Chapitre 6 : Le masque de l'Orateur
K.L avait essayé de mettre autant que possible de Pokémon sauvages à l’abri avant l’explosion des charges, mais Jeannine savait très bien qu’il y aurait des victimes. L’éboulement serait d’ampleur inégalée ; il fallait au moins cela pour percer les lourdes murailles de l’antre de l’Orateur. C’était elle qui était chargée d’appuyer sur le bouton quand Régis lui donnerait le signal. Ce seraient ses mains à elle qui seront pleines de sang. En tant que shinobi servant de Régis Chen, c’était son devoir de lui épargner cela. Non pas que ça ait tant d’importance, au final. Ils avaient tous commis des actions discutables en se battant au sein de K.L, et tous étaient prêts en à assumer les conséquences une fois que l’Orateur sera tombé.
Ce fut avec cette pensée que la jeune femme pressa le bouton après le geste du bras de Régis. Comme prévu, l’explosion provoqua un tremblement de terre et des fissures, tandis que le pan entier de la montagne qui avait été visé se détacha et provoqua une avalanche de roches qui déboula droit sur le flanc ouest de la base de l’Orateur. Jeannine vit avec satisfaction l’éboulement emporter une bonne partie des hommes et des machines que l’Orateur avait envoyés sur eux. Il avait bien deviné qu’ils ne passeraient pas par la Route Victoire, mais pas qu’ils feraient s’écrouler le Mont Argenté sur lui. Oncle Auguste semblait bien avoir cerné la façon de réfléchir du tyran.
- EN AVANT ! hurla Régis quand l’éboulement monstre fut fini.
Leur armée de Pokémon et de dresseurs descendit du Mont Argenté, piétinant la roche qu’elle venait de retourner. Jeannine chevauchait son Drascore, en envoyant ses kunaï sur les hommes de l’Orateur qui avaient réchappé à l’éboulement. Aucun ne manqua sa cible. Elle avait également son Nostenfer et son Aéromite qui volaient autour d’elle, la protégeant au besoin.
Les tourelles et autres défenses sur les murs de la forteresse laissèrent tomber les Pokémon Vol pour tirer sur l’armée qui arrivait, alors qu’une immense brèche s’était ouverte dans le mur suite à l’éboulement. Auguste et les Pokémon Vol avaient donc tout loisir de détruire à la chaîne les défenses de la forteresse, mais ces dernières étaient encore suffisamment nombreuses provoquer un carnage dans l’armée principale, qui regroupée comme elle l’était, faisait une cible de choix. Mais bien sûr, Auguste avait là aussi prévu le coup.
- Pokémon psychiques, maintenant ! ordonna Régis.
Dans les placements des lignes, il avait fait en sorte de mettre des Pokémon Psy qui connaissaient tous l’attaque Téléport tout autour de l’armée. Dès qu’il donna le signal, les Pokémon en question synchronisèrent leurs esprits pour téléporter, d’un coup d’un seul, toute l’armée plusieurs mètres plus loin, à l’abri des tirs qui les avaient initialement visé. C’était une procédure risquée, car l’attaque Téléport était à manier avec soin si on voulait éviter de réapparaître encastré dans un rocher ou dans un arbre.
Mais Auguste, même s’il était un spécialiste des Pokémon Feu et non Psy, avait placé les divers Pokémon selon un ordre précis, en étudiant les distances et les vitesses, et en faisant des simulations, tout cela en une soirée seulement. Il avait épaté tous les résistants de K.L, qui ne doutaient plus de ses connaissances scientifiques hors du commun. La manœuvre fut répétée trois fois durant, le temps que la plupart des défenses de la forteresse soient détruites par l’attaque aérienne, et que l’armée ne commence à s’engouffrer dans la brèche.
À l’intérieur, l’Orateur avait placé ses troupes d’élite comme dernier rempart de protection. Il ne s’agissait pas de simples soldats humains là, mais bien de machines, des robots blindés humanoïdes spécialement conçus pour résister aux attaques spéciales des Pokémon. Ils avaient pris position dans tout le grand hall d’entrée et toutes ses hauteurs, de telle sorte qu’un déluge de tirs accueillit les premiers Pokémon à pénétrer dans la forteresse.
