Etape 2 : Un voile tenace
Pierre s’était levé plus tôt que la veille, déterminé.
Il n’était pas sûr d’où lui revenait cette soudaine force (probablement la présence d’Ondine) mais il comptait bien s’en servir avant qu’elle ne s’estompe. Pierre était persuadé qu’à six heures et demi, personne d’autre ne serait debout mais il sentait bien l’odeur du café depuis un quart d’heure. Il connaissait bien le Professeur Chen. Il ne pouvait pas être si matinal.
« Bonjour, Pierre.
- Salut, Ondine. Comment te sens-tu ?
- J’ai connu mieux. Ce ne sont pas les meilleurs matelas chez le professeur… bon d’accord, avoua-t-elle voyant que Pierre comprenait qu’elle mentait. J’ai pensé à Sacha et à Pikachu toute la nuit.
- J’étais dans le même état que toi, hier.
- Je n’aimerais pas être à leurs places. Ils sont tellement proches. Que pouvons-nous faire ? demanda-t-elle, confuse.
- Je sais que nous ne pouvons pas laisser Sacha perdre espoir, ni Pikachu. Nous devons convaincre Pikachu, coûte que coûte !
- Oui, Pierre ! Tu as raison. »
Les deux amis finissaient leurs petits déjeuner et se dirigeaient vers le Centre Pokémon. En discutant avec l’Infirmière Joëlle, ils évoquaient de nouveau la santé de Pikachu que Sacha avait déjà ouvertement discutée avec ces deux anciens compagnons de route. Ils en apprenaient pas plus mais voulaient confirmer ce que Sacha avait bien compris.
« Il suffirait donc que Pikachu accepte de rester au Centre Pokémon, c’est bien ça ? répéta Ondine.
- C’est exact. Nous aurons un œil sur lui systématiquement et ça lui éviterait des efforts inutiles que ce soit physiques ou émotionnels. »
Pierre réfléchissait. Perdu dans ses pensées comme si c’était une mauvaise solution et qu’il fallait trouver autre chose dans le cas où ça n’aurait pas suffi . Voyant Ondine, confiante à ce sujet, il ne voulait pas lui imposer ce doute qui risquait de la faire pleurer. Et aujourd’hui, il fallait tout sauf pleurer ! Il fallait se serrer les coudes, se motiver et surtout, aider Sacha. A l’inverse, Sacha ne les aurait pas laissé tomber, c’était un fait. Ils se devaient d’être à la hauteur. Il savait pourtant qu’il devait donner toutes les informations à Ondine pour qu’elle puisse comprendre la suite des événements :
« Ecoute, Ondine. J’ai réfléchi à un truc. Je peux te laisser convaincre Pikachu seule ? Avant que tu paniques, laisse-moi t’expliquer. Tu sais que je suis Docteur, n’est-ce pas ?
- Oui et bien ? demanda-t-elle en appréhendant la suite.
- Je dois être honnête avec toi, Pikachu, il…
- Il, quoi, Pierre ?
- Il n’est pas malade.
- Oh, mais c’est une très bonne nouvelle ! De toute façon, ce n’est pas comme si l’Infirmière Joëlle en avait parlé. Ça ne devrait pas être une si grosse surprise ! se moqua-t-elle d’elle-même.
- Tu ne comprends pas, Ondine, dit-il calmement. Si Pikachu n’est pas malade, c’est qu’il n’y a rien à faire. Ce que j’essaie de te dire c’est que je le savais… mais je n’ai pas réussi à l’avouer à Sacha.
- Et quoi ? Tu me le dis pour que je puisse le dire à Sacha ? s’emporta-t-elle, indigné du comportement du Docteur Pokémon qu’il était devenu.
- Ce n’est pas si simple, Ondine. Si je pouvais le lui dire purement et simplement, ça serait déjà fait. Comment j’étais censé réagir comme ça, hein ? J’ai un cœur, moi aussi !
- Qu’est-ce que tu insinues ? Que je n’en ai pas ?
- Je n’ai rien de tel. Bon, laisse tomber. Je voulais t’en informer pour que tu aies toutes les cartes en mains. Je ne voulais pas que tu le prennes comme ça !
