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Une Légende s'éveille... de Ramius



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» Auteur : Ramius - Voir le profil
» Créé le 06/01/2019 à 19:25
» Dernière mise à jour le 22/04/2019 à 19:05

» Mots-clés :   Hoenn   Mythologie   Organisation criminelle   Présence de personnages du jeu vidéo

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Chapitre 1 : Histoires sans histoires
Un an plus tôt…

Julien voulait toujours voir le bon côté des choses ; et en l’occurrence, qu’il n’avait pas le temps de s’ennuyer. A peine un client repartait-il, deux autres joignaient la queue. Cependant, c’était le seul aspect positif du pire boulot de Nénucrique. Pas de contact social possible, avec un rythme de scan de deux produits par seconde et des gens qui patientaient en moyenne dix minutes. Des horaires contraignants pour un salaire de misère. Et puis le baroud d’honneur.

Julien se rappelait encore la cérémonie de remise de son diplôme (qui datait de seulement six mois) avec fierté. Monsieur Emansky, reçu avec mention bien. Félicitations, Docteur Emansky ! Et ses proches, dans l’assistance, applaudissant. À 28 ans, docteur en médecine, caissier dans ce fichu supermarché de Nénucrique.

24.500 pokédollars… Vous pouvez payer… Merci à vous… Avez-vous une carte de fidélité ? Bien… 1.270 pokédollars…

Le bâtiment était trop petit, et là était le problème. Les trois millions de citoyens de la ville avaient accès à un seul supermarché. Oh, il était grand, avec ses 50 caisses, mais si chaque habitant venait une fois tous les dix jours, il fallait en faire passer 4 à chaque minute. C’était infernal. Et il n’était prévu ni de l’agrandir, ni d’en ouvrir un deuxième. Le patron était un ami du Maire de la ville, et tous ses concurrents se voyaient étouffés en échange de la moitié de ses bénéfices. Discrètement, bien sûr, mais tout le monde le savait. Alors on la fermait et on espaçait au maximum les passages. L’intégralité des gens puissants de Hoenn étaient corrompus, on n’allait pas se plaindre pour un supermarché.

Une fois le dernier client parti, Julien ouvrit le tiroir–caisse et commença à vérifier ses comptes. L’écart était cinq fois plus petit que d’habitude, et certains collègues se trompaient de plus encore ; mais Julien aurait quand même droit au baroud d’honneur, et autant que les autres.

Le patron s’accouda à sa caisse.

Alors, docteur, qu’avez-vous récolté aujourd’hui ?

– 120.153.896, monsieur.

– C’est drôle, votre écran affiche 120.158.229.

– Oui, monsieur. Il manque 4333 pokédollars.

– Vous savez comment je crois que vous avez eu votre doctorat, Emansky ? Les gens qui vous ont appris à compter à l’université étaient aussi nuls que vous et ils se sont foirés en calculant votre note. C’est heureux que l’université vous ait refusé le poste auquel vous pensez avoir droit, cela dit : vous auriez fait plus de mal que de bien en soignant les gens, pour ne même pas parler d’enseigner ! Je devrais vraiment tous vous virer et investir dans des robots automatisés ! Y’a pas pire que des étudiants pour faire des comptes… Allez, foutez–moi le camp.

On ne pouvait pas avoir des comptes exacts avec près de 6.000 clients par jour, et le patron, proche de ses sous, avait donc pris l’habitude d’engueuler ses employés chaque soir. Ils surnommaient ce chaleureux au revoir le baroud d’honneur.

Julien voyait résolument le bon côté des choses, plutôt de penser qu’il lui faudrait garder ce travail encore six mois avant de pouvoir exercer les connaissances médicinales durement acquises durant les huit années précédentes ; si et seulement si l’université avait de la place pour lui cette année. Un docteur ne pouvait rien faire sans enseigner...

***
Les freins protestèrent quand Amanda freina, comme toujours. C’était une manie que ceux–ci avaient acquise quatre ans plus tôt, et qu’aucun torrent d’huile n’avait jamais pu corriger. Non pas que les techniciens en aient beaucoup mis en quatre ans, d’ailleurs.

Douze passagers à cet arrêt-ci. Amanda n’aurait pas à en refuser, mais le bus approchait de sa capacité maximale. Les cent cinquante passagers étaient déjà à l’étroit.

