’élevant au-delà des étoiles, au-delà de la figure perchée sur la plus haute montagne de l’univers. Leur voix était grave, envoûtante. Ils disaient sans mot tous les secrets de la vie et de la mort.

Mais leur chant s’éteignit. Les herbes se flétrirent et l’univers se recroquevilla. L’éclat ensorcelant des lacs se ternit et il ne resta que deux yeux bleus, incrustés de pupilles aussi noires que le mort des dragons, qui criaient « COMMENT AS-TU PU ? ».

Syd chuta.

Il se réveilla en sueur dans un lit défait et se dépêtra des draps miteux. Autour de lui, dans la pénombre, s’étirait une vaste pièce dont il ne pouvait apercevoir les contours. Il écouta un instant le silence, méfiant. Puis il remarqua un miroir tâché aux dorures éraflées, salies, et s’en approcha. Un sentiment d’étrangeté le saisit. Ce miroir était-il déjà là les jours précédents ?

Il plongea son regard dans le verre argentique et rencontra des yeux bleus.

Syd se réveilla dans une chambre noire. Son corps était recroquevillé dans un coin, sur le sol, et lui faisait très mal. Il peina à se lever et s’appuya contre le mur, une douleur brûlante déchirant les muscles de son abdomen. À part son souffle laborieux, tout était silence. Il lui semblait presque avoir du coton dans les oreilles. Fronçant les sourcils, il releva lentement la tête et scruta l’obscurité, cherchant un repère.

À quelques pas de lui se trouvait un lit sur lequel quelqu’un dormait. Syd laissa ses yeux glisser le long des courbes du corps immobile, interdit, et réalisa que la silhouette lui était familière. Il se détacha du mur et tituba jusqu’au lit, ses mains se raccrochant aux draps blancs, ses cils papillonnant dans le noir. Le profil du dormeur était beau. Comme une sculpture d’ébène. Comme le fils d’un dieu.

Un sentiment d’étrangeté le saisit.

Il se pencha vers le visage de l’inconnu, approchant une main de son visage, posant son index sur ses pommettes saillantes. Mais la peau de l’ensommeillé était lisse et froide, comme du marbre, comme un mort. La peau était lisse et noire et le visage était celui d’Otis qui était mort parce que Syd n’avait pas pu le sauver parce que Syd était coupable de tout et tata Aloé surgissait des ténèbres de l’autre côté du lit, braquant ses yeux bleus sur lui et criant « COMMENT AS-TU PU »

« COMMENT AS-TU PU »

« COMMENT AS-TU PU »

Syd sursauta et un haut-le-cœur le secoua. Sa trachée et ses entrailles lui brûlaient, acides—il se pencha rapidement vers le côté de son lit—mais ne put rien cracher.

La chambre autour de lui était calme. Devant lui, il pouvait distinguer les contours de la porte. Un mince filet de lumière s’échappait depuis le couloir et colorait la moquette rouge. Un instant, quelque chose passa au travers de ce rayon, et Syd sut que la gardienne gentille qui était en poste de minuit à sept heures du matin s’était assise.

Il se rallongea et se força à fermer les yeux. L’aube n’était pas levée. Il fallait qu’il dorme, et sinon, il fallait qu’il ferme les yeux et reste allongé sans bouger, pour imiter ce que tous se devaient de faire la nuit.

De nouveaux cauchemars le hantèrent jusqu’au réveil. Il eut du mal à ouvrir les yeux quand on lui apporta son petit-déjeuner, marmonnant un merci. Les gardes l’observaient toujours avec beaucoup d’attention au moment où ils déposaient le plateau sur sa table de chevet, comme s’il allait leur renverser à la figure et s’échapper par la porte entrouverte. Ils ne semblaient pas comprendre que Syd n’avait aucune envie de s’enfuir.

Il laissa le jour mourir, les yeux fixés sur un des murs de sa prison. Quelques larmes s’échappèrent de ses yeux sans qu’il ne cherche à les retenir, allant tacher son oreiller. Il n’avait ni la force ni l’envie de se sécher les joues… à quoi bon ? Une nouvelle vague salée coulerait bientôt le long de son visage—il pleurait beaucoup en ce moment, en secret et en silence. Il n’avait plus la force de s’en empêcher.

Il sut que la nuit était tombée, loin au-delà de sa chambre sans fenêtre, car un nouveau garde commença sa veille. De longues heures s’écoulèrent, monotones et abrutissantes, devant ses yeux écarquillés. Sa gorge s’assécha et lui brûla, alors il se redressa faiblement et but de l’eau. Quelques gouttes perlèrent au coin de ses lèvres, mais il se rallongea sans les essuyer pour reprendre son attente.

Il savait qu’un matin, on viendrait le chercher. Mais il n’y pensait pas. Il ne pensait à rien. Il attendait sans un mot, sans une complainte, dans son purgatoire.

Quand on vint le chercher, il se mit debout et accepta de prendre une douche, de se vêtir proprement. Il essuya ses larmes au moment de se sécher avec une serviette éponge duveteuse, trop douce pour lui. Il suivit les gardes gênées et désolées qui lui parlaient avec des voix chaudes, rassurantes, sans qu’il n’arrive à les comprendre. Il gravit quelques volées de marche.

Une fenêtre attira son attention. Par-delà la vitre, il percevait un grand ciel gris. C’était la première fois qu’il voyait le monde extérieur depuis longtemps. Il voulut faire un pas vers l’ouverture, envoûté, mais une des deux garde resserra sa prise sur son bras et lui dit quelque chose.

Il y était si jeune. Il ne fallait pas qu’il s’approche de la fenêtre. Non, il fallait qu’il pense à son futur. Il fallait qu’il ait la force de continuer, de devenir adulte. Un jour sa vie serait meilleure. Il fallait s’accrocher.

Syd se laissa traîner plus loin.

Ses pas ne faisaient aucun bruit sur la moquette épaisse du palais, comme si les tapis ouvragés absorbaient et effaçaient sa présence. Tout était silence. Un sentiment d’étrangeté masserait au creux de ses entrailles.

On ouvrit deux portes immenses pour sa figure de petit traitre ignoble, et il se retrouva dans une salle de procès où se massaient tous ceux qu’il avait connu.


Acte 2

Élin apparut.

Élin apparut sur le toit sale d’un gratte-ciel, ses pieds nus marquant le sol poussiéreux de leur petite empreinte. Ses poings étaient serrés. Dans ses yeux sombres se reflétaient les couleurs artificielles de la Ville Noire.

Le soleil scintillait à l’horizon. Peu à peu, il gonfla, irradiant les ombres des gratte-ciels de sa brillance. Élin ferma les yeux. Elle ne voulait pas de ce spectacle. Elle le connaissait trop bien. Ses yeux avaient déjà tout vu—le soleil déchirerait les voiles spectraux de l’aube, pour inonder le monde d’or et de lumière.

Fin de l’histoire.

La dresseuse rouvrit les yeux et les braqua vers le ciel délavé. Un vent froid sifflait entre ses côtes, entre les déchirures de ses haillons, mais elle ne frissonnait pas.

La gamine compta une seconde dans sa tête, puis se détourna de la ville. Elle s’avança vers l’unique porte qui menait au toit. Plus elle s’en approchait, plus le vrombissement des climatiseurs planqués en haut du gratte-ciel enflait, couvrant le chuchotement de ses pas. Quand elle ouvrit la porte et quitta le monde clair de l’aube, on eut dit que le rugissement des machines et les ténèbres du couloir la dévoraient toute entière.

Tandis que son corps disparut, ses yeux s’illuminèrent. Les prunelles rouges transpercèrent l’obscurité et sondèrent les profondeurs noires du corridor désert.

Élin s’avança sans un bruit au cœur du vide, caressant la moquette mitée de ses pieds, respirant sans respirer. À une des intersections, elle marqua une longue pause et fixa le vide. Puis elle releva la tête et se dirigea vers un unique escalier, ignorant le bouton d’appel luminescent de l’ascenseur.

Elle n’avait après tout qu’un étage à descendre.