- Tu veux que je le prenne comment, Pierre ? Tu es docteur, tu ne me dis que tu n’as pas la force de le dire à ton meilleur ami. Je suis au courant, maintenant. Qu’est-ce que je dois faire de cette information ? »
Ondine et Pierre se fixèrent, estomaqués. Ils réalisèrent que c’était leur première vraie dispute. Ils n’avaient jamais eu l’occasion puisque toutes les histoires et les redressements de comportement concernaient surtout Sacha. Les seules fois où Ondine intervenait contre lui c’était son béguin pour les filles… Soudain, elle y repensait. Elle aurait préféré que ce soit pour une raison aussi ridicule et presque amusante que cette situation où elle se devait être responsable. Elle avait mûri, certes mais des situations comme celle-ci, elle ignorait s’il y avait un bon comportement à adopter. Lorsque Togekiss avait dû se séparer d’elle, elle savait que c’était un adieu même si c’était pour le meilleur. Elle avait beaucoup souffert. Elle n’osait même pas imaginer ce que Sacha devait endurer actuellement… et depuis combien de temps déjà ? Que va-t-il lui arriver après ?
Chacun soufflait un bon coup. Chacun savait que la situation allait être éprouvante mais ils avaient aussi décidé qu’ils ne se laisseraient pas submerger par leurs émotions alors que Sacha faisait tout pour rester optimiste.
« Ecoute, Pierre. Je te propose ça : je vais voir Pikachu et le convaincre de séjourner au Centre Pokémon pendant que toi, tu parcourras Kanto pour trouver un remède miracle.
- Miracle ? Mais, Ondine, c’est absurde, je ne pense pas…
- Pierre. On doit continuer à y croire ! s’imposa-t-elle, tremblante. Sacha et Pikachu doivent pouvoir compter sur nous. Si on doit leur mentir, dit-elle tristement, faisons ça jusqu’au bout. »
Soudain, Pierre venait de comprendre. Ondine voulait gagner du temps. Personne ne savait combien de temps cela offrait aux deux meilleurs amis du monde, mais ne pas perdre espoir jusqu’à la fin, c’était ce message qu’il devait avoir. Pierre semblait revigoré de nouveau et posa les bras sur Ondine, larmoyante. Elle sécha ses larmes et respira pronfondément. Si cela ne tenait qu’à elle, elle aurait continué à pleurer. Si elle voulait une belle fin, elle devait se montrer forte. D’un regard entendu, les deux amis se juraient d’aller jusqu’au bout.
Il était encore tôt, Ondine et Pierre préféraient traîner près de la plage. Ondine, friande des Pokémon Eau était surprise de découvrir un coin de pêche, loin du port, loin des eaux croupies. Depuis le combat qu’elle menait à Azuria, elle se sentait missionner de servir de porte-parole de Kanto pour freiner la surconsommation des produits toxiques envers les Pokémon et en particulier ceux de l’eau. Lorsqu’elle avait appris que Kanto devenait de plus en plus industriel, surtout Bourg Palette qui avait basculé de rural à urbain en l’espace de moins de vingt ans, elle ne pouvait pas garder les yeux fermés. En y regardant de plus près, Bourg Palette qui était devenue une très belle ville avec un charme des régions touristiques, elle oubliait un peu son côté militant et prenait plaisir à venir à Bourg Palette de temps en temps. Contribuer au commerce, c’était aussi un moyen de permettre aux investisseurs de mettre plus d’argent sur l’écosystème tout en préservant voire développant leurs entreprises. Ondine admettait que c’était une rêveuse. Elle avait une ambition dévorante et acceptait la naïveté qu’elle démontrait. Elle était lasse d’un monde où tout le monde se méfiait de tout. Ce monde ne pouvait pas être faits de conspirations. La Team Rocket se suffisait à elle-même pour ça ! Elle oublia un instant ce monde et surtout ces trois-là pour passer du bon temps au soleil.
Ondine et Pierre savaient que ce moment sur la plage était un mot de grâce. Ce court moment allait leur fournir la volonté nécessaire pour affronter les combats à venir. Ils riaient comme ils le pouvaient en se remémorant de ce qu’ils avaient vécu ensemble. Ils finirent par plaisanter sur leurs combats contre Sacha : autant Sacha avait l’avantage contre Ondine si Pikachu avait effectivement décidé de se battre contre Ondine, autant Pierre n’aurait jamais dû installer des détecteurs de fumée. Le dessin animé en remettait une couche en représentant fidèlement ce qui s’était passé ! Pour préserver leurs intégrités, tous deux rirent aussi fort que possible. Ils leur restaient encore du temps et en parlant de combat, tous deux s’enflammèrent et s’éloignèrent sur un terrain de combat.
« Ils ont vraiment pensé à tout ! On peut même demander un arbitre ! admira-t-elle.
- Tu n’as encore rien vu. Un système de choix de terrain a été implanté en payant onze mille Pokédollars !
- Onze mille Pokédollars ! Où veulent-ils qu’on sorte une somme régulièrement ?