L’huile était chère pour les finances du service de transport en communs, et les techniciens faisaient de leur mieux. Ce n’était pas de leur faute si le budget des bus de Nénucrique les forçait à serrer la ceinture à leurs machines. Ils se débrouillaient très bien pour les garder en état de rouler avec moitié moins d’huile que ce qui était prévu ; Amanda les soupçonnait même de mettre des additifs dedans. Elle n’aurait pas été surprise d’apprendre qu’ils incorporaient de l’huile de friture dans l’huile du moteur.

Six passagers. Inhabituellement peu.

Le moteur protesta pour redémarrer. Lui n’était pas fan de la friture, apparemment. Brusquement, une voiture déboula dans le champ de vision d’Amanda, bien trop vite. Les freins hurlèrent vigoureusement, mais elle réussit à éviter de l’emboutir. Le conducteur lui jeta à peine un regard, comme pour lui reprocher de faire autant de bruit, pas du tout gêné d’avoir échappé de justesse à une collision avec un bus cinq fois plus lourd que lui. Amanda regarda dans sa direction en repartant. Une moto de police était en train de lui faire une queue de poisson pour le forcer à se ranger sur le côté de la chaussée.

S’il y avait une branche des services publics de Hoenn qui avait bénéficié des AVs, c’était bien la police. Apparemment, que les trois quarts des politiciens doublent la taille de leur compte en banque en trois ans les avait rendus nerveux, et ils avaient investi dans la police d’un commun accord. Amanda ne désapprouvait pas vraiment, mais elle n’aurait pas refusé que la police ait trois motos et deux boucliers antiémeutes de moins pour qu’on puisse lui payer un bus vieux de moins de douze ans.

Quinze personnes à cet arrêt. Comme toujours quand trop de gens attendaient son bus, Amanda ne pouvait pas s’empêcher de remarquer des détails idiots qui soulignaient l’injustice de la situation. Il y avait une bande de jeunes étudiants divers, une mamie, et quatorze places à bord. Si cette mamie avait pu aller à sa destination à pieds, Amanda lui aurait déconseillé de monter dans son bus bondé, mais ce n’était visiblement pas le cas. Elle indiqua donc aux étudiants qu’ils ne pourraient pas tous monter. Ceux–ci formaient un groupe très cosmopolite. Hoenn toute entière était cosmopolite. Mais les étudiants, en général, s’acoquinaient avec n’importe quel collègue de fac en se foutant éperdument de leurs régions d’origine respectives ; ce en quoi ils étaient probablement plus intelligent que les adultes.

Ce genre de détails n’aidait pas Amanda à refuser les gens. Heureusement, un des étudiants lui facilita la tâche pendant que la mamie montait.

Allez, on ira à pieds ! On arrivera pas en retard au bar…

Il n’avait pas tort. Surtout s’ils avaient prévu la situation. Amanda vérifia sa montre : dix minutes de retard, et elle n’était même pas encore en centre–ville. Elle aurait du mal à arriver au terminus avec moins d’une demi–heure de retard, mais ce n’était pas grave : c’était prévu dans ses horaires. Le centre–ville était toujours si embouteillé… Mais après tout, c’était aussi parce qu’elle aimait les embouteillages qu’elle était devenue chauffeuse de bus. Elle aimait conduire, tout simplement. Ce qui énervait les autres automobilistes avait le don de la calmer. Et c’était aussi pour ça que sa demi–heure prévue de retard n’était pas embêtante : on n’oserait pas la virer, les chauffeurs compétents comme elle ne couraient pas les rues.

Elle repartit.

***
La drague remonta d’abord tranquillement, sans accroc ; puis elle sortit de l’eau. Lorsqu’elle atteignit le bastingage, elle sembla hésiter un instant, mais le câble qui la tractait insista et elle se laissa emporter. Elle atteignit son point d’équilibre. Enfin, elle retomba dans son logement, sans rien de la grâce surnaturelle qu’elle affichait, quelques secondes plus tôt, au moment précis où elle sortait de l’eau.

Xavier se détourna. Voir le lourd treuil du navire sortir la drague de l’eau était bien plus impressionnant que de voir l’équipage la ranger soigneusement dans son logement. Et c’était ça le mieux, dans ce métier. La contemplation. Le frisson provoqué par l’apparence colossale du navire, à l’embarquement. Les spectacles du déploiement et du rangement des extensions sous–marines de récolte. Ça valait tous les salaires.