Elle se trouva une porte sculptée, travaillée, patinée. Chaque détail du bois sombre, veiné, avait pris vie sous les entailles de l'artiste. La porte représentait une scène champêtre où des Pokémon dansaient et des dresseurs se battaient fougueusement sous les yeux de leurs aînés, entourés d'arbres verdoyants, de ruisseaux cristallins.

Elle se saisit furieusement de la poignée, balayant la porte d’un grand coup de bras.

— Élineera ?

Son père.

— Élineera ?

L’adolescente resta muette dans l’encadrement de la porte, l’obscurité du couloir barrant son visage en deux. Une de ses mains serrait toujours la poignée de la porte à s’en blanchir les phalanges. L’autre pendait à ses côtés, inutile. Elle ne communiquait pas. Elle respirait. Ou ne respirait pas.

Son père adoptif était très pâle, les joues creuses comme de la porcelaine.

Ce n’était pas son père.

Sans un mot, Élin se détacha de la porte et traversa le grand salon. Black Hei ne chercha pas à la retenir. Elle disparut entre les commodes de bois laqués et les palmiers d’intérieur, comme un petit fantôme esseulé. Le reflet de ses cheveux blancs brilla fugacement dans les photos de famille accrochées dans le couloir.

Black qui tenait Élineera et ses peluches. Le dixième anniversaire d’Élineera. Élineera avec Flotajou. Des vacances à Vaguelone avec White.

Fixant ces clichés ternis des yeux, Black fit quelques pas. Mais il s’arrêta, ne trouvant pas la force de franchir le seuil du couloir. Incapable de parler à sa fille, il leva lentement une main vers les cadres polis de ces jolis souvenirs. En touchant le verre de ces photos, il lui sembla palper les émotions muettes de leur famille.

Black Hei garda les yeux fixés sur le passé pour ne pas voir le présent. White qui passait la porte du bureau. Élineera qui la fixait sans ciller.

— C’est maintenant que tu reviens, petite peste ?

L’adulte la toisa avec fureur, ses yeux brûlant comme deux torches bleues. Élin ne répondit pas, son corps restant détendu, son expression indifférente. Elle semblait regarder à travers White comme si elle n’existait pas, comme si elle n’était pas là, comme si ce n’était pas elle qui avait parlé. Et pourtant, White était l’idole de son enfance. À une époque, la dresseuse avait incarné tous ses rêves, toutes ses ambitions.

— Tu as fugué pendant deux mois et tu n’as rien à nous dire ? cracha froidement la Championne.

Rien. La gamine resta stoïque, aussi immobile que l’enfant blonde des photos de famille. Ne trouvant pas de prise, White reporta son attention sur les haillons qu’elle portait, sur ses pieds nus, ses poils, ses ongles sales.

— Tu pues et tu es crade, asséna-t-elle. Regarde-toi.

Mais Élin s’était-elle seulement une fois souciée de son apparence ? White plissa les yeux.

— On dirait l’enfant sauvage qu’on nous a apporté il y a sept ans.

Dans le dos d’Élin, Black Hei tressaillit. Ses doigts ripèrent sur le cadre d’une photo et celle-ci s’écrasa par terre, le verre protecteur se fendillant. Mais Élin ne réagit pas à l’éclat des brisures. White serra les dents.

— Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? explosa-t-elle. C’est parce que ton père ne parle pas ? Tu cherches son attention ?

Derrière l’adulte se profila silencieusement Mélis. Les pupilles d’Élin se braquèrent sur lui, réagissant pour la première fois à un mouvement. Ses yeux papillonnèrent imperceptiblement, trahissant une émotion fugace. Son gardien avait l’air peiné. Le regard pâle de l’adulte parcourait son corps maigre avec inquiétude, y cherchant les traces du Mont Foré.

— Tu n’es qu’une petite fille capricieuse et égoïste ! sifflait White tandis que Mélis cherchait, cherchait.

Mais Élin sourit et haussa les épaules.

D’un mouvement fluide, elle se faufila par-delà son idole déchue et atteint la porte de sa chambre, tournant rapidement la poignée. White fit volte-face et Mélis la chercha des yeux, perdu, avant de se retourner.

— Puisque je suis une peste, ne te soucie pas de moi, je suis sûre que tu as bien mieux à faire ! lança-t-elle, faussement guillerette.

Puis elle claqua la porte. Mais pas avant d’entendre l’ultime cri de White.

— SALE PETITE GARCE !

Les adultes ne le surent pas, mais l’insulte lui transperça le cœur comme une lame gelée. Ils ne le virent pas, mais le visage d’Élin se froissa. La gamine laissa son petit corps glisser à terre, retenant difficilement un sanglot. Elle fouilla la pénombre de sa chambre des yeux, hagarde. Son grand lit à baldaquin était bordé proprement et les rideaux étaient tirés. Ses livres avaient été triés et rangés. Ses doudous étaient alignés au pied de sa commode. Il ne restait plus rien de son chaos personnel, de ses manies et de ses jeux.

Elle sentit un grand vague à l’âme à la vue de sa chambre morne.

Plus rien ne restait.
Plus rien ne restait d’elle.

Un autre sanglot éclot et mourut dans sa gorge. Serrant les poings, elle tenta de se calmer en respirant un grand coup, mais hoqueta quand elle inhala des vapeurs de produit ménage. Même son odeur s’était dissipée.

De l’autre côté de sa chambre, son immense peluche Haydaim, un cadeau livré en express pour son premier anniversaire passé à la Ville Noire. Elle s’en souvenait. Elle avait été si heureuse ce jour-là. Son père lui avait soufflé « joyeux anniversaire ».

Plissant les yeux, Élin se força à se relever. Elle sourit amèrement et traversa la pièce pour caresser la peluche. Sept ans s’étaient écoulés. Elle n’était plus une petite fille. Elle était partie en Voyage Initiatique. Elle s’était fait des amis, des compagnons. Et c’était pour eux qu’elle avait replongé dans le monde de son enfance. C’était pour eux qu’elle était revenue.

Pour ces quatre Pokéball qui attendaient sur sa table de nuit.

Brusquement anxieuse, la gamine comprima la peluche dans ses mains et serra les dents. Et si ses Pokémon lui en voulaient de les avoir traîné dans le carnage du Mont Foré ? Et s’ils se plaisaient très bien sans elle ? Et s’ils ne… et s’ils ne voulaient pas la revoir ?

Pétrifiée, elle fixa les boules brillantes des yeux sans oser s’en approcher pendant de longues minutes. Toutes les épreuves qu’elle avait affronté aux côtés de ses Pokémon lui revenaient. Son premier match contre Syd. L’Ancienne Team Plasma qui kidnappait les Ponchiot. Leurs entraînements solitaires à Ondes-sur-mer, alors qu’elle était « en probation ». Leur match d’arène… le Ferry… et puis leurs errances dans le désert… Tous ces moments s’ajoutaient pour devenir un ensemble magnifique.

Elle fit un pas en avant. Approcha sa main de la Pokéball égratignée qui renfermait Baggy.
Un éclair blanc fendit la pénombre et un hurlement bestial retentit.

Élin fit volteface et affronta ses yeux noirs aux iris exorbités de son Starter.

Son Starter.
Baggy.

Le coup partit sans un avertissement, dans le plus grand des silences. Le poing du Pokémon s’illumina. Il sembla instantanément percuter sa mâchoire.

Elle tituba, s’effondrant sur son lit jusqu’alors si bien bordé, et vit le monde s’obscurcir.

Mais quand—

Le corps de Baggy se contracta, et le reptile bondit vers sa dresseuse, levant son poing pour la frapper. Au sommet de son arc, il meugla à nouveau, son visage déformé par la rage. Et il brilla. Une lumière crue se déversa depuis ses entrailles, inondant la salle, et son corps de transforma. Élin ne le vit pas évoluer, ses yeux révulsés se perdant dans le miroir de sa coiffeuse.

Quand tout s’effondre—

Les prunelles vermeilles de l’humaine s’illuminèrent et elle replia ses jambes. Baggy s’écrasa sur ses pieds—elle lui donna un grand coup et il vola contre les rideaux et la baie vitrée—

Élin cria et s’élança vers lui, trébuchant, terrifiée à l’idée qu’il ait pu briser la fenêtre et chuter du gratte-ciel alors même qu’elle savait que le quadruple vitrage résisterait. Elle termina à quatre pattes devant son compagnon. Il était sonné. Elle passa une main sur les écailles de son crâne et toucha sa toute nouvelle crête rouge, bouleversée.