- C’est-à-dire qu’il faut reconstruire les roches éclatées, remplir l’aquarium d’eau. Ils vont jusqu’à embaucher des Pokémon comme Morphéo pour créer des intempéries !
- C’est affreux de leur faire subir ça ! s’indigna Ondine.
- Ne t’en fais pas, ils sont tous suivis régulièrement par l’Infirmière Joëlle et le Professeur Chen. Les Pokémon sont très bien payés. Les Toiletteurs en prennent grand soin ! Ah, voilà l’arbitre, présenta-t-il.
- Bon, les choses sérieuses commencent ! Tu es sûr que tu n’as pas besoin de récupérer d’autres Pokémon ? demanda-t-elle avec assurance.
- Ne t’en fais pas pour moi ! rétorqua-t-il en sortant une Pokéball.
- Ce sera un match à deux Pokémon, annonça l’arbitre. Un Pokémon rappelé n’a plus le droit de revenir sur le terrain. C’est…
- Hé, les amis !
- Oh, oh. Ondine, va falloir remettre ça.
- Oh, ce n’est pas vrai ! Sacha est déjà debout ?
- Excusez-moi, monsieur Ketchum. Vos amis sont en plein match. Pourriez patienter sur le côté !
- Oh. Très bien, je prends le gagnant !
- A vrai dire, Sacha. Je te laisse ma place. Je voulais tenir compagnie à Ondine parce qu’elle voulait absolument venir à la plage.
- Hé ! protesta-t-elle
- Mais maintenant que tu es là, faut que je retourne à Argenta rapidement, finit-il. Ma sœur m’a contacté ce matin.
- Tu ne me l’as pas… »
Pierre appuya le regard et elle s’était retenue à temps pour ne rien de plus. Elle sourit bêtement et fit diversion en proposant à Sacha de se dépêcher de le remplacer sans quoi il aurait déclaré forfait ! Sacha n’aimait pas perdre alors perdre par abandon était encore moins envisageable.
Pierre partit prendre la voiture chez le Professeur Chen après avoir encouragé les deux dresseurs. Il avait entendu Ondine se plaindre que si Sacha choisissait Pikachu, cela aurait voulu dire qu’il ne maîtrisait aucun autre Pokémon. Tout comme le dresseur de dix ans qu’il avait rencontré deux jour avant, Sacha avait couru droit dans le piège que Pierre avait félicité discrètement. Lorsqu’il quitta enfin Bourg Palette, il soupira. Il ne savait pas où aller. Même si cette situation lui permettait d’échapper à la réalité, il aurait voulu que ce voyage ne soit pas vain. Cette escapade ne pouvait pas faire plus que ce que n’avait déjà fait Sacha : il avait même tenté de trouver des Pokémon Légendaires ! Que pouvait-il faire de plus que d’errer de ville en ville et jusqu’à quelle destination ? Soudain, Pierre se souvint que Sacha n’avait pas évoqué Mewtwo. Bien qu’il ignore ce que Mewtwo était réellement capable, c’était un Pokémon Légendaire qui devait pouvoir faire quelque chose ! Il ne se rappelait plus où se situait cette île mais il comptait bien la retrouver.
En arrivant à Argenta, il avait prévu de faire un détour pour dire bonjour à sa famille. Après ce qu’il venait de vivre, il pensait que s’il attendait le dernier moment pour profiter de sa famille, cela aurait été trop tard. Il saisissait alors cette occasion pour honorer son mensonge et une fois près d’eux, il serra ses frères et sœurs dans ses bras pour leur dire combien il les aimait.
« Tu es sûr que tout va bien, Pierre ? s’inquiéta Forrest.
- Oui, tu n’as pas l’air dans ton assiette, approuva Cindy.
- C’est… délicat. Je ne pense pas que ça sera simple. Ne vous en faites pas, rassura-t-il après une courte pause, j’avais juste besoin de vous dire à tous combien vous comptiez tous pour moi ! Sachez que je suis tous fier de vous, surtout toi, Forrest et Cindy.
- D’ailleurs, Pierre, interpella Cindy, nous avons trouvé un compromis.
- Oui, nous avons décidé de faire de l’arène d’Argenta la seule arène de combat duo de la région Kanto !
- Nous aimons tous les deux remettre le Badge Roche que mérite le dresseur, expliqua Cindy, et décider de qui va pouvoir disputer le match nous ennuie un peu.
- Un combat duo ? Comment les jeunes dresseurs vont s’en sortir ? demanda Pierre. Vous savez, j’ai dû soigner un Pokémon du dresseur de Herbizarre il y a deux jours et il n’avait pas l’air d’avoir suffisamment d’expérience pour un combat duo.
