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Pokemonis T.2 : L'embrasement de l'Aura de Malak



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Informations

» Auteur : Malak - Voir le profil
» Créé le 23/12/2018 à 11:23
» Dernière mise à jour le 23/12/2018 à 11:23

» Mots-clés :   Absence de poké balls   Action   Aventure   Présence de Pokémon inventés   Science fiction

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Chapitre 48 : La soeur qui n'a jamais cessé d'aimer
10 ans plus tôt…



Les arcs électriques allèrent s’infiltrer au plus profond du rocher, et il ne lui fallut que cinq secondes pour exploser et projeter des petits gravillons un peu partout. Prenant soin d’arborer un air fier et victorieux, Meika se tourna vers son seul public, un garçon de huit ans qui applaudit à tout rompre.

- Oooooh ! C’est génial, grande sœur !

- Bah, c’est normal pour moi.

C’était un demi-mensonge. Oui, Meika Irlesquo, ainée des enfants du Grand Maître, avait toujours été douée et en avance pour son âge concernant les pouvoirs G-Man. Ces derniers avaient commencé à apparaître à ses sept ans seulement, et son niveau de progression au fil des ans faisait que bon nombre de G-Man - et plus particulièrement son père - la qualifiaient de génie. Cela étant, ce n’était pas ses éclairs qui avaient brisé la roche. Même elle n’était pas encore assez puissante pour cela. Meika avait brisé le rocher avec ses pouvoirs de type Roche. Son jeune frère Rohban n’avait rien vu, car il n’y avait rien à voir. Meika pouvait manipuler des éléments rocheux à distance. Le jeune garçon avait donc naturellement pensé que les éclairs avaient détruit le rocher, ce qui était le but de la démonstration de Meika.

- Comment tu es trop forte ! Si tu affrontais un membre de la Trigarde Impériale ou des Cinq Etoiles, c’était toi qui gagnerait, hein, hein ?

Devant l’admiration de son frère, l’adolescente se sentit un peu mal à l’aise. Ce n’était pas bien glorieux d’user d’artifices pour tromper un gamin comme Rohban, qui de toute façon n’avait besoin de pas grand-chose pour acclamer Meika. Mais cette dernière préférait largement l’admiration béate et sincère de son jeune frère plutôt que les compliments pour la plupart hypocrites des autres G-Man qui ne souhaitaient qu’entrer dans ses bonnes grâces ou celles de son père.

Malgré leur différence d’âge - neuf ans - Meika était très proche de son frère. Normalement, à son âge, les jeunes femmes G-Man s’intéressaient aux bals, aux jeunes hommes célibataires, et à la politique. Mais Meika se contentait bien mieux de la compagnie de Rohban, qui pourtant jouait encore aux figurines en plastique. Cela s’expliquait sans doute que Meika n’avait aucun véritable ami. Elle n’arrivait pas à se lier à tous ces G-Man qui étaient intimidés par son nom et n’arrivaient à rien d’autre que jouer les flagorneurs. Mais c’était normal, disait son père. Elle était différente des autres. Elle était unique. Elle était la fille du Grand Maître. Elle était une G-Man des plus prometteuses. Elle n’avait pas à traîner avec ceux qu’elle était destinée à gouverner. Elle était au-dessus de tout ça.

Pourtant, il fallait bien se sociabiliser un minimum, surtout quand on était une importante figure politique en devenir. Son père, le Grand Maître Bradavan, lui confiait de plus en plus de tâches importantes. Meika devait à tout moment faire honneur à la maison Irlesquo part une attitude irréprochable. Elle s’était donc longuement entraînée aux sourires de façade et aux formules de politesse hypocrites. Même avec des G-Man de son âge, elle devait être parfaite. Il n’y avait qu’avec Rohban qu’elle pouvait être elle-même. Et avec leur mère Sareim également, qui à l’inverse de leur père, n’exigeait pas un respect du protocole vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

- J’ai hâte d’avoir mes pouvoirs à moi, marmonna Rohban avec envie. Peut-être bien que je serai plus fort que toi, grande sœur !

- J’en doute pas un instant, sourit Meika en lui ébouriffant les cheveux. Mais en attendant, va ranger ta chambre avant de manger.

- Eeeeeh ? Protesta le garçon. On a des esclaves pour ça !