- Formez un rempart de Pokémon Acier et Roche ! ordonna Régis tout en se mettant à couvert derrière une partie du mur déchiqueté.
De l’autre côté de la brèche, K.L avait rebouché le trou avec plusieurs attaques glaces, et la moitié de l’armée, restée dehors, devait désormais combattre les troupes régulières de l’Orateur et les empêcher de rentrer. Ils ne pourraient peut-être pas tenir éternellement, mais le but de la mission tout simplement de venir à bout de l’Orateur. Une fois ce dernier mort ou capturé, ses fidèles n’auraient plus aucune raison de se battre.
Selon le plan, il était prévu qu’Auguste reste dehors et aide les défenseurs avec Sulfura. Si effectivement, le Pokémon Oiseau Légendaire était bien plus utile dehors, Auguste ne servirait à rien de plus, et il tenait à se trouver face au tyran masqué. Il avait pris ses Pokémon avec lui, et comptait bien contribuer à sa défaite. Vu que l’Orateur avait vaincu l’équipe Dragon de Maître Peter à lui tout seul, sans aucun Pokémon, il ne valait mieux pas lésiner sur les adversaires qu’on placerait devant lui.
- Je te laisse t’occuper du reste, mon ami, dit Auguste à Sulfura. Je vais rejoindre les miens pour combattre le tyran. Si on ne se revoit pas… merci pour tout ce que tu as fait pour moi, aujourd’hui, et il y a quatre vingt-ans.
Sulfura lui jeta un coup d’œil intrigué. Auguste sourit sous sa moustache et jeta en l’air une de ses Pokéballs. Arcanin apparut en un flash de lumière, et Auguste se laissa tomber de l’oiseau de feu, pour que son fidèle partenaire le récupère au vol. Après quoi, alors qu’ils tombaient vers la forteresse, Arcanin utilisa Déflagration pour forcer un passage contre le mur, qu’il fit fondre en partie, et tomba sur une passerelle à l’intérieur de la base, au milieu d’un groupe de soldats sonnés par cette arrivée théâtrale.
Arcanin lança son attaque Hurlement qui les effraya et les fit momentanément reculer. Il en chargea quelque uns pour les faire passer par-dessus la rambarde, et fit le tour des hauteurs du grand hall pour mettre hors de combat les nombreux snipers qui faisaient un carton sur les troupes de K.L en bas. Auguste dut s’accrocher comme jamais pour ne pas être propulsé, et ses articulations douloureuses furent à la peine. Mais l’adrénaline était telle qu’il ne s’était jamais senti aussi vivant, même au crépuscule de sa vie. Il se permit même de pousser des rugissements de bataille. Quand enfin Arcanin sauta tout en bas pour aider les autres contre les supers-soldats mécaniques de l’Orateur, Jeannine bondit sur le dos d’Arcanin derrière lui, pour jeter ses kunaï et ses étoiles tranchantes tout en bénéficiant de la vitesse d’Arcanin pour éviter les tirs ennemis.
- Vous avez l’air en forme, mon oncle, commenta la jeune femme.
- Et comment, par Arceus ! Rien de tel qu’une bonne guerre pour revitaliser un cadavre ambulant comme moi !
Mais son arrivée ne fut pas du goût de Régis.
- Nom de dieu, Blaine ! s’exclama-t-il en l’appelant par son nom de famille. Vous deviez rester dehors !
- La ferme, gamin, répliqua le vieux champion. Je tiens à présenter mes respects à notre vénéré dirigeant, moi aussi. Et vous devriez vous grouiller, car des renforts arrivent.