L’humaine ne vit pas le coup venir.
Sa vision brouilla.
Du sang coula depuis sa tempe et assombrit la moquette.
Et un cri lancinant perça son cœur.

« JAMAIS SÉPARÉS
JAMAIS »

Elle hoqueta.

« TU NOUS AVAIS DIT JAMAIS SÉPARÉS
JAMAIS »

Elle avait dit ça. Entre les ombres, entre les grains de lumières des Trouées Cachées. Sous un Saul Pleureur. Elle avait dit ça. Sous le ciel clair. Le chant de Meloetta noyait ses entrailles. Baggy s’en rappelait.

« TU NOUS AVAIS PROMIS »

Elle attrapa son petit bras pour arrêter un autre coup et le tordit, se redressant, plongeant ses yeux rouges dans les siens, secouant muettement la tête, malade, crachant un peu de sang. Ses cheveux clairs collaient à sa tempe, elle transpirait, elle avait l’air d’un spectre, d’une apparition, et il la regardait avec fureur, elle se voyait à travers son regard et ça lui faisait mal.

— Arrête.

Son regard aussi noir que le sien.

— Arrête.

Son petit corps de Starter, son corps évolué de Baggaid.

— Je vous aime, bafouilla-t-elle. Si j’avais pu, je vous aurais emportés avec moi.

Elle avait été égoïste, c’était certain. Elle les avait traîné dans un repère de bandits et s’était enfuie sans eux. Elle les avait laissés seuls deux mois alors qu’ils avaient besoin d’elle, tant besoin d’elle, après avoir tué des Pokémon et des Humains de leurs petites mains pour la première fois.

— T’es qu’une lâche, cracha Baggy. T’es qu’une lâche et une pute et j’te déteste.
Elle déglutit. Mais lui sourit. Et l’attira contre elle.
— Je sais.
— T’es vraiment une dresseuse de merde. Quel genre de dresseuse part à l’aventure sans ses Pokémon, insista-t-il d’une voix rauque.
— Et quel genre de Pokémon attaque son humaine ? riposta-t-elle, un éclat de rire se mêlant à ses larmes.
— Tu le méritais, sale pute.
— Arrête.

Il ne répondit plus, et s’enfouit contre elle.

Ils restèrent longtemps ainsi, leurs silhouettes se confondant, leurs esprits éreintés se reposant dans le silence. Élin observa l’espace entre les rideaux et le sol, l’écart par lequel un rayon de lumière se glissait. Sous le soleil, la tâche ensanglanté de la moquette se réchauffait lentement. Elle pouvait presque la sentir. Autant que la colère de Baggy. Et l’acidité qui remontait le long de sa trachée. Toutes ces impressions se noyaient en elle et la brûlaient.

— J’ai faim.

Élin le laissa se dégager de son emprise, étonnée. Il se redressa, la jugea d’un regard noire, croisant les bras et adoptant une attitude faussement indifférente.

— T’as de la bouffe ?

La gamine se leva. Ne répondit pas. De toute façon, Baggy n’avait pas faim, il avait juste trouvé un prétexte pour mettre fin à l’étreinte.

Hésitante, elle passa une main sur le reste de ses Pokéball, de ses Pokémon, mais aucun de s’agita. Un pic de soulagement la traversa. Tremblant un peu, elle les accrocha à sa ceinture, se promettant qu’elle s’occuperait de ses compagnons dès qu’elle le pourrait.

Se tournant vers Baggy, elle lui intima de la suivre. Et puis elle quitta la pièce sans un regard en arrière. Il n’y avait rien à regretter. Cette chambre ne pouvait plus rien lui offrir. Juste une impression de vide.

Il attendait dans le couloir, une photo de famille au verre brisé dans la main, un petit sourire sur la figure. Il ne dit rien quand elle referma la porte de son enfance derrière elle. Il était las, et elle était épuisée. Cette fatigue était visible dans leurs regards sombres, cernés, dans la courbure de leurs épaules.

Père et fille, si dissemblables, unis pourtant par une nuit d’orage, se regardèrent. Ils n’avaient rien en commun. Il était mutique, pâle, discret, et elle souriait, souriait. Pourtant c’était son père. Il avait pansé ses blessures de petite peste aventureuse, il avait choisi ses professeurs, il lui avait préparé à manger et l’avait forcé à manger ses légumes, il avait enduré tout un tas de films d’enfant pour elle, il l’avait bercée. Ils étaient les seuls à chérir les souvenirs qui hantaient la modernité propre du condominium de luxe. Ils étaient les seuls à se connaître en tant que père et fille, et ils le seraient à jamais.

Malgré tout, la seule pensée qui lui venait, c’était cette question qu’elle lui avait posé lors de son sixième anniversaire. « Papa, pourquoi tu parles pas ? ».

Black Hei sembla hésiter, ouvrant ses lèvres, esquissant un mouvement. Elle le regarda un instant, se demandant si elle devait s’attendre à ce qu’il parle, si elle devait espérer une dernière fois.

Mais elle se détourna et s’engouffra dans le grand salon. Dans la lumière du mois d’octobre, l’appartement et ses occupants paraissaient gris. Il faisait un peu trop froid dans la pièce, comme si elle n’avait pas été habitée pendant des mois, comme si elle avait été laissée à l’abandon.

White était affalée sur le canapé et Mélis était assis à table, la tête entre les mains, les doigts crispés autour de ses cheveux trop longs. Il se redressa vivement quand elle passa le seuil du couloir, ses yeux pâle brillant d’émotion. Elle lui fit un petit sourire, perturbée. C’était si atypique de sa part. Elle s’attendait à ce qu’il se plaigne d’avoir dû courir partout à sa recherche, puis qu’il s’endorme… pourquoi la fixait-il avec autant de peine ?

Le silence s’éternisa et Élin se sentit suffoquer. Elle chercha le bon mot à dire pour alléger l’atmosphère, ne trouva pas, et secoua muettement de la tête. Elle ne pouvait pas se permettre d’hésiter. Elle n’avait pas de temps à perdre. Elle ne voulait pas gâcher des secondes précieuses qu’elle pourrait passer auprès de ses Pokémon, de ses amis, à parcourir Unys.

— Je vais continuer mon voyage initiatique, annonça-elle, autant pour les occupants du salon que pour le spectre de son père dans le couloir. Je ne reste pas ici—je vais retrouver Syd, Oscar et Elsa.

Elle voulait courir, rire, tout voir et tout sentir. Elle voulait goûter à tous les délices de la vie. Et elle le ferait grâce à la force de ses deux bras. Tant pis si son annonce ne faisait pas que des heureux, elle n’en avait rien à foutre. Elle ne montra donc aucune émotion quand White jura et la foudroya du regard.

— Eh bien vas-y, amuse-toi, cracha la dresseuse. Cette fois, si tu t’attires des ennuis avec les Plasmas, ne compte pas sur nous pour t’aider.

Elle se leva et claqua la porte de la chambre d’ami.

Mélis tressauta faiblement, comme tous ceux qui se trouvaient en la présence orageuse, impérieuse, extraordinaire de White. Mais ses yeux gris et tristes restèrent braqués sur la petite figure d’Élin. Lui aussi semblait chercher le bon mot. Et pourtant, il ne trouvait pas. Il n’y a parfois pas de bonne manière d’annoncer les choses—il n’y a jamais rien à dire pour adoucir les chocs les plus rudes.

Dans l’atmosphère pesante, sa voix s’éleva, rauque.

— Élineera… Syd ne s’est pas fait kidnapper par les Plasmas. Il vous a trahi. Il nous a tous trahi.

Élin ferma les yeux et inspira lentement.

— Syd—Syd s’est rendu à leur repaire volontairement, et il leur a livré un artefact sacré. Un artefact qui permet d’invoquer Réshiram.

Au-delà de ses paupières le monde était gris.

