Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Les deux faces d'une même pièce [OS] de Oustikette



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Oustikette - Voir le profil
» Créé le 12/10/2018 à 20:13
» Dernière mise à jour le 12/10/2018 à 20:13

» Mots-clés :   Drame   Kalos   Policier   Présence d'armes   Présence de personnages du jeu vidéo

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre unique
Littéralement vautrée sur son canapé, la jeune fille regardait la course infinie des aiguilles de son horloge. C’était une demoiselle au teint bronzé, dont les cheveux bruns épais, coiffés en deux couettes grossières, tombaient distraitement le long de l’accoudoir. Ses yeux bleu foncé brillaient de la lueur froide de ceux qui en avaient trop vu, contrastant avec sa jeunesse. C’était encore une enfant, elle n’avait qu’à peine dix-huit ans.

Elle s’ennuyait comme pas possible. Personne à recevoir aujourd’hui, il en était mieux ainsi pour tout le monde. Elle n’avait pas non plus la foi d’entamer la pile de dossiers qui trônait sur le coin de son bureau. De toute manière, elle ne pourrait pas sortir enquêter. Affronter l’extérieur aujourd’hui ne serait possible qu’en dernier recourt.

Car oui, cette adolescente enquêtait. Malgré son jeune âge, elle était détective privée. Une vocation venue d’un homme qu’elle n’avait pas pu côtoyer longtemps, malheureusement. Cet homme, un père de substitution, lui avait laissé son nom et son agence, située dans une ruelle du centre d’Illumis.

Tout à coup, on tenta d’ouvrir la porte, malgré le panneau ‘Fermé’ qui y était attaché. L’individu toqua donc du poing sur la vitre.

— Mam’zelle Beladonis. Vous êtes là ? Je vois de la lumière… Mam’zelle Beladonis !…

La détective avait immédiatement reconnu le possesseur de cette voix : Un policier d’âge mûr à qui elle avait plusieurs fois rendu service. Un brave type, sympathique qui plus est.

Hélas aujourd’hui, elle ne pourrait rien pour lui. Mais il insista.

— … C’est urgent ! Le commissaire vous demande !
— C’est pourquoi ? finit-elle par lui crier, sans quitter son divan.
— Le Faucheur a de nouveau frappé, hier dans la soirée.

Quoi !? Pas déjà ! Non, c’était impossible ! Il était en avance.

Des grosses gouttes de sueur perlèrent sur le front de la jeune fille. Soudain apeurée, elle se précipita contre la porte.

— Vous êtes sûrs que c’est bien lui ? Ce n’est pas un copycat ?
— C’est possible, mam’zelle. C’est pourquoi nous avons besoin de vous.

L’adolescente secoua la tête, adossée contre le battant en bois. C’en était forcément un, le Faucheur n’aurait jamais changé son habitude sur un coup de tête.

— Ce n’est pas lui ! conclut-elle, craignant tout de même le pire. Ça ne m’intéresse pas !
— J’aurais pensé le contraire, s’avoua-t-il désolé. Mais après tout, vous êtes la mieux renseignée en ce qui le concerne.

En proie au doute, la détective se mordit la lèvre inférieure. Bien sûr qu’elle était la meilleure en ce qui concerne ce tueur en série. Si ce n’était cette fois qu’un simple usurpateur, le risque était trop grand.

Elle voulut alors s’assurer de quelque-chose.

— Qui sont les victimes ?
— Je n’ai pas le droit de vous le dire, mam’zelle. Surtout si vous n’ouvrez pas cette porte. Faut que vous veniez avec moi. Le commissaire a été formel.

Évidemment !

La brune n’avait plus le choix. Elle devait sortir, quoi qu’il en compte. Elle devait s’assurer que ce ne soit pas lui.

— Oubliez ce que j’ai dit ! Dites au commissaire que je serai dans son bureau, d’ici une demi-heure.

L’homme sembla satisfait.

— Parfait ! Je vous y attendrai !

Puis son ombre disparut aussitôt de derrière la vitre.

Stressée, la jeune fille se laissa glisser jusqu’au sol. Cette journée ne pouvait pas commencer d’une pire manière.

Maintenant, pour sortir, il lui fallait récupérer ses clés. Toujours assise contre la porte, elle cria.

— Gribouille ! Mes clés, s’il te plaît !
— T’es sûre ? s’étonna une voix grave, au fond de la pièce. Je croyais qu’il fallait que je te les gardes toute la journée ?

Un Mistigrix mâle sauta alors par dessus le bureau de l’adolescente, un trousseau de clé dans la patte droite.

Elle se mordit la lèvre.

— Le statut quo a changé, Gribouille. Il a commencé plus tôt, cette année.
— Quoi ! manqua de s’étouffer le pokémon, surpris. T’en es vraiment sûre ? Comment ça se fait ? Il l’avait jamais fait avant ?
— Justement, c’est ce que je compte découvrir.

==

Patrick Falken était commissaire de la brigade criminelle d’Illumis. Physiquement, c’était un homme tout ce qu’il y avait de plus commun : taille, corpulence, musculature, tout chez lui était moyen. Néanmoins, c’est par son caractère et son esprit qu’il se distinguait de ses pairs. Patrick était charismatique, il savait comment mener des hommes. C’est pour cela qu’il avait été promu commissaire à seulement trente-deux ans.

Ce jour-là, une seule affaire l’obsédait : un vieux dossier qui n’avançait pas depuis huit ans. L’équation était simple, cette année : trois victimes, deux scènes de crimes et un même mode opératoire, celui du Faucheur. Restait encore à savoir si c’était vraiment son œuvre ou celle d’un copycat.

Assis à son bureau, l’homme parcourait de son regard noisette les différentes photos prises par ses équipes. Comme toujours avec ce tueur en série, le ‘travail’ était impeccable, il ne laissait aucun indice derrière lui. Ni matériel, ni empreinte, ni échantillon ADN. Un vrai casse-tête insoluble.

Un agent de police entra alors.

— Monsieur le commissaire, la voilà !

Derrière lui, se trouvait la jeune détective. Pour l’occasion, celle-ci avait revêtu un long imperméable beige. Un bon vieil accessoire bien cliché qu’elle aimait particulièrement.

Impatiente, elle s’approcha immédiatement du bureau.

— Bonjour commissaire !
— Bonjour Millie ! Je suis content de te revoir. Même si j’aurais préféré que ce soit dans d’autres circonstances.

Une expression de tristesse déforma le visage naturellement inexpressif de la jeune fille.

— Oui, moi aussi.

Sans perdre plus de temps, le policier retourna les clichés qu’il observait juste avant pour qu’elle puisse mieux les voir.

Dubitative, Millie porta sa main à son menton.

— C’est arrivé quand exactement ?
— Hier dans la soirée, vraisemblablement. La médico-légal est encore en train d’analyser les dépouilles. On en a été reçu le signalement à 2h et 9h.

La jeune fille cligna des yeux, ne semblant pas comprendre.

— Il y a deux scènes de crimes ?
— Oui. Et au total, trois victimes.
— C’est étrange, murmura-t-elle pour elle-même. Pourquoi tu changes tes habitudes comme ça ?…

Tout à coup, un jeune homme entra précipitamment. Son classieux costume blanc de cérémonie militaire dénotait avec sa jeunesse. Il avait dix-huit ans tout au plus, lui aussi.

Se retournant pour le saluer, le cœur de l’adolescente manqua de rater un battement.

— … Ka … Ka … Kalem ! bafouilla-t-elle, surprise.

Gêné, le nouveau venu passa une main dans ses cheveux châtains.

— Et ouais ! Bonjour Millie…

Depuis le premier jour où ils s’étaient rencontrés, elle l’avait trouvé éblouissant. Mais maintenant, dans son uniforme officiel de de maître de la ligue, ce sentiment était décuplé.

Sans rien ajouter, la détective se jeta dans ses bras.

— … Je sais, tu m’as manqué à moi aussi. Ça faisait combien de temps ?
— Deux ans, marmonna la jeune fille, troublée. Mais pourquoi t’es là ? Il y a un problème à la ligue ?

Kalem se mordit la lèvre. Mais c’est le commissaire qui répondit à sa place.

— C’est pour ça que j’ai préféré te faire venir ici. Une des victimes d’hier soir était un membre du conseil 4.

Cette nouvelle recentra aussitôt la brune sur ses préoccupations.

— C’est pas vrai !?
— Eh si, malheureusement ! On ne voudrait pas que l’affaire s’ébruite trop rapidement. Ça pourrait entraîner un vent de panique, si ça venait à se savoir qu’un tueur pouvait s’en prendre à l’un des meilleurs dresseurs de la région.

Peu convaincue, Millie haussa les épaules, s’emportant légèrement.

— Non, il n’y aurait pas de panique, si on expliquait tout ce que l’on sait. Le Faucheur ne s’en prend qu’aux parents violents avec leurs enfants. Ça ne pourrait qu’être bénéfique que de montrer à ces salauds qu’ils ne sont pas à l’abri.
— Enfin ça, c’est ta théorie ! s’opposa le plus vieux. On n’a jamais prouvé à cent pourcent que c’était ce qui le poussait à agir. Certaines victimes n’en avaient même pas ! Et on a jamais eu confirmation que toutes les autres victimes étaient des parents violents.

