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Le Royaume de Kirazann : Les Sources de Vie de Lief97



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Informations

» Auteur : Lief97 - Voir le profil
» Créé le 10/09/2018 à 21:49
» Dernière mise à jour le 26/11/2018 à 14:43

» Mots-clés :   Aventure   Cross over   Fantastique   Médiéval   Mythologie

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Chapitre 2
« Chaque habitant du Royaume, et ce depuis bien avant l’unification de Kirazann par le Grand Roi de Givre, a un pouvoir — couramment appelé type — depuis la naissance. Ces pouvoirs, assimilés à ceux des Pokémon, sont toutefois différents. Là où les créatures peuplant le Royaume ont accès à plusieurs capacités de types différents, les hommes sont plus spécialisés, parfois dans un seul type, ou dans une seule capacité. De plus, le pouvoir ne s’éveille qu’au milieu de l’adolescence dans la majorité des cas ; tout dépend de la richesse génétique du sang de l’individu et de l’entrainement subi. Notez toutefois que les double-type sont rares, aussi rares que les hommes catégorisés de type normal, sans pouvoir. »

Extrait d’un cours théorique dispensé à Sœlis Libellion, héritière du Roi Mharcus Libellion.



***


Élio sursaute quand la porte du cabanon, à l’autre bout de la pièce, s’ouvre. Le grincement lui arrache une grimace et il se redresse aussitôt, craignant de voir débarquer un voleur. Il se rend compte que les rayons de lumière filtrent déjà dans la pièce. Il a dormi plus longtemps que d’ordinaire.
Dans l’encadrure de la porte se tient la deuxième servante. Celle-ci, une femme d’une quarantaine d’années à l’embonpoint marqué, le regarde avec surprise.

— Hé bien ? Une grasse matinée ?
— J’ai dû mal dormir, marmonne le garçon en s’étirant.

La servante sourit et s’éloigne aussitôt vers la chambre de la mère d’Élio. Elle disparaît dans la pièce voisine et commence à discuter.

Le jeune homme se lève et s’approche du bac d’eau. Il se lave rapidement le visage et retire son haut pour un demi-bain express. Il aurait eu le temps d’en faire un vrai s’il s’était réveillé à l’aube !

Il entend la voix fatiguée et molle de sa mère, à peine tirée du sommeil. La servante doit lui servir à manger et faire une infusion. Il a le temps d’aller lui parler avant de laisser la sage-femme s’occuper d’elle.

Il se redresse, enfile son haut et une veste légère suspendue à un fil tendu à travers la pièce, puis il entre sans cérémonie dans la chambre.

Sa mère, dont les yeux bleus sont toujours aussi cernés, est assise dans son lit, toute décoiffée. La servante s’occupe de sortir des vêtements de l’armoire.

— Élio, c’est toi ?

Les yeux bleus mettent un peu de temps à se stabiliser en direction du garçon ; comme s’ils peinaient à le discerner convenablement.

— Oui, maman.

Il est profondément soulagé qu’elle le reconnaisse. C’est généralement au matin qu’elle est le plus réactive, mais il a quand même craint le pire. Il s’approche un peu d’elle et saisit sa main.

— Oh, tu n’es pas si froide que ça.
— Je me sens bien, aujourd’hui, souffle-t-elle d’une voix rauque qui indique presque le contraire.
— Maman, il faut que je te parle.

Sa mère, saisissant la gravité dans sa voix, lève ses yeux céruléens vers lui. Le garçon, déstabilisé par cette concentration inhabituelle, s’assoit sur le tabouret, près d’elle. Il ignore la servante qui tend l’oreille ; il se fiche de savoir qu’elle l’écoute ou non. Elle finira bien par être au courant, de toute façon.

— Je vais sûrement être absent dans quelques temps. J’ignore combien de jours ça durera.
— Absent ? dit sa mère en penchant la tête sur le côté.
— Oui, absent. Tu ne le sais sûrement pas, mais le Roi a fait une annonce que les hérauts se sont chargés de répéter, en ville.

La mère se redresse enfin, bien droite, et se racle la gorge. Elle semble étonnamment vivace ; c’est l’un de ses « bons jours ». Elle tombera certainement de fatigue avant midi.

— Quelle annonce ?
— Un tournoi. Il va y avoir un tournoi, dans le nouvel amphithéâtre. Tu sais, ils l’ont terminé il y a quelques semaines. C’est au sud-ouest d’ici, à deux jours de marche.
— Et donc ? Qu’est-ce que c’est, ce tournoi ?
— Des combats. Humains contre humains. Pouvoirs contre pouvoirs.
— Tu veux y participer ?

