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Portrait de ville de Corpus09



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» Auteur : Corpus09 - Voir le profil
» Créé le 26/10/2018 à 04:24
» Dernière mise à jour le 26/10/2019 à 09:50

» Mots-clés :   Fanfic collective   Kalos

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Lola
L’après-midi s’installe sur Illumis. Du moins le suppose-t-on, d’après les modulations que prennent les chants des Passerouge à cette heure. À hauteur d’homme, le ciel est masqué par les immenses blocs de béton communément appelés « immeubles », aussi les habitants tolèrent-ils d’avoir leur quotidien marqué plutôt par les Pokémon Rougegorge que le soleil. De toute façon, qui dans une ville aussi connectée pourrait bien ne pas avoir de montre, Holokit ou n’importe quel appareil capable d’indiquer l’heure ?

Le sifflement musical attire l’attention d’une des quelques personnes assises à la terrasse du café Les Partenaires, une adolescente pas bien grande qui relève ses lunettes sur son nez — en forme de patate, s’amuse-t-elle parfois à dire — pour les observer. Elle laisse son regard errer quelques secondes sur l’avenue animée : le Firmament, en face, expose avec orgueil ses trois étoiles aux yeux du passant. Son Galvaran, paresseusement allongé sur la moitié de table où il a élu domicile, n’y semble d’ailleurs pas indifférent, à en juger par son regard plein d’étoiles vers le restaurant. Ou peut-être sont-ce seulement celles de la devanture qui s’y reflètent...

Peu importe, la fille ne compte pas s’attarder, elle a déjà suffisamment traîné. Après avoir avalé d’une traite les dernières gouttes de son jus de balançoire et aspiré du même coup un glaçon dans sa bouche — elle l’y gardera jusqu’à ce qu’il fonde complètement —, elle se lève, resserre le nœud du sweat-shirt trop petit qu’elle porte autour de la taille, reloge sa casquette sur sa tête, dépose un pourboire sur la table et fait signe à son Pokémon qu’il est temps d’y aller. En partant, elle ne manque pas de lancer un « Bonne journée ! » enjoué à la serveuse, une étrange femme à l’air sombre et au visage à moitié mangé par une impressionnante mèche de cheveux noirs, qui détonne terriblement à la terrasse d’un café d’Illumis. Celle-ci ne lui répond que par un regard meurtrier, mais l’adolescente s’en amuse plus qu’autre chose, ravie de cette rencontre singulière. Enfin, elle s’engage sur le trottoir d’un pas simulant un boitement.

Cherchant à gauche et à droite un taxi pour l'emmener vers sa prochaine destination, la jeune fille repère rapidement un véhicule orange vif dont elle a déjà entendu parler. Elle s'en approche lentement, son Galvaran trottinant derrière elle. Lorsqu'elle ouvre la portière arrière, l'adolescente relève sa casquette et s'exclame joyeusement :

— AlolaLune !

Le chauffeur en reste coi. Il se retourne et lui lance un regard interrogateur.

— Euh... je m'appelle Lola, mais je préfère qu'on m'appelle Lune, se présente-t-elle tout en s'installant sur la banquette. Je suis une IA banane créée par la Fondation Æther. À Alola, les gens saluent en disant : « Alola ! », mais avec « Lune » derrière, ça fait « Allô, la lune ? ». Le soir où j'ai inventé cette expression, j'ai ri comme une idiote, bien qu'on m'ait dit que mon potentiel de gaussation lolatoire de désopilation était inférieur à zéro. Hmm, j'ai seize ans, je viens d'entrer en première STD2A. Ça veut dire que je peux à présent remonter mes lunettes sur mon nez, jeter un regard par-dessus et lancer que je fais du design.

— Galvaran !

— Et voici Photogona, mon fidèle Galvaran, aussi émotif qu'un smiley.

— Gal ! approuve le Pokémon Générateur en formant un cœur avec ses petites mains.