Le jeune homme sembla surpris.

— Mais comment tu peux savoir tout ça sur lui ?

Ne voulant pas lui en parler, elle baissa la tête. Encore une fois, c’est Patrick qui se chargea d’éclairer la situation.

— Il y a huit ans, le Faucheur faisait son apparition avec son premier homicide connu : celui d’un couple. Ce couple…
— C’était mes parents.

Perturbé, Kalem cligna plusieurs fois des yeux.

— Je suis désolé !
— Tu n’as pas à l’être, somma sèchement la détective. C’était des connards qui passaient leur temps à me frapper parce que je ne faisais pas les choses comme ils le voulaient…

Il y eut un blanc, que personne ne chercha à combler. Mais ce fut Millie qui brisa le silence qu’elle avait elle-même créé.

— … Ce serait possible de voir les corps ?

Se levant de son fauteuil, le commissaire acquiesça.

— Bien sûr. Suivez-moi.

==

Millie entra la première dans la salle d’autopsie, suivie de près par les deux hommes. Le commissaire fermait ici la marche.
C’était une pièce complètement blanche où régnait un froid mordant. Il faut dire qu’elle était conçue pour la conservation des cadavres, pas pour servir de sauna.
Au centre, on avait allongé trois corps inanimés sur des sortes de tables en aluminium, puis on les avait recouverts d’un drap blanc. Sur celui du milieu cependant, la couverture s’arrêtait au niveau du nombril, et le légiste s’affairait sur la partie haute de la victime.

Les entendant entrer, celui-ci stoppa immédiatement son office. C’était un homme d’une petite cinquantaine d’années au visage rond, à la bonhomie flagrante. Exigence du métier oblige, il était recouvert de la tête aux pieds, de sur-vêtements en plastique bleuâtres.

Toujours aussi pressée, la jeune fille l’interrogea aussitôt. Un certain stress se lisait sur son visage d’enfant. Intérieurement, elle priait pour que ce ne soit pas le Faucheur.

— Bonjour doc ! S’il vous plaît, ne me dites pas que c’est encore lui !

Le médecin laissa échapper un soupire qui se perdit dans le masque qui recouvrait le bas de son visage. Malgré tout ses protections, on distinguait clairement la peine qu’il ressentait.

— Je suis désolé, Millie. Il y a très peu de chances que ce soit un imitateur. Il y a trop de similitudes avec son mode opératoire habituel… Tenez, venez voir !…

L’homme leur fit signe d’approcher. Ils s’exécutèrent, et Millie, dont le niveau de stress augmentait à vue d’œil, se pencha aussitôt sur la dépouille.
La victime était un homme de haute stature d’environ quarante ans, à la chevelure formant des longs épis de chaque côté de son crâne. Son teint était livide, bien sûr, mais ce qui se remarquait le plus, c’était cette fente sanguinolente longue de quelques centimètres, à la place de l’œil droit.

— Oh saint Arceus ! Thyméo ! larmoya Kalem la voix cassée, à l’écart.

Saisissant sa tablette de note, le légiste commença son explication.

— Le meurtrier, quel qu’il soit, a procédé à un coup violent au niveau du centre de l’orbite, à l’aide d’un objet tranchant et relativement courbé. Avec un tel coup, l’objet a pénétré le cerveau sur une bonne mi-longueur. Pour être honnête, avec cela, la mort est instantanée. Le plus probable est qu’il ait utilisé un jambiya, une sorte de poignard courbé, ou une faux de jardin.
— Il n’a pas souffert ? demanda immédiatement le jeune maître, prêt à s’évanouir.
— Non, ne vous inquiétez pas. Et les analyses montrent qu’il a été agressé pendant son sommeil…

L’homme soupira encore, attristé.

— … Malheureusement, ça n’a pas été le cas des deux autres victimes.

N’y croyant pas, la jeune fille fit les yeux ronds. Cela aussi, il ne l’avait jamais fait.

— Comment ça ? Il les a tués éveillés ?

Il hocha la tête.

— Oui. Si on se fie aux simulations que j’ai pu faire en me basant sur le profil de pénétration, il est arrivé dans leur dos. Je suppose sans se faire voir. Il n’y a pas de traces flagrantes de lutte. Puis, il leur a assené un coup tout aussi violent certes, mais pas suffisamment précis. La lame a alors heurté l’os temporal et sectionné l’artère méningée moyenne, entraînant une hémorragie.
— Et au niveau des empreintes ? s’impatienta la brune, atteignant presque son point de rupture de stress.

Remettant le drap en place sur le corps, le légiste soupira à nouveau, clairement déçu.

— Absolument rien d’exploitable. Comme toujours.
— Comment est-ce possible ? ne comprenait pas Kalem, la voix saccadée par ses larmes qui dégringolaient le long de ses joues. Comment, en huit ans, ne peut-on jamais laisser aucune trace ?
— Oh mais il en a laissés ! Surtout les premières années où il a commis ses assassinats. Mais ces traces étaient si infimes, qu’il nous était impossible de les analyser et d’en tirer quelque chose d’intéressant.

Le jeune homme n’y croyait toujours pas. En proie au chagrin, il commença à s’emporter.

— Vous n’allez pas me faire croire qu’on peut faire disparaître toutes les traces trahissant son identité, comme cela ! D’un simple claquement de doigt !
— À tout avis, comment les flics font pour pas contaminer les pièces à conviction ? s’emporta Millie à son tour.

Se rendant compte de sa bêtise, le brun se calma aussitôt.

— Veuillez m’excuser.
— Il y a pas de quoi.

Tout à coup, le téléphone du commissaire,qui était resté à l’écart jusque là, se mit à sonner.

— Ici commissaire Falken, je vous écoute ! répondit-t-il, en décrochant aussitôt… Très bien, Nous nous verrons cet après-midi alors… Au revoir.

L’homme raccrocha ensuite rapidement. Un maigre sourire se dessinait au coin de sa bouche.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? l’interrogea Millie, inquiète.
— C’était le psychologue qui s’occupe des enfants du couple. L’un d’eux assure avoir vu quelqu’un entrer par la fenêtre.

L’adolescente haussa les sourcils, désabusée.

— Sérieusement ? Vous pensez que vous allez pouvoir reconnaître un type en combinaison intégrale, en se basant sur le témoignage approximatif d’un gamin de cinq ans ?

Patrick leva légèrement les épaules.

— Ça ne coûte rien d’essayer, non ? On n’a pas la moindre bribe d’information physique sur lui depuis des lustres.
— Vous utiliseriez des pokémons télépathes, à la rigueur, je dirais pas. Mais vous ne le faites même pas !
— C’est surtout parce que nous n’avons pas le droit de le faire. C’est éthiquement douteux, ça ne constitue donc pas une preuve légale… Mais bref, toi qui connais l’affaire aussi bien, voir mieux, que moi : qu’est-ce que tu en penses ?

Millie fit une petite moue.


— Mouais. C’est trop bizarre, cette date. Pourquoi il l’aurait changée d’un coup, comme ça ? Je sais que l’on parle que de vingt-quatre heures de différence, mais c’est la première fois en huit ans. J’avais l’impression qu’il y tenait, pourtant.
— Il peut y avoir une explication, supposa le commissaire, en y réfléchissant. Il savait qu’une de ses victimes devait s’absenter, et qu’il ne pourrait pas agir à sa date fétiche.

Quelque chose tracassait Kalem. Reprenant tant bien que mal ses esprits, il se rongeait les ongles.

— Non, c’est impossible !
— Qu’est-ce qu’il se passe ?! l’interrogea prestement son amie.
— C’est bien pour cela que le Faucheur a agi plus tôt. Mais cela impliquerait qu’il connaisse nos emplois du temps !
— Sois plus clair, s’il te plaît !
— Eh bien, dans la journée, si rien ne s’était passé, on aurait dû se rendre à Sinnoh pour une réunion des conseils. Ça devait durer une bonne semaine. Mais quasi personne est au courant de cet événement !

Millie porta sa main à son menton, pensive.

— En effet, c’est pas incohérent.

De son côté, Patrick hocha la tête, puis jeta un rapide coup d’œil à sa montre.

— Je pense que ces nouvelles sont suffisamment dures pour vous. Vous devriez peut-être prendre du recul. Au moins, pour toi Millie, ça te permettra d’avoir les idées claires pour la suite, cet après-midi.
— Vous avez raison, acquiesça la jeune fille. En plus, je meurs de faim.

==

Kalem ne se sentait pas excessivement bien. Il fallait dire que, contrairement à son amie, il n’était pas habitué à la vue de cadavres, encore moins quand il s’agissait de celui d’un homme qu’il connaissait.