Surpris par la perspicacité de sa mère, qui met toujours du temps à comprendre d’habitude, Élio hésite quelques secondes avant de répondre.

— Oui. Ils ont dit qu’il y aurait des récompenses à la clé.
— Et tu as le droit de participer ? s’étonne sa mère. Nous sommes du peuple…
— Il y a des qualifications pour le peuple. Les meilleurs soldats et nobles seront confrontés à quelques personnes comme nous… je crois.

Il remarque que les yeux de sa mère deviennent un peu vitreux. Il a l’impression qu’elle le regarde sans le voir. Elle soupire légèrement et murmure, tant et si bien qu’il doit tendre l’oreille pour l’entendre.

— Je croirais voir ton père…
— Si tu pouvais éviter d’encore parler de lui, ça m’arrangerait, réplique froidement Élio.
— J’ai faim… lâche soudain sa mère en se détournant.

Elle tremble un peu. Élio comprend que son esprit est reparti. Dès que le sujet du père de famille est abordé, elle retourne dans ses rêves et sa folie. Élio esquisse un sourire d’excuse à la servante et quitte la chambre, ainsi que le cabanon.

Il se retrouve dehors, parmi un enchevêtrement de cabanes, de caravanes et de bicoques poussiéreuses, souvent squattées par des bandes de gamins en haillons. Une pile de déchets s’amoncelle le long du canal qui ruisselle à quelques mètres. Élio s’éloigne et traverse d’épais buissons de baie oran qui séparent la maison d’un sentier ; sentier qui va vite le ramener vers l’Avenue.

Il garde la tête baissée, les mains dans les poches, et avance le long du chemin. Songeur et l’air sombre, il se prend à rêver de n’avoir jamais eu de parents. Entre sa mère malade et son père qui l’a abandonné à la naissance, il se dit qu’être orphelin n’est pas si mal.

Cette pensée horrible le fige d’effroi. À quoi pense-t-il donc ? Il aime sa mère. Son père a peut-être été une ordure de première catégorie, mais il n’a pas le droit de penser à des choses pareilles. Sans compter tous ces orphelins qui rêvent d’avoir une famille… Il secoue la tête pour reprendre ses esprits. Il ne doit pas se montrer égoïste.

Il s’arrête quand il pose le pied sur les gravillons bruyants de l’Avenue. Des bidonvilles se trouvent à sa droite et à sa gauche, jusqu’aux premières boutiques près desquelles s’affairent quelques commerçants et clients. Un fermier passe devant Élio, aidé par un tiboudet tirant une brouette derrière lui. Le jeune homme suit le paysan du regard jusqu’à ce que celui-ci quitte la cité des goélises par le sud ; on aperçoit la fin des mauvais quartiers à quelques dizaines de mètres de là. Après ça, ce n’est plus que champs, prairies, collines et petit bois jusqu’au sud.

Jusqu’au lointain et inaccessible amphithéâtre.

Élio remonte l’Avenue avec lenteur. Comme d’habitude, il n’a pas grand-chose à faire de sa journée. Il a pas mal d’argent caché, mis de côté, grâce à un petit boulot achevé deux semaines auparavant. Il n’a pas besoin de travailler pour le moment. Sans compter qu’il va parfois s’entraîner dans son coin. Et, plus rarement, sur le terrain.

Terrain qui, lorsqu’il y parvient enfin, est aussi rempli que la veille. Même plus. Les gradins de bois sont presque bondés, et de nombreux futurs participants du tournoi — probablement ? — s’entraînent encore. Élio hésite. Observer les participants les plus prometteurs ? Aller voir Steban ? Ou bien s’entraîner avec eux ?

Il s’accoude à l’une des barrières entourant le terrain. Il n’a pas envie de se battre en public. Il sait qu’il le faudra bien, de toute façon, pendant le tournoi. Mais il trouvera bien la motivation à ce moment. Là, il n’a juste pas envie de se faire remarquer parmi tous ces gens.

Faisant demi-tour, il opte pour une quatrième solution à son dilemme : s’éloigner en forêt, loin des bruits du centre-ville, et s’entraîner.

Seul.

Comme il en a pris l’habitude.



***


— Le Grand Roi de Givre, le Grand Roi de Givre… soupire Sœlis Libellion en tournant une à une les pages de l’épais grimoire posé devant elle.

La jeune femme, penchée sur un beau bureau d’acajou, repousse une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille, et continue de chercher le bon chapitre de son livre d’Histoire.

