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Calendrier de l'Avent 2018 de Comité de lecture



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» Auteur : Comité de lecture - Voir le profil
» Créé le 22/12/2018 à 23:11
» Dernière mise à jour le 23/12/2018 à 03:35

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Jour 22 : Les liens du sang, par MissDibule
— Ilsa !

La jeune fille se congela sur place, la main crispée sur la rampe d’escalier. Elle pivota lentement sur elle-même, comme si elle eût été sur un lac gelé dont la glace risquait à tout moment de se rompre. Elle releva la tête, — nullement impressionnée — croisa les bras et plongea son regard d’encre dans celui de son père. Père et fille avaient le même.

Aldo la fixa du même regard froid et dur. Il passa un instant à dévisager sa fille, droite comme un i au milieu des escaliers. Il ne s’attarda cependant pas sur ses vêtements, tantôt tachés de rouge, tantôt lacérés, ni sur les nombreux pansements et bleus qui recouvraient sa peau livide. Il se concentra uniquement sur son visage, encadré d’une cascade de cheveux rouge sang dont le flot était interrompu au niveau du front par une courte frange droite.

Comme d’habitude, Ilsa arborait un air défiant et rebelle, dont l’intensité était souvent réduite à néant par les lunettes à verres ovales qu’elle devait porter pour corriger sa mauvaise vue. Enfin, qu’elle devrait porter, car ce jour-là aucun filtre ne recouvrait les yeux sombres de l’adolescente : ils lançaient des éclairs sans retenue.

Bon sang, la voir sans lunettes lui rappelait sans cesse ce jour maudit, celui qui, il y a bien des années, avait précipité sa vie dans les affres du désespoir. Il se souvenait de cette scène dans les moindres détails. Du moins le croyait-il. Elle était là, devant lui, valise à la main. De l’autre, elle avait retiré ses lunettes. Puis elle avait plongé son regard dans le sien pour la dernière fois, avant de faire ses adieux.

« Prenez bien soin de vous, Ilsa et toi. J’aurais vraiment aimé qu’on puisse être une vraie famille, tous les trois… Mais c’est au-dessus de mes forces. J’ai essayé, mais je n’y arrive pas. C’est toi qui as voulu que je garde Ilsa. Mais moi, je ne me sens pas capable d’être une mère pour elle, et encore moins une bonne mère. J’ai pensé qu’avec ton soutien, j’y arriverais peut-être… En réalité, je crois que je ne me suis jamais sentie prête. Je suis désolée de n’avoir rien dit. Tu avais l’air si heureux et épanoui… J’ai cru pouvoir être capable de ressentir la même chose… Mais ce ne fut pas le cas. J’espère que tu comprendras. Je te confie Ilsa. Je sais que tu sauras être son père. Parce que moi… Je ne peux pas être sa mère. Au revoir, Aldo. »

Puis elle avait tourné les talons pour toujours. Il ne se souvenait peut-être pas des mots exacts qu’elle avait prononcés, mais il y avait une chose qu’il n’avait jamais pu oublier : l’ultime flamboiement de sa chevelure écarlate embrasant les flocons argentés, en ce soir d’hiver où elle était partie. Ce soir où elle l’avait quitté.

À partir de là, sa vie n’avait plus été qu’une inexorable déchéance. Il avait dû élever Ilsa seul, sans personne pour l’aider. Mais ce qui avait rendu cette tâche presque insurmontable pour Aldo, c’était Ilsa elle-même. Plus les années passaient, plus l’amour filial d’Aldo pour Ilsa s’assombrissait pour laisser place au ressentiment. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle était la cause de tous ses malheurs. Que c’était sa faute si sa femme l’avait quitté.