- Si tu ne sais pas te débrouiller sans esclave, comment tu comptes me dépasser un jour ? Tu vas demander aux domestiques humains de t’entraîner aux pouvoirs G-Man ? Et prendre ses responsabilités est la loi dans notre illustre famille. C’est toi qui a déballé, c’est toi qui doit ranger.

Rohban exprima son accord en un long soupir boudeur, et marcha d’un pas lourd vers le manoir. La jeune femme, elle, resta un moment à marcher dans le grand jardin, profitant du coucher de soleil qui éclaira Axendria de sa lueur orangée. Meika ignorait si son frère serait ou non un puissant G-Man, mais il ferait un très bon Grand Maître. Il était intelligent, très cultivé pour son âge, et aimait particulièrement lire. Le souci, c’était que leur père attendait de savoir de quel pouvoir allait hériter Rohban pour officialiser sa succession.

Meika priait le Seigneur Protecteur Xanthos chaque jour pour que ce soit le pouvoir d’un Pokemon respectable. Elle n’avait pas spécialement envie de prendre la place de son père comme Grand Maître. Et puis, par tradition, ce rôle revenait toujours aux hommes quand c’était possible. De plus, être le G-Man d’un Pokemon faible n’avait jamais empêché un Irlesquo de devenir Grand Maître. Son père Bradavan, G-Man d’Insolourdo, en était la preuve vivante.

En regardant la capitale de sa position surélevée, Meika savait très bien qu’elle était née très chanceuse. Alors que les humains normaux étaient condamnés à une vie de misères et de servitude, les G-Man vivaient eux sans jamais manquer de rien, choyés par l’Empire et disposant de leur territoire bien à eux, qu’ils administraient selon leur bon vouloir. Et si Meika avait déjà la chance d’être née G-Man, elle était surtout née au sein de la famille Irlesquo, qui régnait sur l’Ordre depuis des siècles. Elle n’avait donc aucune raison de se plaindre, mais parfois, elle trouvait cette vie étouffante, et vide en un sens.

Rester ici, cloitrée dans ce cocon doré qu’était le Quartier G-Man, faire des courbettes au Seigneur Xanthos, aller à des soirées dansantes et pompeuses chaque semaine… Était-ce cela, le destin d’un G-Man ? Meika avait l’impression qu’elle gâchait son potentiel, ses pouvoirs, et surtout sa vie. Elle attendait plus. Elle voulait faire quelque chose de grand, d’important. Quelque chose qui pourrait marquer le monde, en bien. Mais, comme à chaque fois que son esprit s’égarait dans ces pensées dangereuses, elle les refoula. Elle ne comprenait pas ce qui clochait avec elle, alors qu’elle avait tout ce dont on pouvait rêver.

Elle fit demi-tour, dans l’idée de rentrer au manoir, quand une curieuse sensation dans l’Aura la fit se stopper. C’était une impression désagréable, comme si vous sentiez que quelqu’un vous espionnez dans votre dos. En fronçant les sourcils d’indignation, l’adolescente se rendit compte qu’un autre G-Man était en train, quelque part, de la regarder dans l’Aura. Grâce à cette dernière, les G-Man pouvaient se repérer entre eux quelque soit leur position dans la ville. Mais c’était bien sûr le comble de l’impolitesse et du voyeurisme. Qu’un G-Man ait osé faire cela avec la fille du Grand Maître était à peine croyable. Meika n’allait pas laisser passer ça.

Elle se plongea dans l’Aura et suivit la piste qui la mènerait à ce G-Man plus d’indélicat. À sa surprise, elle finit par le trouver, mais dans la ville basse, non loin des portes d’entrée d’Axendria. C’était rare qu’un G-Man sorte de la Citadelle, et encore plus pour se rendre dans les ghettos malfamés. Mais ce qui stupéfia encore plus la jeune femme, c’était qu’elle ne reconnaissait pas l’Aura de ce mystérieux G-Man. Elle doutait de l’avoir déjà rencontré, mais pourtant… il y avait quelque chose de bizarrement familier dans cette Aura.

- Qui êtes-vous ? Lança Meika dans l’Aura jusqu’à l’étranger.

On ne pouvait pas vraiment communiquer par des mots avec l’Aura, mais ces derniers étaient retransmis en sensations, et le G-Man mystérieux compris sa question. Meika reçu en réponse une invitation à venir le voir. Ce n’était pas un ordre, mais une demande sincère. Comme la jeune femme ne sentait aucune intention malveillante en ce G-Man, et qu’elle était très curieuse, elle sortit du Quartier G-Man et de la Citadelle pour descendre en ville.