En tant que pêcheur, Xavier n’avait jamais pu satisfaire qu’une seule de ses deux passions, les navires et la mer. Maintenant, il avait la totale. Il ne pouvait pas en vouloir aux récolteurs de l’avoir tiré de ce job. Au contraire. Peut–être que les récolteurs étaient à l’origine de la baisse des populations de pokémons marins. Laquelle l’avait poussé à accepter de vendre son bateau à une entreprise de récolte, pour stocker les algues extraites des fonds marins de Hoenn. Mais on lui avait proposé ce travail de récolte en échange de son bateau, et ça, c’était une véritable aubaine, parce qu’il aurait eu du mal à le vendre. Le travail en question n’était peut–être pas amusant en lui–même, consistant à trier les algues sur le chemin du retour (le centre de tri ne s’arrêtait que pour décharger ses algues au port, et trois équipes s’y relayaient), mais Xavier s’en foutait. Il avait toute latitude pour admirer le ballet des treuils sur fond de navire de six cent mètres de long, et rien ne valait ça.

Il suivit du regard le treuil qui replongeait, partant chercher les crochets d’arrimage de la drague suivante, remontée à la surface. Le navire en avait en tout une trentaine, qui fonctionnaient en alternance et en autonomie, pour pouvoir travailler toute la journée. D’où la nécessité de cargos.

Quelque chose n’allait pas. Xavier n’arrivait pas à définir quoi, mais c’était certain, quelque chose clochait. Le treuil trembla, et le navire tout entier résonna comme un bidon métallique plein de gelée. Ce qu’il était, d’ailleurs.

C’était au niveau des crochets d’arrimage. Le treuil n’arrivait pas à les saisir. Pourtant, quelque chose venait de le tirer violemment vers le bas.

Là ! Cette lumière dans l’eau, ce n’était pas un reflet des lampes du récolteur. Il y avait quelque chose.

Un éclair surgit de l’eau, électrisant le treuil. Tout de suite après, le navire trembla de nouveau alors que le treuil se tendait vers la surface de l’eau.

C’était une attaque de pokémons marins ! Un Lanturn émergea brièvement, son appendice dorsal luisant d’électricité, puis replongea. Le treuil fut de nouveau secoué, comme si un géant tentait de le tirer dans l’eau, mais plus fort, cette fois ci. Ces Lanturns étaient en train d’essayer de le détruire !

Xavier entendit des bottes frapper le sol derrière lui. Il se retourna, et tomba nez à nez avec Fred, l’un des Topdresseurs du bord.

On est aux premières loges, à ce que je vois !

– Ce sont des Lanturns. Tu as de la Plante ?

Fred sourit, puis lança une Ball. Un Phyllali en sortit. Deux secondes plus tard, sept Éco-Sphères frappaient les assaillants. Il suffit d’un regard à Xavier pour constater que sur tout le navire, les quatre autres Topdresseurs avaient libéré leurs compagnons, provoquant un véritable carnage dans l’eau. Les Lanturns s’égaillèrent, suivis du regard par Fred :

J’espère pour eux qu’ils ont compris la leçon !

***
Le rapport n°1251 faisait mention du rapport n°1233. Cela ennuyait le Professeur Seko, car il l’avait perdu. Enfin, ça n’était pas très important. Il se rappelait plutôt bien la description qui y était faite des stimuli rétino–microendoscopiques appliqués aux Xatus de l’expérience dont les résultats étaient relatés dans le 1251. Celui–ci pourrait donc être rangé sans trop de problèmes.

Seko classait ses rapports de recherches sur les capacités psychiques (il en était à l’étude menée sur les Xatus) en attendant ce gamin qui devait venir lui rendre visite aujourd’hui pour l’aider dans ses recherches. Mais il avait oublié son nom, quelque chose comme Calvin, ou peut–être Philippe. Bah, il s’arrangerait pour ne pas le nommer.

Avant cela, il devrait aussi recevoir le dernier rapport sur les algues. Quelque chose de plus intéressant. Il devait traiter des réactions entre la molécule d’anathamofuschine-luciférase et certains anticorps de Gigalithe. Ça serait sûrement passionnant.