Pour assurer la sécurité de la célébrité que le jeune homme était, le commissaire les guida à l’arrière du bâtiment, dans une ruelle parallèle, bien moins fréquentée que celle de l’entrée principale. Deux imposants gardes-du-corps l’attendaient déjà, devant une grosse berline noire aux vitres teintées.

— Du coup, tu comptes y aller, à cette grosse réunion ? le questionna Millie, visiblement attristée par l’état émotionnel de son ami.
— Non, la vice-maître va le faire à ma place. Je vais rester un temps sur Illumis…

Des larmes revenant au coin de ses paupières, il serra les poings.

— … Je veux qu’on tire cette affaire au clair, ensemble ! Ce salopard n’a que trop fait ce qu’il voulait !

Devant sa détermination, la tristesse se lut encore plus sur le visage de la brune.

— D’accord. Mais je veux que tu fasses attention à toi !
— T’inquiète pas…

L’adolescent trépignait. Il voulait lui demander quelque chose mais n’y arrivait pas.

— Ça te dirait de venir déjeuner avec moi ? finit-il par lancer, hésitant. Le comité de la ligue m’a payé une suite en pension complète au Crésus, mais c’est beaucoup trop grand, trop vide, pour moi.

Intérieurement, la jeune fille rougit face à cette proposition mais fit en sorte de ne rien montrer.

— J’aurai bien aimé. Hélas, tu sais bien que je suis allergique à tout ce luxe.
— Oui, je comprends.

Voyant la déception dans le regard de son ami, Millie se reprit immédiatement.

— Ça veut pas dire non, hein ! On n’a qu’à aller chez moi ? Certes ça ne sera pas de la cuisine raffinée, digne d’un cinq étoiles. Mais au moins, on aura l’avantage d’être hors de l’esprit des paparazzis et autres fans hystériques.

Le sourire de Kalem s’illumina.

— Oh oui ! Ça me manque tellement cette période, quand je n’étais pas encore maître !

Tandis qu’un des gardes prenait place au poste de conduite, le second les fit monter à l’arrière du véhicule. Banquette en cuir et alcantara véritable, mini-bar, écran HD : l’intérieur était d’un luxe à la limite de l’ostentatoire. Le parcourant du regard puis faisant de même avec ses vêtements, elle ne pu s’empêcher de soupirer.

— J’ai juste l’impression de faire tache en portant ces guenilles.
— Mais non, t’inquiète, la rassura aussitôt le jeune homme. T’es très bien comme tu es !
— Je refuse. Tu sais que ça va prendre que quinze secondes, en plus.

Alors, elle apposa son index sur sa tempe et un menu translucide apparut en réalité augmentée dans son champ de vision. Parcourant celui-ci en faisant glisser habilement son doigt, elle sélectionna enfin une des icônes d’un tapotement discret.

D’un coup, ses vêtements disparurent en une multitude de petits hexagones pour immédiatement laisser place à une plus belle tenue : une robe cyan au motif fleuri. Ses baskets, quant à elles, se transformèrent en une paire d’escarpins assortis. Aussi, ses cheveux négligemment attachés se rassemblèrent pour former une queue de cheval parfaitement lissée.

— Ouah, jolie ! Je n’avais pas remarqué que tu portais ta combinaison Booster, s’étonna à peine Kalem, apparemment commun à ce spectacle.
— Tu sais, j’ai pas que des amis à Illumis. Surtout depuis que je suis une privée…

Elle ricana.

— … On peut dire que moi aussi, j’ai mes fans !

Kalem ricana à son tour.

— Ouais, c’est sûr, sauf que les tiens veulent ta peau.

==

L’agence de la jeune fille ne se situait qu’à quelques rues du commissariat. Ainsi, le trajet ne dura qu’une poignée de minutes. Elle était située dans une ruelle donnant sur la place rose, en face d’un restaurant chic japonais, où les gens branchés se regroupaient le soir venu.

Aussitôt descendus, les gardes-du-corps se postèrent de chaque côté de la porte d’entrée. Millie déverrouilla une à une les trois serrures qui la maintenaient fermée puis la poussa d’un coup d’épaule. Elle tint ensuite le battant à son ami.

— Si voulez bien me faire le plaisir d’entrer, maître ! lâcha-t-elle en effectuant une révérence, tentant de lui faire retrouver le sourire.

Mais Kalem n’arrivait pas à se sortir la mort de son collègue de l’esprit, il ricana faiblement.

— T’es bête !

L’adolescent parcourut le mobilier du regard. Tout comme dans ses souvenirs, rien n’avait changé, ou presque. À gauche, un vieux sofa fatigué et une table basse entourée par des panneaux. Au fond, un lourd bureau en bois recouvert d’un amoncellement de choses diverses. Et la cuisine au coin droit, où le plan de travail et l’évier, était encombré par la vaisselle sale des jours précédent.

En voyant ce dernier détail, la jeune détective fit la moue.

— Tu m’excuseras pour le bordel, j’avais pas prévu de recevoir aujourd’hui.
— J’ai connu ça aussi, t’inquiète !

S’approchant d’un porte-manteau futuriste posé dans le coin, Millie porta ses mains à ses oreilles. En une fraction de seconde, son visage disparut au profit d’un casque jais, muni d’une visière orangée qui en recouvrait l’avant. Elle le retira enfin et son ’’vrai’’ visage apparut. C’était le même que celui que renvoyait la combinaison, mais en bien plus fatigué.

Pendant ce temps, Kalem s’approcha du fond de la pièce. Il remarqua alors Gribouille, qui dormait dans son panier, derrière le bureau.

— Ah, tu ne lui a toujours pas acheté de PokéBall ? s’étonna le jeune maître.
— Ouais. J’ai toujours pas les moyens…

Se dirigeant vers la cuisine, l’adolescente ouvrit un placard, vide. Elle savait qu’elle avait oublié quelque chose d’important hier.

— … Merde, murmura-t-elle.
— Ça paye si mal détective privé ?

Millie soupira.

— Tu m’étonnes ! J’ai déjà du mal à payer mes factures. Il faut dire que je passe mon temps à courir après des époux infidèles. Les contrats standards, ça rapporte que-dalle !
— Tu ne m’avais pas parlé d’ennemis ? Ne va pas me dire que c’est ces couples les plus dangereux !

Ouvrant un deuxième placard, vide lui aussi, elle haussa les épaules.

— Non, bien sûr. C’est les mafieux ! Ils payent bien, mais essayent de me descendre avant de me filer l’argent.
— Ah, quand même ! fut choqué le jeune homme, écarquillant les pupilles.
— Et ouais ! D’où l’obligation du port quotidien de la combinaison…

Ouvrant un énième placard, elle tomba sur un sachet entamé de pâtes à cuisson rapide. Il y en avait tout juste assez pour deux. Dépitée, elle soupira, murmurant.

— … Et c’est la merde…

Puis, elle reprit un peu plus fort.

— … Bon, tu as le choix, ça sera : pâtes, pâtes ou pâtes ? Tu choisis quoi ?

Kalem ricana.

— Ça me rappelle tellement ces longues soirées au coin du feu, pendant mon voyage. Ben pâtes !

Millie afficha une mine triste.

— J’ai pas connu, tu sais.
— Oui, je le sais, avoua-t-il, compatissant. Tu ne m’avais d’ailleurs jamais dit que tu étais orpheline ?

Alors plongée dans le frigidaire, il ne la vit pas se mordre la lèvre.

— C’est pas ce qu’il y a de plus facile à avouer…

Elle continua ensuite, dans des murmures inaudibles pour lui.

— … Surtout vu comment ça s’est passé.

En fouillant de fond en comble son frigo, la jeune fille finit par dénicher un reste de jardinière de légumes. Avec tout ça, et quelques herbes aromatiques bien sûr, elle prépara une sorte de bouillon amélioré. Ça avait l’avantage de tenir au corps, plus que d’être goûteux.

Elle n’avait jamais été bonne cuisinière, de toute manière.

==

Après ce repas frugal, Millie dut laisser son ami pour remplir un besoin plus que naturel. Elle se lavait les mains dans sa salle de bain, quand tout à coup…

— De toutes manières, tu n’as jamais voulu admettre que mes actions sont louables.

Pas surprise, la jeune fille releva à peine la tête pour voir qui lui parlait. Dans le reflet du miroir, un être vêtu d’un long manteau noir à capuche, qui lui dissimulait le visage par son ombre. Il se tenait droit, contre le montant de la porte, qu’elle poussa aussitôt d’un violent coup de pied.

— Parce qu’elle ne le sont pas !!
— Mais je nous ai sauvées ! tenta de se dédouaner l’étrange personne. Et je continue de sauver ces enfants qui souffrent, comme nous autrefois ! J’ai tué ceux qui le méritaient ! Je sais qu’au fond de toi, tu es d’accord avec moi !

La brune s’énerva soudain.

— NON ! Et je ne le serai jamais ! Tu es une meurtrière ! Une folle ! Une psychopathe ! En aucun cas tu n’es une sauveuse !
— Ceci est faux, et tu ne l’assumes pas, affirma l’être, attristé. Tant pis. J’aimerais pourtant tellement être en harmonie avec toi.
— Ferme-la ! Es-tu au moins consentante à me dire tes futurs projets ?