— J’ignore toujours comment, mais Elsa l’avait percé à jour, poursuivait Mélis avec rancœur. Elle avait tout deviné et nous avons refusé de la croire…

Mélis ne pouvait pas savoir que tout ce qu’il disait, Élin le savait déjà—qu’elle aussi avait percé Syd à jour bien avant qu’il ne passe à l’acte, qu’elle l’avait même aidé. Il ne pouvait deviner qu’elle avait enfoncé Elsa pour mieux protéger son rival, qu’à Méanville, alors que la brune fouillait les sacs du dresseur à la recherche d’une preuve de sa culpabilité, elle savait déjà… et qu’au Port Yoneuve, alors qu’Elsa s’inquiétait de la disparition de leur ami, courait chercher Mélis, Élin couvrait sa fuite…

— Iris et le Conseil Quatre vont juger Syd aujourd’hui, murmura Mélis. Dans le Palais de la Ligue. Oscar… et Elsa… y seront sans doute.
Élin rouvrit les yeux, ses prunelles noires ne trahissant aucun de ses secrets.
— Et toi, tu n’y vas pas ? demanda-t-elle. Mélis se tendit.
— Je ne veux pas assister au procès d’un enfant, lâcha-t-il, le regard sombre.

Élin ne commenta pas. Elle ne mesurait pas à quel point Mélis détestait le spectacle auquel la Ligue se donnait, détestait voir Syd livré en pâture alors que sa faute n’était que le résultat de l’aveuglement des adultes autour de lui. Mélis s’en voulait tellement d’avoir fermé les yeux, d’avoir ignoré Elsa et faillit les enfants. Il n’avait pu empêcher une autre génération de se diviser et de se perdre. Il n’avait pu les protéger de la Team Plasma.

— Bon, souffla Élin tandis que l’adulte baissait les yeux. Bah, j’ai qu’à m’inviter à leur petite fête alors.

Quand Mélis releva la tête, voulant la dissuader, la gamine avait disparu. Mais l’air du salon semblait plus léger et la lumière du jour plus brillante, comme si, l’espace d’un instant, l’automne s’était estompé.



Acte 3

Iris se força à regarder le petit garçon que l’on poussait dans la salle d’audience, se força à affronter l’absurdité de ce procès, mais Syd fixait ses pieds, abattu. Elle aurait voulu le rassurer, lui communiquer muettement que pour elle, il resterait un enfant, peu importe les témoignages hargneux. Mais de toute manière, comment aurait-elle pu lui en dire tant avec ses yeux ?

Dans la grande salle d’audience se pressait une foule aux airs sombres. Le velours rouge qui tapissait toute la salle absorbait leurs murmures orageux. Une tension électrique éclatait dans les regards échangés par les proches, les amis, les esprits vengeurs, les corps en deuil.

Voilà. Les personnages allaient jouer leur rôle dans la tragédie, chacun à leur tour. Ils avaient tous une place à prendre.

Elsa en avait choisi une au premier rang. Elle se tenait le dos bien droit, les mains aplaties de façon parallèle sur sa jupe blanche. Aucune émotion ne se lisait sur son visage pâle. À sa droite, Bianca suait et toute sa chair molle tremblait. Un de ses yeux réagissait mal à sa lentille de contact et avait rougit. Elle posait parfois une main moite sur le coude de son élève pour se rassurer. Oryse regardait ce manège du coin de l’œil, lasse. Elle était vêtue entièrement de noir.

Loin au fond de la salle, Leafer tentait d’apercevoir le visage de son Syd, attristé. Il ne pouvait voir que ses épaules voûtées. Qui aurait pu imaginer qu’il trahirait ? Comment avait-il pu livrer… un artefact sacré… à la Team Plasma ? Et dire que le Galet Blanc existait ! On lui avait révélé tellement de choses ces derniers jours que sa tête lui tournait. Il se sentait complètement dépassé.

À ses côtés, un jeune homme en fauteuil roulant lui sourit. Il avait un air gentil. Leafer lui rendit un rictus. Mais il détourna la tête… les yeux de l’inconnu étaient trop inquisiteurs.

Oscar ne voulait pas regarder Elsa, ses bouclettes sombres, ses épaules droites, ses cernes, ses lèvres, non il ne voulait pas regarder son profil gris. Qu’elle aille se faire foutre. Il tremblait de colère, haïssait ce simulacre de procès. Comment pouvait-on prétendre juger Syd ? Ce n’était qu’un enfant, un putain d’enfant, ils étaient tous des enfants. Il avait agi sous la contrainte, c’était sûr. Il n’y avait pas plus honnête que Syd, il n’y avait pas plus digne que lui.

À ses côtés, Shazaa serrait la mâchoire. Elle jouait avec son téléphone portable éteint. Ses longs ongles manucurés parcouraient parfois le bras d’Oscar, lui donnant la chair de poule.
Pays de merde.

Appuyé contre une colonne, Matis Hui surveillait la scène. Son regard gris balayait les personnages assemblés mais ne cessait de revenir sur la petite figure d’Iris. La Maîtresse de la Ligue semblait vouloir fuir de la salle de procès ; ses yeux poursuivaient les rayons du soleil, ses mains jouaient à s’étriper, elle tapait du pied , et sa tignasse s’échappait de sa coiffe traditionnelle en une cascade majestueuse. Elle faisait la moue. Le cœur de Matis Hui battait quand il suivait la courbe de ses joues.

Le Conseil Quatre était disposé en arc de cercle derrière Iris, et plus loin encore étaient assis les Champions. Leurs visages impassibles semblaient être taillés de marbre. Mais dans certains yeux, on pouvait lire de la peine.

Iris se leva. Elle devait ouvrir le procès.

— Mesdames et Messieurs du Conseil Quatre, de l’Ordre des Champions et de la société civile, débuta-t-elle d’une voix enrouée. Le trente-et-un aout deux-mille-neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf, le Galet Blanc est tombé aux mains de la Team Plasma.

L’air devint irrespirable.

— Syd Redding-Park est celui qui leur a livré.

La voix d’Iris résonnait dans un grand silence, le silence d’une foule de prunelles blanches qui semblaient comme les yeux du même monstre. Elles clignèrent toutes en même temps et quand elles se rouvrirent, Iris perçut leurs pupilles se braquer sur l’enfant qui se tenait dans le box des accusés, les épaules voutées, aucune émotion ne marquant son visage de cire noire.

— Il s’est ensuite tu durant deux mois.

Parmi les rangées de siège réservées au témoin, Iris croyait voir la famille de l’enfant, sa mère, son père, son frère, sa sœur. Ils étaient tous là, le visage défait. La sœur réconfortait la mère en frottant mécaniquement son dos.

— Qui sait ce que l’organisation a pu faire du Galet durant tout ce temps ?

La voix d’Iris se cassa. Elle plongea son regard dans les yeux bleus de la sœur, implorante. Elle ne pouvait pas faire autrement que de poser cette question. À vrai dire, elle aimerait bien ne pas se la poser et ne pas la poser aux autres, mais il n’y avait pas le choix. Il fallait rendre justice.

— Nous sommes plus vulnérables que jamais, dit Iris, faisant comme si elle ne parlait que pour la sœur de Syd, comme si elles étaient seules, toutes les deux, sans toutes ces prunelles veinées qui les regardaient. Unys est au bord du gouffre. Ceci n’aurait jamais dû avoir lieu. La localisation du Galet était connue seulement du Conseil et de Champions assermentés.

Elle déglutit.

— Aloé Park a violé son serment en révélant l’existence et la clé du labyrinthe des Ruines Enfouies à son neveu.

Aloé Park était dans le box numéro deux, non loin de Syd Redding-Park. Elle avait les épaules jetées en arrière, les poings serrées devant elle, et son regard était fixé sur la Maîtresse de la Ligue. Sa bouche était tordue. Il semblait à Iris qu’elle pouvait encore sentir les vagues effluves de son parfum.

— Syd Redding-Park et Aloé Park… sont coupables de crimes contre la nation.

Tante et neveu, grande et petite, grosse et trapu, fière, terrifié, vieille, jeune, bleu, ambre, furieuse, anéanti, forte, fragile, coupable, coupable.

