Chapitre 2.
Clairement, Clément avait mis l’ancienne championne de Céladopole à la porte peu après leur discussion. Il ne pouvait pas imaginer se confronter à la Ligue ; pas lui, pas dans cette position. Il n’était plus rien, juste un habitant un peu perdu de Niji, et allait sûrement finir sa vie comme ça. Il refusait de mourir bêtement, alors que deux organisations – sûrement bien plus organisée qu’une pauvre professeur en quête de vengeance ne le serait jamais – avaient échoué. Alors quelles étaient ses chances ? Ses plans ? Qu’est-ce qui l’avait poussée à être aussi déterminée ? Il était pourtant sûr qu’elle n’était pas stupide, et qu’elle savait que ses désirs étaient similaires à se suicider.
Cependant, même alors que la journée avait avancé et que le parfum de Erika n’était plus qu’une effluve discrète, Clément n’arrivait pas à tourner la page. Il revoyait encore le brasier ardent qui brûlait au fond des prunelles de la noire lorsqu’elle lui avait annoncé son objectif ; sa voix résonnait encore clairement dans son esprit. L’ancien dresseur psy avait ainsi fait les cent pas dans son appartement, se surprenant même à ranger les bouteilles d’alcool vides. Pourquoi semblait-il se reprendre en main ? Est-ce que Erika lui avait lancé une attaque Pokemon discrètement, usant de ses talents de biologistes pour constituer une poudre hallucinogène ? Non, ce n’était pas son genre – quoique, lorsque votre plan est de tuer le monarque de votre région, droguer une de vos proies ne semble pas si dérisoire.
- Bordel, ça me soûle.
Le garçon avait lâché ça entre ses dents, envoyant valser un pauvre cousin contre ses murs. Un léger voile de poussière se souleva alors, tandis que l’ancien dresseur se frottait les tempes. Est-ce que sa migraine passerait-elle un jour ? Il en doutait, il voulait juste retourner dormir.
Sauf que les mots de Erika étaient bien trop puissants. « Tu veux sauver Marion, non ? ». Depuis combien d’années n’avait-il pas entendu ce nom ? Pourquoi ses lèvres le brûlaient à la simple prononciation de ces six lettres ? Pourquoi une telle rage l’animait lorsque son visage souriant se dessinait à son esprit ?
Pourquoi Erika s’était-elle sentie obligée de lui balancer ces souvenirs à la figure, sans que son cœur ne soit prêt à entendre de tels mots ?
Après tout, Marion avait été la personne la plus importante de sa vie, depuis leur enfance. Ils avaient fait des erreurs, pris des décisions qu’il aurait mieux fallu éviter. Cependant, Koga et Aldo les avaient sauvés, nourrissant leur talent et leur désir de force. Sans eux, les deux adolescents auraient sûrement fini en prison, leur don pourrissant derrière des barreaux de fer.
Mais quoiqu’il en soit, quoique le Destin leur avait réservé, ils avaient été inséparables. Clément aurait pu dessiner, même aujourd’hui, les yeux brillants de Marion lorsqu’elle avait découvert le Conseil 4, et que ce prestigieux titre lui avait été attribué. Ils avaient fait leurs galons ensemble, devenant tout deux des figures de la Ligue Indigo.
Puis tout était allé si vite. Les inégalités entre dresseurs et non-dresseurs, µw et son coup d’état raté pour renverser la Ligue. L’intronisation figurée de Peter à la tête de Kanto. La destitution de trois des membres du Conseil 4. La descente aux enfers, comme si les Démolosses avaient brûlé tout ce quoi il avait cru jusque-là. Et désormais, les mirages du passé assaillant son âme.
- Erika, je te déteste putain, pesta-t-il alors une nouvelle fois, en attrapant une veste sur le vieux porte-manteau de l’entrée
Elle était démoniaque. Elle savait très bien qu’en prononçant le nom de Marion, il ne pourrait pas fuir. Pourtant, que pouvait-il faire ? Il avait déjà essayé de la convaincre, de la mettre en face de réalité. Mais elle s’était renfermée, et cela faisait près de dix ans qu’elle faisait partie des ténèbres de sa vie.
De ce fait, alors que son esprit était totalement embrumé, Clément poussa le pas de sa porte. Dehors, il pouvait apercevoir Niji s’étirer vers l’horizon dans un mélange harmonieux de couleur. Le grand incendie d’il y a deux ans avait certes laissé des stigmates pour les nombreuses années à venir, transformant l’est de la cité en un dépotoir, un endroit où seuls les dépravés comme Clément vivaient – faux, ils possédaient de l’argent, mais la plupart étaient trop occupés à les dépenser en jeux, en alcool et en plaisirs plutôt qu’en belles bâtisses flambant neuves – mais le printemps faisait néanmoins fleurir la ville de milles couleurs ; et il semblait à Clément que la capitale était perpétuellement en effervescence.