- Hi hi, c’est vrai, s’en souvint-elle en riant. C’est pourquoi nous aimerions te présenter le nouveau champion d’arène pour les dresseurs juniors : Tommy.
- Ça va pas faire un peu beaucoup de champions dans une seule et même arène ? demanda Pierre perplexe.
- Tu crois qu’on devrait proposer un combat trio ? demanda Cindy.
- Mais non, idiote, Pierre vient de dire que les combats duos étaient déjà trop durs pour les débutants.
- Tu m’as traitée de quoi ? cria-t-elle.
- Non, non, vous savez quoi, dit Pierre effrayé, c’est une bonne idée. Restons sur un combat duo et un combat solo pour les dresseurs moins expérimentés. Après tout, cette arène a beaucoup évolué depuis mon départ. Ça sera un peu confus au début mais ça devrait bien se passer. Félicitations, Tommy ! »
Ce moment de tumulte lui fit oublier momentanément ce pourquoi il avait quitté Bourg Palette. Après avoir donné sa bénédiction à Tommy et à ses deux Pokémon Nostenfer et Forretress, il pensait partir pour Azuria, en espérant trouver une trace de Mewtwo dans la fameuse Caverne Azurée où beaucoup de dresseurs aimaient spéculer dessus. Il finit par se rappeler qu’il avait rencontré Mewtwo pour la première fois près du Mont Quena à Johto. S’il devait faire l’aller-retour, il risquait de prendre au moins deux jours. Pouvait-il vraiment s’absenter aussi longtemps ? Ondine allait-elle s’en sortir ? Peu lui importait. S’il revenait les mains vides, il allait en décevoir plus d’un. Il passa la première vitesse comme s’il conduisait une voiture de course et partit à vive allure. Il devait se rendre à Safrania au plus vite. S’il avait eu l’idée plus tôt, il aurait pu s’y rendre aux aurores voire la veille. C’étaient censés être des jours de congés mais Pierre avait l’impression de devoir intervenir comme s’il était urgentiste, une réflexion qui mûrissait doucement pendant sa course. Après tout, qu’est-ce qui rendait un Docteur Pokémon efficace ? Qu’on vienne à lui ou qu’il puisse se rendre sur les lieux le plus rapidement possible pour appliquer les premiers soins ? Une idée qu’il envisageait à présent.
Perdu dans ses pensées, il n’avait pas entendu que quelqu’un tentait de l’interpeler. Alors qu’il allait quitter Argenta, il remarqua une fille lui faire signe. Il freina et survira accidentellement.
« Waouh, Pierre, je ne savais pas que tu savais drifter ! C’est impressionnant !
- Euh, oui, ha ha, merci. On se connaît ?
- Je devrais me vexer vu que tu te rappelles de toutes les jolies filles ! J’imagine que ne plus avoir les cheveux verts n’aide pas, s’amusa-t-elle. Peut-être que lui va t’aider, dit-elle en montrant Métamorph.
- Oh, bien sûr, j’y suis : Duplica. C’est dingue, que fais-tu dans les parages ?
- J’accompagne le Professeur Chen à Bourg Palette pour lui montrer une grande découverte apparemment.
- Le Professeur Chen, répéta Pierre. Il n’était pas réveillé quand je suis parti de Bourg Palette ce …
- Bonjour, Pierre ! salua une voix masculine qui venait de l’autre côté. Ou devrais-je dire, Docteur Pierre !
- Régis ! Ah mais oui bien sûr, tu es le Professeur Chen que Duplica venait d’évoquer.
- Je devrais peut-être utiliser « junior » pour qu’on ne nous confonde pas mais je dois avouer que ça a une certaine classe qu’on puisse m’identifier à lui.
- Docteur Pierre, je croyais que tu voulais devenir éleveur ? interrogea Duplica.
- C’est une longue histoire. J’ai obtenu mon titre il y a tout juste deux ans. »
Pierre avait l’impression de perdre son temps. Il était ravi de revoir Duplica mais le temps lui manquait et le moment était mal choisi pour des retrouvailles. Il venait de se rendre compte que malgré la matinée passée avec Ondine, ils n’avaient parler que de Sacha et de Pikachu.
Duplica et Régis voyaient Pierre plonger dans ses pensées et n’osaient rien dire jusqu’à ce que Pierre ne révèle ce qu’il avait derrière la tête. Pierre était de nouveau incertain. Il ignorait si c’était parce qu’il venait de croiser Régis ou si parce qu’il se doutait que même s’il arrivait à trouver Mewtwo et en admettant que ce dernier veuille bien aider Pikachu, qu’il n’aurait pas nécessairement quelque chose à offrir ? En valait-il la peine de déranger un Pokémon de cette envergure ? Cela aurait sans doute été pris comme de la facilité voire de la paresse mais Pierre pensait que l’espoir avait tout de même ses limites.