En effet, quatre portes magnétiques venaient de s’ouvrir aux quatre points cardinaux du grand hall, laissant à leur tour passer des lignes de robots tueurs, certains tenant des armes lourdes. Régis jura. Auguste voyait bien son dilemme. Abandonner ses hommes qui allaient gagner du temps pour eux le pesait, mais en tant que dresseur d’élite, son rôle était de participer au combat contre l’Orateur. Il acquiesça gravement et sortit son Ptera pour monter dessus. Ondine et Pierre, les deux autres anciens champions de K.L, grimpèrent sur le Steelix de Pierre, et enfin Arcanin, avec Auguste et Jeannine, fit plusieurs bonds pour sauter l’armada de robots et se retrouver sur les escaliers centraux, qui menaient à l’ancienne salle du Maître, là où devait se terrer l’Orateur.
Les cinq anciens champions traversèrent le long couloir qui montait, et le Steelix de Pierre ne manqua pas de faire s’écrouler le plafond derrière lui pour empêcher quiconque de les suivre. Ils traversèrent les quatre salles successives du Conseil des 4 : celle de Clément, de Koga, d’Aldo et enfin de Marion, toutes vides bien sûr. Puis enfin, ils parvinrent à la dernière salle, celle du Maître. Elle était telle qu’Auguste s’en souvenait, bien qu’il ne s’y était pas rendu bien souvent. Seul changement notable : le sol en verre qui couvrait une carte gigantesque et ultra réaliste de tout Kanto, et le trône blanc au bout de la pièce. L’Orateur y était tranquillement assis, avec à sa droite le traître Clément.
Auguste regarda son ennemi, l’ennemi de tout Kanto. Son masque, mélange de blanc et de violet en tourbillon, n’avait que deux petites interstices au niveau des yeux pour permettre à l’Orateur de voir, mais elles n’étaient pas suffisamment grandes pour qu’Auguste puisse voir ses yeux. À se demander comment cet homme pouvait voir quelque chose… Il portait son long manteau habituel, noué avec une cordelette dorée, qui lui donnait un air royal. Il se leva en écartant les bras en un geste de bienvenue.
- Vous êtes donc venus, dresseurs, fit-il de sa voix étouffée par son masque. À la bonne heure. Mais vous n’aviez nul besoin de provoquer tant de désordre dehors, de détruire une partie de la forteresse et de sacrifier autant de vies ; je vous aurais laissés entrer volontiers.
- Navré pour ce manque de politesse, répliqua Régis. C’est qu’on tenait tellement à vous voir, vous comprenez…
L’Orateur claqua des doigts, et des appareils noirs sortirent des murs de la pièce en divers endroits. Auguste crut d’abord à des armes automatiques, mais ce n’étaient que…
- Des caméras, dit l’Orateur. Si vous le permettez, notre petite rencontre sera filmée. Je n’ai pas eu l’occasion de le faire quand j’ai fait tomber le Conseil des 4 hélas. Du coup, vous autres dresseurs n’avaient pas eu l’occasion de constater de ma toute-puissance. J’espère que vos morts et la preuve de ma force inébranlable, quand elles seront diffusées dans tout Kanto, décourageront toute autre initiative absurde de révolte.
- Tu n’as rien compris, tyran, se rebiffa Jeannine. Aucune intimidation n’empêchera plus les gens de te combattre. Tue-nous aujourd’hui, et d’autres se lèveront à notre place.
- Ah, l’idéaliste naïf de la jeunesse, et l’honneur du ninja, se moqua l’Orateur. Ton père avait l’avantage de posséder une pointe de sagesse en plus… ce qui ne l’a pas empêché de me défier aussi stupidement, et de mourir pour rien.
- SALAUD !
Auguste avait rarement vu la stoïque Jeannine sortir ainsi de ses gonds, mais la haine et le désir de vengeance se lisaient partout dans son regard. Avec deux kunaï en main, elle fonça sur l’Orateur en hurlant.
- Arrête ! lui cria Régis. Il faut l’attaquer ensemble, avec tous nos Pokémon !
Mais Jeannine, sans doute pour la première fois de sa vie, ignora totalement les ordres qui lui étaient donnés. Elle bondit avec toute la force que lui conférait son entraînement shinobi, mais quand elle retomba sur l’Orateur… il n’était plus là.