Ledit rapport arriva alors qu’il se retournait vers son écran d’ordinateur après avoir rangé le rapport 1251 à côté du 1215. Laissant tomber son classement, Seko sauta presque dans son fauteuil et commença à lire. Les expériences réalisées étaient vraiment très intéressantes, avec notamment une observation inédite d’un système chimique où l’anathamofuschine-luciférase réagissait avec du nitrolorinacoléide-méthylosafranite de phosphore benzénique dans des proportions de 24 pour 17, donnant du tétraglucomate de nitrileucine fluorée, lequel semblait être un catalyseur capable de modifier la nature même d’une réaction de type Chêno-aramitique (autrement dit, les réactions qui donnaient aux pokémons certains de leurs pouvoirs). Les injections réalisées sur des Rattatas avaient modifié le type de leurs attaques Normal en Roche, offrant des perspectives intéressantes pour la compréhension du fonctionnement des attaques Roches et aussi de nouveaux types d’algovicteurs, le tout grâce à une petite algue nommée Spinoflorae Volteriensis…

Monsieur ?

Ah. Apparemment, Calvin était arrivé.

Oui, bonjour Calvin… Excuse-moi, je n’avais pas vu l’heure ! Ce rapport était peut-être un peu trop bien écrit. D’ailleurs, c’est marrant, son auteur a le même nom que toi…

– Euh, moi c’est Philippe, monsieur…

– Oh, pardon ! Ha, tu vois, c’était si prenant que je suis complètement à côté de la plaque, maintenant ! Enfin, ce n’est pas pour parler de moi que je t’ai proposé de venir. Que dirais-tu de partir en voyage ?

– Ce serait génial, monsieur !

– Ah, c’est bien, j’avais justement besoin d’un nouvel assistant scientifique !

– Euh, mais, monsieur, je suis mauvais en sciences…

– Peu importe ! Ce sont tes capacités de Dresseur qui seront importantes ! Le travail scientifique que je voudrais te confier consiste simplement à explorer chaque plan d’eau que tu croiseras, afin de recenser les espèces d’algues qui y poussent. Et pour ce faire, je vais te confier un authentique Tiplouf ! C’est l’un des meilleurs pokémons qui soient, quand il s’agit de plonger en emmenant quelqu’un.

Seko libéra le petit pokémon Eau, qui se mit sur–le–champ à sautiller joyeusement.

Mais, monsieur, ce Tiplouf a l’air un peu faible pour ce qui est de plonger, non ?

– Oui, naturellement, il vaudra bien mieux à son stade final d’évolution.

– Et puis, je ne saurai pas reconnaître les sortes d’algues !

– Ce n’est pas grave ! J’ai inventé un appareil qui inventorie les différentes sortes d’algues que tu rencontreras au cours de ton voyage ! Il fonctionne comme un Pokédex, tu n’as qu’à le pointer sur une algue et il en enregistre les caractéristiques. Bon, je ne te retiendrais pas plus !

– Merci Professeur, au revoir Professeur !

Et le gamin s’en alla, emportant le Tiplouf avec lui. Seko se replongea dans son rapport. Les algues étaient l’avenir de Hoenn et de la science !

***
La loi sur le libre–échange défendue par Émeric Yukari devait permettre de lever la moitié des taxes d’import sur les produits de consommation courante. L’opposition était menée par Charles Boitier, Maire de Nénucrique. C’était une forte tête, aussi Raymond Wagner avait-il été dépêché en personne pour le convaincre de ralentir l’opposition. À 75 ans, Wagner était le meilleur pour convaincre un politicien Hoennais. Ipsanem faisait souvent appel à lui pour cette raison. Cette puissante firme d’import–export manipulait chaque année des sommes en milliards de milliards de pokédollars, dans le monde entier, et assurer ses intérêts était donc hautement lucratif.

Cette loi présentée par Yukari devait grossir le chiffre d’affaires d’Ipsanem d’un milliard de pokédollars par an ; pas grand–chose, mais son intérêt n’était pas là. Elle devait surtout enrichir légèrement un concurrent d’Ipsanem, pour l’inciter à investir dans une firme secondaire ; celle–ci en concurrencerait un troisième, qui envisageait de s’étendre sur un des domaines d’activités secondaires qu’Ipsanem convoitait. La loi permettrait donc de sécuriser cet agrandissement d’Ipsanem de façon discrète ; elle aurait de bonnes chances de passer, dès que Boitier cesserait de chercher des noises à Yukari.