— Tiens ? Pourquoi on avance pas ? demande Lola avant de se rappeler d'un détail important. Je ne vous ai pas donné ma destination... Au laboratoire du professeur Platane, s'il vous plaît.

Le taxi démarre en trombe sur un sourire réprimé du chauffeur, qui se demande d’ores et déjà quel genre d’énergumène il a pu dégoter cette fois pour qu’elle parte dans des explications floues à propos de bananes et de lune en oubliant de lui donner sa destination. Mais pas de jugement hâtif, la course ne fait que commencer.

— Si j’ai bien compris ce qu’on m’a dit sur vous, commence la jeune fille, je dois vous raconter d’où je viens, ce que je fais à Illumis, ce genre de choses ? Eh bien, ma foi. Contrairement à ce que laisse penser ma façon de saluer, je ne viens pas d’Alola. Eh oui, le jeu de mots, c’est juste pour la beauté du geste… Si je connais quelques coutumes locales, c’est parce que je devais y partir en vacances avec ma famille il y a exactement un an. On a dû annuler au dernier moment à cause des pluies violentes qui ravageaient l’archipel, c’était trop dangereux et l’accès a été interdit au public. Je ne regrette pas trop, de toute façon, le mauvais temps me rend triste. N’est-ce pas Photogona ?

Le Pokémon confirme par un sourire amusé de connaisseur, accompagné d’une larme émue au coin de l’œil. Le taxi passe au croisement de l’avenue Ventôse et l’allée qui mène à la place Jaune d’un côté, Rouge de l’autre. Lola ne peut s’empêcher de penser qu’avec le véhicule orange entre les deux, ça fait un dégradé parfait.

— Bref, je ne suis pas d’Alola, mais pas d’ici non plus. En vérité, je viens de Batisques. Vous savez, ce petit village là, au milieu de nulle part, pas très connu… Je plaisante, mais c’est comme ça que les Illumisiens ont l’air de le voir ! D’ailleurs, c’est une amie qui vit ici, tout près de la place Jaune, qui m’héberge. Je la paye en crises de fou rire. Je suis une excellente employeuse.

L'adolescente tapote nerveusement contre son genou, le regard rivé sur les façades colorées de l'avenue Ventôse. Puis elle revient à son récit :

— Alors, hmm, la raison de ma venue à Illumis... Avant toute chose, vous devez savoir ça, les batraciens c'est ma vie ! Ces nobles créatures se distinguent par une prestance, une aura de classe supérieure au commun des Pokémon.

— Galva ! proteste un Photogona vexé en fronçant les yeux.

— Nous avons déjà parlé de ça, mon cher. Je n'y peux rien si je préfère les batraciens, répond Lola avant d'ajouter à l'attention du chauffeur, on se dispute souvent à cause de mes préférences pokémonesques. Brefeuh, j'ai pour projet de capturer tous les Pokémon batraciens de l’univers. J'ai déjà un Cradopaud et un Tarpaud. Batracné ce sera l'an prochain mais sans doute pas en Janvier si vous voyez ce que je veux dire... Il faut planifier un voyage jusqu'à Unys, tout ça. Et en attendant, je cherche à obtenir un Grenousse. Hmm bah, comme souvent je me suis plantée sur un petit détail. Le professeur Platane détient un monopole sur l'élevage des Grenousse, je ne peux pas simplement en capturer un dans la nature, d'où ma présence à Illumis. Je viens l'embêter avec l'infime espoir de quitter son laboratoire en tenant un Grenousse dans mes bras.

Tandis que l'adolescente déblatère sur ses lubies étranges, le taxi orange atteint l'extrémité de l'avenue Ventôse. Les doigts du chauffeur se crispent à la vue des embouteillages de la place centrale.

— Pourquoi on ralentit ? Ah, les embouteillages… C’est sûr qu’on n’a pas ça à Batisques, hein. Enfin, ça me laisse un peu de temps du coup.