- Que…
Auguste plissa les yeux. Il n’avait quasiment rien vu. L’Orateur semblait s’être évaporé, et d’un coup, il se retrouva juste derrière Jeannine.
- Jeune idiote… murmura-t-il.
En un coup de pied à la puissance surnaturelle, il envoya Jeannine s’écraser contre le mur, avec une force telle que la jeune femme avait dû se briser plus d’une côte. Le Nostenfer de Jeannine, qui se trouvait avec elle, attaqua furieusement l’homme qui avait blessé sa dresseuse, et cette fois, tout le monde put voir la vitesse de dingue avec laquelle se déplaçait le tyran. Même Nostenfer, qui était réputé pour être un Pokémon ultra rapide, ne pouvait pas le suivre. Auguste eut peine à en croire ses yeux. C’était comme si l’Orateur se téléportait sur place, tant ses gestes étaient presque invisibles pour l’œil humain.
Mais ce ne fut pas tout. Alors que Nostenfer, pour enfin parvenir à le toucher, dut utiliser Vive-Attaque, ce fut comme s’il venait de se heurter à un mur. L’Orateur ne sembla subir aucun dommage, alors que Nostenfer parut déboussolé. L’Orateur leva alors les deux mains, et une onde bleutée en sortie, allant frapper Nostenfer de plein fouet. Le Pokémon de Jeannine cria de douleur, et fut projeté au sol, d’où il ne se releva pas. Auguste en resta bouche bée. Il avait assez vu d’attaque Psyko en combat pour en reconnaître une.
- Mais… qu’est-ce que vous êtes ? demanda Régis, abasourdi, qui avait lui aussi reconnu l’attaque.
- Ce que je suis ? répéta l’Orateur. C’est une bonne question. Autrefois, j’étais humain. Un humain faible, vain et pathétique, comme tous les autres. Mais maintenant, qui peut le dire ? Mais une chose est sûre : je transcende à la fois les humains et les Pokémon. Je suis un élu, arrivé en ce monde pour le transformer et le sauver.
Auguste plissa les yeux, tâchant de réfléchir avec calme. Si l’Orateur possédait d’une manière ou d’une autre des pouvoirs de Pokémon, ça expliquait largement les rumeurs sur sa puissance, ainsi que le fait qu’il ait pu venir à bout à lui seul du Conseil des 4. Mais ça ne voulait pas dire qu’il était invincible pour autant. De la même façon qu’un Pokémon avait des faiblesses et un pattern d’attaques défini, si l’Orateur les copiait d’une quelconque façon, il devait en être de même pour lui.
- Gardez votre calme, fit Auguste à ses camarades. Lançons nos Pokémon contre lui, et observons. Il nous faut trouver quels sont ses différentes attaques et son type, s’il en a.
- Je reconnais bien là Auguste, scientifique et stratège hors pair, dit l’Orateur. Mais nulle stratégie ne peut fonctionner face à moi, pas même vous mettre à genoux et implorer ma pitié.
Un jet violet jaillit de la main de l’Orateur en direction Auguste ; jet qui fut intercepté par la queue du Steelix de Pierre, sans lui faire le moindre dommage. Ça devait donc être une attaque Poison, dont l’Acier était insensible. Probablement Bomb-Beurk. Auguste nota mentalement cela, et l’ajouta à l’attaque Psyko de toute à l’heure, ainsi qu’à la vitesse surprenante de l’Orateur.
Ondine appela son Staross et ordonna une attaque Psyko. Probablement qu’elle en était arrivée à la même conclusion qu’Auguste : que si l’Orateur avait un type, il était peut-être Poison. Mais le tyran masqué se contenta de lever sa main, et une barrière invisible bloqua totalement les ondes psychiques du Pokémon étoilé. Ça, ça semblait être une attaque Abri, qui bloquait à coup sûr l’attaque suivante. L’Orateur contre-attaqua directement avec sa vitesse folle, en allant au contact du Staross et en lui transperçant le joyau qui lui servait de cœur avec une fine épée qu’il venait de sortir, semblable à un katana.