Elle avait dix-sept ans, mais pouvait compter les fois où elle avait quitté le Quartier G-Man sur les doigts de la main, et d’une seule. Elle se souvenait de deux cérémonies officielles au Palais Impérial, quand son père avait été invité par le Seigneur Xanthos. Il y avait eu aussi un dîner chez un important notable Pokemon qui vivait dans la Citadelle. Mais Meika n’était jamais descendu dans la ville elle-même, encore moins la ville basse. Ça l’impressionnait un peu, mais que pouvait-elle craindre, après tout ? Elle était une G-Man.

La ville haute, sous la Citadelle, était relativement propre et ordonnée, et tous les Pokemon qu’elle croisa s’inclinèrent bien bas à son passage. Il y avait peu d’humains dans les rues, et ceux qui étaient présents étaient généralement des esclaves de luxe, très bien éduqués. Mais dès que Meika quitta la ville haute, tout ça changea drastiquement. Déjà, l’odeur était pour ainsi dire insupportable pour son nez peu habitué à une telle atmosphère. Les rues étaient salles, étroites et bondés. Les Pokemon s’interpellaient bruyamment entre eux, des humains vêtus de loques déambulaient partout, et Meika devait prendre garde où elle marchait, tant le sol pavé était joncé de détritus en tout genre, quand ce n’était pas carrément d’excréments.

C’était donc ça, la ville basse ? Comment les Seigneur Protecteurs pouvaient-ils tolérer une situation pareille au cœur même de leur capitale ? Comment avaient-ils pu laisser ça arriver, d’ailleurs ? Meika avait toujours vu l’Empire Pokemonis comme un joyau de grandeur, d’ordre et de beauté. Comment en aurait-il pu en être autrement ? Les humains étaient certes égoïstes, désordonnés, sales et primaires, mais les Pokemon eux étaient des êtres civilisés. Pourtant, dans cette ville basse, ils semblaient tout autant fautif que les humains. Le père de Meika était-il au courant d’un tel délabrement juste sous son nez ? Sans doute que oui ; il était le Grand Maître, l’homme de confiance du Seigneur Xanthos. Mais peut-être n’en avait-il rien à faire, bien à l’abri dans son manoir, au sommet de la cité…

Ici, le statut de G-Man de Meika ne lui valu aucune courbette de la population. Les Pokemon la regardaient d’un air suspect, et les humains faisaient de grands détours pour ne pas passer devant elle. Alors qu’ils auraient dû tous l’adorer et la vénérer, Meika pouvait lire dans leurs yeux une haine certaine envers elle, ou plutôt envers ce qu’elle représentait. Pour la jeune Meika, qui avait toujours été choyée et adulée, cette hostilité était toute nouvelle, et l’effrayait presque. Elle hâta le pas dans la direction d’où elle sentait l’Aura du G-Man, tout en gardant sa main proche de la garde de sa Lamétrice.

Enfin, elle le vit, seul sur la passerelle des portes d’entrée. Il n’avait aucunement l’air d’un G-Man. C’était un homme qui devait être proche de la cinquantaine, un peu enrobé, aux habits communs et usés. Il avait des cheveux gris et gras qui commençaient à se faire rare, et une épaisse moustache. Son visage taillé à la serpe affichait la sévérité, la rancœur, mais aussi les vestiges d’une certaine grandeur. Il ressemblait plus à un esclave qu’à un G-Man, certes, pourtant son Aura ne pouvait pas tromper Meika. Quand l’individu la vit, son visage renfrogné s’éclaira en un sourire emprunt d’une grande tendresse qui surprit l’adolescente. Avec prudence, Meika monta jusqu’à son niveau. Elle attendit quelque secondes qu’il s’incline devant elle comme il aurait dû, mais il continua à l’observer avec son air attendri qui effraya presque Meika. Ce vieux était-il un pervers ?

- Je suis Meika Irlesquo, fille du Grand Maître Bradavan, finit-elle par dire. Peut-on savoir qui vous êtes et pourquoi vous m’avez espionné dans l’Aura ? Je ne me rappelle pas vous avoir jamais rencontré dans le Quartier G-Man. Vous êtes un G-Man sans titre ? Ou bien un naturel ?

L’homme ne dit rien, continuant de la regarder sous toutes les coutures, avant de déclarer d’un ton bourru et presque nostalgique :

- Tu ressembles à ta mère…

- Je n’avais pas besoin de vous pour m’en être rendue compte, répliqua Meika. Et comme nous n’avons pas gardé les Groret ensemble, je vous prierai de me vouvoyer et de m’appeler Lady Meika.