Et le chauffeur d’observer avec effarement l’étudiante sortir de sa sacoche un agenda à la couverture customisée, une trousse, une autre trousse… Elle ouvre le carnet à la page du jour, s’empare d’un feutre orange, et se met à écrire avec minutie et d’une typographie soignée « Trajet taxi orange ».

— Oh, vous vous demandez ce que je fais ? Cet agenda, c’est ma vie. Littéralement. Je note tous les événements remarquables qui m’arrivent dedans, je colle des photos, je fais des dessins pour illustrer mes journées, ce genre de choses. Les agendas ça sert à ça, quel intérêt ça aurait si on ne faisait qu'y marquer des devoirs…

En parlant, elle fait défiler les pages de façon à ce que le conducteur puisse voir leur contenu dans le rétroviseur. Photogona l’approuve en levant joyeusement la patte droite, mais l’adolescente le remarque à peine, ayant repris la page du jour pour dessiner le taxi orange juste à côté de son texte.

— Je devrais peut-être vous parler de mes goûts ? Parce que comme vous pouvez le constater, j’aime bien le dessin, mais pas seulement ! Je passe mon temps à écouter des CDs et accrocher des choses au plafond de ma chambre. J’écris aussi, mais avec modération quand même parce que bon hein. J’avais posté des textes sur un site à un moment, mais ce n’était rien de plus qu’un triste concours de circonstances, malheureuses erreurs de parcours, voilà tout… Je n’en suis pas fière.

Elle se tait, remballe son matériel, observe un peu par la fenêtre et semble se perdre dans ses pensées, alors qu’elle fredonne tout bas trois notes qui ne semblent tirées d’aucune mélodie en particulier. Son Galvaran la rappelle à l’ordre en tirant sur sa manche.

— Je comprends. On est toujours bloqués devant la Tour Prismatique, il faut que je trouve des choses à dire pour meubler… Oh je sais, je ne vous ai pas montré un truc important !

Elle commence à fouiller frénétiquement dans la poche de son sweat, en empoigne le contenu d’une main sûre et brandit héroïquement son trophée !

…Un Pokématos. Rouge.

— Je vois bien votre désappointement à votre regard. Vous n’êtes donc pas de ceux qui reconnaissent la beauté du Pokématos, dommage.

Elle continue néanmoins son cirque et, d’un simple mouvement du poignet, ouvre l’appareil.

— Vous voyez, ça c’est un truc qu’on ne peut pas faire avec la dernière technologie, là, l’Holokit… En plus, le Pokématos rentre dans une poche et ne pèse pas sur le poignet. J’y pense souvent avec un sourire irrépressible aux lèvres.

Non, le conducteur n’a vraiment pas l’air convaincu. Un silence gênant s’installe.

— …Ne dites rien, marmonne Lola, ce qu’il me reste de fierté apprécierait. Hum hum, changeons de sujet de manière fort discrète et subtile, de quoi d’autre pourrais-je vous parler… ? Bah rien de constructif, j’en ai déjà dit beaucoup, mais bon. Oh, on arrive à la sortie de cette place non ?

Le chauffeur laisse échapper un soupir de soulagement. Son véhicule quitte enfin l'enfer de la place centrale pour retrouver le purgatoire des grandes avenues. À ce titre, l'avenue Floréal n'est même pas la pire.
Dehors, une silhouette lugubre pourvue d'une mèche improbable attire le regard de Lola :

— Tiens, c'est la fille du café, marmonne-t-elle. Elle rentre chez elle ? Wow, c'est bizarre, elle m'a doublée alors que je suis en voiture... Comment elle a fait ça ? Avec le recul, ma vie présente énormément d'incohérences temporelles et autres problèmes divers et nombreux.

La serveuse cesse bien vite d'intéresser l'adolescente lorsqu'une odeur d'huile pénètre dans le véhicule à travers la vitre entrouverte du chauffeur. À l'arrière, Lola se fige et pivote lentement la tête vers l'origine de ce fumet âcre sans cligner des yeux.

