An 3
An 3
« Pow pow pow ! Qui c’est l’papa ? » s’écria Clémence en repoussant joyeusement les portes de l’arène d’Azuria, le badge Cascade accroché à son t-shirt.
Quelques badauds tournèrent la tête vers la jeune dresseuse avant de reprendre le paisible train-train de leur vie quotidienne. Malgré le manque d’enthousiasme flagrant de la populace locale, Clémence ne put s’empêcher d’esquisser quelques petits pas de danse. Si on connaissait un tant soit peu la jeune fille, on pouvait aisément deviner la raison de son irrépressible joie et le besoin de la communiquer au monde extérieur. En obtenant son 6ème badge, elle venait de faire un pas de plus en direction de son rêve : devenir Maître Pokémon de la Ligue Indigo.
Tout en sautillant gaiement, ses lèvres sifflotaient le refrain de Oh ! Praise The Helix !, sa chanson préférée. Grâce à Phyllali elle n’avait fait qu’une bouchée de la championne d’arène et le prochain sur la liste : Pierre d’Argenta n’avait qu’à bien se tenir. Si ses combats continuaient à n’être que des formalités elle allait finir par devancer sa copine, Laureline, qui, aux dernières nouvelles, n’avait pas encore gagné son 7ème badge.
Toutefois, il ne fallait pas vendre la peau du Chelours avant de l’avoir tué. Car le chemin vers Argenta était long et réputé difficile. Le Mont Sélénite qui séparait les Routes 3 et 4 était un point particulièrement sensible. Le plus dur serait d’affronter la tonne de Nosferapti qui attaquait sans relâche les dresseurs inexpérimentés. Avec tous ces Pokémon Exotiques qui se pressaient à la limite de leur territoire, les habitants de la grotte étaient bien plus agités qu’auparavant. La rumeur voulait qu’on ne puisse pas faire plus de 10 pas sans littéralement marcher sur un Racaillou mécontent.
Heureusement, cela n’inquiétait pas outre mesure Clémence qui saurait certainement se débrouiller sans être trop ennuyée. Du moins en théorie. Car à peine était-elle arrivée en vue de la célèbre grotte que trois ombres surgirent soudain des fourrés et l’encerclèrent d’un air menaçant. La jeune femme porta la main à sa ceinture, là où pendaient les 6 Pokéballs de son équipe. Puis elle remarqua le brassard que les trois lugubres personnages portaient au bras.
« Unité volante des douanes rattachée à la Milice, mademoiselle. Vos papiers, s’il vous plaît. » lui ordonna le plus grand des trois.
D’une main légèrement tremblante, Clémence tendit à l’homme sa Carte Dresseur qui l’homologuait au registre des éleveurs de Pokémon de Kanto. Les deux autres douaniers restèrent silencieux, légèrement en retrait mais leur arme de fonction bien visible sur le flanc ainsi que toute une rangée de Pokéballs marquées du logo du Front des Pokémon.
Clémence n’avait a priori rien à se reprocher. Elle avait juste été surprise par la manière et l’attitude dont on l’avait abordée. Elle ne risquait rien, évidemment. Elle suivait les règles fixées par le gouvernement et se tenait éloignée de toute activité suspecte. Elle ne ferait rien qui compromettrait ses chances de participer à la Ligue. Tout allait bien, oui. Tout allait bien…
L’homme en noir inséra la Carte Dresseur dans une machine portative qui émit toute une série de bip. Soudain, il leva ses yeux, deux billes grises aussi perçantes que des balles, et sembla fusiller Clémence du regard. « T… Tout va bien. » La petite voix rassurante dans la tête de la dresseuse se faisait de plus en plus lointaine.
« Bon, ça m’a l’air en ordre. » maugréa enfin le douanier après ce qui parut la plus longue minute de sa vie à la jeune fille.
Tout le monde se détendit. Visiblement soulagée mais le visage toujours blême, Clémence récupéra sa Carte.
« Vous comprenez, mademoiselle, ce n’est pas contre vous, continua l’homme en la lui tendant. Depuis quelques temps des petits malins essayent de contourner les postes frontières en passant par les tunnels. Ces foutus dresseurs étrangers n’ont aucun respect pour nos lois et essayent de faire passer en douce leurs sales Pokémon Exotiques sans les faire enregistrer dans le registre des Entrées/Sorties.
- P… Pourquoi font-ils ça ? » parvint à articuler Clémence qui ignorait que les dresseurs des autres régions devaient d’abord s’enregistrer avant de pouvoir passer la frontière.
L’homme haussa les épaules.
« Savoir, ce n’est pas mon boulot. »
***
Une quinzaine de jours plus tard, Clémence émergea enfin des tréfonds obscurs du Mont Sélénite. Accueillie par le soleil à son zénith, elle mit sa main en visière pour contempler le paysage champêtre qui se déroulait devant elle à perte de vue.
« Fiou ! Ce n’est pas trop tôt hein, Phyl ?
- Phyllaaaa ! » lui répondit le Pokémon plante en se frottant contre la jambe de sa dresseuse.
La caverne avait été plus éprouvante pour elle que pour lui car, s’il s’était occupé des nombreux Pokémon sauvages qui les avaient attaqués sans arrêt, la jeune fille avait dû, à ce qui lui semblait, faire jouer tous les muscles de son corps. Ça avait commencé par simplement monter et descendre plusieurs séries d’escaliers ou d’échelles mais, à mesure qu’elle s’enfonçait dans les boyaux pierreux, il avait fallu escalader des excroissances rocheuses ou longer des ravines sombres qui promettaient une longue et douloureuse chute aux imprudents. Et cela avec pour tout équipement qu’une simple lampe frontale et une poignée de Repousses Max Plus Ultra qui avaient rapidement montré leur limite quand un tourbillon de Nosferapti fou furieux avait poursuivi la dresseuse apeurée.