Sa femme… Au fond, c’était d’elle que provenait toute cette rancœur qui meurtrissait Aldo un peu plus chaque jour. Car Ilsa lui ressemblait beaucoup. Beaucoup trop. À chaque fois qu’il regardait Ilsa, c’était son amour perdu qu’il voyait. Ou plutôt, son fantôme, qui revenait le hanter pour lui rappeler douloureusement son bonheur désormais réduit à néant. Ilsa était comme sa femme.

Mais elle n’était pas sa femme. Aldo avait l’impression qu’elle n’existait que pour le tourmenter, et l’enchaîner à son passé. Pour qu’il se souvienne qu’il ne serait plus jamais heureux, désormais. Et pour couronner le tout, ce messager du diable était sa propre fille, qu’il aimait pourtant d’un amour paternel et sincère. Cette ambivalence de sentiments le torturait chaque seconde de sa vie. Et chaque vision d’Ilsa sans ses lunettes était un nouveau coup de poignard dans ce qui lui restait de cœur.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? demanda soudain Ilsa, visiblement agacée d’attendre un sermon qui ne venait pas, bras croisés et sourcils froncés.

Cette apostrophe sembla ramener son père à la réalité. Il quitta immédiatement l’air mélancolique qu’il arborait quelques secondes plus tôt.

— Descends de là. Il faut que je te parle, lui intima-t-il.

— Crache juste le morceau. J’ai pas toute la journée, Aldo, rétorqua-t-elle sans bouger d’un iota.

Il tressaillit en l’entendant prononcer son nom. Il était décidément puni jusqu’au bout. Leur relation était devenue tellement conflictuelle que sa fille avait renoncé depuis bien longtemps à l’appeler « Papa ». Elle l’appelait désormais par son prénom. Lorsqu’elle l’appelait… Mais elle ignorait que cela le faisait encore plus souffrir, car la ressemblance avec sa mère s’était alors faite plus oppressante encore.

— Parle-moi sur un autre ton ! Je veux savoir pourquoi tu ne portes pas tes lunettes.

Mais il connaissait déjà la réponse. Ce n’était pas la première fois que cela arrivait, loin de là.

— Cassées.

Le ton était excédé, froid et abrupt. Aldo sentit la colère monter en lui :

— Encore ? Tu réalises combien ça me coûte, toutes ces paires que tu casses ?

Mais Ilsa avait déjà perdu tout intérêt pour la discussion et commença à tourner les talons, bien décidée à monter à l’étage, cette fois-ci. Son père l’interpella à nouveau, d’une voix puissante et tonitruante :

— Ilsa !!

La concernée se figea à nouveau sur place, puis tourna la tête et déclara avec force :

— Rien que ta retraite exorbitante de Conseil 4 ne puisse payer !

— Tais-toi. Tu ne sais même pas de quoi tu parles, lui assena son père en la foudroyant du regard.

Piquée au vif, Ilsa réagit au quart de tour : elle dévala les escaliers, vint se planter devant son père et — même si elle était bien plus petite que son géniteur — le fusilla à son tour du regard.

— Bien sûr que je sais ! Si tu crois que je ne t’entends pas te lamenter pitoyablement sur ta bouteille tous les soirs ! Moi je n’ai pas le droit de pleurer, mais toi tu te lamentes tous les soirs ! C’est sûr, pour l’alcool, il y en a, de l’argent ! Mais…

Elle fut coupée net dans ses récriminations par la monumentale gifle que venait de lui infliger son père. Elle s’effondra au sol sous l’effet du choc. Aldo avait beau ne plus être le grand Maître d’arts martiaux qu’il était, il n’en demeurait pas moins un colosse, et le moindre coup qu’il infligeait pouvait être destructeur. Et ce même s’il était dirigé contre sa chair et son sang. Ilsa se redressa difficilement, toujours au sol, la main apposée contre sa joue brûlante. Aldo, le regard vide et fuyant, lui ordonna alors d’une voix sourde :

— Monte immédiatement dans ta chambre.

