Le Domaine Dracolosse
En cette belle matinée d’automne, Léo et moi arrivons aux abords de la prestigieuse Parmanie. Bien que la veille, j’ai réussi à convaincre Léo de la nécessité d’en apprendre plus avant de se lancer, le stress parcourt mon corps. J’essaie de faire abstraction et me recentre sur notre objectif. Léo semble confiant, il sait quoi dire et faire dans ce genre de situation. Malgré mes angoisses, il détient toute ma confiance.
La titanesque grille d’entrée nous fait face. Comme prévu, impossible de percevoir quoi que ce soit de l’autre côté. Deux immenses colonnes de pierre délimitent le passage, surplombées de statues représentant de majestueux dragons. Le Domaine Dracolosse est devant nous.
Comme si notre arrivée était surveillée de près, la grille s’entre-ouvre soudain et un personnage encapuché invite Léo seul à le suivre. Son visage étant dissimulé, difficile d’y percevoir la moindre expression. Je lance un dernier regard vers Léo avant de réaliser que la balle est désormais dans son camp. Je décide de l’attendre jusqu’à son retour, laissant mon imagination vagabonder.
***
A l'intérieur du domaine.
L’homme au visage caché le guide à travers la prairie. Il ne dit pas un mot, mais le silence est remarquablement apaisant. L’espace est gigantesque. Des troupeaux de Tauros broutent les jeunes pousses, tandis que des Ponyta se lancent dans des courses effrénées. La nature resplendit. Ils traversent un pont, du haut duquel Léo peut contempler les Ramoloss se prélasser sur le dos. Ce lieu a vraiment des allures de paradis.
Ils arrivent devant un petit bois. Les parfums de mousse se mélangent avec ceux des fleurs avoisinantes. Quelques Insecateur préparent leur nid dans les hauteurs en découpant les branches les plus grêles. Des Scarabrute se font face pour non-respect du territoire de l’un. La lueur du jour réapparait peu à peu. Le guide s’arrête à la sortie de la forêt et lui indique le reste du chemin à suivre. Leur route se sépare ici. Léo suit alors le sentier comme il le lui a indiqué. Il gravit la colline et découvre avec émerveillement la magnifique demeure qui apparait en contre bas. C’est donc ici que se cache Peter.
Léo se concentre et appuie sur la sonnette d’entrée. La porte en chêne massif s’ouvre dans un grincement doux et rouillé. A sa grande surprise, c’est une femme qui l’accueille, et pas n’importe laquelle. Il s’agit d’une ancienne infirmière Joelle. Elle l’invite à entrer :
- Je vous en prie, après vous. Je vous laisse patienter dans le salon, mon époux ne devrait plus tarder. Mettez-vous à l’aise.
Son époux … Peter est donc marié !
Quelques minutes plus tard, Peter apparaît de sa cape vêtue. Un léger sourire semble parcourir son visage. Il demande à Léo de le suivre dans le jardin. Les négociations reprennent alors :
- Léo, cher ami. Tu te doutes que ta venue ici m’a demandé beaucoup de concessions. J’ai fini par céder car ce projet représente beaucoup plus que tu ne l’imagines. J’ai longtemps vécu à l’abri des regards et de ce tourbillon médiatique toxique, qui m’a d’ailleurs enfoncé dans les moments les plus difficiles. C’est pourquoi personne d’extérieur n’a pu pénétrer ici depuis mon arrivée. Jusqu’à toi. Ainsi, reconnais-le, je fais le premier pas .
Léo entend sa remarque et le remercie de son accueil. Cependant, il demande davantage de précisions sur son projet afin de pouvoir lui rendre la confiance qu’il semble lui porter. Bien que ses premières impressions soient bonnes, que les Pokémon y vivant déjà respirent la sérénité, il veut découvrir la faille.