La jeune fille ne fut donc pas fâchée d’apercevoir un Centre Pokémon à une centaine de mètres de là. Elle zieuta néanmoins autour d’elle pour vérifier que des ombres inquiétantes ne se dissimulaient pas derrière un arbre ou un bosquet pour la surprendre à nouveau. Comme le chemin paraissait dégagé, elle s’y rendit sans s’attarder.
« Bonjour, salua-t-elle l’homme en blouse qui se tenait derrière le comptoir. Je voudrais soigner mon équipe Pokémon. »
D’une quarantaine d’années avec de grosses lunettes rondes et une ceinture parvenant avec peine à contenir son ventre proéminent, l’homme acquiesça en posant les 6 Pokéballs de la dresseuse sur la machine de diagnostic automatisé.
Comme à son habitude, Clémence en profita pour sortir un billet de 60 de son sac et le lui tendit. Elle le vit froncer les sourcils alors qu’il regardait les analyses s’afficher sur son écran.
« Désolé mais ça fera 1.050 ₽, mademoiselle.
- 1.050 ??? s’écria la jeune fille médusée. Mais j’en ai toujours payé 60 pour 6 Pokémon…
- Je comprends, fit le réceptionniste en pianotant sur son ordinateur sans la regarder. Mais d’après ce que je vois là, vous avez un Phyllali dans votre équipe. Les soins pour les Pokémon non originaires de Kanto ne sont plus subventionnés par l’Etat.
- Quoi ? Mais ça ne correspond même pas au reliquat du tiers payant. C’est délirant ce tarif ! » se défendit une Clémence scandalisée.
L’homme haussa les épaules.
« Maintenant il y a une taxe sur les Pokémon Exotiques détenus par les dresseurs. C’est pour vous encourager à privilégier les Pokémon de notre belle région, vous comprenez ?
- Mais il n’a rien d’exotique ! Phyllali est un Pokémon originaire de Kanto. C’est le Professeur Chen qui me l’a donné quand ce n’était encore qu’un Evoli ! »
Le réceptionniste pencha la tête sur le côté, l’air amusé.
« Vous n’êtes pas au courant ? On n’arrête pas d’en parler sur FronTV. »
Du doigt le bonhomme pointa le téléviseur accroché à un pylône au-dessus de la salle d’attente. Une sueur froide roula le long du dos de la dresseuse.
« Le Professeur Samuel Chen a été appréhendé ce matin. »
Elle sentit sa mâchoire se détacher à mesure qu’elle regardait les images défiler sur l’écran. On y voyait des hommes vêtus de costumes sombres qui escortaient un professeur hagard, les mains menottées dans son dos. Sous les images défilait un texte indiquant : « LE PROFESSEUR CHEN PROFITAIT DE SON STATUT PRIVILÉGIÉ POUR INTRODUIRE ILLÉGALEMENT DES POKÉMON EXOTIQUES À KANTO. IL EST SOUPÇONNÉ D’AVOIR DISTRIBUÉ DES POKÉMON NON AUTORISÉS AUX DRESSEURS DONT IL AVAIT LA CHARGE. »
Le sol sembla se dérober sous ses pieds. C’était insensé. Comment pouvait-on penser que le très respecté Professeur Chen avait pu avoir la main dans un tel trafic ? C’était un malentendu, forcément. Le cœur au bord des lèvres, Clémence se retourna vers l’employé du Centre Pokémon.
« Écoutez, l’implora-t-elle. Je comprends que vous puissiez avoir des doutes mais je vous garantis que tous mes Pokémon sont originaires de Kanto et n’ont jamais mis ne serait-ce que le bout du museau hors de la région depuis que je m’occupe d’eux.
- Je ne fais qu’appliquer la loi, s’entendit-elle répondre. (Cette fois il lui désigna une grande affiche sur le panneau des annonces.) Là-bas vous avez la liste des Pokémon homologués. Si votre Pokémon ne figure pas au registre du Pokédex Régional je ne peux pas le prendre en charge sans appliquer de taxe. »
Clémence s’approcha du tableau sur lequel étaient affichées de petites vignettes représentant des Pokémon, leur nom était inscrit en dessous de chaque image. Parmi elles on pouvait voir : Aquali, Voltali et… Pyroli. Tout comme trois autres des évolutions du petit Pokémon à fourrure, Phyllali ne figurait nulle part sur le graphique.
Ce n’était pas juste. Cela revenait à interdire d’avoir certains Pokémon même s’ils étaient nés et élevés à Kanto ! Certes elle avait eu recours à un objet qui ne se trouvait pas à l’état naturel dans la région, mais cela n’était pas prohibé à ce qu’elle en savait.
Un désespoir profond s’empara de la dresseuse impuissante. Qu’aurait-elle pu faire, d’ailleurs ? Le Front des Pokémon avait été élu sur la base de leurs promesses d’endiguer le flot tumultueux de Pokémon Exotiques qui menaçait l’écosystème de Kanto et de redonner aux Pokémon de la région la place qui leur revenait. Mais cela dépassait complètement les bornes. La population n’allait quand même pas accepter ça, si ?
« Alors, ce Pokémon Exotique ? appela l’homme de derrière son comptoir. Je vous le mets à part, ou vous désirez quand même le soigner ? »
Le cœur de Clémence se serra un instant.
« À part, s’il vous plaît. »