Lui s’éloignait déjà vers la sienne comme une automate. Ilsa le regarda s’éloigner : ses yeux brillaient d’une inexprimable haine. Dès qu’Aldo eût enfin quitté son champ de vision, elle se releva, non sans mal, et put enfin monter les marches salvatrices du divin escalier.

Elle claqua la porte de sa chambre, s’y adossa puis se laissa finalement choir sur le sol. Elle sentait les larmes venir. Non, elle ne devait pas y céder. Elle devait rester forte. Pleurer ne servait à rien. D’autres pleuraient déjà beaucoup trop dans ce monde. À commencer par le ciel. Ilsa réprima alors ses pleurs et alla à sa fenêtre. La vue qui s’offrait à elle était magnifique — bien qu’un peu floue, il était vrai. Les flocons argentés recouvraient doucement Illumis en ce soir de décembre. La ville-lumière commençait à se parer de ses plus beaux atours.

Mais la joie d’Ilsa fut de courte durée, et prit fin quand elle posa les yeux sur un bâtiment bien particulier : l’Académie Dianthéa. Son école. Nommée d’après l’ancien Maître de la ligue de Kalos, c’était un établissement prestigieux, auquel la jeune fille détestait se rendre. Il était rempli de gamins snobs et prétentieux. Elle avait détesté l’endroit dès son premier jour.

Elle avait alors six ans — car l’Académie proposait un cursus s’étalant sur plusieurs années. Elle était si heureuse d’y aller ! Son père avait voulu lui donner la meilleure éducation possible, et elle voulait le rendre fier en retour. Puis il y eut les moqueries. Sur ses yeux, un peu trop noirs. Sur son prénom, un peu trop étrange. Sur ses cheveux écarlates, un peu trop effrayants. Sur tout. Elle était revenue en pleurs chez elle, avec, à la main, ses lunettes cassées. Par ses camarades de classe.

Cela avait indigné son père. « Les pleurs n’ont pas la place dans cette maison, Ilsa. Si tu veux passer cette porte à nouveau, tu vas devoir être forte. Et ne plus jamais casser tes lunettes, compris ? ». Voilà ce qu’il avait dit. Il n’avait posé aucune question. Il n’avait rien cherché à savoir d’autre. Depuis ce jour, Ilsa avait décidé qu’Aldo n’était plus son père. Juste Aldo, un homme qui partageait sa vie, bien malgré elle.

Elle avait cependant appliqué l’un de ses conseils — et s’était fait un point d’honneur de bafouer l’autre. Elle était devenue forte. Elle avait passé toutes ces années à s’entraîner avec le Pokémon Combat que l’Académie lui avait offert. Elle avait non seulement amélioré ses compétences en combat Pokémon, mais s’était aussi entraînée elle-même physiquement, pour que tous ceux qui s’en prennent à elle y réfléchissent à deux fois avant de réessayer.

Ainsi, le harcèlement dont elle était victime cessa, car c’était désormais elle qui faisait régner la crainte. Et même si elle ne se battait que pour se défendre, elle avait acquis assez rapidement une réputation de délinquante, au comportement qualifié de « déviant » par l’établissement. Elle aurait été expulsée depuis longtemps si Aldo ne versait pas régulièrement des pots de vin à l’Académie. Ce qui, en plus de commencer à les ruiner, confirmait la vision qu’Ilsa avait d’Aldo : il se fichait éperdument d’elle, autrement il aurait su qu’elle ne rêvait que de ça, d’être renvoyée.