L’homme ricana.

- Ça par contre, c’est bien le caractère de Bradavan. J’imagine sans mal qu’il t’a largement pollué l’esprit avec son arrogance et sa rigidité légendaire ?

- Qui êtes-vous pour parler ainsi du Grand Maître ?! S’indigna Meika.

- Celui qui aurait dû le devenir à sa place. Mon nom a-t-il été effacé de l’Ordre ? Il n’y a plus aucune mention de moi dans les registres familiaux ?

- Que…

Meika s’arrêta, comprenant ce que cet homme voulait dire. Les G-Man n’osaient plus trop en parler, mais Bradavan Irlesquo avait eu un frère autrefois. Un frère ainé, célèbre pour avoir été le G-Man du légendaire Terrakium, et le plus puissant G-Man de l’Ordre depuis des siècles. Mais ce G-Man avait été déclaré hors-la-loi par l’Empire. Son nom et son titre lui avaient été supprimés, et il avait été condamné à mort, avant de fuir la capitale. Selon les rumeurs, il serait encore en vie et avait rejoint les Paxen, ces rebelles luttant contre l’Empire. Le père de Meika n’en parlait jamais, faisant comme s’il n’avait jamais eu de frère. Quant à sa mère… elle évoquait parfois un amour de jeunesse, avec tristesse et nostalgie. Mais jamais Meika n’aurait imaginé rencontré un jour cet oncle déchu.

- Vous êtes… Kashmel Irlesquo ? Bafouilla-t-elle.

- Bonne réponse.

Meika hésita à alerter ses confrères G-Man dans l’Aura, voir carrément d’appeler la première patrouille impériale qui passait par là. Cet homme était l’un des plus grands criminels de l’Ordre G-Man, et une honte indélébile pour le nom des Irlesquo. Pourtant… il y avait quelque chose en lui qui l’en empêcha. Dans ses yeux peut-être, ou alors une effluve dans son Aura qui indiquait à Meika que Kashmel n’était nullement son ennemi. Qu’il était… quelqu’un de spécial pour elle, d’important.

- Tu me sembles douée avec l’Aura, jeune fille, remarqua Kashmel. Tu as senti de si loin que je t’observais, et en ce moment même, je sens que tu touches du doigt notre lien véritable.

Meika sentait effectivement quelque chose, qui semblait bien plus qu’un simple lien de sang avec un oncle qu’elle voyait pour la première fois.

- Tes parents t’ont menti sur bien des choses, dont ta réelle identité, poursuivit Kashmel. Enfin, techniquement, c’est Sareim qui t’a menti. Bradavan doit croire que tu es bien de lui.

- Qu’est-ce que vous…

- Je suis ton père, Meika.

Comme la jeune G-Man resta immobile, bouche bée, Kashmel lui fit un maigre sourire d’excuse.

- Désolé de te jeter ça à la figure comme ça. En fait, je l’ignorai moi-aussi jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à que je perçoive ton Aura ; un mélange très clair de celle de Sareim et de la mienne. L’Aura sait ces choses-là Le temps et l’espace ne veulent rien dire pour elle. Nos souvenirs et nos certitudes sont ancrés en elle.

Meika recouvra enfin l’usage de la parole.

- C’est… c’est absurde.

- En effet, approuva Kashmel. Mais c’est la vérité, et elle est souvent absurde. J’ignorai que Sareim était enceinte quand j’ai quitté l’Ordre. J’imagine qu’elle a dû épouser Bradavan très peu de temps après pour faire croire à tout le monde que tu étais sa fille. Car si mon tendre frère n’avait ne serait-ce que suspecté que tu étais de moi, il t’aurait éliminé à la naissance. Mais par chance, il a toujours été nul dans la maîtrise de l’Aura, et ne sera jamais capable de percevoir vos différences en elle.

Meika se contenta de secouer la tête, niant toutes ces paroles qui venaient de chambouler son univers bien construit. Mais Kashmel, impitoyable, lui prit l’épaule, et l’emprisonna du regard.

- Vois, jeune fille. Vois la vérité dans l’Aura.