Une fois que Wagner eut été introduit dans le bureau de Boitier avec les formalités d’usage, il le laissa commencer la discussion en douceur.

Alors, mon cher Raymond, qu’est-ce qui me vaut le plaisir de votre visite ?

– Ipsanem, encore une fois. Ils voudraient parler de la loi sur l’import de Yukari, mais nous savons tous les deux que vous ne changerez pas d’avis, n’est-ce pas ?

– C’est une question de principe. Yukari m’insupporte depuis qu’il m’a refusé son soutien pour la loi sur le commerce entre Mérouville et Algatia.

– Pourtant, vos opposants ont beau jeu de jaser. Cette nouvelle loi profiterait sacrément à Nénucrique, vous savez ? Mais bon, tout cela est vain…

– Parfaitement. Je refuse en bloc tout ce qui viendra de Yukari.

– Alors parlons d’autres choses. Comment va-t-on, chez vous ?

– Oh, la petite nous a encore fait une angine, mais nous commençons à avoir l’habitude… Ce qui est vraiment nouveau, c’est que mon fils a décidé de souscrire à une association caritative.

– Il a de qui tenir, hein ?

– Assurément ! Du coup, j’envisageais de lui faire un petit don, pour la bonne cause.

– Et si je vous le demandais gentiment, accepteriez-vous de lui en faire un de ma part ; j’ai ici un peu de sous dont Ipsanem espérait qu’ils seraient bien employés… une association caritative me semble un investissement dont ils ne pourront que se glorifier !

Les deux hommes rirent un instant.

Ah, mais vos sous seront très bien investis, mon cher Raymond ! Votre proposition me touche beaucoup. Donc, seriez-vous prêt à vous séparer d’une centaine de millions ?

– Sans problème. À vrai dire, ils m’ont donné le triple, et j’insiste pour tout vous offrir.

– Vous êtes vraiment quelqu’un de très généreux, Raymond.

– Que voulez-vous, on fait avec ce qu’on a. Sur ce, j’aurais aimé m‘attarder, mais je vais devoir vous quitter. Un rendez–vous à honorer, vous voyez… Merci de votre accueil chaleureux !

– Allons, il n’y a pas de quoi !

Sur ce, Wagner quitta Boitier. Comme souvent, l’homme s’était laissé convaincre sans problème. Il était très fort pour démonter une opposition, pourvu qu’il en soit le chef, simplement en ignorant une réunion. Mais bien que son but en entrant systématiquement dans l’opposition soit d’être corrompu pour le plus possible de sous, il attendait toujours que ce soit fait dans les règles. C’était pour ça qu’Ipsanem avait fait appel à Wagner. Il était ami avec tous les politiciens, et il était le meilleur pour leur faire changer d‘avis de façon pas trop onéreuse. Mais il ne révélait jamais ses dépenses (question de principe, là encore, puisqu’elles étaient toujours d’ordre privé), et garderait aujourd’hui 70% de la somme allouée par Ipsanem pour s’occuper de Boitier ; le tout sans que personne ne songe à s’indigner. Raymond Wagner était un professionnel, et pas n’importe lequel : le meilleur. Il surclassait tous les autres, en richesse, en adresse et en ancienneté. Et en politique, c’était important.

***
Pour Bill, il y avait deux types d’économie : l’industrie, où les gens étaient payés pour la qualité de ce qu’ils fabriquaient ; et les services, où les gens étaient payés pour faire des trucs à la place des autres. Et là ou certains secteurs de l’industrie pouvaient être mal en point, d’autres seraient toujours en train de s’enrichir (avec souvent un lien de cause à effet) ; or, une industrie florissante permettait aux gens de dépenser plus dans les services. Donc Bill, barman de son état, était gagnant dans toutes les situations économiques, ou presque. Et en ce moment, l’économie hoennaise marchait bien ; donc le Café du Port, propriété de Bill, marchait bien. C’était aussi simple que ça.

Bill, cependant, n’appréciait pas son métier seulement parce qu’il était stable. Il y avait aussi le contact humain.

Salut la compagnie !

– Salut Arthur !

Ce devait être une caractéristique des piliers de bar de se comporter en entrant dans le bar comme s’ils étaient ivres par avance ; et ça, c’était particulièrement visible avec Arthur. Il avait l’habitude d’apostropher la clientèle en entrant, puis de discuter avec Bill en s’asseyant au bar. Résultat, il semblait de moins en moins éméché au fur et à mesure que le temps passait ; jusqu’à un certain point, où sa capacité exceptionnelle à tenir l’alcool devenait insuffisante.