Silhouette menue, cheveux bouclés et dorés, elle a tout juste la vingtaine, mais elle pourrait attirer des regards bien plus âgés. Elle dégage un charme naturel que mettent en avant ses riches vêtements aux parures de dentelle, et sa silhouette fine suspendue au bord de son large fauteuil.

Elle se trouve dans sa salle d’études personnelle. Celle-là même où elle suit des cours avec ses professeurs, et où elle travaille, lorsque l’envie lui prend. Ayant terminé les quelques exercices d’arithmétique et de géométrie censés lui « entraîner les neurones », elle a décidé d’elle-même de réviser l’Histoire du Royaume. Avec les évènements à venir, elle craint de déraper dans une conversation et de ne pas se souvenir des détails importants.

Ça aurait été bien maladroit de la part de la princesse et future héritière de Kirazann.

Pour autant, le grimoire semble vouloir l’empêcher de réviser, justement. Elle tourne les pages depuis bien cinq minutes, mais impossible de trouver le chapitre évoquant l’unification du Royaume en l’an 0 ; et inutile d’aller au sommaire, il tient en dix pages à lui tout seul, et est écrit en pattes de mouches. S’il y aurait bien une chose à changer lorsqu’elle ira sur le trône — et elle espère fort que ce n’est pas pour tout de suite —, ce sera de changer de scribes !

Des bruits au-dehors la font lever la tête. La salle d’études, positionnée sur le pourtour des quartiers principaux du château, surplombe une bonne partie de l’édifice et la vue imprenable du paysage s’étend jusqu’à Hymnus. Il est normal d’entendre les bruits en contrebas, mais ça semble plutôt agité ces temps-ci.

Sœlis l’a bien remarqué : les Kerchakh sont nombreux à venir depuis plusieurs semaines. Les choses s’accélèrent enfin.

Ça fait deux ans que Sœlis s’est rendu à Kohork avec son père. Si leur voyage a été long et la visite chez la Doyenne bien courte, elle en a pourtant gardé un souvenir très vif. La mystérieuse vision annonçant l’invasion imminente des Ombres résonne tout le temps dans sa tête. Tous les jours. Son père aussi, le Roi Mharcus, est inquiet.

Selon la Doyenne et les nouvelles visions de certains membres de sa tribu, survenues ces derniers mois, l’invasion aura lieu dans moins de cinq ans. Ça veut aussi dire que ça peut arriver dès demain. Ce n’est pas exclus, en tout cas. Et c’est quelque chose qui effraie Sœlis au plus haut point.

La jeune femme se lève et se plante devant la fenêtre, curieuse. Il y a pas mal de monde dans la cour, mais les bruits viennent surtout de l’extérieur des murs du château, au-delà des douves. On entend les pioches fracasser des rochers en direction de la carrière ; c’est la raison de la présence de tant de Kerchakh. Depuis peu, et après deux ans de fouille, on commence à déterrer des artéfacts de l’Ancien Temps.

Pokéballs, flacons métalliques au but incertain, armes à feu rouillées, munitions… d’après certains, la zone aurait été une sorte de capsule temporelle laissée par des gens de l’Ancien Temps, pour le futur. Pour l’instant, ça ne sert pas à grand-chose, mais Sœlis ne peut s’empêcher d’être reconnaissante envers ces personnes d’une autre époque. Grâce à leur savoir, peut-être qu’ils pourront lutter contre les Ombres.

Peut-être.

Sœlis tourne le regard vers la ville, la capitale : Hymnus. Légèrement au sud-est du château reclus sur une île, et au-delà des murs de la citadelle qui protègent aussi les quartiers nobles et la cathédrale, entre autres, se dressent les maisons cossues, palais et châtelets d’Hymnus. Ce doit être en pleine effervescence, là-bas aussi. Tout le monde est sûrement en train de discuter du tournoi.

C’est la solution d’urgence qu’a trouvé le Roi : comme les soldats sont occupés avec les attaques du Gang des Ténèbres au nord, et que les Kerchakh sont chargés d’étudier les artéfacts au plus vite, il ne reste plus grand-monde pour une des missions capitales du Royaume.

Et cette mission capitale, c’est d’aider la princesse à éveiller ses pouvoirs.

Avec le tournoi, le Roi espère faire d’une pierre deux coups : trouver des jeunes combattants expérimentés capables d’apprendre les bases du combat à Sœlis, puis de la perfectionner. Mais aussi de l’escorter jusqu’aux Sources de Vie.

Ces lointaines fontaines ou mares sacrées, que les mythes évoquent comme les Larmes perdues par Arceus pendant une lointaine guerre, sont situées au-delà des frontières connues du Royaume. S’y rendre ne sera pas une mince affaire, pas plus qu’emporter l’équipement adéquat ; surtout lorsqu’il s’agit d’escalader une montagne gelée ou de s’enfoncer dans une lointaine crypte au fin fond d’un marécage baigné par la brume.