L’être à capuche pouffa.

— Si ta question tend à connaître le destin de ton ami le maître, sache qu’il n’est pas sur ma liste… Pas pour l’instant.

Pour se remettre les idées claires, Millie se passa aussitôt un peu d’eau sur le visage. Quand elle releva la tête, l’autre était repartit.

==

Quand la jeune détective revint dans la pièce principale, Kalem discutait avec Gribouille. L’entendant arriver, les deux se tournèrent vers elle.

— On t’a entendu parler, s’inquiéta le jeune homme. C’était quoi ? Rien de grave ?
— Non, vous inquiétez pas , c’est rien ! J’étais au téléphone : un client !

Le Mistigrix fronça discrètement les sourcils. Ce à quoi l’adolescente répondit par un léger hochement de tête.

— Ah OK !…

Elle se posa à côté de lui sur le canapé. Le jeune homme semblait attendre pour lui dire quelque chose.

— Bon, c’est mieux que je vous laisse, supposa le pokémon, sautant aussitôt de la table basse.

Profondément gêné, le brun finit par se lancer.

— Tu sais, je ne supporte pas de voir mes amis dans la misère. Si tu as du mal à boucler tes fins de mois… La ligue me paye bien au-delà de mes besoins, je pourrais t’en donner une partie.
— Non ! Je ne veux plus demander la charité ! répondit Millie du tac au tac, du moins sec qu’elle pouvait. Je ne suis pas ce genre de personne qui se laisse entretenir par plus riche qu’elle.

Il se mordit la lèvre. Il s’attendait pourtant à cette réponse.

— Oui, bien sûr. Excuse-moi… Dans ce cas là, je pourrais conseiller ton agence au bureau des affaires intérieurs. Je sais qu’ils font parfois appel à des détectives privés.
— Je préfère largement cette opportunité ! sourit la jeune fille, de bon cœur.

Kalem sourit à son tour. Mais son visage s’assombrit soudain. Il venait de se rappeler la dure réalité dans laquelle se trouvait la ligue en ce moment.

— Mais avant, nous devons déjà retrouver l’assassin de Thyméo. Je…
— Tu es vraiment sûr de vouloir courir après le Faucheur ? s’inquiéta Millie, le coupant. Si on venait à l’affronter, l’un de nous pourrait y rester à tout moment ! Je ne veux pas que tu souffres encore plus, si jamais je venais à mourir !
— J’en suis plus que certain ! C’est mon devoir en tant que maître, que de retrouver un individu pareil pour le traduire en justice ! Et sache que je ferais tout pour te protéger, quoi qu’il m’en coûte !

Une nouvelle fois, le visage de la brune fut parcourut d’une profonde tristesse qu’il ne remarqua pas.

==

Peu de temps après, le commissaire les contacta. Une information venait d’être dévoilée : quelqu’un avait pu photographier le Faucheur, un paparazzi qui observait alors le membre du conseil depuis un toit en face.
L’homme leur conseilla donc de le rejoindre dans le logement de la victime, où les relevés d’empreintes venaient à peine d’être bouclés. Ce qu’ils firent immédiatement, Kalem en tête, très motivé pour résoudre cette affaire. Derrière, Millie semblait plus affligée par la nouvelle.

Ils ne mirent que quelques minutes pour atteindre l’immeuble en question, situé dans un des quartiers les plus chers de la capitale.

L’appartement, quant à lui, était un grand duplex avec mezzanine, au dernier étage. Une impressionnante verrière illuminait les deux niveaux et permettait ainsi d’apprécier la vue des toits de la ville. Au fond, une immense bibliothèque murale remplie d’ouvrages reliait haut et bas.

Comme prévu, le commissaire était déjà là, observant l’extérieur depuis le milieu du salon. Tout en discutant avec un afro-américain au crâne dégarni, l’agent faisait tourner machinalement une clé USB, qu’il venait sûrement de lui confier, entre ses doigts.

Le policier qui avait fait monter les adolescents ne se gêna pas pour l’interpeller. Aussitôt, il leur fit signe d’approcher.

— Je vous présente Adrian Mitchell, expliqua Patrick en désignant son compagnon. Adrian, voici Millie Beladonis, détective privée.

Ils se serrèrent la main.

— Enchanté !
— De même.
— Et je ne pense pas avoir à vous présenter ce jeune homme ?

Le photographe hocha la tête.

— En effet ! Nous nous sommes déjà rencontrés.

Le jeune homme savait qu’il avait déjà vu cet homme quelque part.

— Comment va votre Maraiste ? sourit-il, amusé.
— Très bien. Mieux que mon appareil photo en tout cas.

Pressé, le commissaire tendit la clé à la jeune fille.

— Tiens ! Les photos dont je t’ai parlé sont dessus.

Discrètement, Millie glissa l’objet dans le port USB de sa combinaison, dissimulé derrière son oreille droite. D’un coup, une série de clichés s’afficha dans son champ de vision. La première avait été prise depuis le toit d’en face, mais elle ne montrait qu’un Thyméo en train de lire un livre sur son canapé.

D’un geste rapide, la jeune fille fit défiler les suivantes, toutes aussi inintéressantes. On y voyait le membre du conseil préparer une valise, rien de plus.

— Mais j’aimerais savoir un truc, s’inquiéta Kalem. Comment il a su que Thyméo serait absent aujourd’hui ?

La détective continua, jusqu’à tomber sur LA photo. Sur celle-ci apparaissait clairement, et en haute définition, un être vêtu d’un long manteau noir à capuche, qui dissimulait son visage par son ombre. Une petite faux à son côté. En équilibre sur le haut de la verrière, il semblait observer les faits et gestes de sa victime, qui ne se doutait de rien.

Elle assura.

— Il n’en savait rien, justement. En venant faire des repérages, il en a sûrement déduis que sa cible partait et il a préféré agir plus tôt…

Sur la photo suivante, le Faucheur avait profité du départ de sa cible dans sa chambre pour entrer. Millie leva les yeux, au-dessus d’elle un trou fracturait une des vitres de la verrière.

— … Non, il y a une question beaucoup plus pertinente. N’est-ce pas, monsieur Mitchell ? Pourquoi n’avez vous pas appelé les flics ?

La brune l’avait volontairement accusé sèchement, comme si elle voulait lui faire avouer quelque chose.

— Ben, à vrai dire, bafouilla-t-il en commençant à paniquer. Je pensais que c’était un simple cambriolage. Jamais je ne me serais attendu à une pareille chose. Je vous l’assure !
— Oui. Et vous vous êtes dit qu’en faisant les gros titres des peoples, ça vous rapporterait un max. J’ai pas raison ?

Bloqué, l’homme se crispa.

— J’ai déjà répondu à monsieur le commissaire pour ces questions !
— Donc c’est oui ! soupira-t-elle, lassée. Bravo Mitchell, vous avez un mort sur la conscience ! Vous êtes au courant que vous pouvez être inculpé pour non assistance à personne en danger ?
— Mais je vous assure que je l’ignorais !

N’écoutant plus les plaintes du photographe, qui de toutes manières, ne lui apprendrait rien de plus, Millie retourna à son observation des images. Sur celles d’après, le Faucheur s’approchait de la bibliothèque, se saisissait d’un livre, semblait l’ouvrir puis le reposer.

— C’est faux, et vous le savez très bien. Vous a-t-il vu d’ailleurs ?

Une grosse goutte coula sur le front du journaliste.

— Je n’en suis pas certain. J’ose espérer que non. Après tout, je suis encore vivant.

Une nouvelle fois, la jeune fille changea de photo, le Faucheur semblait alors tourner sa ‘tête’ vers l’objectif.

— Ça ne veut rien dire, vous savez. Vous êtes peut-être sur sa liste désormais…

Le visage de l’homme se décomposa de frayeur. C’était certain, il allait revenir pour le tuer. À moins que, c’était peut-être à elle qu’il voulait passer un message.
En écartant ses doigts sur sa tempe, elle zooma un plus. Le manque de pixels se faisant ici sentir, on ne distinguait pas le titre sur la couverture de l’ouvrage.

La détective fronça les sourcils.

— … J’y pense, pourquoi il n’y a pas d’autres images ? Genre caméra de surveillance ? C’est ce qu’ont les célébrités dans son genre d’habitude.
— Non, malheureusement, avoua le commissaire, agacé. Monsieur Valois de Beau-Regard était contre toute ces technologies. Il tolérait déjà à peine les PokéBalls

Lassée, Millie soupira.

— C’est bien ma veine ! Fait chier !

Devant user des vieilles méthodes, elle dépassa le photographe pour observer de plus près la bibliothèque.