Alors, Arthur, qu’est-ce que je te mets, aujourd’hui ?

– Comme d’habitude, ton abominable tord–boyaux maison.

– Ça, je m’en doute, mais quelle quantité ?

– Roh, tu vas quand même pas tout sortir du frigo d’un coup ? Faut pas réchauffer ce machin !

– Si t’es pas content, tu peux t’en aller, tu sais.

– T’es en train de suggérer au tiers de tes bénéfices d’aller chez un concurrent ?

– J’ai pas envie d’être accusé de concurrence déloyale !

Bill était vite devenu ami avec Arthur, qui venait au bar pour tuer le temps et avait donc une conversation des plus intéressantes. En effet, il n’avait jamais pu trouver un travail malgré son diplôme d’océanologie. Il consacrait donc son temps à trois choses : le bar, le surf et l’approfondissement de sa culture générale – ce qu’il appelait un tribut de conversation payé au bar . L’ensemble étant financé par sa famille, des propriétaires terriens près de Mérouville dont il s’était éloigné mais qui continuaient à lui envoyer de l’argent, en espérant le ramener au manoir familial.

Alors, t’as encore été refusé au centre d’emplois ?

– Non, c’est moi qui suis parti quand ils ont essayé de me caser comme balayeur dans les rues. Ils ont l’habitude de pousser le bouchon un peu trop loin.

– Je croyais que t’avais postulé comme guide touristique sur le littoral ?

– C’est bien ce que je dis ! Un ancien sergent de la Navale a raflé le poste. Mais on s’en fiche. Tiens, tu sais quelle est la différence entre un sergent de la Navale et un Kaimorse ?

– Honnêtement ? Non.

– Le sergent est payé.

– Dis donc, tu dois t’être payé une tranche de rire quand tu l’as trouvée, celle-là !

– C’est ça, rigole…

C’est à peu près à ce moment là que retentit dans le bar l’exaspération d’un habitué lisant un journal :

La mairie a encore refusé un projet de nouveau supermarché !

– Quelle bande de nuls !

De façon prévisible, Arthur se joignit au brouhaha général. Il connaissait (et employait) toutes les combines pour faire durer un verre le plus longtemps possible.

Quelques minutes plus tard, quand chacun eut fini d’exprimer son opinion sur le maire, un homme vint s’asseoir au bar, à côté d’Arthur.

Barman, une Krieg !

Puis, s’adressant à Arthur :

Excusez-moi de ma grossièreté, mais vos n’avez pas l’air d’un ivrogne retraité ; plutôt d’un ivrogne en devenir.

– Bonjour.

– Comme je disais, je suis désolé de me montrer si cavalier… J’aurais un travail à vous proposer, en quelque sorte.

– Autrement dit, ça n’est pas seulement légal, c’est bien ça ?

– Absolument.

– Et qu’est ce qui vous fait croire que je suis un bon candidat au poste ?

– Un : vous ne semblez pas vous soucier beaucoup de l’avis de nos chers politiciens, ou pas en bien. Deux : vous êtes trop jeune pour être en retraite, trop vieux pour ne pas avoir fini vos études et vous êtes sans emploi puisque vous êtes au bar à onze heures du matin. Du moins, c’est comme ça que je le vois.

– Et trois ?

– Une impression, comme ça.

– Ça consisterait en quoi, ce boulot ?

– Administration de société.

– Pas mon diplôme.

– Et vous avez quoi, alors ?

– Océanologie.

– Figurez-vous que je recherche quelqu’un qui ne serait pas trop mauvais dans ce domaine.

– Vous faites quoi, du trafic d’algues ?

– Non, plutôt du trafic de sous ; mais l’entreprise que je prévois de monter n’existe encore qu’à l’état de schémas.

– Et vous auriez besoin de quelqu’un qui pourrait vous prévenir à l’avance d’une perturbation liée à la mer, par exemple à cause du poids colossal des algues dans notre économie depuis deux ans ?

– Voilà, vous avez saisi. Mais ce ne serait pas tout, si vous me permettez de vous expliquer.

– Pourquoi pas ? Je m’appelle Arthur. Et vous ?

– Max.