« Régis, j’aurais besoin de toi dès que tu auras fini avec ta découverte, si tu veux bien.
- Oh, tu es déjà au courant ? Le Métamorph de Duplica est fantastique ! s’émerveilla Régis. Quand elle me l’a annoncé, il fallait que je le fasse savoir au monde entier !
- Pierre, tu es sûr que ça va ? » se préoccupa Duplica.
Régis s’aperçut enfin que le Docteur Pokémon n’allait effectivement pas bien. Sous l’effet de l’excitation de son annonce, il faisait preuve d’indifférence totale de tout ce qui se passait autour de lui. Il n’y avait rien de surprenant, c’était le Régis que tout le monde connaissait. Maintenant qu’il était conscient qu’un problème existait, Régis ordonna à Pierre de tout lui raconter. Pierre n’avait pas réussi à le dire en une traite sans retenir certains détails. S’il le disait à voix haute, cela se serait avéré réel, plus de machine arrière. Pierre n’était pas prêt mais Régis semblait avoir compris. Duplica avait les yeux noyés dans les larmes. Elle prit Métamorph du sol et le serra fort dans ses bras et finit par pleurer, cachée derrière le Pokémon morphing.
« Allons, Duplica, réconforta Régis. Nous devons nous montrer forts pour Sacha. Tu peux nous ramener à Bourg Palette, Pierre ? »
Trois heures s’écoulèrent entre le départ de Pierre et son retour. Le trajet était ponctué de reniflements réguliers de Duplica et un silence entier de la part des hommes. Métamorph tentait de consoler sa dresseuse comme il pouvait. Il semblait comprendre que le moment n’était pas de rire pour sécher les larmes. Pierre déposa Régis et Duplica chez le Professeur Chen et y laissa la voiture. Après un rapide appel, Pierre rejoignit Ondine au Centre Pokémon, là où elle tentait de raisonner Pikachu. Ondine semblait éreintée et accablée.
Arrivé avec la trottinette électrique d’Ondine, Pierre s’approcha du Leuphorie pour lui demander de le guider jusqu’au patient Pikachu. Si l’Infirmière était absente, elle devait déjà se trouver avec Sacha et Ondine pour faire pression sur Pikachu. Pierre suivit Leuphorie et avant même d’arriver à la chambre indiquée, il entendit Pikachu protestait avec témérité. Il ralentit le pas et écouta aux portes pour prendre la température.
« Tu ne nous laisses pas vraiment le choix, Pikachu, appuya Ondine, la voix éraillée et tremblante. Ça fait deux heures que Sacha et moi essayons de t’expliquer les choses simplement. Si tu ne te montres pas plus coopératif, on emploiera la manière forte, le menaça-t-elle aussi affirmée que possible.
- C’est plus judicieux, Pikachu, approuva l’Infirmière Joëlle. En restant au Centre Pokémon, je pourrai veiller sur toi et Sacha n’aura pas à s’inquiéter pour toi.
- Oui et comme je t’ai dit, je te rendrai visite tous les jours ! »
Pikachu s’indigna jusqu’à leur faire ressentir de la colère, sous les cris incessants du Pokémon souris, Pierre ne put attendre plus longtemps et intervint :
« Il est temps que tu cesses d’en faire qu’à ta tête, Pikachu !
- Pierre ! s’exclama Ondine avant un long soupir.
- Tu ne vas pas bien et tu as besoin de repos. Tu as besoin de te ménager et tu ne le pourras le faire qu’ici ! développa-t-il en haussant de plus en plus le ton. Ton dresseur s’inquiète beaucoup pour toi et tu n’as pas le droit d’être égoïste. Combien de temps veux-tu encore faire…
- Arrête ! » tonna la voix de Sacha.
Les deux anciens compagnons de route respiraient comme s’ils venaient de courir. Une dispute aurait pu commençait….
« Pikachu va bien. Vous voyez bien qu’il n’a aucun mal à s’exprimer. Il déborde d’énergie ! Et s’il ne veut pas rester, ne le forçons plus ! haussa-t-il la voix voyant que Pierre allait contester.