Ondine cria en voyant son Pokémon favori s’écrouler, probablement mort ou à l’agonie, et l’Orateur choisit une nouvelle cible en la personne de Régis. Ce dernier, ayant des réflexes purement humain, ne pouvait pas réagir à temps, et allait se faire transpercer lui aussi. Mais au dernier moment, quelque chose bloqua la lame de l’Orateur, à quelque centimètres du visage de Régis. Jeannine, malgré ses blessures, venait de se lever, et avait contré le katana de l’Orateur avec un de ses kunaï.
- Impressionnant, commenta l’Orateur. Tu possèdes une forte volonté, assurément. Dommage que le reste ne suive pas…
Auguste vit les contours de Jeannine virer au bleu, tandis que l’Orateur utilisait une autre attaque Psyko sur elle. Mais avant que le tyran ne la lance à travers la salle, Régis intervint et vida le chargeur de son arme dans le corps de l’Orateur. Mais au grand désarroi de tout le monde, les balles ne le traversèrent pas. Elles tombèrent à ses pieds, stoppées net, comme si l’Orateur avait été en acier. Le tyran se permit un petit ricanement, et lança Jeannine sur Régis. Il maintint son emprise psychique pour les faire s’élever jusque tout en haut de la salle, avant de les faire tomber. Auguste envoya son Arcanin les récupérer au vol, et ordonna à son Maganon une attaque Lance-flamme, que l’Orateur esquiva en revenant se placer du haut des marches de son trône, sous le regard admiratif de Clément.
- Je ne comprends pas… avoua Auguste. Je ne vois pas ce qu’il pourrait être. Ça n’a aucun sens !
- Que voulez-vous dire ? questionna Pierre.
- Il a bloqué les balles de Régis comme si son corps était fait d’acier ou de roche. Mais avant, il a utilisé à la fois Psyko, Bomb-Beurk et Abri.
- Et alors ?
- Alors, il n’existe aucun Pokémon de type Acier ou Roche pouvant utiliser ces trois attaques là. De plus, les types Acier et Roche ne sont pas connus pour leur vitesse, et ce gars était pourtant plus rapide que le Nostenfer de Jeannine. C’est invraisemblable !
Auguste commença à douter. Peut-être bien que ça n’avait de sens que si l’on considérait l’Orateur comme un être réellement divin qui ne pouvait pas être vaincu. Mais alors, pourquoi étaient-ils tous là aujourd’hui ? Pourquoi avaient-ils fait tous ces efforts et ces sacrifices ?
- Tu te prends trop la tête, mon vieil Auguste, renchérit l’Orateur. Tu as toujours trop réfléchi, et pas assez agi. Je crois qu’on peut résumer ta vie ainsi.
Le vieil homme fronça les sourcils.
- Vous semblez me connaître. En ce cas, acceptez la demande d’un vieil intellectuel dépité. Dites-moi d’où vous viennent vos capacités. Vous allez tous nous tuer de toute façon, on ne pourra le dire à personne. Vous pourrez supprimer cette partie là de votre petit film de propagande.
L’Orateur éclata de rire sous son masque.
- Ma foi, tu as raison. Je peux bien prétendre à la grâce divine devant la masse ignare, mais devant le pragmatique que tu es, ça ne marcherait pas. Il n’y a rien de mystérieux, ou de surnaturel. Ce n’est que de la science. De l’avancée dans les expérimentations génétiques.
- Comment ça ?
- Toi qui as travaillé des années durant dans le Laboratoire de Cramois’île, pour le compte de diverses organisations louches, tu devrais le savoir. Le potentiel actuel de la science est bridé, maintenue dans une cage à cause de cette soi-disant bioéthique qui empêche toute avancée, au nom d’une morale des plus imaginaires ! J’ai dépassé cela. Pour le futur de l’humanité, pour transcender les frontières entre les espèces, j’ai fait ce que personne avant moi n’a osé faire. Tu as sans doute entendu parler de ce vieux projet de la Team Rocket, il y a de ça une trentaine d’années ? Le Pok Gen +.