— C’est pour les juger, mais aussi pour affronter communément les conséquences de leurs actes, que nous sommes réunis aujourd’hui. Le contenu de nos discussions doit rester secret. À ses fins, vous avez tous acceptés que notre assemblée se déroule au sein d’une Zone Étrange créée par des Neitram de la Ligue. Je vous en remercie. L’avenir d’Unys est en jeu.

Soudain, un des Pokémon silencieux qui lévitaient sous le plafond leva ses bras—et d’immenses murs bleus apparurent autour des témoins qui clignèrent des yeux, étonnés, devant le chatoiement des parois. Tous se retrouvèrent baignés dans une lumière bleu. Et le velours rouge qui tapissait toute la salle se noircit.

— J’invite celles et ceux qui souhaitent prendre la parole à se désigner, termina Iris, retenant un haut-le-cœur. Ses mains tremblaient sur son pupitre.

Celles et ceux qui semblaient devoir prendre la parole échangèrent des regards incertains, ressemblant à des fantômes perdus. La famille de Syd était comme un petit îlot dans une grande tempête. Aucun ne parla.

Et puis Oryse se leva. Sous les reflets de la zone, sa tignasse violette semblait crépiter, et derrière ses lunettes carrées, ses yeux luisaient comme deux améthystes. Mais elle n’était pas belle. Elle avait le teint gris d’un mort, et des ombres rongeaient son visage. Son dos était vouté. Son être semblait cassé.

— À tous ceux qui sont venus. Je suis Oryse, dit-elle.

Elle ne regardait pas l’audience bleue, mais fixait le pupitre en bois sombre des témoins. Ses lunettes glissaient le long de son nez et certains se crispèrent. Elle ne les remis pas en place.

— J’ai obtenu ma thèse à l’université de Janusia en deux-mille-neuf-cent-quatre-vingt-deux, marmonna-t-elle, et j’étudie l’énergie que dégagent les Pokémon quand ils dorment. Il y a quelques années, j’ai remarqué qu’une énergie similaire était dégagée en grande quantité par le Château Enfoui, avant de comprendre que les Pokémon vivant parmi les Ruines en était la source. Au fil de mes recherches, j’ai réalisé que certains Pokémon semblaient apparaître—disparaître—par un portail au milieu du labyrinthe que forment les ruines. Il y a cinq mois, j’ai obtenu un permis de fouilles du Château, qui a été fermé au public le temps de mes recherches. Je me suis installée dans le Désert Délassant avec mon assistante, Maëlle Cohin.

Dans le public, ceux qui connaissaient son histoire baissèrent le regard. Maëlle Cohin avait été assassinée par la Team Plasma. On avait retrouvé Maëlle Cohin sous forme de cadavre tuméfié dans une cellule du Mont Foré.

Oryse grimaça, serrant le pupitre de ses doigts crochus. Mais elle ne pleura pas et sa voix resta inflexible. Sa Douleur était pudique, elle se cachait quelque part de plus profond.

— Je connaissais l’existence du Galet depuis la première lutte armée contre la Team Plasma, en deux-mille-neuf-cent-quatre-vingt-neuf, durant laquelle j’ai prêté assistance à White Bai, Black Hei, Bianca Lenoir et Tcheren Leblanc. Mais je ne savais pas exactement comment l’atteindre, et je n’ai pas cherché à le trouver.

Et puis la voix d’Oryse explosa dans le silence cristallin de la Zone Étrange.

— J’avais juré de protéger cette sainte relique car les Dieux n’ont pas voulu que des mains de criminels ne les souillent !

Iris cilla. Le procès sembla tout à coup lointain. Elle revit les kratong de son enfance, et sentit les pétales de fleurs chatoyantes sous ses doigts.

— … comment—comment aurais-je pu savoir qu’un—qu’un enfant de treize an saurait trouver le cadeau d’un Dieu… ?

Oryse poursuivait son histoire qui était maintenant leur histoire à tous.

— Maëlle devait déposer des résultats d’analyse à un laboratoire de Méanville. J’ai appris, après, qu’elle n’était jamais passée au laboratoire. J’ai appris que Mélis Gray l’avait retrouvée morte.

Elle se tut. Tous les êtres bleus de l’assemblée restèrent silencieux et l’observèrent. Le Conseil Quatre fixait la scientifique insensiblement. Et Iris déglutissait, hésitant. Que—le Conseil Quatre tourna son regard vers leur Championne. Des murmures montèrent parmi les reflets de la Zone Étrange.

— Pouvez-vous nous expliquer les circonstances de la mort de votre assistante ? demanda Iris.
La bouche noire d’Oryse se tordit.
— Mélis Gray l’a retrouvée morte, marmonna-t-elle obstinément. Sous le Mont Foré. Dans une geôle de la Team Plasma.
Iris avait la nausée. Il lui sembla qu’elle devait prendre un ton encourageant et compatissant.
— Comment s’est-elle… retrouvée là, à votre avis ?

Pour la première fois, Oryse se redressa. Tout son être se tendit, et elle éructa :

— Elle a été enlevée par Anto !

Les murmures se turent.

— Maëlle ne se serait jamais laissée faire, insista Oryse, furieuse, ses yeux brillant de larmes céruléennes. Elle avait d’excellents Pokémon. Mais Anto la terrifiait.

Iris frissonna.

— Pourquoi Anto, à votre avis ?

Elle ne voulait pas demander l’avis d’Oryse sur les fréquentations d’un dégénéré de la Team Plasma et elle ne voulait pas lui demander comment son assistante était devenue un cadavre et elle ne voulait pas que les témoins aient à entendre tous ces détails sordides et elle ne voulait pas que les enfants dans la salle s’en abreuvent avec leurs petites bouches surprises. Syd Redding-Park était toujours recroquevillé dans son monde intérieur et Iris se demandait s’il écoutait ce qui se disait, et ce qu’il en penserait s’il écoutait.

— Ils se connaissaient… venait de répondre Oryse, et la Maîtresse sursauta avant de revenir dans son rôle d’inquisitrice.
— Ils se connaissaient ?

La scientifique inspira et ferma les yeux. Elle pencha sa tête en arrière et ses longs cheveux coulèrent. Elle sembla s’en aller très, très loin, et Iris la jalousa un instant. Mais la Championne se ravisa. Les souvenirs du témoin n’étaient sans doute pas très heureux.

— … Maëlle était la fille d’un jardinier et d’une femme de ménage.

D’une voix grave, Oryse leur confia ce que Maëlle lui avait un jour confié.

— Ils travaillaient pour la famille Colay-Monthé. Vous savez d’où vient Anto—vous savez qui il est en réalité. Maëlle l’a connu bien avant—bien avant le drame. Ils avaient le même âge. Ils jouaient souvent ensemble quand ils étaient petits. Elle se trouvait avec lui quand il a été enlevé par la Team Plasma.

Certains hochèrent du chef. Oscar serra la mâchoire. Il connaissait cette histoire. Il avait vu le père Colay-Monthé à la télévision plein de fois. Il passait sur le plateau d’Unys 1 chaque année, le jour de l’anniversaire de la disparition de son fils. Et puis le cirque médiatique s’était calmé. Plus d’intervention télé.

— L’été de leurs seize ans, Antonin est venue la retrouver, dit Oryse.

L’été de leur seize ans…

— Il l’a manipulée.

Leafer inspira, fixant le velours noir à ses pieds, ne voulant pas entendre la suite de l’histoire.

— Maëlle était terrifiée—elle—ils ont… elle n’a pas su se défendre.

Shazaa grimaça. Elle imaginait très bien ce qui était arrivé à cette pauvre fille. Le petit ami d’une de ses copines était super violent. Quand elle l’avait largué, il l’avait stalké pendant des mois, et quand elle était allé voir la police, il avait seulement écopé d’une injonction restrictive.

— Ils ont fait exploser la demeure des Colay-Monthé.

Tous s’imaginèrent la pétarade. Peut-être le crime avait-il été commis le jour de la fête nationale, les détonations confondues avec les feux d’artifice de Vaguelone. Des feux d’artifice bleus comme les crépitements bleus de la Zone Étrange.

— Toute la famille a péri.

Les proches de Syd frémirent, se serrant davantage.