Peter le conduit alors vers une crique entourée d'arbres et de rochers. A l’abri des regards, se tient un petit monument à l’effigie de son cher compagnon disparu. Il est orné de fleurs et quelques bougies scintillent encore à ses pieds. Léo perçoit l’émotion et l’intensité du regard de Peter lorsqu’il s’agenouille devant la stèle. Il fait de même en gage de respect. Peter prend alors dans ses mains la PokéBall de son défunt ami. Il la contemple solennellement tout en se confiant à Léo :
- Tout est arrivé si vite ce jour-là. Depuis, il m’est impossible de passer une journée sans y repenser. Comme tu le sais sans doute, une longue traversée du désert a été nécessaire avant de pouvoir me reconstruire. Une personne a su me tendre la main et trouver les mots qui m’ont ramené à la raison. Elle est devenue mon épouse : c'est l’ancienne infirmière du Plateau Indigo. Elle m’a ensuite convaincu de construire notre coin de paradis, afin de repartir à zéro.
Léo écoute attentivement et imprime chaque détail du récit de Peter. Il lui fait signe de poursuivre.
- Nous avons donc racheté ce parc, et l’avons rebaptisé « Domaine Dracolosse » en hommage à mon cher compagnon de route. Nous étions isolés du monde, des critiques et des jugements. Plus aucune responsabilité ne nous était imposée. Je pouvais débuter ma thérapie et faire mon deuil progressivement. Et puis, il est arrivé.
Peter s’arrête un moment. Qui peut être ce « il » ? Un nouveau maillon de la chaîne vient d’apparaître. Soudain, Léo sent une présence derrière lui. Il se retourne et sursaute de stupeur. Devant lui se tient un adolescent d’une quinzaine d’années environ. Il porte les mêmes vêtements que Peter, sa carrure est semblable et son charisme comparable. Il s’approche.
- Léo, voici mon fils Karl. J’étais sur le point de te parler de lui. A vrai dire, tu es le premier à faire sa connaissance. Nous l’avons élevé ici à l’abri du monde extérieur.
Le jeune garçon semble distant, son air est fermé. En même temps, s’il n’est jamais sorti du domaine, il ne doit pas avoir l’habitude de rencontrer de nouvelles personnes. Gêné, il prétexte un travail à terminer pour s’éclipser. Peter continue alors :
- Je compte sur toi pour garder cette information secrète. Ça pourrait lui causer beaucoup de tort le cas contraire. Il n’est pas encore prêt pour affronter la jungle médiatique.
Léo acquiesce est promet que cette information restera confidentielle. Peter poursuit :
- Cependant, Karl grandit et a envie de s’investir dans une cause. Il adore s’occuper des Pokémon du domaine, mais nous lui avons interdit les combats, suivant la doctrine du fan club Pokémon. Il a alors eu l’idée de donner une chance aux Pokémon enfermées dans leur PokéBall, en les laissant gambader et se prélasser librement. Il a su me convaincre de monter ce projet avec lui. Afin de le rendre plus attractif, nous avons pensé y ajouter des séances d’entrainements. Le projet ayant un peu traîné, il était temps de le concrétiser. D’où ma visite.
Il s’agit donc d’un projet familial. L’idée est excellente. Cela permettrait à Karl de s’ouvrir petit à petit au monde, et à Peter de redorer son blason. Mais pourquoi Peter avait mis cette pression à Léo afin d’obtenir une réponse rapide ?
- J’ai maintenant besoin de savoir ce que tu en penses Léo. Il me faut une réponse, maintenant que tout est clair.
Léo s’attendait à cette question. Il reprend son souffle et se lance :
- Sincèrement Peter, votre projet est novateur et il me plaît beaucoup. En m’ouvrant ton domaine, j’ai été ébahi par tant de beauté, de sérénité et de bonheur. Il y a beaucoup de place et de diversité de zones. On s’y sent clairement bien et je suis sûr que les dresseurs seraient heureux d’y laisser leur Pokémon. Tu m’as accordé ta confiance et j’aimerais pouvoir en faire autant.
Peter écoute attentivement. Il perçoit cependant un problème et lui demande ce qui le retient.
- ... Mais ?
