Ahi
Le ciel était de couleur argenté et une pluie battante frappait les fenêtres. Le voyage jusqu'à Poivressel durait en moyenne cinq jours, la durée dépendait de l'heure de départ et de la météo malgré le moteur qui faisait avancer le navire.
Maëlle, emmitouflée tel un sushi dans sa couverture, observait la mer depuis la fenêtre de sa cabine. Celle d'Elliot se situait juste à côté de la sienne. Elle se demanda ce que pouvait bien faire le jeune homme en ce moment même. Cela faisait à peu près trois jours qu'ils étaient partis mais il lui semblait que ça faisait bien plus longtemps tant elle s'ennuyait. Maëlle ne savait pas non plus si elle se sentait heureuse ou non ni si elle devrait se sentir heureuse. Peut-être se rapprochait-elle de son frère mais elle s'éloignait de son seul véritable ami.
Elle laissa échapper un soupir tandis qu'une vague vint heurter la coque, secouant un peu le bateau par la même occasion. La jeune femme fit une grimace. Trois jours qu'elle était restée cloîtrée dans sa chambre à rien faire. Elliot ne venait la voir que très rarement, et pas question pour elle de faire le premier pas. Elle ne voulait pas non plus visiter le bateau, à quoi bon, elle n'allait pas y rester beaucoup de temps.
Un bâillement s'échappa de Maëlle qui s'allongea alors dans son lit et fixa le plafond un moment avant de fermer les yeux et de se laisser bercer par les mouvements du bateau. Elle divagua, rêva et se sentit pousser des ailes. De nouveaux paysages défilaient sous ses pieds. Des mots et des sons parvenaient à ses oreilles mais elle ne les écoutait pas. Des odeurs inconnues lui chatouillaient les narines mais elles lui faisaient mal au crâne. Parmi ce bric à brac de sensations qui malmenaient ses cinq sens elle cherchait pourtant un visage familier, un visage qui pourrait l'aider à traverser la tempête et la solitude. Elle en aperçut deux. Tout sembla se calmer d'un coup lorsqu'elle se posa enfin sur une prairie, pieds nus.
Elle reconnut aisément le Major Bob mais l'autre lui apparaissait noir, elle n'arrivait pas à le distinguer vraiment. Pourtant, cette ombre s'était levée aussi à son arrivée.
« Bonjour sœurette, quel bon vent t’amène ? »
Sœurette.... il s'agissait de son frère. Son frère qui lui manquait tant. L'ombre était à peine plus grande qu'elle. Maëlle leva la main vers lui pour le toucher mais elle traversa son corps, comme s'il n'existait pas, qu'il n'était pas réel. Il sourit et ses dents blanches firent contrastent avec le reste du corps.
« Moi aussi j'aimerai bien te revoir. »
Tout à coup, la silhouette de l'homme s'évapora. L'herbe s'envola à cause d'une violente bourrasque. Le ciel devint ténébreux. Maëlle se trouvait désormais dans un endroit semblable au Néant. Une masse rouge se dessina petit à petit face à elle. Les contours restaient incertains mais elle reconnut un Pokémon. Ce Pokémon. Celui qu'elle redoutait tant.
La créature poussa un horrible cri qui perça les tympans de la jeune femme. Pourtant, elle ne fit aucun mouvement. Elle l'observait, paralysée par la peur. Ce Pokémon aurait-il fait du mal à son frère ? Il n'arrêtait pas de vanter ses mérites, comment et pourquoi ce monstre s'en serait alors prit à lui ?
Un rire effrayant brisa le silence qui s'installait. La jeune femme devina une autre forme aux côtés du Pokémon. Cette autre forme l'appelait.
« Maëlle. »
Elle l'entendit plusieurs fois avant d'ouvrir les yeux, les pieds sous son coussin alors que la lampe de chevet était éparpillée en mille morceaux sur le sol. Elliot avait une main posée sur son épaule. Elle sentit également que des larmes roulaient sur ses joues.
« Maëlle, tout va bien ? »
La concernée se redressa d'un geste lent et s'assit sur son lit en ramenant ses genoux sous son menton.
« Pourquoi tu t'inquiètes ? finit-elle par lâcher d'un ton sec.
-Je te l'ai déjà dis, tu es très importante à mes yeux et pour rien au monde je ne voudrais te perdre. »
Mais il n'était pas amoureux.
« Et puis, ajouta le jeune homme, je t'ai entendue donner des coups dans le mur ainsi que la lampe se briser. J'ai toqué plusieurs fois et quand je suis enfin entré je t'ai trouvée à moitié somnambule en train de pleurer. »
Pourtant, il ne lui semblait pas avoir autant bougé dans son rêve, bien au contraire. D'ailleurs, que signifiait ce rêve exactement ? Elle y avait aperçu la silhouette de son frère. Maëlle ferma les yeux pour tenter de se souvenir du moindre moment passé en sa compagnie et pour avoir une image plus nette de lui.
« C'est Maëlle ! Elle est tombée dans le lac et....on n'a pas trop compris comment elle a réussi à remonter à la surface.. »
Elle était allongée dans l'herbe. Ce jour-là, c'était donc elle qui avait chuté dans le lac ? La forme noire qui représentait son frère s'était approchée. Il posa une main sur son front.
« J'ai l'impression qu'elle va très bien.... et arrêtez de jouer avec ses cheveux.
-Mais on y est pour rien ! Quand on l'a trouvé, ils étaient déjà comme ça... » expliqua Elliot.