— Mais pourquoi ? l’interrogea aussitôt Kalem, ne comprenant pas. Tu penses qu’il s’agit d’un livre en particulier ?
— Je ne sais pas. J’ai comme une impression…

La brune détailla le meuble du regard. De Dumas à Wells en passant par Verne, tout les styles étaient représentés. Mais par instinct, le dos d’un des ouvrages l’attira immédiatement. Son nom : Le cercle du grand monarque. Elle s’en saisit.

Le commissaire et le jeune maître approchèrent, intrigués.

— … J’ai déjà vu ce bouquin quelque part, marmonna-t-elle, dubitative… Chez mes parents ?… À moins que ce soit ailleurs ?
— Oui, moi aussi, assura l’homme de loi, en examinant la couverture. Plusieurs victimes du Faucheur semblaient y tenir particulièrement.

Kalem sembla ne pas comprendre.

— C’est un best-seller ? Ça raconte quoi ?

Millie retourna l’ouvrage, il n’y avait pas de code-barre. La mémoire lui revint. C’était obligatoirement celui-ci, pas de doute. Ces parents lui en avaient répétés des passages des dizaines, des centaines même, de fois.

— Non, il ne se vendait pas en librairie celui-là. On le distribuait.
— Effectivement. C’est l’équivalent de la Bible pour cette secte au nom éponyme. On a d’ailleurs déjà eu affaire à eux, pour apologie de terrorisme.
— Pardon ?! sursauta le jeune homme.

Patrick acquiesça d’un léger hochement de tête.

— Oui, ils y a de ça quelques années, ils prévoyaient de renverser le pouvoir en place pour reprendre le monde ‘en main’. Leurs principaux dirigeants avaient été arrêtés et emprisonnés, mais pas leur chef, dont on a toujours ignoré l’identité. Celui qu’ils appelaient ‘le grand monarque’ : l’être suprême descendu sur Terre pour corriger cette société humaine dépravée.

La détective le dévisagea alors, semblant réaliser une chose importante.

— Ne me dites pas que…
— Le Faucheur est l’un des leurs ? tenta le jeune maître, bien entendu à côté de la plaque.

La brune voulut continuer, mais elle se rappela alors qu’il ne fallait peut-être pas en parler devant son ami. Après tout, il était encore troublé par la mort de son collègue.
Elle et le commissaire s’échangèrent alors un regard entendu. Ils avaient tous deux compris qui était le grand monarque.

— Mais non, andouille !… Thyméo faisait partie de cette secte. Aucune idée du rang qu’il occupait, par contre… Ça voudrait donc dire que c’est à eux que le Faucheur en veux, finalement ?
— Reste à savoir pourquoi, conclut intelligemment le commissaire, une main au menton. Est-ce un ancien disciple, revenu se venger ? Ou un exécuteur, comme tu le dis Kalem, qui élimine les branches dissidentes de leur arbre ?

Une expression de dégoût déchira le visage de la jeune fille sous son casque. Jamais il, ou elle peu importe, ne travaillerait pour le Cercle. Comment avait-elle pu être aussi sotte pour ne pas voir le lien avant ? C’était pourtant si évident.

Toujours le livre en main, la brune l’ouvrit. Un court sommaire sur la première page en décrivait le contenu en quelques lignes : la perversion de la jeunesse actuelle, technologie œuvre du diable… Telles étaient le genre de choses qui y étaient inscrites.

Continuant sa lecture, elle tournait les pages rapidement. Dans le premier chapitre, on distillait aux parents une manière peu actuelle d’éduquer leurs enfants. Stricte, froide et coupée du reste du monde. C’était bien ce que lui avaient fait subir ses géniteurs.

Elle n’avait plus aucun doute, ils étaient membres de cette secte. Ce n’était qu’une simple histoire de vengeance, après tout. Mais allait-il vraiment cesser ses tueries, maintenant qu’il avait eut leur chef ?

Pensive, sa pression sur les pages se fit moindre et un bout de papier glissa jusqu’au sol. Plus réactif, pour une fois, Kalem le rattrapa le premier.

— Église Sainte-Suzanne, déchiffra-t-il aussitôt à partir des gribouillis. Rendez-vous donné à 18h. Soit à l’heure !… Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Tout dépend de celui qui l’a écrit, affirma Patrick.

Toujours ailleurs, Millie jeta un œil distrait à la note. D’un coup, ce qu’elle vit lui glaça le sang. C’était son écriture, elle la reconnaîtrait entre mille. Pourquoi avait-t-il écrit cela ? C’était forcément à elle qu’il s’adressait, mais était-ce un piège ?

La jeune fille ne voulait pas courir le risque de faire tomber son ami dans un guet-apens. Comment pouvait-elle les empêcher d’y aller, sans leur faire comprendre son lien avec le Faucheur ?

— Et elle est située où, cette église ? demanda le jeune maître, intrigué.
— Dans les quartiers sud, bien au-delà de la porte de la route 5. Je crois me souvenir qu’elle est inutilisée depuis bien vingt ans. À l’époque, le toit menaçait de s’effondrer. Il n’a jamais été réparé, faute de financement du diocèse. D’ailleurs, elle n’est pas très loin de chez toi, Millie ?

Perdu dans ses pensées, la détective mit quelques secondes à répondre. Deux opposés se battaient en elle : était-ce une énième manigance de sa part ou voulait-il vraiment aider ?
Après tout, pourquoi pas. Il en avait fini avec son pire ennemi, peut-être laisserait-il la ‘vraie’ justice faire son travail désormais ?

— Ouais ouais. Mais vous comptez vraiment y aller ? Qui nous dit que ce n’est pas un piège orchestré par le Faucheur, pour faire encore plus de victimes ?

L’homme de loi hocha la tête.

— Je ne sais pas. Mais je ne peux pas me contenter de ce genre d’information. Je pourrais peut-être y envoyer un ou deux hommes. Juste histoire de vérifier ce qu’il s’y passe. On ne sait jamais… D’ailleurs, peu importe ce qu’on y trouvera. On peut en déduire des images, que le Faucheur a vu cette note. Il sera certainement là-bas.
— J’en suis ! certifia Kalem, soudain déterminé. Tu viendras avec nous, Millie ?

Millie écarquilla les yeux. Non, elle se refusait à lui faire courir ce risque. Elle ne pourrait pas supporter de lui faire du mal.

— Je préférerais pas tomber sur lui, si c’est un piège. Je ne sais pas si j’arriverais à lui faire face.
— Mais je croyais qu’on arrêterait le Faucheur ensemble ! Et puis, je te l’ai dit : je te protégerais !

Bien qu’elle fut touchée, la brune se voulut ferme. C’était trop dangereux.

— Non !

Alors dans son dos, elle ne vit pas le commissaire hausser les sourcils. Il ne pouvait s’empêcher de trouver sa réaction bizarre.

==

Après sa réponse étrange, Millie avait aussitôt préféré claquer la porte de l’appartement.

Elle marchait désormais seule, sur le trottoir d’une avenue fréquentée du centre-ville. Tandis que les passants allaient dans un sens, elle, allait dans celui opposé.

La jeune fille n’avait jamais été aussi perdue. Que devait-elle faire? Qui devait-elle croire ? Pourquoi le Faucheur leur avait-il donné ce rendez-vous ? Pourquoi cet endroit ?

Du coin de l’œil, elle vit l’être à capuche marcher quelques pas derrière elle. Cette fois, l’ombre du tissu laissait entrapercevoir le bas du visage de celui qui se cachait dessous : un menton féminin.

Autour des deux filles, les badauds ne semblaient pas surpris par la tenue de la seconde.

— Quel est le but de ce rendez-vous ? la questionna la brune, sans pourtant regarder son interlocutrice. Tu as tué le grand monarque, qu’est-ce qu’il te faut de plus ?

On pu discerner un sourire attristé sur le visage de l’autre.

— Réfléchis un peu. Tu as entendu le commissaire, le Cercle est une organisation importante. Thyméo était entouré par tout un tas de lieutenants à ses ordres. Je me dois de les éliminer.
— ’Tu te dois’ ? Tu ne t’arranges pas. Tu es toujours aussi fêlée.

Ne tenant pas compte de cette pique, le Faucheur reprit.

— Je t’accorde néanmoins que je n’avais prévu que le commissaire en serait informé. J’aurais espéré que tu puisses garder un secret. Ou à la rigueur, que tu n’en parle qu’à ton ami le maître.

Pour une fois, l’adolescente sourit, fière d’avoir réussi quelque-chose.

— J’ai donc contrarié tes plans ?
— Non, au contraire ! cracha aussitôt l’encapuché. Selon ce que je prévois, le commissaire va envoyer trois ou quatre hommes. Si on les ajoute aux lieutenants du Cercle, ça ne fait qu’une dizaine d’individus à me débarrasser…

Elle se mordit la lèvre.

— … Reste que je n’avais pas prévu de devoir m’occuper de qui tu sais aujourd’hui.
— QUOI?! s’égosilla la jeune fille, se retournant cette fois. Tu vas pas faire ça ?!

Alors que les passants autour d’elles dévisageaient dédaigneusement la brune, le visage de l’autre se déchira d’un sourire un brin diabolique.