Auguste en resta stupéfait. Pok Gen + avait effectivement été un projet scientifique de la Team Rocket visant à greffer de l’ADN Pokémon sur des humains pour tenter de créer des hybrides surpuissants. Auguste, qui à l'époque travaillait de temps en temps pour la Team Rocket dans leurs recherches scientifiques les plus poussées, avait lui-même qualifié ce projet de totalement dingue et irréaliste.
- Ce projet est mort-né ! s’exclama Auguste. Il était totalement inapplicable, en plus d’être profondément horrible !
- À l’époque, oui, admit l’Orateur. Mais tu as toi-même travaillé sur l’ADN de Mew quelque années plus tard. Un ADN qui est la source de celle de tous les Pokémon. C’était le chaînon manquant à la formule de Pok Gen +. La projet a donc pu aboutir, des mains d’une autre organisation. Et devine quoi : j’en fus le premier cobaye.
Auguste était tout chamboulé. Ce projet Pok Gen + n’avait pas été abandonné seulement parce qu’on avait pas trouvé le bon moyen d’implanter de l’ADN Pokémon à des êtres humains, mais aussi et surtout car le volume de liquide cérébro-spinal à prélever sur les Pokémon signifiait les mettre à mort. Même la Team Rocket, pourtant très peu regardante sur le bien-être des Pokémon, avait elle-même décidé de ne pas poursuivre ces recherches. Qui avait donc pu prendre le relai ? Qui avait été si monstrueux pour faire cela ?
Et surtout, surtout… Comment l’Orateur avait-il pu entendre parler de ce projet ? Il avait été classifié au plus haut point, de telle sorte que très peu de membres de la Team Rocket avaint été au courant. Auguste, en tant que chef scientifique, était l’un des rares à avoir été tenus au secret. Les autres qui étaient au courant étaient la boss de l’époque, Madame Boss, la mère de Giovanni, ainsi que son fils, mais tous les deux étaient décédés aujourd’hui. Les trois agents spéciaux de Giovanni à l’époque avaient dû savoir, eux aussi. De jeunes dresseurs prometteurs, qui étaient rapidement devenus champions d’arène, avant de quitter la Team Rocket d’eux-mêmes au bout d’un moment. Le Major Bob de Carmin. Morgane de Safrania. Et…
- Toi… murmura Auguste. Impossible. Tu serais…
- Je te l’ai dit : tu cogites trop ! rugit l’Orateur, soudain en colère. Le temps n’est plus à la réflexion. Le monde ne t’attendra pas !
L’Orateur repassa à l’attaque, cette fois en se démultipliant, faisant une vingtaine d’images rémanentes de lui. Jeannine aussi, de part ses techniques ninja, était capable de créer un double d’elle. Mais il s’agissait d’une simple illusion d’optique. Ce que l’Orateur faisait là, ça n’avait rien à voir avec des petits tours ninja : c’était une véritable attaque Reflet de Pokémon, lancée à la perfection. Évidement, les Pokémon de Régis et des autres attaquèrent au hasard dans le désordre le plus total, alors que plusieurs Orateur se déplaçaient à toute vitesse partout dans la salle, renforçant l’impression qu’ils étaient des centaines.
- Je crois avoir compris, dit Auguste aux autres. Si je ne me trompe pas, il est hautement vulnérable au feu. Ecoutez-moi…
Auguste leur exposa sa stratégie pendant que le Steelix de Pierre se démenait sur les nombreuses copies de l’Orateur, détruisant une bonne partie de la salle au passage. Le véritable Orateur sauta sur la tête du serpent d’acier, et en lui posant la main dessus, il commença à pomper son énergie vitale, avec l’attaque Giga-Sangsue. Cette attaque ne faisait que renforcer la théorie d’Auguste, qui était désormais sûr d’avoir percé la nature de l’Orateur… et son identité.