De plus, foyer de la modernité de Kanto, Niji se démarquait par ses nombreuses nouvelles technologies. Après tout, la ville avait su parfaitement intégrer la modernité de Safrania, notamment représentée par la SYLPH, à la douceur de vie de Céladopole.
Cependant, une ambiance pesante semblait enlacer la ville. Peut-être était-il quelque part resté dans le passé, mais en voyant un enfant courir vers le Centre Pokemon le plus près, un Nidoran♀ dans les bras, Clément se doutait que les blessures sanglantes du Pokemon n'étaient pas dues qu'à une petite rivalité. Après tout, même âgé de ou six ou sept ans, l'on pouvait venir vous défier pour remporter une stupide prime.
- Foutaises, que des foutaises.
Gagner sa vie devenait de plus en plus dur sans gagner de combats Pokemon. Vous pouviez marcher tranquillement dans la rue, et sans Pokemon compétant sur vous, vous faire dévaliser sans que cela ne pose de problèmes d’honneur à qui que ce soit. Tuer un Pokemon dans un combat n’était même plus si étonnant. Tout n’était plus qu’illusion, chacun nourrissant désormais haine et envie envers son voisin ; c’était une véritable course à la puissance qui était née des évènements du passé. Vaincre, ou être vaincu. Ecraser les autres, ou se faire écraser.
Ainsi, observant d’un regard hautain les gens tenter de survivre dans une région où plus rien ne comptait plus que la victoire, Clément finit par pénétrer dans le cœur de la ville, là où les plus imposants immeubles se dressaient vers la voûte céleste. Son regard fatigué jeta un coup d’œil au bout de papier plié que Erika lui avait remis dans la matinée, confirmant sa destination. Sérieusement, elle l’attendait à l’Université Pokemon ? Lui, retourner dans ce genre d’endroit où les apparences comptaient encore plus qu’autre part ? Vraiment, cela aurait simplement dû réussir à le décourager.
Néanmoins, en arrivant devant l’immense complexe de verre et d’acier, il semblait à Clément que faire demi-tour était vraiment devenu impossible. Au pire, ce n’était qu’une entrevue ? Rien ne garantissait sa participation au projet fou de Erika, même une fois les pieds posés dans l’immense bâtisse qui se dressait en face de lui.
Clément s’avança alors à travers l’important complexe, franchissant bien vite le parvis de l’Université. En effet, la grande place, décorée d’une élégante fontaine, semblait tout droit sorti de jardins à la kalossienne. De nombreux Mystherbe ou Chetiflor s’y promenaient sereinement, alors que Clément crut apercevoir quelques étudiants s’occuper affectueusement d’un Herbizarre.
- Tu comptes rester planter là combien de temps ?, s’exclama cependant tout à coup une voix au-dessus des murmures de la foule
Seulement à moitié surpris d’entendre la voix calme de l’ancienne championne de Céladopole, Clément fit tout de même volte-face. Derrière lui, portant son habituel kimono coloré, la jeune femme avançait gracieusement vers lui sous le regard admiratif de certains étudiants. Après tout, la douceur qui émanait de Erika était indéniable.
Et ironiquement, Clément savoura avec une certaine amertume le contraste de personnalité de la jeune femme. Elle qui s’était montrée presque sauvage, sans aucun remord à salir ses mains d’un sang pourpre, avait désormais laissé place à la douce professeur en biologie de l’Université de Niji, que certains étudiants saluaient en souriant. Cependant, Erika avait toujours été comme ça. Il se souvenait des airs de princesse naïve qui semblaient émaner d’elle lors de leur première rencontre, alors qu’il venait d’être accepté comme dresseur au Conseil 4 ; et il lui avait semblé que dans la seconde, la noire l’avait jugé hautainement, le défiant et jurant devant Arceus qu’elle allait l’écraser dans un combat Pokemon.
- Que veux-tu, je ne suis plus habitué à ce genre d’endroit, répondit alors l’ancien Conseil 4 en haussant les épaules
- Eh bien il va falloir, très cher.