— Et si. Tu est parfaitement au courant de ce dont je suis capable. Je pourrai le briser en deux !
— Je te l’interdis ! Je jure que je t’en empêcherais !
— Tu ne pourras pas, et tu le sais très bien…

Sous son casque, la détective se mit à pleurer. L’être lui susurra alors au creux de l’oreille.

— … Tu n’es rien comparée à moi !

Millie tressailli. À chaque fois, ces mots la marquaient plus encore que tous les autres. Elle ferma les yeux un instant. Le Faucheur en profita pour disparaître au travers de la foule.

Aussitôt, la jeune fille composa un numéro de téléphone en en dessinant les chiffres sur sa tempe.

Un bip. Deux bips. On décrocha.

— Ici commissaire Falken, je vous écoute ! annonça la voix, de l’autre côté.
— C’est Millie, commissaire… Je voulais vous dire que je m’excuse d’être partie aussi précipitamment… Si vous êtes toujours d’accord, je voudrais vous accompagner ce soir.

La voix de Patrick se fit soudain plus calme. Il était soulagé.

— Ah, tu me rassures. Un instant, j’ai cru que tu nous cachais quelque-chose. Je suppose que je me suis inquiété pour rien !…

Elle se mordit la lèvre.

— … Et oui, bien sûr que tu peux venir ! Tu es certainement la personne la plus concernée par l’arrestation du Faucheur.

==

L’église Sainte-Suzanne : un vieux monument rongé par les éléments naturels. Depuis longtemps déjà, le toit fragile avait fini par s’écrouler. On avait déblayé les débris et le mobilier, mais personne n’avait pris le temps de bâcher le trou béant.

Il pleuvait à l’intérieur, et les clapotis des gouttes sur la pierre délavée produisait une symphonie qu’aucun orgue n’aurait pu produire.

Millie attendait là où se trouvait autrefois l’instrument. Elle n’avait même pas le cœur à exhiber une de ses illusions et laissait sa combinaison à nu, en proie aux intempéries.

À quoi bon, après tout ? Le Faucheur serait de retour dans quelques temps. L’heure était proche.

D’où elle était, elle apercevait Kalem, caché derrière un pilier. Ce qu’il pouvait être têtu, décidément. Nul doute que les hommes du commissaire n’étaient pas loin non plus. Mais peu importe, même à cent, ils ne pourraient stopper le Faucheur.

C’est ce moment que choisit l’être à capuche pour s’installer à côté de la détective, accoudé à la rambarde de pierre. Depuis le début, sa faux était posée au sol, juste à coté de la jeune fille. Elle ne l’avait pas touchée.

— Tu espères pouvoir m’en empêcher, n’est-ce pas ? lui demanda la meurtrière, sur un ton narquois. Tu échoueras. Tu n’as jamais pu m’arrêter dans ma mission. Tu sais pourquoi ?

Millie ne répondit rien.

— … Parce que tu es d’accord avec moi. Ils doivent tous payer pour ce qu’ils ont fait … Je dois le faire…

Tout à coup, un groupe entra par là où était la grand-porte autrefois. Ce n’était pas des policiers. C’était des moines tous droit sortis du Moyen-Âge. Leurs coules sombres et déchirés aux extrémités les faisaient ressembler à des revenants.

Le cœur de la jeune fille s’accéléra de colère. Ces hommes, c’était leur faute !

— … Regarde ! Ces types sont des fanatiques ! Ils doivent disparaître ! Tous ! Laisse-moi le faire !
— Mais Kalem n’est pas l’un des leurs ! La coupa aussitôt la brune, chuchotant, tout en cherchant à contenir sa colère. Il n’a rien à voir là-dedans !

Le Faucheur souffla, exaspéré. Néanmoins, son visage trahit sa satisfaction de troubler son ennemie.

— D’accord. D’accord. Si tu me laisses y aller, je ne le toucherai pas… je te le promets… À part, bien sûr, s’il en va de notre liberté.

La détective serra les poings. Elle ne voulait pas la laisser agir. Cette femme n’avait jamais été digne de confiance, depuis toujours. Mais si elle ne la laissais pas faire, nul doute qu’elle s’en prendrait tout particulièrement à son ami.

Résignée, Millie regarda une dernière fois le visage du jeune maître, avant de fermer les yeux. C’était la seule chose à faire.

==

D’où il était, Kalem vit arriver le groupe bien avant son amie. Ils étaient douze. Douze religieux, hommes comme femmes, ressemblant à des fantômes.

Dans son oreillette, un des flics qu’il accompagnait somma de ne rien faire. Mais, de toute manière, le jeune homme n’aurait pas bougé. Ce n’était pas eux qu’il voulait en premier. Il voulait lui-même mettre la main sur le Faucheur.

Il voulait lui demander pourquoi... Pourquoi en était-il venu au point de tuer ? Pourquoi avait-il laissé des enfants orphelins ? Il voulait comprendre. Et il voulait que ce meurtrier paye pour toutes les atrocités qu’il avait commises.

Visiblement, ces religieux semblaient attendre quelque-chose, ou quelqu’un, plutôt. La vraie question était : qui ? Une bonne minute passa sans que rien ne se passe. Ils attendaient au cœur de l’église. Les policiers tapis autour dans l’ombre aussi.

Quand tout à coup, un treizième moine apparut au niveau de l’ancien autel.

Au premier abord, ce dernier ne semblait pas différent des autres, portant lui aussi cette même coule sombre et déchirée. Et pourtant, à son apparition, les moines tressaillirent. Apparemment, ce n’était pas l’un des leurs. Il faut dire qu’on ne pouvait distinguer son visage, sous sa capuche.

— C’est le Faucheur ? osa demander un des agents via oreillette.

Par prudence, Kalem porta aussitôt sa main sur ses HyperBalls accrochées à sa ceinture. Son cœur menaçait dangereusement sa poitrine. Serrait-il assez fort pour tenir tête au Faucheur ? Peut-être aurait-il dû demander une arme au commissaire. Même s’il ne savait pas s’en servir.

Les religieux observèrent le nouveau quelques secondes, avant que l’un d’eux prenne la parole.

— Auriez-vous l’obligeance de décliner votre identité ?!

Commençant à s’approcher d’eux , l’inconnu ricana.

— Nul besoin de la connaître !…

Le jeune homme manqua de s’étouffer. Ce timbre de voix, il le connaissait. C’était celui de Thyméo ! Il avait pourtant vu son cadavre de ses propres yeux. Comment était-ce seulement possible ?!

Les moines semblèrent rassurés. Ils ignoraient probablement encore la mort de leur leader.

Cependant, le faux Thyméo ne s’arrêta pas. Il était au centre du groupe.

— … De toute façon, vous ne survivriez pas assez longtemps pour le retenir !

Sur ses mots, il dégaina une faux de sous son habit. D’un geste rapide, il abattu un religieux d’un coup dans la jugulaire.

— C’est le Faucheur ! s’époumona le jeune maître, HyperBall en main.

Les policiers et lui sortirent immédiatement de leurs cachettes. Pagaille. Les membres du Cercle, affolés, tentèrent de fuir. Mais, coincés entre deux fronts, ils étaient bloqués. Dans la cohue, un second périt des mains du meurtrier.

Un des hommes de loi hurla à son tour, sortant son revolver.

— Que personne ne bouge !

Il y eu un second mouvement de panique. Une nonne s’effondra alors, un trou dans la poitrine. Elle permit aux huit autres de s’enfuir vers l’extérieur. Un dernier resta cependant là, prostrés, à genoux, avec les cadavres et la faux autour de lui.

Les policiers, prudents, s’approchèrent en pointant leurs armes vers lui. Kalem lui retira alors sa capuche. Sans résistance, le corps bascula en arrière. Il était mort. Ce n’était pas celui qu’ils cherchaient.

Le brun détala aussitôt sur le parvis de l’église. Ce dingue avait fuit en même temps que ses proies. Il devait être encore tout proche.

Les religieux partaient dans toutes les directions. Poursuivant, comme poursuivies, tous étaient habillés pareils. Comment les différencier ?

— Millie ! T’es où ? T’as pu le suivre ?
— Nan, désolée. Ça s’est passé trop vite pour que mon traqueur fonctionne. Je suis hors-jeu, pour le coup.

Tant pis, il ferait sans. Si son amie ne pouvait le faire, alors il le ferait pour elle. Il lui avait promis.

D’un rapide coup d’œil, le jeune homme vit ces deux-là, là-bas. Ils s’enfilèrent dans une ruelle. C’était sa seule piste. Il courut à leur poursuite.

==

Kalem entra dans la ruelle sombre. L’adrénaline faisait pulser son sang à ses tempes. C’est là qu’il vit le Faucheur tordre le cou de sa victime à mains nues. Il voulut vomir mais on ne lui laissa pas le temps. Le meurtrier prit aussitôt la fuite.

La course recommença. Gauche. Droite. Droite. De nouveau à gauche. Chaque fois, le jeune homme l’apercevait au coin de la rue, mais il disparaissait dans une autre avant qu’il ne l’atteigne.
À un intersection, il manqua de trébucher sur un cadavre encore fumant. Le bourreau semblait continuer son office. Peu lui importait qu’on soit à sa poursuite.