— Ça... ce truc... c'est une odeur de frite ! Quelle horreur ! Comment peut-on encore faire subir de telles atrocités à des pommes de terre ?! Entendez-moi bien : une pomme de terre est un être vivant. Comme vous et moi. Les pommes de terre vivent, respirent et gambadent dans les vertes prairies ; et meurent. Meurent, pourquoi ? De vieillesse, comme les humains ? D'assauts terroristes ? De guerres civiles ? Certes non : les pommes de terre sont une espèce très pacifique, calme, et réfléchie. Mourir de vieillesse, elles n'en ont point le temps ! Car il y a en ce monde, évidemment, des prédateurs naturels de la patate commune. Et quel prédateur ! L'homme, monsieur, l'homme au génie maléfique, a inventé toutes sortes d'ustensiles, pointus et métalliques, dans l'unique but de découper, trancher, décapiter, démembrer, trucider, occire la pomme de terre par les moyens les plus ignobles et sanglants que le monde végétal ait connu.

— Gal...va... gémit Photogona, deux larmes comme des virgules coulant le long de son visage attristé par le sort funeste de ces tubercules.

— Prenez une pomme de terre. Jeune, frétillante, avec encore toute la vie devant elle. Vous la prenez, bien fermement, comme ça, après l'avoir sauvagement arrachée de ses racines natales. Vous la plaquez contre une surface dure et plane, vous brandissez votre ustensile. La pauvre pomme de terre voit alors s'élever au-dessus de sa petite tête une lame brillante, effilée, qui entame sa descente vers son corps entravé. Le couteau entame la chair. Sadique, il commence par les côtes de la pomme de terre ; le cœur se trouve au centre, l'infortunée ne mourra pas tout de suite. La lame tourne délicatement autour d'elle, arrachant sans vergogne des lambeaux de peau ferme. La pomme de terre hurle. Voyez ce que vous faites ! Vous attaquez désormais plus profondément l'être sans défense, vous tranchez des morceaux entiers de la patate, droit, sans considération aucune pour les organes sinueux de votre victime. Bien, vous avez réduit votre cible en petits carrés, ou en petits bâtons. Qu'allez-vous en faire ? Les faire doucement griller à la poêle ? Les enfourner dans la redoutée Friteuse ? Alors que, qui sait, peut-être reste-t-il un semblant de vie tout au fond de son corps profané, violé ? Et finalement vous dégustez ces cadavres torturés, avec un peu de sauce pour cacher l'odeur de mort ! Monstre !

Le chauffeur se pince pour vérifier qu'il ne rêve pas. Et non, il y a bien une lycéenne à l'arrière de son taxi qui déclame un long monologue dramatique en impro totale sur les pommes de terre. Voilà qui propulse cette course parmi les cinq plus marquantes de sa carrière.

— Une pomme de terre réduite en purée meurt plus rapidement. Un peu moins rapidement. Elle termine sa vie dans de moindres souffrances que ses collègues frites. Alors, le dernier hommage à lui rendre est de disposer la purée de façon symétrique. C'est une relique, un symbole, permettant à la pauvre âme d'atteindre le ciel et de s'y reposer éternellement.

En tout cas, les types de l'office du tourisme vont halluciner, songe le chauffeur.

­­— Le discours pour ouvrir les esprits sur le sort des patates, c’est fait ! s’exclame-t-elle l’air content d’elle-même, en contraste total avec son air grave encore quelques secondes plutôt. Je devrais peut-être vous parler de mon avis sur la ville maintenant ?

Encore choqué, le conducteur parvient à peine à hocher faiblement la tête, les doigts crispés sur le volant.

— Alors, alors… lâche-t-elle avec désinvolture, comme si elle avait déjà oublié d’avoir été comme possédée le temps d’un discours — ou pire, comme si elle considérait cela comme normal. C’est plus animé que Batisques, c’est sûr ! Ça surprend un peu au début, j’ai toujours du mal à me faire au bruit et aux avenues larges… Mais l’avantage, c’est qu’on trouve beaucoup plus de boutiques originales et sympa ici. Les friperies par exemples…

Pour appuyer ses propos, elle se met à observer avec attention les devantures de l’avenue Floréal.