Celui lui permettrait de passer plus de temps avec Niles. Niles. La seule bonne chose que cette école pourrie lui ait jamais apportée. En fait, la seule bonne chose que la vie lui ait jamais apportée. Comme tous les élèves de l’Académie Dianthéa, Niles était le fils d’une célébrité. Ou, en tout cas, de quelqu’un d’assez riche pour envoyer son rejeton dans cette prison à ciel ouvert. Il était le fils de Cornélia, ancienne championne d’arène de Kalos, spécialisée dans le type Combat, star du roller mais aussi des Vidéos Dresseur.
Ainsi, malgré leurs différences et leur rencontre pour le moins explosive au sein de l’Académie, ils étaient rapidement devenus proches, grâce à leurs ressemblances. Ils savaient tous les deux ce qu’être élevé dans sa foyer sans affection signifiait, et la nécessité permanente de s’endurcir lorsque l’on a un parent pour qui seule la force, autant mentale que physique, compte. Niles, lui, avait été jeté seul dans un appartement d’Illumis, loin de tout ce qu’il avait connu jusqu’alors, dès que sa mère avait estimé qu’il « était assez grand pour se débrouiller tout seul », toute occupée qu’elle était à sa carrière.

Elle aurait sans doute déjà quitté ce foyer de violence si Niles n’avait pas su lui montrer ce qu’Aldo n’avait jamais voulu lui donner : de l’amour. Niles était, avec Lucha, sa Brutalibré, l’unique lien qui la rattachait encore à ce bas-monde. Enfin… Il y avait bien quelqu’un d’autre dans sa vie. Une personne qu’elle n’avait jamais connue, mais à qui pourtant elle devait la vie. Sa mère.

Elle ignorait tout d’elle. Aldo n’avait jamais voulu lui parler d’elle. « Tu n’as jamais eu de mère, Ilsa. », lui répétait-il sans cesse. En un sens, c’était vrai. Mais cela n’empêchait pas Ilsa d’être rongée par la curiosité. Elle voulait la connaître. Ilsa ne lui en voulait pas d’être partie. Elle souhaitait simplement la rencontrer. Et elle avait appris récemment qu’elle aussi voulait la rencontrer.

C’était il y a quelques soirs de cela. Ilsa était rentrée très tard, comme d’habitude, espérant qu’Aldo serait déjà endormi sur le bar, un — ou des dizaines — verre dans le nez. C’était effectivement le cas, mais les bouteilles étaient bien plus nombreuses que d’ordinaire. Intriguée, Ilsa s’était approchée à pas de Lougaroc. C’était à ce moment qu’elle l’avait vue. Une lettre de sa mère.

Sous le choc, Ilsa s’en était immédiatement emparée pour la lire dans sa chambre. Sa mère avait beaucoup réfléchi pendant toutes ces années. Tout d’abord certaine de son choix, la jeune femme, devenue plus mûre, l’avait amèrement regretté par la suite. Il ne se passait pas un jour sans qu’elle n’y songe. Mais son orgueil mal placé l’avait empêchée de se remettre en question plus tôt.

Elle ne supportait pas l’idée d’avoir pu prendre une mauvaise décision. Mais chaque visage d’enfant lui rappelait la fille qu’elle n’avait jamais connue. Ou plutôt, celle qu’elle avait délibérément refusé de connaître. Elle demandait donc une dernière chance. Elle demandait à rencontrer Ilsa pour Noël. Mais elle n’avait pas employé ces mots. Elle avait écrit « pour son anniversaire ». Car, en effet, Ilsa était née un 25 décembre.

Ilsa n’arrivait pas à y croire. Sa mère existait bel et bien, et elle voulait la rencontrer, elle, sa fille, après tant d’années. La joie qu’elle avait ressentie à ce moment-là était indescriptible. Mais elle s’était effacée aussi vite qu’elle était apparue, lorsqu’Ilsa avait remarqué la date d’envoi de la lettre : cette lettre avait déjà presque un an. Ilsa était restée interdite. Aldo lui cachait cette lettre et cette vérité depuis un an. Cela faisait un an que sa mère avait cherché à renouer le lien avec elle.