Meika fut comme aspirée dans l’Aura de Kashmel, qui s’ouvrait volontairement à elle. Le temps, l’espace, les souvenirs, les sentiments… tout cela se mêla au plus profond de son être. Elle vit Kashmel étant jeune, très bel homme, impressionnant, avec à ses côtés Sareim. Ils s’aimaient, c’était une évidence. Elle vit de loin Bradavan qui regardait Kashmel avec une envie proche de la haine. Elle vit sa trahison, sa prise de pouvoir dans la famille Irlesquo. Et surtout, Meika vit cette vérité qu’elle ne pouvait plus ignorer. Les liens entre Kashmel et elle brillaient partout dans l’Aura, et l’Aura ne saurait mentir. Quand elle sortit de cet état mental et revint à son propre corps, elle remarqua de les larmes avaient coulé sur ses joues. Des larmes de colère.

- Bradavan pense que tu es son trophée, la chair de sa chair, alors qu’un G-Man comme lui serait incapable d’engendrer un trésor tel que toi, lui dit Kashmel. Quant à ta mère, même si c’était pour te protéger, elle t’a menti, et a accepté que soit élevé par mon frère méprisable. On t’a volé ton destin, mon enfant, et je suis venu te le rendre.

- Mon… destin, répéta Meika, envoutée par les paroles de Kashmel.

- Oui. Ton destin n’est sûrement pas d’hériter de Bradavan de cet Ordre pourri, décadent et soumis. Ton destin est de prendre ta place à mes côtés pour en reforger un nouveau. Un qui sera digne de notre ancêtre Sacha. Un qui perpétuera sa volonté.

Kashmel dévisagea sa fille qui paraissait plus confuse et sonnée que jamais, puis s’écarta avec délicatesse.

- Enfin, ce sera ton choix bien sûr. Contrairement à tes parents, je ne vais pas décider à ta place. Vois. Regarde ce qui se joue autour de toi. Pense par toi-même. Et si tu juges au final que cet Ordre ne mérite pas d’être sauvé et qu’il doit se transformer, alors agis. Trouve-toi des camarades, et faites en sorte de miner les fondations de cet Ordre. Je reviendrai dans une dizaine d’années environ. J’espère t’avoir à mes côtés à ce moment.

Kashmel se retourna sans ayant apparemment l’intention d’en dire plus, laissant là l’adolescente totalement désemparée alors qu’elle avait quantité de question. Mais sur le coup, elle ne put en poser qu’une seule :

- Et Rohban ? Mon frère ?

Kashmel ne se retourna qu’à peine, une lueur de mépris dans les yeux.

- Pas ton frère. Ton demi-frère seulement. Lui est bien le morveux de Bradavan. Son sang et son esprit doivent être aussi pourris que les siens. Il n’a aucune espèce d’importance. Si tu acceptes la vérité et la justice de notre cause, tu devras couper les liens avec lui, et au plus vite.

Meika resta longtemps à errer sans but dans la ville basse, bien après le départ de son père. Tout ce qu’elle connaissait, tout ce en quoi elle croyait venait de s’écrouler. Et elle était en colère oui. En colère contre Bradavan et Sareim. Plus elle y réfléchissait, plus tout cela prenait sens. En effet, elle ne s’était jamais réellement senti à sa place comme fille de Bradavan Irlesquo, à jouer les filles de bonne famille pour cet Ordre G-Man qui l’exaspérait. Ce n’était pas son destin. Comme elle le suspectait, elle était vouée à faire quelque chose de plus grand. Quelque chose de mieux.

Meika rentra très tard au manoir familial, et reçu pour la première fois de sa vie une punition exemplaire de son père. Mais à partir de ce jour-ci, Meika Irlesquo avait décidé de ne jamais plus penser à cet homme comme étant son père. Depuis ce jour, elle travailla dans l’ombre à fomenter sa chute prochaine. Elle fonda le groupe Lance, d’abord avec trois autres G-Man seulement, puis au fil des années, en recrutant de plus en plus de membres, tout cela sous le nez du Grand Maître, pour que quand Kashmel reviendrait, l’Ordre G-Man soit prêt à être récolté.

Et à partir de ce jour, Meika décida d’haïr le petit frère qu’elle avait toujours choyé. Elle tenta de ne voir qu’en lui l’engeance de Bradavan, un G-Man qui serait aussi détestable que lui. Elle tenta d’oublier tous les bons moments qu’elle avait passé avec lui, quand elle était encore dans l’ignorance. Elle se força à se convaincre qu’il n’était rien, et qu’il serait mieux pour lui qu’il meure très vite. Elle le fit pour Kashmel et pour sa cause. Mais finalement, même si elle avait fini par leurrer son esprit, elle ne parvint pas à convaincre son cœur.