- Mais Sacha, c’est toi qui…
- Je sais ce que j’ai dit, Ondine, merci de me le rappeler. J’ai changé d’avis. Pikachu a effectivement des hauts et des bas mais ce n’est pas la peine de le garder au centre. Si vous n’avez rien de plus efficace, on peut s’en aller ! Viens, Pikachu, conclut-il en tendant le bras. Merci pour votre patience, Infirmière Joëlle, dit-il plus apaisé. Désolé pour le dérangement. »
Pierre était furieux. Il ne savait pas si c’était son côté docteur ou son côté ami qui était le plus blessé. La situation de Pikachu semblait dépasser tous les problèmes qu’ils avaient rencontrés jusques là. En si peu de temps, la relation de Pierre et de Sacha semblait compromise. Devait-il tout simplement soutenir son ami inconditionnellement ? Etait-ce son devoir en tant que docteur de prescrire ce qu’il y avait de mieux pour la vie d’un patient ? Si les deux étaient vrais, comment les accorder ? Qu’advenait-il si une réponse surpassait l’autre ?Tout ce que Pierre savait, c’était qu’il venait d’échouer dans les deux cas. Il n’avait été ni l’ami que Sacha avait besoin, ni le docteur que Pikachu avait besoin. Il se souvenait de la règle qu’une Infirmière Joëlle lui avait inculquée comme règle d’or dans la médecine : ne jamais intervenir lorsqu’il s’agissait de la famille et des proches. Cela pouvait tout biaiser son jugement et sa capacité à venir en aide aux Pokémon. Pierre l’avait partiellement compris lorsque Sacha l’avait interrogé la première fois et qu’il s’était obligé à mentir, manquant ainsi à son rôle d’ami et de docteur. Son échec était peut-être une conséquence de son premier mensonge.
« Je vais le retrouver » dit-elle en prenant sa trottinette.
Pierre décida de se changer les idées et partit voir ce que Régis avait fait comme découverte pour que ça en vaille la peine d’en faire part au Professeur Chen en personne. Il n’était pas prêt à confronter Sacha de nouveau sur ce sujet et préférait battre en retraite et laisser Ondine continuer à faire entendre raison aux deux concernés. Devant l’entrée du Laboratoire, les rires et l’euphorie semblaient de mise. Il entendait le professeur féliciter son petit-fils.
« Ça alors, un Meltan ! Qui aurait cru qu’un nouveau Pokémon serait découvert grâce à Métamorph ! Merci à toi, Duplica. C’est exceptionnel ! s’en réjouit le professeur. Je n’ai vu qu’une partie de ce qu’il est capable de faire mais c’est très prometteur ! Aimerais-tu rester à Bourg Palette le temps que j’en apprenne plus ? Tu pourrais même donner un spectacle ici après le festival. Je ne crois pas que tu sois déjà passée par chez nous.
- En effet, c’est la première fois que je passe à Bourg Palette.
- J’approuve, intervint Régis. J’avais pour idée également de combattre ton Meltan pour savoir ce qu’il avait comme attaque.
- Depuis que Métamorph se transforme en Meltan, je ne l’ai pas encore envoyé au combat, avoua-t-elle. D’ailleurs, ce n’est pas quelque chose que je fais souvent donc je risque de ne pas savoir comment m’y prendre correctement. Oh, te revoilà Docteur Pierre.
- Allons, Duplica, dit Pierre en apparaissant dans le laboratoire, tu peux m’appeler Pierre. C’est trop formel tout ça. C’est donc lui la fameuse découverte, repéra-t-il. Que savons-nous de lui ?
- Il s’appelle Meltan, s’impliqua Duplica. C’est le nom que je lui ai donné parce que Métamorph n’arrêtait pas de répéter « Meltan ». Au vu de son affection pour le métal, son type ne fait aucun doute.
- Par contre, continua Régis, nous ignorons s’il est également de type Electrik. Il l’absorbe mais n’en décharge pas. Ou même s’il en déchargeait, ça pouvait être à la manière de Tarinorme.
- Si Métamorph n’a pas vu Meltan utiliser de telles attaques, ajouta le Professeur Chen, ce n’est pas vraiment possible à moins que ses attaques soient très instinctives et dans ce cas, Métamorph pourrait l’utiliser tel que le Talent Abosrb’Volt. »
La discussion continua encore jusqu’à ce que Régis prit Pierre de côté.
« Alors, comment va son Pikachu ? Je vois, dit-il après un moment de silence. Pépé, Duplica, je pars m’occuper d’une affaire urgente. Je peux te la laisser ?
- Pars l’esprit tranquille, rassura-t-il. J’en prendrai grand soin.