Comment Aldo avait-il pu la trahir de la sorte ? Cet événement avait détruit le peu de confiance qu’elle lui accordait encore. Elle ne pourrait jamais lui pardonner. Puis soudain elle avait eu un espoir : peut-être que tout n’était pas perdu. Si le problème était ici, avec Aldo qui tenait à tenir sa mère éloignée d’elle, alors ce serait elle, Ilsa, qui irait à sa rencontre. Elle y songeait depuis qu’elle avait lu la lettre, mais ce qui s’était passé ce soir-même l’avait décidée : il était grand temps qu’elle quitte cette maison sordide pour aller à la rencontre de sa mère.

Mais Ilsa savait que cela ne serait pas aussi simple. Elle ignorait presque tout de cette femme qui était sa mère. Et Aldo gardait bien cachés les souvenirs qu’il avait d’elle. Mais peu importait. Elle avait enfin appris, grâce à la lettre, son prénom. Et Ilsa savait qu’on pouvait trouver n’importe quel renseignement désormais, grâce à la magie de la technologie.

Elle se saisit soudain de son ordinateur portable et de sa paire de lunettes de rechange, qui traînaient sur son lit. Elle mit ces dernières en soupirant : elle ne les aimait vraiment pas. Elles lui donnaient l’air bien trop sérieux. Mais elle devait bien admettre qu’elle y voyait plus clair avec que sans. Assisse sur son lit, elle ouvrit son ordinateur.

Elle avait déjà essayé maintes fois de chercher qui était sa mère sur internet, par l’intermédiaire de son père, mais en vain. Tout ce qu’elle trouvait était en rapport avec son ancien métier de dresseur du Conseil 4 de la région de Kanto, une région assez loin de Kalos. Alors, elle avait fini par abandonner. Ses dernières recherches infructueuses devaient dater d’il y a deux ans.

Ses parents étaient extrêmement secrets et prudents : ils avaient su préserver leur vie privée, à tel point qu’aucun site ne mentionnait l’existence de la fille d’Aldo. Mais désormais, Ilsa connaissait le nom de sa mère. Elle essaya donc de rechercher les deux noms simultanément. Le moteur de recherche lui afficha alors des photographies du Conseil 4 de Kanto tel qu’il était environ vingt ans auparavant. Les originales étaient en noir et blanc, sans doute par choix artistique — celles qu’Ilsa avait vues plusieurs fois lors de ses recherches.

Elle les avait certes regardées quelques fois, sans que jamais rien n’attire son regard, si ce n’est le visage déjà froid et dur de son père. Mais certaines avaient été colorisées depuis le temps. Et cette fois-ci, cela lui sauta aux yeux. Comment avait-elle pu être aveugle à ce point toutes ces années ? Elle avait eu tort de ne pas s’intéresser à la piste du métier de son père tout ce temps. Elle aurait découvert la vérité infiniment plus rapidement si elle l’avait fait. C’était tellement évident qu’elle n’y avait même pas pensé : elle s’était toujours concentrée sur Aldo lui-même.

Elle fixa la photo pendant une éternité. Cette femme dans l’arrière-plan, un peu en retrait, qu’elle n’avait jamais vraiment regardée… Avec sa posture, ses lunettes… Mais surtout, ses cheveux écarlates. Pas de doute possible. Elle était la fille de cette femme. Olga, la glaciale spécialiste du type Glace.

Alors qu’elle s’extasiait devant sa découverte, son téléphone émit un petit bruit pour l’informer qu’elle avait reçu un message. Elle extirpa l’appareil de sa poche et consulta le message. Elle savait déjà de qui il provenait avant même de le lire : « Salut ma petite guerrière ! Alors, t’as réfléchi à ce que tu voulais pour Noël ? Et pour ton anniversaire ? Si t’as qu’une seule idée c’est pas grave, on dira que c’est un “cadeau compte double“ :P »

Ilsa esquissa un sourire en lisant ce message. Niles aimait bien la taquiner. Il faisait même exprès de la titiller, pour essayer de lui faire penser à autre chose que son sinistre environnement. Elle ne le remercierait jamais assez pour cela. Elle répondit sans réfléchir : « Retrouver ma mère. Je sais enfin qui c’est et je vais partir la retrouver. Tu viens avec moi ? ». La réponse se fit à peine attendre : « Il n’y a qu’avec toi que je suis heureux. Le reste, je m’en fous. On part quand tu veux. »

Après avoir lu cet ultime message, Ilsa s’affala sur son lit, les yeux rivés sur le plafond et le cœur débordant d’un sentiment nouveau : l’espoir.