Arcanin et Maganon ne purent viser l’Orateur sur le crâne de Steelix, de crainte de toucher le Pokémon. Pierre le rappela donc, et aussitôt, l’Orateur fut attaqué des deux côtés par des attaques feu. Comme elles arrivèrent à lui en même temps, il put de nouveau utiliser Abri pour les contrer les deux à la fois. Mais c’est alors que surgit Jeannine, qui, suivant la stratégie d’Auguste, jeta au pied de l’Orateur une petite boule qui explosa en un grand nuage de fumée, censé aveugler l’Orateur.
- Pitoyable, fit la voix de ce dernier dans le nuage gris. Tes petits tours de ninja ne peuvent m’affecter. Je n’ai plus besoin de mes yeux pour voir.
Auguste y avait compté, justement. L’Orateur devait se servir de sens que les humains ne possédaient pas en temps normal, comme les ultrasons. Mais quand on savait cela, il était facile de le contrer.
- Maintenant ! ordonna Auguste.
Régis hocha la tête, et demanda à son Ptera :
- Lance Ultrason !
Le Pokémon préhistorique ouvrit grand la gueule et envoya toute une myriade de sons stridents dans le brouillard où se trouvait l’Orateur. Auguste pouvait deviner qu’il s’était stoppé à la seconde, n’arrivant plus à se repérer aux sons.
- Insolents…
Il utilisa alors son attaque Abri. Auguste put le voir, car l’attaque agit aussi pour repousser également le brouillard. Et c’était exactement ce qu’attendait Auguste. Abri ne fonctionnait que durant un temps très limité, et il était quasi-impossible de les enchaîner. Ayant utilisé son attaque pour contrer le brouillard et les ultrasons, l’Orateur ne put plus s’en servir pour repousser ce qui arriva sur lui. Auguste avait bien anticipé les actions de l’Orateur, et avait ordonné à son Arcanin de lancer Boutefeu avant même que l’Orateur n’utilise Abri pour recouvrer la vue. Il ne pouvait donc plus l’esquiver à temps, pas plus qu’il ne pouvait réutiliser Abri.
- Auguste… sale… commença l’Orateur.
Mais il ne put terminer, car Arcanin, dans sa charge enflammée, le percuta de plein fouet. L’Orateur, les vêtements en feu, fut repoussé jusqu’au mur, où les débris de son masque tombèrent par terre. Malgré le choc et ses blessures, il retira les vestiges de ses riches habits, ne gardant qu’une tenue moulante de combat qui se trouvait dessous. Et tout le monde put voir son visage. Un visage que tout le monde ici connaissait, même s’il avait terriblement changé. Un visage qu’Auguste n’aurait pas cru retrouver sous ce masque. Il s’en était douté après l’explication de l’Orateur, mais le voir en vrai lui donnait envie de s’arracher les yeux. Il se rappela alors la dernière fois qu’il avait vu ce visage, qu’il avait parlé avec cet homme qu’il avait autrefois appelé « mon ami ».
Huit ans plus tôt…
La réunion extraordinaire des champions d’arène de Kanto, présidée par Koga et Marion du Conseil des 4, venait de prendre fin. Elle avait été organisée à Safrania, la capitale, dans l’arène de Morgane, et avait pour but que les champions et le Conseil se concertent en une attitude commune à tenir suite au Coup d’Etat de l’Orateur. Auguste ne s’y était rendu qu’à contrecœur. Il se fichait de la politique, et surtout, avec l’âge, il quittait de moins en moins son île. Mais quand le Conseil des 4 exigeait un rassemblement de tous les champions, il fallait obéir.
Auguste était donc venu, mais était resté la plupart du temps silencieux lors des débats. Il y avait d’un côté les va-t-en-guerre comme Bob et Ondine, qui voudraient presque faire arrêter le nouveau dirigeant, et de l’autre, il y avait les fans de l’Orateur, comme Erika et Marion, qui soutenaient entièrement ce type masqué et son combat contre la corruption. Auguste trouvait les deux camps totalement débiles, et n’avait pas manqué de leur faire savoir. Tant pis s’ils le prenaient pour un vieux con dépassé ; de toute façon, il l’était sans doute.