- Je suis bien évidemment conscient des rumeurs à ton sujet, de ton passé douteux, et je l’accepte. Tu as visiblement changé d’état d’esprit. Mais j’ai besoin de savoir pourquoi tu as besoin d’une réponse aujourd’hui même, pourquoi ne peut-elle pas attendre ? Et surtout, es-tu sincère en me disant que tu n’as plus rien à faire avec les milieux louches de Kanto ?
Se sentant désarçonné, Peter se confie :
- Bien, puisque tu insistes. Je souhaitais pourtant éviter d’en arriver là, mais je vais te donner tes réponses. Je peux te jurer, sur tout ce que j’ai de plus précieux, que cette époque est révolue et définitivement enterrée. Je ne peux pas te forcer à me croire Léo, mais telle est la vérité, c’est à prendre ou à laisser. Pour la décision, visiblement trop hâtive à ton goût, saches que Karl ne m’a guère laissé le choix. Nos relations sont devenues compliquées ces derniers mois, il supporte de moins en moins d’être " enfermé ici " comme il le dit. Il a besoin de trouver sa place. Il m’a donc posé un ultimatum : si je ne mettais pas ce projet à exécution dans les 72h, il quitterait définitivement le domaine. J’ai hésité tu sais, et puis j’ai lu cet article dans le Kanto News au sujet des difficultés de la Sylphe SARL, l'opportunité était là. Même si je ne souhaitais pas m’aventurer à l’extérieur, il le fallait. J’ai ensuite su trouver les mots pour te faire venir jusqu’ici.
Les choses deviennent plus claires pour Léo, le puzzle se forme petit à petit. Il perçoit le malaise de Peter. Ce Karl semble avoir un sacré caractère malgré les apparences. Son père n’a pas eu le choix selon lui, mais s’il lui a soumis un tel chantage sa souffrance est bien réelle. Peut-être devrait-il simplement lui laisser plus de liberté. Peter parait honnête et veut le bien-être de sa famille, il est d’ailleurs près à s’aventurer en dehors de chez lui pour le garder. Léo repense alors au cliché compromettant de la piste cyclable et décide coûte que coûte de le montrer à Peter.
Au moment où il lui présente, le regard de Peter en dit long. Ses yeux témoignent de la gravité de la situation, il semble touché en plein cœur, tel un coup de poignard. Léo vient de saisir. L’homme de la photo n’est pas Peter, mais sans doute son fils. Ceci expliquerait son comportement changeant et fuyant. Il doit fuguer à la nuit tombée et rentrer au petit matin, l’air de rien. Depuis combien de temps cela pouvait-il durer ? Qu’y faisait-il réellement ?
Peter semble abattu. Léo lui propose de tirer cette situation au clair en se rendant sur place ce soir et en lui demandant des explications. Peter résigné, accepte. Ils se donnent rendez-vous le soir même devant le domaine.
Au départ de Léo, une silhouette observe la scène derrière une fenêtre. Léo la repère discrètement. Les deux hommes font mine que l’accord est conclu. Karl sourit alors de satisfaction depuis sa chambre.
***
J’aperçois enfin Léo, soulagée. Il m’informe des derniers évènements dans le domaine. Je suis subjuguée par toutes ces nouvelles informations. Nous retrouverons donc Peter dans quelques heures. Il nous faut remettre Karl sur le droit chemin et comprendre ses réelles intentions.
La nuit tombe, Peter nous rejoint discrètement. Je lui propose de procéder de la façon suivante :
- Nous devons d’abord comprendre pourquoi il se retrouve dans ce lieu sordide. Ensuite nous l’approcherons, sans le faire fuir. Une fois coincé, nous lui demanderons des explications. Il ne faut pas nous faire repérer, et je connais un moyen efficace pour cela.
Ils me suivent sans discuter. Je m’inspire des clichés de Todd pour nous concocter des looks locaux et discrets. Nous arborons ainsi de vieux jeans noirs avec sweat à capuche gris foncé et lunettes opaques imposantes. Nous nous rendons devant la piste cyclable, enjambons les barrières et nous élançons dans la pénombre. Nous ne pouvons plus reculer désormais.