*
— Surtout, rappelle-toi : agis comme n’importe quel autre passager. Sois juste naturelle et tout ira bien.

Ilsa regardait Niles avec inquiétude. Elle essayait de suivre ses conseils, mais elle n’était pas vraiment rassurée : la jouer fine, ce n’était pas vraiment son fort. Pourtant, il le fallait, si elle voulait faire illusion à bord de l’Océane. Elle se dit soudain que son plan n’était peut-être pas si bien que ça, finalement. Elle avait suggéré à Niles qu’ils s’infiltrent sur ce paquebot de luxe pour se rendre à Kanto. En effet, l’Océane faisait chaque année le tour du monde, à Noël, et il devait s’arrêter à Port Tempères le 24 décembre, juste avant de repartir à Kanto pour clore la croisière.

Or Port Tempères se trouvait juste à l’ouest d’Illumis. Niles et elle s’étaient donc longuement préparés, pendant plusieurs jours, avant de se rendre dans la ville portuaire en ce 24 décembre. Une fois face au navire, ils s’étaient envolés grâce à leurs Brutalibré, et avaient profité de l’agitation de l’escale pour se poser discrètement sur le pont, à l’arrière du navire.

L’Océane devait arriver à Kanto le lendemain matin, et dans l’archipel Sevii le lendemain après-midi. L’archipel Sevii au sud de Kanto, était composé de sept îles et Ilsa avait appris de ses recherches qu’Olga, sa mère, était née sur l’île 4 de cet archipel. Elle espérait qu’elle y vivait encore, car elle n’avait rien trouvé de plus. Maintenant qu’elle était réellement sur le pont du bateau de luxe, Ilsa réalisait toute la folie de son acte, d’autant plus qu’elle entraînait Niles là-dedans.

Appuyée contre la rambarde, pensive, Ilsa fixait Kalos qui s’éloignait déjà au loin.

— Et si on ne la trouvait jamais ? On sera livrés à nous-mêmes dans Kanto ! se lamenta-t-elle.

Niles posa alors sa main sur son épaule pour qu’elle se tourne vers lui, puis il la prit doucement dans ses bras et murmura à son oreille :

— Alors, on sera quand même ensemble, et on commencera une nouvelle vie tous les deux, loin de tout ce qui nous faisait souffrir, lui assura-t-il en caressant sa chevelure écarlate.

— Mais…

— Fais-moi confiance. Tout ira bien. Ilsa, je t’…

— Regarde, maman, c’est eux ! C’est les zoizeaux géants ! intervint brusquement une voix suraiguë.

Le jeune couple se figea avant de se retourner vers la voix. C’était celle d’un jeune garçon qui les pointait du doigt. Sa mère le rabroua en lui disant qu’il ne fallait pas embêter les passagers. Mais le gamin insistait :

— Mais c’est vrai, ze les ai vus voler zusque sur le bateau !

Ilsa était paniquée : ils étaient découverts ! D’autant plus qu’un membre de l’équipage, qui passait non loin de là, avait tout entendu, et il fonçait déjà sur eux :

— Madame, Monsieur, puis-voir voir vos tickets s’il vous plaît ? leur demanda-t-il.

Alors qu’Ilsa restait pétrifiée, Niles lui saisit la main et hurla :

— Cours, Ilsa !

— Hé ! Arrêtez-vous ! leur ordonna le membre d’équipage.