Elle s'en souvint maintenant. Avant d'avoir les cheveux roses, ceux-ci étaient rougeoyants comme la braise. Une caractéristique familiale. Avant, elle ressemblait beaucoup à son frère. Le troisième enfant fit un pas vers le petit groupe.
« Je sens qu'autre chose à changé chez elle... Maëlle me paraît...différente, comme si elle n'était plus tout à fait la même. Il s'est passé quoi là-dessous ? »
Elle n'eut pas le temps de répondre qu'elle n'en avait aucune idée que le souvenir s'arrêta. En ouvrant les yeux, elle se rendit compte que la nuit était tombée. La lueur de la Lune traversait la fenêtre. La pluie avait cessé de marteler les vitres. La jeune femme semblait être restée plus longtemps que prévu dans ses bribes de souvenirs. Le jeune homme qui l'accompagnait n'était plus là. Il était sûrement retourné vaquer à ses occupations.
Maëlle se leva et, pour la première fois depuis le début du voyage, posa un pied hors de sa cabine. Les couloirs déserts lui apparaissaient plus grands que lors de sa première visite à son arrivée sur le navire. Elle essaya de faire le moins de bruit possible tandis que ses pas la menaient dehors, sur le pont. Même si on pouvait voir la Lune, des nuages cachaient une grande partie du ciel nocturne. Quelques Pokémon aquatiques jouaient dans l'eau. La jeune femme s'approcha de la rambarde et contempla l'étendue bleue. Elle ne fit rien en entendant quelque chose s'approcher dans son dos.
« Toi non plus tu n'arrives pas à dormir ? » lança-t-elle, pensant que c'était Elliot. Le manque de réponse l'interloqua et elle tourna la tête pour apercevoir un Évoli. Celui-ci la fixait et semblait vouloir lui demander quelque chose. Il agrippa ses vêtements de ses petites dents et l'attira bon gré malgré à l'intérieur, jusque dans la salle des machines. C'est à ce moment-là qu'elle se rendit compte que le petit Pokémon possédait un foulard avec un étrange symbole rouge et jaune dessus.
Le Évoli entraîna Maëlle vers une caisse solidement fermée. Elle essaya donc, en vain, de l'ouvrir. C'est alors qu'elle entendit des voix accompagnées de bruits de pas qui se rapprochaient. La jeune femme sauta dans un coin de la pièce pour se cacher. Deux hommes, avec le même symbole étrange que le petit Pokémon cousus sur leurs vêtements, débarquèrent dans la salle des machines. L'un d'eux tapota la tête du Évoli.
« Alors Ahi, tu t'es bien assuré que personne n'était venu, hm? »
Le Pokémon opina du chef en riant.
« Bien bien bien.... lâcha l'homme en rouge avant de se tourner vers sa camarade en gris. Récapitulons viteuf. On arrive à Poivressel avec 'tu-sais-quoi', on r'trouve le boss et là BADABOUM ! Bye-bye le Musée Océanographique ! »
Sa compagne sourit et fit un geste affirmatif de la tête. Quant à Maëlle, elle se mordit les lèvres pour ne pas trahir sa présence et se retenir de parler. Elle comprit vite que ces deux-là étaient de drôles d'oiseaux et de mauvaise augure accessoirement. Un Démolosse arriva peu après pour venir se frotter aux jambes de sa Dresseuse avant de renifler l'air et, par la même occasion, l'odeur de Maëlle.
« Que se passe-t-il Cerbère ? Tu as senti quelque chose ? » demanda la Dresseuse d'une voix mielleuse. Maëlle sentit les battements de son cœur accélérer alors que de la sueur commençait à perler sur son front. Non, elle devait se retenir et garder son calme, ces bêtes-là sentent la peur. Ahi s'élança alors dans les pattes de Cerbère et fit mine de vouloir jouer avec lui, ce qui eut pour effet de faire soupirer l'homme en rouge. Les deux Dresseurs rentrèrent les Pokémon dans leurs balls respectives parce que le bateau allait bientôt arriver à bon port.
Maëlle attendit encore cinq minutes après leur départ avant de s'éclipser en douce jusqu'à sa chambre. Si ces gens comptaient vraiment faire exploser un bâtiment, la caisse qu'elle avait vue contenait sûrement des explosifs. Elle frissonna à cette idée. Elle devait aller en parler à quelqu'un mais qui la prendrait au sérieux ? La jeune femme se laissa choir sur le lit et ferma les yeux en soupirant. Elle-même n'était pas bien sûr de ce qu'elle avait vu. Elle tomba dans les bras de Morphée sans s'en rendre compte.
Elliot tapotait le pont du navire du pied d'un geste rapide. Il attendait son amie mais celle-ci ne venait pas. Cela devait bien faire dix minutes qu'ils étaient arrivés et malgré les sifflements du navire, elle semblait ne s'être toujours pas réveillée. Il se dirigea vers sa chambre et l'ouvrit d'un coup.
« Debout Maëlle, nous sommes arrivés ! »
L'intéressée grommela, se frotta les yeux et se redressa.
« Oh...Ell...Elliot ! il...il faut que je te dise quelque chose !
-Oui bah plus tard, je te signale qu'on est arrivé donc dépêche-toi de récupérer tes affaires et on y va. »
Il sortit de la pièce en claquant la porte, ce qui la fit sursauter. Encore vingt minutes s'écoulèrent avant qu'elle ne pose enfin le pied sur le quai du port de Poivressel.