— Café, coiffeur pour Couafarel… Ça, par exemple, il n’y a qu’à Illumis qu’on peut trouver des boutiques comme ça. Oh, et le Chic-à-Porter…

Elle réprime un rire, jugeant ridicule le déploiement de tant de luxe. Soudain, elle se fige, blêmit et prend une grande respiration outrée. Le chauffeur la regarde avec inquiétude. Ça va, elle ne va pas tomber dans les pommes… ?

­­— R-r-regardez… articule-t-elle difficilement, à moins qu’elle ne simule juste un bégaiement sur un ton exagérément dramatique. La vitrine du Chic-à-Porter. I-i-ils…

Le chauffeur regarde, du coin de l’œil tout de même — cette fille le surprend tellement qu’il pourrait en conduire dangereusement ! ­­— sans rien remarquer de particulier dans les costumes exposés, sinon leur prix évidemment. Sans doute encore une de ses fixations étranges…

— Leurs mannequins portent une cravate de la même couleur que leurs pochettes !

…Bien ce qu’il pensait. Pour ne rien arranger, le Galvaran appuie les propos énigmatiques de sa dresseuse en fermant les yeux pour ne rien voir de cette horreur, la bouche tellement serrée en une expression boudeuse qu’elle en est réduite à un point.

— Ça ne se fait pas, c’est atroce, c’est immonde ! L-l-la pochette ne doit jamais avoir la même couleur ou le même motif que la cravate, ç-ç-ça crée une dissymétrie et ça attire le regard vers les épaules plutôt que le visage, vous comprenez pas…

En effet, il ne comprend pas. Visiblement, la couleur des cravates est un sujet sensible pour la jeune fille… Alors qu’un coin de la tête de son chauffeur est désormais consacré à se questionner sur la santé mentale de sa passagère, le véhicule ralentit, réfléchit un instant l’éclat des bijoux exposés dans la vitrine d’une joaillerie, continue tout dr—

— Arrêtez-vous !

Le chauffeur pile net, sans comprendre. Le taxi s'immobilise dans un crissement de pneu devant la vitrine d'un glacier.

— Aïe. Désolée, j'ai envie d'une glace. Je reviens dans une minute ! annonce l'ado avant de quitter le véhicule orange.

Mais le chauffeur l'entend à peine. Les yeux écarquillés, il constate que sans l'intervention de Lola, il aurait écrasé une petite fille qui sortait de chez le marchand de glace, un énorme cornet à la main. Son cœur, qui bat déjà à deux cents à l'heure, s'emballe lorsque la gamine apeurée se transforme devant lui en Zorua, avant de s'enfuir en courant. Décidément, il s'en souviendra de cette course !
Le glacier tire lui aussi une drôle de tronche en tendant une glace à la mangue à Lola. Son regard halluciné croise celui du chauffeur. Ils ont donc été témoins de la même scène ! Photogona également, d'ailleurs.

— Navrée pour le dérangement ! s'exclame Lola en regagnant sa place. Je n'ai rien mangé à part un yaourt au petit-déjeuner. J'ai aussi bu un jus de balançoire dans le café, mais ça ne compte pas. Hmm ?

L'adolescente remarque enfin le visage choqué du conducteur. Il lui indique la rue d'une main fébrile, incapable d'expliquer avec des mots ce qu'il vient de se produire sous ses yeux.

— Si je prétends que je suis fatiguée et que c'est pour ça que je n'ai pas compris, on va finir par comprendre que "je suis fatiguée" est mon joker en toutes circonstances, alors je ne dirai rien. Arf, pourquoi c'est quand je suis pas là qu'il se passe des trucs ?

— Gal-gal, galva !

— Je vois ce que tu veux dire.