Les deux adolescents coururent à en perdre haleine au milieu du paquebot, essayant tant bien mal de semer l’homme qui les poursuivait sans relâche. Ils finirent par arriver aux cabines.

— Qu’est-ce qu’on va faire, Niles ? s’écria Ilsa, pendant qu’ils couraient.

— Pour l’instant, courir ! répliqua-t-il aussi sec, en se tournant vers sa petite amie.

— Attention, Niles, devant toi ! la prévint celle-ci.

Trop tard : le jeune homme percuta de plein fouet, dans l’étroit couloir des cabines, une vieille dame qui passait par là. Les deux tombèrent, et Ilsa, oubliant qu’ils étaient en pleine fuite, les aida à se relever en se cofondant en excuses auprès de la femme :

— Nous sommes vraiment désolés, Madame ! s’excusa Ilsa.

— Oui excusez-nous, vraiment, renchérit Niles, fébrile.

La vieille dame ne répondit rien et les fixa simplement, un léger sourire aux lèvres. Ses pupilles brillaient d’un éclat étrange. Niles ne s’en formalisa pas outre mesure ; il prit Ilsa par le bras et cria :

— Ilsa, il faut qu’on s’en aille, et vite !

— Mais pour aller où ? Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? C’était déjà une pure folie de venir ici… Je suis désolée de t’avoir entraîné là-dedans…Je ne la retrouverai jamais ! explosa-t-elle en sanglotant.

Niles, désemparé — il savait que ce n’était pas dans les habitudes d’Ilsa de pleurer — la prit dans ses bras. Elle ne pouvait plus s’arrêter de pleurer. Il lui semblait que le flot de larmes qu’elle avait retenu depuis toutes ces années se déversait ici et maintenant. Elle savait que son rêve était réduit à néant maintenant. Jamais elle ne retrouverait sa mère.

Le membre d’équipage les rattrapa rapidement. Même si voir une telle scène ne le laissait pas indifférent, il ne pouvait pas délibérément laisser deux passagers clandestins circuler librement sur l’Océane. Il serait renvoyé si le capitaine apprenait cela. Il leur demanda de bien vouloir payer un billet, sinon…

— Sinon quoi ? Vous allez nous jeter à la mer ? Nous, deux adolescents sans le sou ? Ça vous fera une belle pub, ça ! ironisa Niles, qui soutenait toujours Ilsa, qui n’avait pas fini de pleurer.

Elle écoutait la scène sans saisir le sens des paroles qu’elle entendait. Elle était bouleversée.

— Eh bien… Euh…

Le membre d’équipage semblait en proie à la confusion.

— Ce jeune homme a raison, intervint tout à coup une autre voix.

Tout le monde se retourna vers celle qui avait parlé : c’était la vieille dame que Niles avait bousculée. Recourbée sur sa canne, elle possédait pourtant une présence certaine qui impressionnait.

— Vous ne pouvez pas les expulser ainsi, poursuivit-elle. Mais je comprends votre embarras. Permettez-moi donc d’apporter une solution : je vais payer pour ces deux jeunes gens.

Au milieu de la stupéfaction générale, la vieille femme extirpa quelques billets de son portefeuille en demandant à l’homme de « garder pour lui s’il y a trop ». Le membre d’équipage, Pokédollars à la main, fut le premier à briser la glace :

— Eh bien, Madame, votre générosité vous honore. Merci infiniment. Mais cela n’empêche qu’ils ne sont pas à l’abri de faire du grabuge !

— Je prends l’entière responsabilité de ces jeunes gens, affirma-t-elle avec force.

Puis elle frappa de sa canne contre le sol en déclarant :

— Bien ! Puisque cela est réglé, vous pouvez disposer, mon brave.