— Maëlle a été arrêtée, poursuivit Oryse d’une voix atone. La police scientifique a trouvé toutes les composantes nécessaire à la fabrication d’une bombe chez elle, et puis son procès a eu lieu. Mais elle savait des choses utiles sur Anto, sur la Team Plasma, et la procureure a choisi de passer un marché avec elle. Elle n’a passé que peu de temps en prison… Et puis… et puis elle a été relâchée, et puis… Je l’ai embauchée, un peu par hasard, et… Elle s’est confiée à moi. Elle voulait à tout prix mener une vie normale. Le souvenir d’Anto la terrifiait. Malheureusement, il a fini par la retrouver.

Cette fois, Iris ne relança pas la scientifique. Elle déglutit, sentant un goût acide envahir sa bouche. Il n’y avait plus rien à demander. Tous connaissaient la suite.

Il s’écoula une minute de silence.

— Le trois septembre, Elsa Hirata et Oscar Pistil sont venus me trouver, reprit difficilement Oryse. Elsa Hirata et moi-même avons entrepris de chercher le Galet Blanc, que nous avons trouvé. Grâce aux notes de Maëlle. Et aux connaissances d’Elsa. Son Cryptéro avait enregistré une conversation entre Anto et Syd-Redding Park au sujet du Galet Blanc… c’est comme ça que nous avons su. Quand nous avons trouvé le Galet factice, nous vous avons contacté, et nous avons appelé la famille Redding-Park pour les informer du crime de leur fils. Nous savions que la police était déjà en route.

Le témoignage de la scientifique touchait à sa fin. Iris lui sourit un peu piteusement. Ça avait été dur, mais au moins c’était fini, non ?

Mais Oryse ne se rassit pas.

Elle se redressa, et sa voix s’éleva au-delà de sa figure pâle, au-delà du Conseil, au-delà de la foule, se perdant parmi les éclairs de la Zone Étrange.

— Le Galet Blanc est un artefact saint offert aux humains par Reshiram, martela-t-elle. Il permet d’invoquer le Dieu du Réel. Les prêtresses des Gijinkas, les anciens peuples d’Unys, le gardaient dans les entrailles du Château pour l’éloigner de la cupidité des hommes. Quand les seigneurs de guerre ont renversé l’ordre sacré et ont invoqué les Dieux pour écraser leurs rivaux, ils ont tous péri et leur civilisation s’est écroulée…

Leafer déglutit.

— Notre monde est en équilibre fragile. Sa cohérence tient au vol inlassable de Zekrom et Réshiram, qui se poursuivent autour des confins de notre dimension. Mais dans notre folie et notre démesure, nous avons invoqué les dragons à deux reprises, il y a quatre ans et huit ans, et les catastrophes naturelles empirent depuis. La Team Plasma est revenue comme si elle n’avait jamais été défaite. Le temps s’enraille et le passé se répète…

Chacun frissonna.

— Nous pouvons tous mourir.

Oryse alla se rassoir, sa grande figure endeuillé se mouvant parmi la foule comme la faucheuse. Une terreur sourde se noyait dans les entrailles de celles et ceux qui avaient été conviés, celles et ceux qui devaient parler. Quelque chose leur prenait à la gorge.

Mais Elsa n’avait pas peur.

Elle se leva. Elle se plaça au pupitre des témoins, le dos droit, fichant son regard outremer dans les yeux écarquillés d’Iris. Aucune émotion ne marquait son visage.

— Je m’appelle Elsa Hirata, et j’ai treize ans.

Leafer voulut rire tant la présentation semblait banale. Mais il s’étrangla et son visage se draina de toute couleur. La voix d’Elsa était enraillée, comme si une princesse et une vieille sorcière parlaient à la fois depuis le même corps, l’une possédant un timbre aigrelet et l’autre crachant des malédictions râpeuses.

Ce n’était pas Elsa.

— L’année dernière, j’ai été sélectionnée par Bianca Lenoir pour participer à un voyage initiatique encadré et l’assister dans ses recherches. Le voyage a débuté le 8 juin 2999. Ce jour-là, j’ai rencontré ceux qui allaient être mes compagnons de voyage… Élineera Hei, Oscar Pistil et Syd Redding-Park.

Non. C’était plutôt comme si la jeune princesse avait bu un poison qui avait rongé ses cordes vocales.

— Nous avons affronté une première fois la Team Plasma au Ranch d’Amaillide, où nous avons sauvé une portée de Ponchiot, poursuivit celle qui était à la fois princesse et sorcière. Et puis, deux semaines plus tard, nous avons été dans la prise d’otage du Ferry, et nous avons assisté l’ex-Champion Zhu dans sa résistance contre la Team Plasma.

Oscar sourit discrètement, amer. Il la revoyait encore. Il la revoyait encore se ruer vers le pont du Ferry. Mais tous ses souvenirs prenaient des teintes bleuâtres.

— Je pense… soupira Elsa, je pense que c’est à ce moment que Syd a rencontré Anto pour la première fois.

Il doutait que son expression désolée soit sincère.

— Nous avons continué à voyager. Oscar nous a quitté à Volucité—

Il n’aurait jamais dû. Il aurait pu la sauver.

—et sur la demande de Madame Lenoir, Mélis Gray nous a rejoint pour assurer notre sécurité.

Mélis Gray avait échoué. Regardez-la, elle était brisée.

— … durant l’exploration, Syd a disparu, puis Élineera Hei. Je… j’avais des doutes. Je trouvais leur disparition étrange. Mais je n’avais aucune certitude avant que Cryptéro ne me retransmette une conversation entre Syd et Anto, une conversation qui énumérait certaines directions à prendre dans le Château Enfoui… À cet instant, j’ai su que Syd complotait quelque chose. Mais, comme la majorité des Unyssiens, je ne savais pas que le Galet Blanc existait véritablement, je pensais qu’il s’agissait juste d’une légende !

Shazaa haussa les épaules d’un air mauvais. Elle, elle venait de Rhodes, et elle n’était même pas au courant de ces légendes avant qu’on ne la traîne à cette caricature d’un procès.
Pays de merde.

— À Méanville, j’ai tenté de discuter avec Mélis Gray, mais Cryptéro n’a pas pu retransmettre la conversation que je venais d’entendre, et… sans preuve… Monsieur Gray n’a pas pu agir. Je savais que Syd possédait un téléphone portable sans bouton de démarrage, complètement lisse, qui me semblait étrange, et je suspectais qu’il s’en était servi pour discuter avec Anto.

Si Mélis où Élin étaient là, parmi les Schtroumpfs du public, ils auraient remarqué qu’Elsa déformait les faits et occultait sa tentative de vol. Mais ils n’étaient pas venus. Le secret d’Elsa fut préservé. Et puis, de toute manière… qu’est-ce que cela pouvait bien changer ?

— Au Centre Pokémon de Port Yoneuve, je l’ai revu s’en servir, et j’ai tout de suite su qu’il allait passer à une autre étape de son plan. J’en ai encore une fois discuté avec Mélis Gray, mais… Syd a disparu avant que nous le retrouvions. Élin—Élineera Hei nous a dit qu’il avait été enlevé. Nous avons retrouvé Syd Redding-Park grâce à Cryptéro et nous nous sommes retrouvés au cœur du Mont Foré, dans les quartiers généraux de la Team Plasma, où nous nous sommes infiltrés. J’étais… terrifiée.

Oscar ferma les yeux.

— Mais nous avons sauvé Syd. Et nous nous en sommes tous sortis…

Elsa hésita. Élin. Elle ne s’en était pas sortie, elle.

— Aloé—Aloé Park, la tante de Syd, est venue le chercher. Elle a dit qu’Otis, son grand-frère, était guéri. Miraculeusement. C’était… oui, c’était proprement miraculeux. Je savais qu’on ne se relève pas du syndrome d’enfermement et—Syd parlait tout le temps de guérir son grand-frère et—
— C’est pour ça ?

Le silence se fit. Elsa écarquilla les yeux. Ses lèvres restèrent entrouvertes.

Et puis la voix éclata de nouveau, comme une pétarade dans la nuit, comme le coup d’un fusil. Une femme se leva et porta sa main à son cœur. Ses grands yeux étincelaient.