- Allez, Pierre. Allons régler cette situation ridicule. »
Pierre ôta un poids de son cœur. Il avait enfin trouvé l’homme de la situation. Si Pierre compatissait à un tel degré qu’il n’arrivait pas à avouer ce qu’il savait à Sacha, Régis ne comptait pas passer par quatre chemins. En tant que dresseur responsable et rival éternel de Sacha, il était peut-être encore plus crucial que ce soit Régis qui le lui explique. Ils prirent la voiture avec Régis au volant pendant que Pierre appela Ondine pour apprendre qu’ils étaient partis sur le coin de pêche. Les deux hommes étaient très silencieux, Régis devait sans doute réfléchir ce qu’il allait dire et Pierre laissait Régis dans ses pensées. L’ancien champion d’arène d’Argenta avait tout essayé. Régis était sa dernière chance.
Ils se garèrent près de l’hôtel. Pierre était déjà plus apaisé lorsqu’il avait découvert Meltan mais le voyage en voiture avait dû laisser tout cela derrière lui. La pression avait déversé sur Régis. En effet, il semblait outré, exaspéré voire déçu. C’était ce que Pierre en déduisait voyant son visage. Pierre s’en voulait. Avait-il poussé Régis dans ses retranchements ? Pierre s’inquiétait à présent. Etait-il si judicieux de reposer cet espoir sur un homme qu’il connaissait à peine ? Maintenant qu’il y pensait, ils n’avaient pas discuté la manière dont Régis allait aborder le sujet. Cela le tourmenta davantage lorsqu’il vit Sacha, Ondine et Pikachu tranquilles sur le bord de la rive, pêché tranquillement.
« Hé, Sacha !
- Régis ! s’exclama son rival. Que fais-tu ici ?
- J’ai appris pour Pikachu. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?
- Je ne vois pas de quoi tu parles, Régis.
- Arrête de jouer les imbéciles, tu veux. Qu’est-ce qui te faut pour le laisser au Centre Pokémon ?
- Rien, Régis, rien ! Pikachu va très bien. Regarde-le. Il court, il joue. Il n’a pas besoin d’être branché à une machine !
- Ouvre les yeux, Sacha. Tu ne seras jamais un bon Maître Pokémon si tu n’es pas capable de voir que la santé de ton Pokémon est faible.
- C’est toi qui te crois meilleur que tout le monde, Régis ! Personne ne t’a demandé de venir te mêler de mes affaires, personne !
- Si tu es si certain de l’énergie débordante de Pikachu, je te défie en combat ! annonça-t-il soudainement.
- Quoi ? s’exclamèrent Sacha, Pierre et Ondine.
- Tu comptes te défiler ? Faire ton Roucool mouillé ? le provoqua Régis.
- Je n’ai pas peur de toi ! Allons nous trouver un coin !
- Non, Sacha ! arrêta Pierre. Tu as complètement perdu la tête, Régis, lui fit remarquer discrètement. Je t’ai demandé de nous aider, pas d’aggraver la situation !
- C’est toi qui es allé voir Régis ?
- Il est tombé par hasard sur moi. J’ai fait une excellente découverte, figure-toi ! Ton ami a juste eu pitié de toi.
- J’ai besoin de la pitié de personne, vous m’avez compris ?
- Oui, oui. Oh là là, tu cris aussi fort qu’un Ramboum. Allons faire ce match, Pikachu en forme ou pas, tu ne gagneras pas ! »
La tentation était trop forte. Sacha devait jouer le jeu mais il semblait hésiter malgré tout. S’il se lançait dans un combat, c’était Pikachu ou personne. Régis avait été trop loin. C’était trop dur pour Sacha de laisser Régis s’en sortir après l’avoir provoqué de la sorte.
« Décide-toi, Sacha. Je n’ai pas que ça à faire. Et, tu peux ranger ta Pokéball. Je veux combattre Pikachu et uniquement lui !
- Régis, non ! s’interposa Ondine. Ne fais pas, ça !
- Je sais ce que je fais ! »
Soudain, Pierre devina les intentions de Régis. En provoquant Sacha, s’il ne voulait pas compliquer l’état de Pikachu, il aurait été obligé de déclarer forfait. Alors qu’Ondine allait contester de nouveau, Pierre l’en empêcha lui demandant de patienter jusqu’à la fin. Nerveuse, elle déglutit et observa attentivement.
« Prends ça comme tu veux, mais je n’ai pas le temps pour toi, en vrai, dit Sacha en détournant le regard.
- Ben voyons.