***

Rohban


De nos jours…


À travers la douleur insupportable que provoquait la succion de mon Aura, et à travers la semi-inconscience qui résultat de ma perte de sang, je pouvais sentir que quelqu’un était en train de me porter sur son dos. Je le sentais physiquement seulement, car j’étais totalement incapable d’utiliser l’Aura à l’heure actuelle. Peut-être était-on en train de me capturer. Pourtant, même si je ne sentais que le dos de cette personne, je me sentais étrangement en sécurité, sentant que quelqu’un prenait soin de moi, une personne en qui j’aurai naturellement confiance.

Petit à petit, le volume d’Aura qui était aspiré hors de moi diminua, jusqu’à s’arrêter totalement. Quelque chose faisait barrage, je le sentais. J’avais comme un bouclier autour de moi, à la fois physique et spirituel. Je regagnai peu à peu mes sensations, et même si mes blessures me pesaient, j’arrivai à reprendre le contrôle de mon esprit. Aussi, quand la personne qui me portait s’écroula et que je me retrouvai par terre d’un coup, je pus bouger à nouveau et appréhender les éléments alentour.

J’étais juste après l’entrée de la Citadelle. Il y avait des débris de roche autour de moi. La succion de l’Aura avait cessé, bien que l’oiseau de feu doré soit toujours au-dessus de moi. Et surtout, il y avait quelqu’un à mes côtés. C’était une très vieille femme que je n’avais jamais rencontré. Sa peau était telle qu’on voyait clairement les os en dessous, elle n’avait plus de cheveux sur le crâne, et ses yeux semblaient aveugles. Elle était visiblement aux portes de la mort. Mais le peu de contrôle que j’avais encore sur l’Aura m’appris que cette femme était une G-Man. Ou plutôt qu’elle l’avait été. Et quand je reconnus les habits qu’elle portait et la forme distincte de la garde de sa Lamétrice, j’eu un hoquet de stupeur.

- Gr… grande sœur Meika…

Meika semblait effectivement incapable de me voir, mais ma voix lui fit tourner faiblement la tête dans ma direction, et un sourire éclaira son visage prématurément vieilli à l’extrême.

- Rohban… Tu vas bien ?

- Ma sœur, qu’as-tu fait ? M’écriai-je.

Je ne comprenais pas trop la raison de ce soudain vieillissement d’une femme qui avait jusque-là même pas débuté la trentaine, mais je me doutais que ça avait un lien avec l’aspiration de l’Aura. Et si moi j’étais là, en vie, alors que Meika était dans cet état, il n’y avait qu’une seule explication.

- Tu es venue… me sauver ? Pourquoi ?

- Parce que… tu es mon idiot de petit-frère, et que c’est mon rôle…

Meika approcha une main tremblante et décharnée de mon visage, et je la pris dans les miennes. Elle était si froide, si faible…

- Tu es… en sécurité ici pour l’instant, poursuivit-elle avec difficulté. C’est la zone… sûre dans laquelle le Phénix ne peut pas… aspirer l’Aura. Il faut… que tu restes juste en dessous de lui…

Sentant qu’elle s’éloignait de moi à jamais, je criai :

- Meika ! Pourquoi ? Tu me détestais ! Pourquoi… sacrifier ta vie pour moi ? POURQUOI ?!

- Je t’ai détesté, oui… pour les désirs d’un autre. Aujourd’hui, je choisis… de te sauver, et de t’aimer une dernière fois… pour moi. Juste… pour moi…

L’autre main de Meika trouva la force d’empoigner la garde de sa Lamétrice et de me la tendre.

- Arrête-le… Arrête tout ça… Ce n’est pas ce que je voulais… Ce n’est même pas ce qu’il veut lui, j’en suis sûre. Sauve notre Ordre, et guide-le. Ça aurait dû être ton rôle… depuis le début… Petit-frère…

Alors que j’empoignai la Lamétrice, la main de Meika retomba mollement au sol, tandis que le peu qu’il restait d’Aura en elle se dissipa. Partie. Elle était partie à jamais. Non… elle m’avait été arrachée. Hurlant ma colère et ma peine à l’adresse des cieux, je fixai du regard l’oiseau de feu, mon poing serrant la poignée de la Lamétrice de Meika de toutes mes forces.