Après ce court arrêt, le taxi reprend sa route. À l'arrière, Lola déguste sa glace en observant encore les vitrines par la fenêtre. Le chauffeur lui adresse un regard sévère dans le rétroviseur intérieur. Il ne veut pas de tâ... Lola se racle la gorge, tel un professeur reprenant un élève. Il ne veut pas de taches de sorbet dans son taxi, il a déjà bien à faire avec la cendre de cigarette. L’artiste lui signifie d’un hochement de tête repris en cœur par Photogona qu’elle a compris et fera attention. Ce qui ne l’empêche pas de s’essayer immédiatement après à l’exercice risqué de la prise de parole simultanée à la dégustation de glace.

— Pour en revenir à mon avis sur cette ville… Je parlais de l’agitation, mais ce côté animé a aussi du bon vous savez ! J’ai vu Malva, qui rentrait dans le café Lysandre. LA Malva, en personne ! Je ne pensais pas qu’on pouvait croiser des célébrités comme ça dans la rue… Mais bon, je ne suis pas allée l’aborder, je n’aurais jamais osé… Ah, et j’ai aussi vu Sacha je crois, mais c’est secondaire. Quoi, j’ai un drôle de sens des priorités ? Certes. Vous savez, Malva c’était mon idole quand j’étais plus jeune, j’ai même écrit une fanfiction sur… Euh non, ce n’est pas important ! Vous vous souvenez ce que j’ai dit sur les malheureuses erreurs de parcours ?

À vrai dire, le chauffeur en a tellement entendu durant ce trajet que ça ne lui dit strictement rien. Il ne peut s’empêcher de ressentir une pointe de soulagement en se disant que cette course délirante touche à sa fin : ça a beau être incroyable, il n’est pas sûr que ses nerfs tiendront.

— Ne me demandez pas pourquoi Sacha n’était pas suivi par des fans, c’est un mystère… Je veux dire, il est quand même mondialement connu, non ? Vous vous expliquez qu’il puisse déambuler à Illumis en toute tranquillité ? Non ? Le suspense reste entier, alors. Et ne me dites pas que c’est parce que personne ne l’admire : mon frère en est le parfait contre-exemple. Il adule Sacha, c’en est effrayant. J’ai peur de lui raconter, on va en entendre parler pendant des jours à la maison après ça…

Constatant qu’elle a presque fini sa glace, Lola reporte toute son attention sur le bout de cornet qui lui reste, comme si la tâche de le terminer représentait soudain une mission prioritaire. Elle en croque la moitié, la gobe presque, puis l’autre...

— Plop, j’ai fini ! s’exclame-t-elle fièrement à la surprise de Photogona, qui ouvre avec incrédulité la bouche en rond devant cet accomplissement. Oh mais, attendez, on est presque arrivés ! Wow, quel timing. Je n’ai pas vu le temps passer, alors qu’on était limite à l’autre bout d’Illumis ! Je vois le laboratoire je. Oh mon Dieu.

L’adolescente commence à trépigner d’impatience, son état d’excitation inversement proportionnel au nombre de mètres les séparant de la destination. Elle balance ses jambes d’avant en arrière, observe nerveusement ses ongles, échange des regards avec Photogona...

Le taxi s'arrête enfin. Il a fait un demi-tour sur la rue Méridionale de façon à pouvoir déposer Lola pile devant le laboratoire du professeur Platane. La jeune fille sort sans un mot et avance de quelques pas. Émue, elle pose la main sur son cœur et inspire fortement. Ça y est, elle va enfin recevoir son Grenousse ! Ou se faire rembarrer, mais il paraît que ce n'est pas le genre de l'éminent professeur.
Avant de continuer, elle adresse un mot de remerciement au chauffeur en souriant, puis elle claque la portière et poursuit sa route vers l'intérieur du bâtiment, suivie par son Galvaran guilleret.

Joyeux anniversaire LunElf !


by Vocalume & Flageolaid