— C’est pour ça ?

Oscar se redressa. Il était sûr que c’était la mère de Syd.

Pendant un moment insoutenable, l’enfant ne bougea pas. Il garda ses yeux vissés sur ses pieds, docile, passif. Puis ses épaules tressautèrent. Il se retourna.

Leurs yeux se croisèrent.

Angela Redding se rassit, sonnée. Elle se prit la tête dans les mains.

Elsa serra les dents. Comment se faisait-il que sa mère ne découvrait les raisons de son crime que maintenant ? Ne leur avait-il rien dit ? Non mais il était maso ou quoi ? C’était pitoyable ! Elle n’en revenait pas… Syd se prenait pour une victime. Il se prenait pour une victime—il faisait exprès. Comme ça si tout le monde lui tapait dessus, ça lui permettait de s’apitoyer sur son sort—ça soulageait la culpabilité ! Mais bien sûr !

De la bile acide envahit sa bouche.

D’autres témoignages se succédèrent—Shazaa, quelques Champions, le mari d’Aloé… Tous se levèrent sous la lumière bleue de la Zone Étrange, parlant avec leurs voix peinées et leurs lèvres noires, le blanc de leurs yeux brillant curieusement. Et le père de Syd se leva et marcha vers le pupitre des témoins. Il regarda son fils et déroula une feuille de papier sur laquelle avait été imprimée puis raturée une courte déclaration. Ses mains d’ouvrier cherchèrent un instant à aplatir le document et puis il abandonna, tremblant un peu.

Iris eut l’impression d’un homme digne.

— Je m’exprime au nom de ma famille. Nous sommes extrêmement choqués et désolés par l’acte de Syd, et nous souhaitons remercier les personnes courageuses qui ont détruit le repère de la Team Plasma et—et… lui ont sauvé la vie. Nous voulons aussi exprimer tout notre soutien à la Ligue et à l’ordre des Champions. Nous vous supplions cependant de considérer l’âge de Syd. Il est jeune et n’a pas mesuré la portée de ses actes… Nous…

Martin Park leva ses yeux vers son fils.

— Essayez de comprendre… Il voulait sauver son frère…

Mais il avait mis en danger les frères de tout le reste du pays. Ce n’était pas juste. Non, ce n’était vraiment pas juste.

— Ma sœur Aloé ne pouvait aucunement anticiper les actions de Syd et nous vous prions de prendre ses longues années passées au service d’Unys en compte. Elle ne pensait pas à mal, termina Martin Park, la voix un peu rauque.

Mais si ce n’est à mal, à quoi pensait-elle ? Pourquoi avait-elle dévoilé des secrets d’État à son frère et sa belle-sœur devant leurs jeunes enfants ? Et elle… comment avait-elle pu ?

Martin Park alla s’asseoir, reprenant sa place entre les rangées de crânes noirs qui attendaient docilement. Ses épaules et son cou disparurent parmi toutes les autres épaules et tous les autres cous anonymes.

Peu importe les témoignages des cous et des épaules. La sentence avait déjà été décidée.


Acte 4

Un point de lumière troua l’air au-dessus du pupitre des témoins.

Le monde des Pokémon est mystérieux et féérique. Il relève, pour certains, de la légende… comment envisager un monde habité par des créatures magiques ? un monde où rôdent des êtres surpuissants, gardiens du temps et bâtisseurs de continents ? Dans cet univers effrayant, l’être humain sait qu’il n’a pas été façonné en l’image divine.

Les dieux sont des dragons, et les dieux se sont manifestés sur terre. À l’endroit où ils ont marché, les humains ont érigé des autels. Les dieux sont des dragons, et les dieux ont combattu férocement. Le monde est leur terrain de jeu ; les fragments de leurs blessures sont devenus des reliques sacrées.

Des bêtes ont créée l’univers ; l’univers n’a pas été créée pour des humains. Comment, alors, expliquer l’existence d’une espèce qui n’est pas Pokémon ?

Seuls quelques humains présents ce jour-là avaient un jour touché au divin. Seuls quelques dresseurs s’étaient approchés des dragons d’Unys. Parmi eux, Matis se redressa et son souffle se coupa. Il dégaina deux Pokéball—et rencontra les grands yeux d’Iris. Mais la Maîtresse ne le regardait pas véritablement. Elle réfléchissait à toute vitesse. Cette lueur annonçait-elle un Téléport ? Il lui semblait pourtant que les Neitram de la Ligue usaient de leurs pouvoirs pour bloquer toute—

Une onde de choc parcourut la salle. Des flammes azurés rongèrent la coupole de la Ligue. Tous se levèrent, criant, affolés, et se bousculèrent pour s’éloigner le plus possible de la lumière qui s’intensifiait, s’intensifiait et les irradiait comme un soleil bleu—dans le vacarme des bancs retournés, Matis crut entendre un rire enfantin.

Élin apparut.

Elle semblait être faite de lumière. Et elle ricanait toujours.

Le cœur d’Oscar rata un battement. Il lutta à contre-courant pour revenir vers son amie, ne la quittant pas des yeux. Elsa la fixait elle aussi, scotchée, immobile parmi tous les témoins en mouvement. Leafer sauta sur un banc renversée pour la voir, voir celle qui riait, car il croyait avoir reconnu sa voix. Et Syd chancela.

La brillance qui semblait surgir du cœur d’Élin s’estompa sous les yeux effarés d’Iris, du Conseil Quatre, des Champions et d’Aloé, de Matis, de la famille de Syd, et de tous ceux qui étaient venus. Chacun chercha le Pokémon responsable sans en trouver, leurs yeux revenant sans cesse à la gamine aux cheveux sales et aux pieds nus.

La Zone Étrange brûla et s’évapora. Et Le jour se révéla en toute sa splendeur, les inondant, submergeant chacune de leurs silhouettes, submergeant la Ligue d’Unys.

Au cœur de cette brillance s’élevait une voix défiante.

— Rien ne sert de condamner Syd, fanfaronna Élin. La perte du Galet Blanc n’a aucune importance. Je suis la seule à pouvoir invoquer Réshiram !

Un frisson les parcourut d’abord, et puis de l’effroi. Mais ils secouèrent la tête, refusant de croire que cette môme en haillons pouvait parler à un dragon. Des murmures montèrent, et puis les premières exclamations indignées résonnèrent, les questions fusèrent. Comment osait-elle ? Et puis qui était-elle ? La colère montait aux nez de tous les dresseurs sur place. Et pourtant la fille ne les regardait même pas, elle fixait Iris, et la Maîtresse de la Ligue était tétanisée.

Kunz du Conseil Quatre se leva, les sourcils froncés. Derrière lui, tout l’ordre des Champions était déjà debout, Pokéball dégainées, fixant la petite fille et—Kunz tapa du poing sur la table.

— Que racontes-tu, gamine ? Dévoile ton Pokémon !
Élin sourit.
— J’en ai pas.

Il y eut un moment de silence.

— Il n’y aucun Pokémon dans la salle à part les Neitram de la Ligue, murmura Priscilla.

Elle échangea un regard avec Kunz, puis pencha légèrement la tête vers le Mushana qui lévitait discrètement derrière elle. Il brillait légèrement, les yeux fermés, la fumée de ses rêves montant lentement vers la coupole dorée de la Ligue.

Et puis Iris inspira. La Maîtresse de la Ligue leva ses yeux violets vers le plafond ouvragé et scruta les dorures anciennes du palais. Dans leurs courbes brûlaient encore des oriflammes ; au creux des moulures naissait le soleil.

— Je sais qui tu es, annonça-t-elle doucement.
Élin croisa les bras.
— Bah alors écoutez-moi, répliqua-t-elle. Ne condamnez pas Syd pour un crime sans victime !

Les deux femmes se sourirent. Puis Iris appela Tranchodon. La bête chuta lourdement sur le marbre de la Ligue, abattant sa queue contre le banc des juges. Elle fixa Élin de ses yeux monstrueux… puis elle entrouvrit la gueule, révélant ses crocs acérés. Au fond de sa gorge brilla une lueur violacée qui s’intensifia, s’intensifia. Et tous les témoins réalisèrent une chose : ce rayon était une attaque mortelle. Plusieurs choses se passèrent à la fois—Syd et Oscar hurlèrent, Matis et les Champions invoquèrent leurs Pokémon, Aloé se rua de son pupitre vers la gamine—et le dragon cracha sa gerbe de flammes pourpres vers la petite figure d’Élin.