Il quitta l’arène en claudicant avec sa canne. Il allait devoir prendre un taxi jusqu’à Parmanie, et de là, un ferry jusqu’à Cramois’île. Du temps et de l’argent dépensés pour rien, car cette réunion n’avait servi à rien, vu que personne ne semblait pouvoir se positionner sur une opinion commune. Alors qu’il maudissait ses collègues pour la perte de temps, il fut rattrapé par Koga, le vénérable maître poison du Conseil des 4, et vieil ami d’Auguste.
- Tu n’as pas été convaincu par ce qui s’est dit, devina le ninja.
- Je n’ai pas été convaincu par l’idée même de se rencontrer pour causer de ça, rectifia Auguste. Je te l’ai dit, la dernière fois, à la fin de la Ligue de l’année dernière. Je suis vieux. Trop pour me soucier de la politique d’aujourd’hui et des décisions de demain. Je ne pense pas de plus que ce soit de notre rôle de dresseurs d’élite.
- Mais quel serait notre rôle, alors ? Nous sommes un peu plus que des stars people bonnes à se donner en spectacle dans des arènes, Auguste. Nous avons un devoir moral de guider les autres dresseurs, qui eux nous admirent. Nous avons ce même devoir envers les Pokémon, que l’on prétend diriger.
Auguste secoua la tête.
- Et donc ? Je sais que tu n’aimes pas ce zozo de carnaval, mais il n’a rien fait pour s’aliéner les dresseurs et les Pokémon, que je sache ?
- Pas encore. Mais cet individu ne m’inspire aucune confiance. Il cache ses véritables intentions sous ce masque d’honnêteté et de charisme.
- Je crois que t’es un peu parano, ironisa Auguste. Peut-être qu’il nous cache sa tronche parce qu’il est moche comme un Tadmorv, va savoir ?
Koga soupira, et regarda le soleil couchant qui se reflétait sur les buildings de Safrania.
- J’aime cette région, Auguste. Et bien que je sois moi aussi vieux, je m’inquiète de ce que nous lèguerons à nos enfants. Non, plus que la région… C’est carrément le monde qui m’inquiète.
- La région, c’est pas assez pour toi ? Si tu t’inquiètes pour le monde entier, tu n’as pas fini.
- Les choses semblent tourner comme une machine parfaitement huilé. Les jeunes partent en voyage initiatique, ceux qui n’aiment pas trop les Pokémon se trouvent rapidement un métier, et tout le monde vit en harmonie. Même la Team Rocket ne fait plus parler d’elle. Oui, tout semble idéal. Mais je sais pas… J’ai cette sensation que tout ceci est une illusion d’optique, que la machine tourne comme ça à jamais dans la plus grande futilité. J’essaie de trouver un sens à ce monde.
Auguste ricana ostensiblement.
- Adopte la philosophie du pauvre scientifique que je suis : il n’y a aucun sens à ce monde, ni même à la vie. Tout n’est qu’une succession de hasards et de choix qui amènent à des conséquences. Et moi, je choisis de finir mes vieux jours sur mon île, loin de tout ce merdier.
- Je vais donc moi choisir de préparer le terrain pour l’affrontement contre cet Orateur, qui me semble inévitable, répondit Koga. Je vais me rapprocher d'Ondine et de Bob, et me tenir prêt à créer une résistance si jamais cet homme masqué a de mauvaises intentions.
- Ma foi, amuse-toi donc. J’en dirai rien à personne. Tâche juste de faire gaffe. Les révolutionnaires n’aiment pas trop l’idée que quelqu’un d’autre ne tente une révolution après la leur.
- Je suis un ninja, le rassura Koga avec un sourire. Je vis dans l’ombre, et je ne me dévoile que pour le coup fatal…