Clément soupira, suivant les pas de Erika vers l’intérieur du bâtiment. Les regards commençaient à se poser sur lui, se demandant sûrement pourquoi Erika était accompagné d’un homme avec si peu de prestance. Cependant, ignorant ceux qui avaient à peine connu l’époque où combattre était un plaisir, non un jugement, l’ancien Conseil 4 pénétra à son tour dans l’université. Et à vrai dire, l’intérieur était tout aussi majestueux que l’extérieur : le hall était lumineux, traversé de toute part par les lumières de Solgaleo. De nombreux arbustes à baies et quelques noigrumiers décoraient aussi la pièce, alors que les lieux semblaient être la définition-même de la modernité.
- Mademoiselle Erika, salua alors un agent de sécurité, tandis que son Caninos se redressa
- Bonjour, répondit avec sa douceur caractéristique l’ancienne championne de Céladopole avant de désigner Clément d’un regard, cet homme est avec moi.
- Bien, vous pouvez passer alors.
Clément remercia à son tour l’agent d’une voix étouffée, suivant avec curiosité la noire. Elle semblait connaître parfaitement chacun des recoins de l’immense bâtiment principal, marchant d’un pas rapide et déterminé. De ce fait, il ne fallut pas plus de cinq minutes à l’étrange duo pour arriver devant une porte aux teintes claires, semblables à toutes les autres de l’étage. Erika sortit alors un petit badge de sa manche, avant que la porte ne se déverrouille dans le cliquetis habituel.
- Sirius, il est arrivé, lança alors la jeune femme
- Ce n’est pas trop tôt …
L’inconnu grimaça en prononçant ces quelques mots, tandis que Clément observait d’un œil déjà à nouveau fatigué la pièce. Plutôt spacieuse, d’épais rideaux en velours empêchaient pourtant la lumière de se diffuser à l’intérieur. La salle était d’ailleurs aménagée de façon assez simple, n’étant emplie que de quelques bibliothèques murales et d’une table centrale.
Et assis autour de cette table centrale, un garçon d’une vingtaine d’année était attablé. Vêtu d’une blouse blanche, dont les manches remontées laissaient apercevoir un important bandage, il recommença à taper sur son ordinateur dès lors que ses prunelles émeraude eurent croiser le regard des deux nouveaux arrivants. Ses cheveux, quant à eux d’une jolie couleur brune, semblaient plus décoiffés qu’autre chose, trahissant quelque part le désintérêt du garçon pour son apparence.
- Clément, je te présente le professeur Alter, déclara alors Erika en pointant le garçon
- Professeur ?, répéta cependant l’ancien Conseil 4, l’air dubitatif, il doit avoir quoi … vingt ans ?
- Vingt-quatre pour être précis, fit remarquer le sujet de la discussion, mais bon, appelle moi Sirius. Après tout, si t’es ici, c’est que Erika t’as convaincue non ?
Le jeune homme avait dit cela avec un sourire sarcastique aux lèvres, se délectant du soupir de l’ancien Conseil 4. Les deux garçons semblaient parfaitement connaître les désirs de Erika, mais aucun des deux n’était là pour l’arrêter.
- Bon, si les présentations sont faites, on va pouvoir passer aux choses sérieuses, ordonna alors la seule femme de la pièce en prenant place autour de la table, on-
- D’abord, la coupa cependant Clément, pourquoi être venu me voir moi ? Tous les autres ont dit non c’est ça ?
- Faudrait-il que d’autres soit encore là pour nous aider …
- Que veux-tu dire ?, demanda l’ancien dresseur en fronçant les sourcils
Clément savait parfaitement que des quatre dresseurs de l’époque, seule Marion était restée à son poste. En effet, Aldo et Koga étaient les premiers à avoir été remerciés : le dresseur de type combat était alors allé s’entraîner au Mont Argenté, sans que aucune nouvelle sur sa nouvelle vie ne soit un jour dévoilée. Il avait littéralement disparu du jour au lendemain. Koga, quant à lui, avait laissé sa place à sa fille, Jeannine. Cependant, cela n’avait créé qu’une dispute profonde entre le père et la désormais jeune femme, chacun luttant pour des idéaux bien différents ; et Clément ne pouvait s’empêcher de penser que Koga aurait été un meilleur allié pour Erika, malgré son âge. De ce fait, les mots du jeune professeur sonnaient encore plus étrange.
Enfin, lui-même avait été congédié sur les simples mots « Aldo et Koga sont partis, vous êtes ici grâce à eux, au revoir ». Il se souvenait parfaitement du ton froid de la lettre, et des adieux tout sauf chaleureux du Maître Dragon.
Mais surtout, Clément n’avait aucun soucis à se souvenir du regard absent de Marion lorsqu’il lui avait annoncé son licenciement, quelques années plus tôt. Elle avait juste souri tristement, lui souhaitant de poursuivre sa route.
Parce que elle restait au Conseil 4. Parce que elle était désormais la fiancée de Peter.