Mais la dresseuse ne chercha pas à esquiver, à sauver sa vie. Elle cracha son propre torrent de flammes. Les ondes se rencontrèrent, et se mêlèrent, en un magnifique spectacle rose et carmin qui leur coupa le souffle.

Iris rappela Tranchodon et se leva, ignorant les balbutiements et les invectives de ceux qui avaient cru, un instant, qu’elle tuerait une enfant.

— Tu es une Gijinka. Tu es l’émissaire d’un Dieu.
Élin hocha de la tête, la mine sombre.
— Écoutez-moi… ne condamnez pas Syd.

Iris leva une nouvelle fois ses yeux, trouvant le soleil du matin.

— Je remercie tous ceux qui sont venus et ont témoigné, annonça-t-elle gravement, ignorant le désordre de la salle, ignorant la frayeur du public. Je demande à chacun de regagner sa place… Je vais annoncer la peine décidée par le Conseil.



Acte 5

Quand tout fut parfaitement en ordre, et quand chacun eut repris sa place ; quand les Neitram eurent rétabli la Zone Étrange, Iris se leva et parla de sa bouche noire, sa voix résonnant dans la grande salle de procès.

— La paix à Unys est plus fragile que jamais. Partout, la Team Plasma s’éveille et s’organise. Nous ne pouvons pas les laisser faire. Nous avons le devoir de protéger les humains et les Pokémon qui désirent vivre ensemble.

Ses grands yeux violets trouvèrent Aloé et Syd.

— Nous devons rendre justice, poursuivit-elle lentement.

Au fond de la salle, Leafer se leva, frustré par sa petite taille, incapable de voir Élin par-delà tous ceux qui étaient assis. À ses côtés, le jeune homme en fauteuil roulant fixait Iris avec un regard brûlant.

— Le Conseil et l’Ordre des Champions ont décidé de créer une force secrète pour contenir la Team Plasma ; une force composée de dresseurs mais aussi de professionnels de la santé, d’avocats, de professeurs, de comptables, de tacticiens ; de tous celles et ceux qui veulent résister contre l’avancée de la Team Plasma... Une Contre-Team ; la Résistance unyssienne des dresseurs engagés.

Matis fit un pas en avant, le cœur battant. Ça y est. Il savait. Il savait ce qu’il devait faire.

— Afin qu’Aloé Park et que Syd Redding-Park puissent réparer le tort qu’ils ont fait à la nation, nous décidons qu’ils serviront la Contre-Team durant un minimum de vingt ans incompressibles pour Aloé Park, et quinze ans incompressibles pour Syd Redding-Park.

La bouche d’Aloé se tordit, et elle secoua la tête, étouffée par la honte qu’on lui confie la défense d’Unys alors qu’elle avait presque causé sa perte. Syd ne réagit pas… Il n’arrivait plus à penser.

— Si, dans cette salle, certaines dresseuses—certains dresseurs—ou toute autre personne souhaite s’engager, nous vous invitons à vous déclarer maintenant. Votre serment sera protégé par la Zone Étrange—
— Je m’engage.

Ils sursautèrent tous. C’était Élin avait parlé, les yeux brillant de détermination, ses deux poings serrés à ses côtés. Elle alla immédiatement se placer aux côtés de Syd, posant une main sur son bras.

— Moi aussi, alors ! cria Oscar.

Shazaa le fixa comme s’il était devenu fou et lâcha un « tu connais même pas les détails et tu t’embarques déjà, t’es vraiment naïf… ». Il secoua la tête. Si Élin et Syd y étaient, il devait y être aussi. Et puis il ne voulait pas retourner à l’école…

— Je m’engage, annonça Matis.

Plusieurs déclarations fusèrent ensuite depuis différents bancs, chacun se retournant pour mieux apercevoir ceux qui avaient décidé de résister. Oryse et Bianca se déclarèrent, ainsi que la Professeure Keteleeria et son père ; les ex-Champions d’Ogoesse parlèrent d’une même voix. Si les volontaires avaient des couleurs de peau et des âges différents, ils partageaient tous le même air déterminé et effrayé à la fois. Et puis une voix étrange résonna, celle d’une princesse et d’une sorcière à la fois.

— Je m’engage.

Elsa vint se placer auprès du groupe de recrues qui s’étaient placés devant Iris, les épaules rejetées en arrière, aucune émotion ne marquant son visage. En l’entendant, Syd sursauta, puis déglutit, et Élin plissa méchamment des yeux.

Leafer observait tous les volontaires se lever avec une frayeur grandissante. Il avait de nombreuses fois déclaré qu’il rêvait d’aventures et avait jalousé le groupe d’amis qu’il avait rejoint pour leurs faits d’armes… Mais il avait frôlé la mort sous le Mont Foré. Et puis—et puis il était jeune—

Le jeune homme en fauteuil roulant lui offrit un sourire gentil. Il hocha de la tête, et Leafer ne sut s’il l’encourageait à se porter volontaire ou lisait dans ses pensées ou—

Il pouvait voir la tignasse d’Élin et sa silhouette. L’ampleur de la révélation sur sa nature de Gijinka le secouait encore. Elle avait tant de pouvoir ! Ça devait être plus facile pour elle de s’engager, non ? Mais il souffla, regrettant déjà cette pensée accusatrice. La vérité, c’est que peu importe les circonstances qui pouvaient faciliter leur choix, ces volontaires se dévouaient par altruisme.

— Je m’engage, annonça-t-il au moment où le silence s’emparait de la salle, et il marcha vers l’avant de la salle sous les yeux du groupe, captant les sourires d’Élin et d’Oscar.

Il sembla ensuite à tous que l’assemblée était au complet. Une petite trentaine de dresseurs étaient réunis devant le banc du juge, n’osant pas trop se parler ou bouger, impressionnés par la solennité du moment.

Mais une ultime déclaration résonna dans la salle.

— Je m’engage dans la résistance, déclara une jeune femme aux yeux bleus.

Elle caressa une dernière fois le dos de sa mère qui balbutiait, surprise, et fit un bisou à son père. Elle échangea un regard lourd de non-dits avec son grand-frère… Puis se fraya un chemin dans la foule et posa une main délicate sur l’épaule de Syd, qui se retourna avec trépidation.

Quelques larmes s’échappèrent enfin de ses yeux.


Épilogue

L’appareil photo d’Oscar gisait dans un bac en plastique bleu qui devait servir aux pièces à conviction. Il avait été oublié là et étincelait à présent sous les derniers rayons du soleil. Personne ne révélerait ses trésors aux témoins. Mais il contenait : une photo d’Élin qui courait après un cerf-volant. Le visage sérieux de Syd qui avait essayé de trifouiller avec les réglages. Une photo d’Elsa qui écrivait dans son carnet, ailleurs, les cheveux dans le vent. Un festin, des amoncellements de couscous, de caviar, de mocktails, avec le Ferry en arrière-plan, et le contour flou d’un bras au premier plan. Les gratte-ciels rutilant de Volucité, et une pub pour un Shampoing Rose-Lilas pour Pokémon™. Élin qui faisait la roue, les jambes en l’air, complètement floue. Syd qui se plaignait d’un mal de dos après un massage. Elsa qui riait, une glace à la main.






Longue attente.
J'ai commencé à l'écrire en Aout, mais je n'étais pas satisfaite dont j'ai effacé, recommencé en Octobre, puis je l'ai avancé après mes partiels de décembre... J'avais commencé avec la scène où Élin rentre chez elle, parce que je n'ai pas écrit un chapitre où Élin apparait depuis presque deux ans et elle me manquait.
L'annonce de son statut de Gijinka n'était pas prévue pour ce chapitre. Au départ, Élin devait faire un speech sur l'amitié. Mais ç'aurait été redondant alors... làau moins "l'acte" a du sens. On verra où ça m'amène.
Je vais essayer d'écrire le prochain chapitre dans la semaine.