- Tu as mieux à faire de toute façon, non ? D’ailleurs, c’est quoi ta découverte ? »
Ce sujet suffit à distraire Régis pour ne parler que de Meltan et de son exploit, oubliant que Duplica y avait contribué fortement grâce à son Métamorph. C’était encore un échec. Pourtant, le fait que Sacha se résille à affronter Régis présentait déjà un premier signe que le dresseur de Pikachu était conscient que ce dernier n’était vraiment plus apte à se battre et que ce n’était qu’une question de temps avant que Sacha ne se dévoile complètement et se livre à ses amis. Pierre savait que ce moment fatidique allait être douloureux et pour Sacha et pour eux, mais il n’y avait plus grand-chose à faire hormis le fait d’attendre patiemment. Il était impensable pour Pierre que son ami ne l’avait pas déjà remarqué.
« Bon, Régis. Tu as toujours été un beau parleur mais je veux voir à quoi ressemble ce fameux Meltan, moi ! s’écria Sacha. Pierre, Ondine, se retourna-t-il. Je vous attends chez moi, ce soir ?
- Oui, très bien. Entendu, répondit Ondine machinalement, confuse de la situation.
- Je vous laisse prévenir ma mère. A tout à l’heure ! »
Les deux rivaux marchèrent jusqu’au laboratoire du Professeur Chen. Ce début de soirée s’annonçait sous de meilleure augure. Sacha adorait parler de Pokémon. Du matin au soir pour exprimer tout son amour et toute sa passion pour ces créatures. Devenir Maître Pokémon lui semblait si lointain… il avait vu et parcouru tellement d’endroits qu’être le meilleur dresseur Pokémon n’avait plus trop de sens pour lui. Il était bon en combat, il le savait. Il était bon envers ses Pokémon et ils le lui rendaient bien. Plusieurs fois, il s’était demandé si ce n’était pas suffisant. Bien sûr, la fierté lui rattrapait très vite et sa détermination aussi. D’ailleurs, Régis pouvait être moins bon, cela n’aurait pas fait de Sacha le meilleur dresseur, d’autant plus que Régis s’était concentré sur l’étude des Pokémon le rendant sûrement moins bon dresseur. C’était ce qu’espérait Sacha, en tout cas. Il ressentit une amertume soudaine pensant aux rêves de tous ses compagnons de route. Régis et Ondine avaient tous les deux rêvés de devenir Maître Pokémon. Finalement, Ondine était Championne d’arène et Régis, Professeur Pokémon. Quant à Pierre, son travail de Docteur Pokémon était tout aussi louable que d’être Eleveur Pokémon, un rêve qui avait également changé. Il était peut-être temps de réfléchir à un autre rêve, réfléchissa-t-il.
« Sacha, commença Régis. Je t’admire beaucoup, tu sais ? Ta force, ta ténacité et ta volonté sont ce qui m’ont toujours poussé à donner le meilleur de moi-même. C’était facile pour moi de jouer les frimeurs quand ton grand-père n’est nul autre que le célèbre Professeur Chen que tout le monde idolâtre. Je n’ai jamais ressenti de pression vis-à-vis de ça, tu me connais. Il m’a beaucoup inspiré mais tu as été le moteur de mes exploits. Grâce à toi, j’étais obligé de donner le meilleur de moi-même et te voir te décourager ou te mettre en rogne était forcément un moment délicieux à vivre. Fais pas cette tête, c’est du passé tout ça !
On a tous grandi mais j’ai l’impression que rien n’a vraiment changé. Rien que tout à l’heure ! J’imagine que te voir me rend plus orgueilleux, plus puéril.
- Heureusement que tu as dit que je t’inspirais avant de parler de puérilité, plaisanta Sacha.
- Oui, je me sens gamin à tes côtés, je ne m’en cache pas. J’ai l’impression qu’on a tous grandi trop vite et que tout est derrière déjà nous. Pourtant, on a encore tant à construire, à vivre !
- Oui, la route est encore longue.
- Alors, laisse-toi aller, Sacha, implora Régis qui s’arrêta de marcher. Si j’ai bien compris de ce que Pierre m’a dit, il ne reste plus beaucoup de temps à Pikachu.
- Alors, il le savait ? dit-il soulagé.
- Oui. C’est ton meilleur ami. C’était trop dur pour lui de t’en parler.
- Je ne voulais pas le voir non plus, Régis, à vrai dire, se confia-t-il. Je l’avais compris la dernière fois que j’ai utilisé la Capacité Z avec Pikachu à Alola. Pikachu n’a jamais cessé de se battre pour moi. Je dois continuer à me battre pour lui, non ?
- Ce serait te mentir de te dire que je comprends ce que tu traverses, Sacha. J’ai eu mon Carapuce en même temps que toi, mais Tortank a une espérance de vue plus longue. Ça vaut ce que ça vaut mais je suis sincèrement désolé pour toi. »
Les deux rivaux se prirent dans les bras.