Prologue.
- Encore un verre ‘vous-plaît.
- Très bien monsieur.
Les pièces dorées glissèrent dans un grincement irrégulier sur le comptoir en bois, alors que le serveur rangeait méticuleusement l’argent durement amassé dans une petite caisse d’acier ; et quelques secondes plus tard, dans un verre d’une taille qu’il trouvait ridiculement petite, un shot d’alcool fut déposé devant le client. Sa couleur ambrée reflétait les rares lumières tamisées du bar, et l’homme resta un moment à observer les poussières voleter autour de sa boisson. Il en avait marre, il voulait simplement oublier. Se bourrer la gueule jusqu’à pas d’heures, rester simplement assis sur cette chaise inconfortable jusqu’à ce que les lumières de Solgaleo n’envoûte la ville. Oublier quoi ? Il ne savait même plus. Cela faisait trop longtemps qu’il ne faisait rien, il voulait juste tranquillement dormir, boire, rester dans le cercle vicieux et incompris de la paresse – et quelque part, du désespoir. A côté de lui, un autre homme buvait à grandes gorgées une pinte de bière, comme si cette boisson fusse la seule chose pour laquelle sa triste vie avait été faite.
Alors, retournant ses prunelles claires vers son verre d’alcool, il avala le liquide coloré sans plus réfléchir. L’habituelle brûlure lui caressa l’œsophage, avant de se répandre dans son corps tout entier. Il avait l’impression qu’une escouade de Triopikeur avait déjà pris place dans sa tête, et il ne voulait même pas imaginer la gueule de bois qu’il aurait le lendemain. Au pire, il n’était pas à ça près. Il n’y avait personne qui l’attendait ; personne qui attendait quelque chose de lui. Alors tant qu’il en aurait envie, il continuerait à avoir cette vie débauchée et sans intérêt. Et ce, sûrement jusqu’à sa mort. Après tout, en voyant son nom effacé sur un vieil épitaphe, qui arriverait à dire « Ah ! Je me souviens de lui ! Il fut un temps où il était l’un des plus forts dresseurs de Kanto ! » ? Absolument personne. Sa vie n’était qu’une infime poussière dans la roue du Destin, et il avait été rejeté du sien violemment. Peut-être était-ce le karma, les erreurs du passé qui lui revenaient en pleine face ? Ou alors simplement avait-il toujours été destiné à vivre dans ces conditions ? Elles lui allaient tellement mieux.
- Un verre.
Encore. Encore ce même grincement, encore cette même face inexpressive sur le visage du jeune serveur.
- Ah tiens, toi tu sais qui je suis ?, demanda-t-il alors que sa voix rauque peinait à prononcer ces quelques petits mots
- Un soûlard qui vient tous les soirs ici ?, répondit-il seulement avec un détachement presque irréel
Voilà, désormais, il n’était plus qu’un addict à l’alcool, un homme dépravé que le monde avait abandonné. Ses titres, ses compétences, tout s’était noyé dans ce liquide ambré. Vous souveniez vous d'un dénommé Clément ? Il se doutait que non. Personne n'allait venir chez lui, toquer à sa porte pour requérir sa présence.
Enfin, c'était ce qu'il pensait. Parce qu'après tout, il y a vingt ans, tout était différent.