La respiration du brun était haletante. Il avait du mal à le suivre. S’ajoutait aussi, la peur de se retrouver face à ce fou qui augmentait. Mais il ne fallait pas abandonner. Pas maintenant. Pas si près du but.

La course continua. Droite. Un cadavre. Gauche.

Néanmoins, Il s’en rapprochait. À moins que ce soit l’inverse ?

Droite. Une impasse. Ah, ce monstre était fait comme un Rattata !

D’un coup, sans prendre le moindre élan, le Faucheur se retrouva au-dessus des toits. Il n’avait fait qu’un simple bond. Le maître dégaina dans la foulée son dracaufeu. Il le rappela un fois arrivé en haut.

La pluie s’intensifia. Le vent aussi. Il fouettait le visage du jeune homme, qui peinait à trouver un équilibre sur les tuiles trempées.

Le Faucheur était là, à l’autre extrémité du toit. Il semblait l’attendre. Peut-être attendait-il le bon moment pour tuer son poursuivant ? Aucune émotion ne semblait émaner de lui. Il était presque irréel.

Un court instant, les deux adversaires se jugèrent du regard.

Kalem glissa doucement sa main à sa ceinture. Il sentit soudain une force tirer sur son Hyper-Ball. Le meurtrier, paume tendu vers lui, attira l’objet dans sa main, comme par magnétisme.

Un frisson parcourut l’échine du jeune homme. Il avait déjà vu ça quelque part. Sur la combinaison Booster. Mais c’était impossible ! Il y en avait pourtant qu’une ! Le frisson se muta alors en une peur bien plus intense que les précédentes. Et si ce type s’en était pris à son amie juste avant ?

— MILLIE ! hurla-il dans son oreillette, paniqué. Réponds-moi ! Dis-moi que tu n’as rien ! Je crois que le Faucheur a une combinaison Booster !

Toujours la Ball en main, l’encapuché tapota sa tempe. L’illusion disparut alors en une myriade de petits hexagones. Elle laissa place à une combinaison du même noir mat que celle de la détective.

Le jeune homme n’en crut pas ses yeux. Il ne s’était donc pas trompé.

D’un coup, le Faucheur déclipsa son casque d’une main. La voix qui s’éleva alors n’était, ni celle de Thyméo, ni même celle d’un homme.

— Ne t’inquiète pas ! Elle n’a rien !

Continuant à retirer son couvre-chef, sa longue chevelure brune se mit aussitôt à voler au vent. Le jeune homme se figea d’effroi. Le visage de la meurtrière lui apparut alors. Jeune. Féminin. Celui de Millie. Mais quelque chose était différent. Une lueur mauvaise semblait se refléter dans le fond de ses yeux.

Kalem manqua de s’effondrer. Non ! Non ! Non ! C’était impossible ! Pas elle ! Ces larmes, mêlées à la pluie, coulaient sans discontinuer les longs de ses joues.

— Mais… Pou… Pourquoi ? sanglota-t-il.
— Tu es comme elle. Tu ne pourrais pas comprendre…

La jeune fille sembla alors suivre le discours d’une personne qu’elle seule pouvait voir. Elle s’énerva.

— … Mais nan, te dis-je ! Je ne le tuerai pas !…

Dévasté, le brun ne la vit pas se rapprocher. Un grand sourire malsain déformait ses lèvres.

— … Les pavés s’en chargeront !!

Aussitôt, la criminelle le poussa dans le vide. Avant de le rattraper par le col, de l’autre main. Il était juste assez près du bord pour encore le toucher avec ses pieds.

— Tu… Tu veux me tuer, n’est ce pas ?
— Ouais ! Mais la simple idée de te faire du mal lui donne assez de force pour m’y empêcher… Mais ce n’est que temporaire, ne t’inquiète pas !…

Paralysé par la peur et le chagrin, Kalem trouva la force d’articuler deux mots.

— Mais… Qui ça ?
— Celle qui squatte ma tête depuis maintenant huit ans. Celle qui essaye toujours de m’empêcher de faire, ce que j’ai à faire. Celle que tu as toujours cru être la vrai Millie… Mais je reste toujours plus forte qu’elle, au final !…

La meurtrière rouvrit alors sa main avec difficulté. Se sentant tomber, il voulut se retenir à son bras, mais elle le retira rapidement. Sans aucun appui solide, le jeune homme bascula en arrière. Au ralenti, il chuta les quatre étages, hurlant. Avant de percuter le sol de la ruelle, dans un craquement sinistre.

— … Oups !

L’autre personnalité de Millie reprit immédiatement l’ascendant. Elle se précipita au secours de son ami. Bien qu’au fond d’elle, elle savait qu’il était déjà trop tard. Rien n’ayant amorti sa chute, nombre de ses os devaient être brisés, et son sang, commençait déjà à se diluer dans les écoulements de pluie. Mais malgré tout, il était encore en vie. Sa cage thoracique faisait des rapides va-et-vient de haut en bas.

En larme elle aussi désormais, elle s’accroupit à ses côtés.

— Je suis tellement désolée ! gémit-elle, à demi-voix…

Mais il ne l’entendait déjà plus. Sa respiration s’était arrêtée. Son dernier regard pour elle, ne fut même pas de haine, mais de pitié.

N’y croyant pas, la jeune fille se pencha au dessus de lui. Elle tenta de le réanimer. En vain.

— … NAAAAAN ! Respire ! Me quitte pas maintenant !…

Derrière elle, l’être encapuché était réapparu. Relevant la tête, ses yeux rougis emplis de haine. Elle hurla.

— … JE VAIS EN FINIR AVEC TOI !! TOUT DE SUITE !!

L’autre sembla pour la première fois pris de peur.

— Tu ne vas pas faire ça ?! Tu veux nous condamner toutes les deux ?
— J’en ai plus rien à foutre ! Je veux que tu crèves !

Son casque encore en haut, la brune saisit l’oreillette de son ami et la porta vers sa bouche.

— Inspecteur Ross ? demanda-t-elle immédiatement.
— Tu vas donc vraiment le faire !

La détective n’accorda même pas un peu d’attention à sa deuxième personnalité.

— Millie ? C’est toi ? sembla surpris le policier. Pourquoi utilises-tu le transmetteur de Kalem ?…

L’homme marqua une pause, comprenant tout seul la raison. Sa voix prit alors une teinte mêlant colère et tristesse.

— … Il s’est fait piéger, c’est ça ?

Des larmes coulèrent le long des joues de la jeune fille, tandis qu’elle se mordait la lèvre. Au même moment, au fond d’elle, l’autre tentait vainement de reprendre le contrôle.

La meurtrière qui sommeillait en elle ne pourrait pas l’en empêcher, cette fois.

— Oui ! Il est mort.
— Merde ! Tu as réussi à retrouver le Faucheur ?

Essuyant son visage du revers de sa main, la brune prit une grande respiration.

— C’est moi qui l’ai tué, inspecteur, avoua-t-elle, la voix enrayée par de nouvelles larmes.

Choqué par sa réponse, le policier resta un instant le souffle coupé. Il ne la comprit même pas.

— Millie. Je comprends. Tu te sens coupable de l’avoir impliqué là-dedans ?
— Non, inspecteur. C’est moi qui les ai tous tués !… J’active le traceur de ma combinaison. Mais venez vite !… Je ne suis pas sûre de pouvoir rester très longtemps.

Et elle coupa la communication.

==

Quelques instants plus tard, sirènes et gyrophares apparurent au coin de l’impasse. Aussitôt, les hommes de loi vinrent constater l’horreur de la scène. Millie n’avait pas bougé. Elle était toujours là. Son autre personnalité n’avait rien pu faire pour reprendre le contrôle.

L’inspecteur Ross arriva à son niveau le premier. Son visage de cinquantenaire était déchiré par le stress et l’inquiétude. Amicalement, il lui tendit une main pour l’aider à se relever. Une main qu’elle saisit volontiers .

— Tu n’étais pas sérieuse, tout à l’heure ? l’interrogea-t-il, anxieux, en posant une main sur l‘épaule de la brune.

Oui, le policier ne la croyait pas. Il fallait dire qu’il connaissait la jeune fille depuis longtemps, bien avant qu’elle ne soit détective. Autrefois, il avait enquêté sur la mort de ses parents. À ses yeux, elle ne pouvait pas être le monstre derrière ces vingt-trois assassinats.

Malheureusement, la détective hocha la tête. Abattue, elle marmonna.

— C’est pourtant vrai. J’étais parfaitement sérieuse.

Elle lui tendit alors ses poignets. L’inspecteur resta cependant amicale.

— Millie, je n’ai pas à te menotter. Je n’en ai pas le droit. Et même avec tes aveux, je n’ai aucune preuve scientifique contre toi.
— Je sais. Mais j’ignore si l’autre restera sous contrôle encore longtemps. Je ne veux pas qu’elle m’oblige à fuir, cette fois.