L’homme s’en alla alors, complètement ébahi. Niles et Ilsa, abasourdis, ne savaient pas comment réagir. Puis ils sortirent de leur torpeur. Ce fut alors un flot ininterrompu de remerciements et de questions en tous genres. Ilsa se remit à pleurer, mais cette fois-ci, ses larmes avaient une autre signification : elles exprimaient à la fois son soulagement, sa joie et sa surprise.

La vieille dame resta d’abord silencieuse face à la stupeur de ses deux nouveaux protégés, les yeux clos et le visage souriant. Puis elle rouvrit les yeux et dit simplement d’une voix douce :

— Ce n’est pas le meilleur endroit pour discuter. Venez avec moi.

Le jeune couple échangea un regard intrigué. Qui était donc cette femme ?

***
— Et donc c’est là que maman a appris que tu étais sa grand-mère ? demanda la petite Isadora, fascinée par l’histoire que lui racontait son arrière-grand-mère, au coin du feu.

Cette dernière, bien qu’extrêmement âgée, adorait raconter des histoires à ses petits-enfants. Mais celle-ci était de loin sa préférée : celle du Noël qui avait réuni sa fille et sa petite-fille à nouveau. Et Isadora, la petite dernière aux couettes écarlates, était celle qui aimait le plus écouter ses histoires.

— Eh oui… Je savais que ma fille avait eu elle-même une fille. Elle avait fini par me l’avouer, après toutes ces années. Elle m’avait aussi confié qu’elle voulait rencontrer cette enfant qu’elle avait honteusement abandonné. Mais sa lettre est restée sans suite.

— À cause du méchant Aldo ! s’écria Isadora, les sourcils froncés.

— Oh, ne le juge pas trop sévèrement… Tout le monde a ses raisons. Il a beaucoup souffert de toute cette histoire.

— Oui, c’est vrai… concéda la fillette. Et ensuite, alors ?

La vieille femme émit un doux rire et poursuivit :

— Eh bien, j’avais appris par Olga où habitaient Aldo et Ilsa, et j’étais déterminée à récupérer la petite. Je savais que c’était l’unique moyen de rendre le sourire à ma fille. Mais quand je suis arrivée là-bas, Ilsa s’était déjà sauvée. Déçue de ne pas avoir pu retrouver ma petite-fille, j’ai pris l’Océane pour rentrer à Kanto… Et c’est finalement elle qui est venue à moi ! plaisanta-t-elle.

— Et c’est comme ça que grand-mère et maman ont pu se retrouver ?

Son arrière-grand-mère hocha la tête et ajouta :

— Ensuite, plus tard, Niles, ton père, et Ilsa, ta mère, se sont mariés. Ton frère Duncan est né, puis toi. Et depuis nous formons une grande et belle famille, qui célèbre à chaque Noël sa réunion.

— En plus de l’anniversaire de maman ! rappela Isadora.

— Ha ha, oui, en plus de l’anniversaire de ta maman. Tiens, je crois que ta mère et ta grand-mère arrivent… prévint-elle son arrière-petite-fille en regardant par la grande baie vitrée qui donnait sur l’extérieur.

Les flocons tombaient dru en ce réveillon de Noël. Et en effet, une rutilante voiture rouge venait de se garer juste devant la maison. Deux femmes en sortirent.

Elles commencèrent tout d’abord à s’avancer vers la maison, quand l’une des deux sembla dire quelque chose, ce qui fit s’arrêter l’autre. Elles restèrent alors un long instant ainsi, à contempler le foyer sous toutes ses coutures. Elles discutaient avec émotion certaine, sans se soucier des flocons scintillants qui se posaient délicatement sur leurs cheveux rouge vif et embuaient leurs lunettes. Puis, le silence. Harmonieux et complice. Et, enfin, une embrassade chaleureuse, où se mêlaient le rubis et l’argenté dans une parfaite osmose.

— N’oublie jamais, Isadora. Les liens du sang sont importants… Mais ils ne sont rien sans les liens du cœur.