Mais avec une escorte discrète, efficace et rapide, Sœlis peut espérer atteindre les différentes Sources et éveiller ses pouvoirs sur place.

La Doyenne l’a déjà dit. Sans les pouvoirs de la lignée royale, rien ne pourra arrêter les Ombres. Les visions sont claires à ce niveau-là.

Le pouvoir de lumière surpuissant qui est censé baigner le sang de Sœlis sera nécessaire à la survie de l’humanité.

Cette idée la fait frissonner de peur. Les responsabilités l’effraient un peu. Surtout que le peuple sait. Il sait qu’elle n’a pas encore ses pouvoirs, et il murmure des choses. Qu’elle est une incapable. Une bâtarde dont le sang est trop pauvre. Une idiote. Une attardée.

Sœlis a fini par penser la même chose, ou presque. Elle a encore un peu d’espoir. Mais en public, elle perd rapidement ses moyens, elle hésite, elle n’ose pas tenir tête ou faire preuve de fierté. Elle a honte. Honte de n’avoir encore aucun pouvoir à vingt ans, quand la plupart des gens les découvrent en soufflant leur douzième bougie !

Elle retourne s’asseoir devant son grimoire et tourne les pages sans motivation. Soudain, son regard s’accroche sur un dessin griffonné avec adresse. Une statue représentant un roi aux épaules larges, à la cape d’un bleu brillant, qui porte un casque de guerrier et non pas une couronne.

Le Grand Roi de Givre, fondateur et unificateur du Royaume de Kirazann.

Sœlis soupire de soulagement et attrape un vélin et la plume resté près de l’encrier. Il est temps de vérifier l’étendue de sa culture historique !



***


La petite forêt de feuillus est étrangement calme. On entend à peine les bruits de la ville ; le vent agite doucement les frondaisons des arbres, et, parfois, le couinement d’une fouinette ou le piaillement d’un étourmi rompent le silence.

Élio atteint l’étroite clairière dans laquelle il a pris l’habitude de se rendre. Mesurant dix mètres sur quatre, l’endroit n’a rien d’impressionnant, avec son terrain bosselé jonché de feuilles mortes et décoré de longues herbes d’un jaune terne. Un rocher rond couvert de mousse repose à un bout de la toute petite plaine. Élio retire sa cape et la pose sur ce dernier, en vérifiant qu’il n’y a pas de racaillou caché à côté.

Il a eu une mauvaise surprise la dernière fois et a dû affronter le pokémon en colère. Il s’en est bien sorti — les pokémons sauvages se montrent rarement agressifs en tombant sur un humain déterminé à se défendre — mais Élio préfère rester prudent. S’il prend un mauvais coup, il pourrait être désavantagé à cause d’une blessure pendant le tournoi. Rien n’aurait été plus stupide.

Élio se tourne vers la plaine, son regard se fixant à l’autre bout.

Il fléchit les jambes, et se penche légèrement en avant.

Ouvrant les paumes de main, il laisse l’énergie couler le long de son corps, palpiter contre sa peau frémissante… et se lance.

Un flash de lumière et une puissante bourrasque est provoquée par son bond en avant ; des ondes électriques explosent sous ses semelles en vrombissant dans l’air.

Sa silhouette floue, entourée d’une lueur d’un bleu vif, est propulsée à toute vitesse à l’autre bout ; une traînée crépitante semble stagner derrière lui pendant une brève seconde, alors que l’air chaud semble presque se vaporiser sur son passage.

Élio atteint l’autre bout de la clairière et s’arrête brusquement. L’aura qui l’entoure s’éteint un peu, et il regarde ses mains avec surprise. Des étincelles en tombent encore. Il esquisse un sourire intrigué, en se rendant compte qu’un entraînement régulier est la clé de la réussite ; il est allé plus vite que d’habitude. Et il n’a pas titubé à l’arrivée.

Le garçon se retourne. Ce jour-là, il se sent bien. Plutôt que de se contenter des cinquante allers-retours quotidiens… il pourrait peut-être en faire soixante. Ou même soixante-dix.

Il se penche de nouveau, et l’énergie qu’il projette derrière lui le lance de nouveau vers la clairière.

« Je dois passer les qualifications à tout prix ! » pense-t-il avec force en volant au-dessus des herbes.