L’homme s’étonna des tournures employées. À contrecœur, il se résolut à la menotter. Ensuite, il la fit monter à l’arrière d’un véhicule. À travers la vitre, la jeune fille vit les officiers de la médico-légal s’affairer autour de la dépouille de Kalem. Dire qu’il avait promis qu’il la protégerait de tout. Ses yeux, entourés par des larmes séchées, rougirent à nouveau. S’il avait seulement su cela, tout se serait passé autrement.

La porte claqua à sa gauche. Le commissaire. Il s’assit à côté d’elle. Sa mine était grave, sa voix, étonnamment sèche. Lui, il ne la ménagerait pas.

— Rebonjour, Millie.

La détective s’installa plus profond dans son siège.

— Rebonjour commissaire… J’espère que ce ne sera pas trop long. Je ne suis pas sûre que ces menottes résistent, si elle venait à reprendre le contrôle.

Le visage de l’homme s’assombrit encore plus.

— L’inspecteur Ross m’a informé des aveux que tu lui as fait. Tu t’en doutes. C’est pour ça que je suis là… Dis-moi, cette ‘autre’, que tu crains tant : Qui est-ce ? Une voix dans ta tête ?
— Non ! C’est bien plus que cela !…

Des nouvelles larmes, qui perlèrent au coin de ses yeux, l’obligèrent à marquer une pause. Elle n’avait jamais pu parler de ça à personne, à part à Gribouille bien sûr. Le commissaire l’écoutait avec attention. Même s’ils n’étaient que dans une voiture, il lui faisait déjà subir un interrogatoire.

— … C’est mon hôte !
— Soit plus clair, lui somma Patrick, fronçant les sourcils. S’il te plaît.

Entre deux sanglots, l’adolescente pris une grande inspiration.

— Le Faucheur, ou l’autre, peu importe comment on l’appelle, est la véritable personnalité de Millie. Moi, je ne suis rien qu’un parasite. Autrefois, j’étais son amie imaginaire. Une amie qu’elle s’était créée pour surmonter les sévices de ses parents.
— Tu es bien plus que cela, maintenant ?
— Oui. Plus le temps passait, plus elle me donnais de l’importance. Et en faisant ça, elle me rendait de plus de plus vivante. Jusqu’au jour où j’ai acquis, si l’on peut dire, comme une vraie conscience… Quand j’y pense, c’est de ma faute. Si je n’avais rien fait, rien de tout ça ne serait arrivé.
— Que s’est-il passé ?
— Je n’étais pas encore capable de prendre le contrôle de notre corps. Mais je ne voulais que son bonheur. Je lui ai alors suggéré de fuguer. Elle m’écouta. Malheureusement, ça ne s’est pas passé comme prévu. Nos parents nous ont retrouvées. Quand nous sommes rentrées, notre père nous a…

La jeune fille se mordit la lèvre. L’émotion l’empêchait de continuer.

— Qu’est-ce qu’il vous a fait ? lui ordonna-t-il, peut-être un peu trop sèchement.

Elle reprit aussitôt, les yeux humides. Se remémorer ces souvenirs était évidemment douloureux pour elle.

— Notre père nous a emmenées dans la cave… Puis il nous frappées, frappées, et encore frappés !… Ça nous a semblé durer une éternité. J’ignore la durée exacte. Mais je sais que c’est là, que son esprit a basculé. Bien sûr, cette idée lui était déjà venue avant ce jour, mais cette fois, elle voulait vraiment passer à l’action. C’est à ce moment qu’elle est devenue la personne que vous nommiez le Faucheur. Une personne prête à tout pour se venger. Même assassiner ses propres parents.
— Comment s’y est-elle prise ?
— Elle a tout simplement attendue qu’ils s’endorment, pour redescendre à la cave, chercher une de ces vieilles faux rouillées que gardait notre père. Et vous savez très bien ce qu’elle en a fait ensuite. Un coup sec en plein crâne, dans une zone faiblement résistante. Pas très compliqué, même pour une enfant d’à peine dix ans… Elle a tué nos parents, sous mes yeux, sans que je ne puisse rien faire pour l’en empêcher…

La brune s’essuya le visage du revers de l’avant-bras.

— … Ce jour-là, je suis devenue bien plus, qu’une simple voix dans sa tête. En récupérant le peu qui restait de bon en elle, j’ai acquis la force de maîtriser notre corps. Avec ce nouvel atout, je pensais pouvoir la protéger d’elle-même. Mais, au final, elle restait toujours supérieure à moi. Et elle avait déjà le goût du sang, je ne pouvais plus la dissuader d’accomplir son ‘but’.

Dubitatif, Patrick porta une main à son menton.

— Très bien. Mais quelque-chose cloche dans ton histoire. Tu m’affirmes que tu n’es pas la ‘vraie’ Millie. Pourtant, c’est bien toi, qui est le plus souvent aux commandes de votre corps ?
— Parce qu’elle a toujours trouvé que je faisais une excellente couverture pour la dissimuler, elle et ses actions. Elle se fiche d’avoir le contrôle en permanence. Elle en a juste besoin quand elle chasse ses cibles. Et quand j’essayais de nous livrer à la police, bien sûr !

Le commissaire hocha la tête, satisfait tout de même du résultat actuel de son interrogatoire. Il tourna alors son regard vers la jeune fille. Une question essentielle le turlupinait encore.

— Mais comment a-t-elle fait pour ne jamais laisser aucune trace derrière elle ?
— Ça par contre, je l’ignore, commissaire. Mais, vous savez, sous ses airs de folle sanguinaire, elle est très intelligente. Nos parents lui ont enseigné très tôt dans beaucoup de matières. Scientifiques, comme littéraires.
— C’est très intéressant, en effet ! acquiesça l’homme. Serait-il possible de lui parler, par ailleurs ?

Millie secoua la tête. C’était hors de question. Pas maintenant. Profitant de cette opportunité, l’encapuché réapparut, assise entre eux deux.

— Tu vois ! Même le commissaire veut me parler ! s’enjoua-t-elle immédiatement, avec un sourire faux.
— Ferme-la… Non, comme je vous l’ai dit, si elle reprend le contrôle, elle nous fera fuir. Même si maintenant, vous savez qui elle est. Il se pourrait même qu’elle en profite pour tuer un ou deux flics avant de partir. Juste pour son plaisir personnel. J’ai juste besoin d’enlever cette combinaison. Sans, elle n’est plus qu’une simple et frêle adolescente !
— C’est méchant ce à quoi tu me rabaisses ! commenta l’autre, ironique.

Le commissaire hocha la tête.

— Pas de problème ! Je vais faire en sorte qu’on te trouve rapidement des vêtements…

Aussitôt, il se saisit de la poignée de porte et l’ouvrit. Avant de sortir, il se retourna une dernière fois vers elle.

— … Je te remercie de ta coopération. D’ailleurs, dois-je toujours t’appeler Millie ? Ou elle t’avait donné un autre nom ?
— Désormais, je suis Millie ! Elle, vous n’avez qu’à l’appeler par le surnom qu’on lui donnait autrefois : Elili !

Patrick claqua la portière, la laissant seul avec sa seconde personnalité comme unique compagnie. Cette dernière s’installa immédiatement à la place laissée vacante.

— J’en reviens toujours pas que tu lui ais tout raconté, soupira Elili, bien que visiblement énervée. Je fais quoi, moi, maintenant ! Je vais être obligée de le tuer, lui aussi !

Millie pouffa de soulagement. Après tout ce temps, elle avait enfin réussi à la piéger.

— T’inquiète pas, tu ne pourras pas tuer de sitôt. Je vais faire en sorte que tu prennes la peine maximale.
— Correction ! Que NOUS prenions la peine maximale ! Te rends-tu comptes que tu vas payer autant que moi ?! Les gens ne feront pas la différence entre toi et moi ! Bien que tu sois innocente, ils te jugeront aussi pour mes actes !…

Alors que la jeune fille semblait ne plus l’écouter, l’être halluciné se pencha vers elle, la suppliant presque.

— … S’il te plaît, écoute-moi ! Je suis sûre qu’il est encore temps ! Si on part maintenant, on pourrait atteindre un endroit où ils ne nous retrouverons jamais !…

Son visage, affolé, apparut clairement sous l’ombre de sa capuche. Mais l’adolescente resta de marbre.

— … Je t’en conjure… fuyons ! Je te promets que je me calmerais ! Je ne tuerais personne ! Plus jamais !
— Non ! C’est fini ! Tu ne m’auras plus, avec tes fausses promesses !

La meurtrière disparut alors progressivement de sa vue, attristé et vaincue.

Abattue, Millie reposa sa tête contre la portière, et bien malgré elle, finit par s’assoupir. Tout ces récents événements avaient eu raison d’elle. Sa combinaison ne lui permettait pas encore de se passer de dormir aussi longtemps.

Cependant, dans son sommeil, un sourire déforma son visage. Un sourire étrange, presque machiavélique.