Il s’arrête près du rocher subitement, comme un éclair qui frapperait le sol. Son pouvoir n’est pas de la téléportation, mais presque, à cette vitesse. Un humain est probablement capable de le suivre du regard tant qu’il fonce dans une direction précise, mais Élio se sait capable de tourner et pivoter en cours de route : c’est une stratégie à approfondir. Il pourrait tromper l’adversaire et le prendre par surprise, pour le mettre à terre avec son autre pouvoir…

Oui, pourquoi pas ?

Élio a envie de tester de nouvelles choses : il a toute la journée pour ça. Steban pourra bien attendre sa visite plus tard !



***


— Ah, j’ai cru qu’tu viendrais pas, Élio.
— Oh, tu as attrapé quelque chose ?
— Pff, tu parles !

Steban tourne le seau vers le garçon qui vient d’arriver ; ce dernier reste à bonne distance du bord de la rivière mais s’approche un peu pour observer les résultats de la pêche du vieil homme.

— Deux froussardines et un minuscule bargantua ! s’irrite Steban. Si y’a un Arceus là-haut, i’doit bien s’marrer, tiens !
— C’est mieux que rien, rétorque Élio en s’asseyant sur un rocher voisin à celui du pêcheur.
— Ah, ça, j’peux pas dire l’contraire.

Le cours d’eau gazouille devant eux. Le temps s’est assombri, et il fait un peu plus frais. Dans une heure, la luminosité commencera à baisser. Steban va sûrement bientôt arrêter et rentrer chez lui.

— Alors, pourquoi qu’tu viens si tard ? s’étonne Steban.
— Je m’entraînais.
— Ah ! J’m’en doutais. Les qualif’, hm ?
— Oui.

Élio évite le regard de Steban, le sachant réticent à tout ça. Mais bizarrement, le pêcheur n’ajoute rien. Il doit savoir qu’Élio ne changera pas d’avis. Peut-être même qu’il veut le soutenir, maintenant.

— Ta mère va bien ?
— Ce matin, ça allait. Je lui ai expliqué pour le tournoi.
— Elle a compris ?
— Je crois que oui… enfin, je ne suis jamais sûr, avec elle.
— C’est pour quand, les qualif’ ?
— J’ai été voir, et… visiblement, ça commence dans trois jours. Au terrain d’entraînement en plein-air.
— Ah, donc c’est celui où tu vas parfois ? lâche Steban avec décontraction.
— Oui.
— J’irais t’voir. Et si y’a des paris, j’compte sur toi pour m’faire gagner un peu d’blé. J’t’avoue qu’c’est pas facile en c’moment.

Élio, inquiet, pose ses coudes sur ses genoux et se penche un peu.

— Si tu as des problèmes d’argent, dis-le moi. Je peux t’aider.
— Mais non ! Garde donc tes sous pour ta mère. J’peux m’en sortir tout seul.
— J’y tiens. Tu m’as beaucoup aidé jusqu’à aujourd’hui, laisse-moi te rendre service !

Steban secoue la tête en grognant, mettant un point final à ce sujet. Il est réticent à ce qu’on l’aide, mais est-ce par fierté ? Ou alors parce qu’il refuse de mettre Élio dans l’embarras ? Difficile à dire. Peut-être un mélange des deux.

Élio se souvient vaguement de sa première rencontre avec Steban. Il était jeune, même pas encore un adolescent. Il volait sur les marchés, jouait avec d’autres garçons de son âge, et traînait aux alentours des mauvais quartiers. Un jour, après une bagarre où il avait pris un sale coup, il était tombé dans la rivière. Celle-là même devant laquelle il se tient en ce moment.

Il se souvient de son incapacité à quitter le lit et le courant traître du cours d’eau. Le grondement environnant, les rires et les cris des enfants sur le pont de bois, et les gargouillis qui sortaient de sa bouche alors qu’il tentait en vain de respirer. Ses poumons comme bloqués, son corps lourd, ses yeux brûlants. Et la lumière du soleil, si proche et si lointaine. Hors de sa portée.

Et puis Steban avait surgi là, sans aucune délicatesse. La main du pêcheur avait saisi son col, l’avait sorti de l’eau et ramené sur la rive. Élio se souvient de l’engueulade du pêcheur avec les autres garçons, qui avaient vite déguerpi.

C’était à partir de là qu’Élio avait commencé à rendre visite à Steban. Et c’était à cette époque lointaine qu’il avait cessé de voler et de s’amuser avec ces ignobles comparses, qui avaient failli le noyer.

Steban tremblote quand un coup de vent froid balaye la rive. Il grommelle quelque chose, et Élio sourit. S’il y a bien une chose qu’il pourrait reconnaître entre mille, c’est bien ce grognement. Steban a le même depuis dix ans.