La nuit s’était couchée depuis deux heures, la pleine lune éclairait le petit village de Bourg-Palette de toute sa splendeur. L’été n’allait pas tarder à arriver dans la région, un petit vent chaud soufflait déjà dans les rues. Les feuilles des arbres bruissaient entre elles, comblant ainsi le silence qui occupait cette zone rurale.
Ce coin n’avait jamais vraiment été très habité, à peine trois cents personnes vivaient dans ce petit paradis. Construit entre plusieurs collines, il donnait au sud sur une mer peu agitée. Un port avait été aménagé sans toutefois accueillir un seul bateau. Voilà plusieurs longues années que personne n’empruntait ce lieu depuis que le célèbre Professeur Chen avait mystérieusement disparu. Sa descendance avait bien tenté de faire revivre la légende qui glorifiait cette terre, mais la peur avait pris le dessus sur bon nombre d’aventuriers. Plus personne ne venait réclamer son premier compagnon de route. Chacun faisant comme il pouvait.
Assis devant le rebord de la fenêtre ouverte de sa chambre, un jeune-homme de vingt n’arrivait pas à dormir. Plusieurs sentiments l’empêchaient de fermer les yeux durant ne serait-ce qu’une seconde. Il regardait la vue sur laquelle sa maison donnait. D’ici, il pouvait voir quasiment tout le village entier ainsi que le ciel étoilé qui se perdait devant lui. Simplement vêtu d’un caleçon noir, il trifouillait ses cheveux bruns à cause du stress. Le lendemain allait être un jour nouveau pour lui, il allait pouvoir faire ce dont il avait toujours rêvé. Il avait attendu deux ans avant de prendre définitivement sa décision. Une grande aventure l’attendait. Il n’avait qu’un seul but : redonner à sa ville sa réputation d’antan. Il était motivé, rien n’allait pouvoir le retenir ici. Pas même sa mère qui, pourtant, était triste de le voir partir. Rien que de penser à elle, son cœur paniqua un instant. Depuis que son père les avait abandonnés, elle l’élevait seule. Au départ, le Professeur Chen l’aidait financièrement pour qu’ils puissent vivre correctement. Mais lui aussi avait décidé de ne plus donner des signes de vie. C’est ainsi que Shawn n’aspirait qu’à une seule chose : aider autant que possible sa mère. Il avait donc décidé de ne pas partir tout de suite en quête des badges de Kanto après l’obtention de son diplôme. Il avait travaillé dur pour qu’aucun des deux ne manque de rien.
Puis ce jour est arrivé, le nouveau dresseur pouvait donc se permettre de réaliser son rêve bien que sa mère allait terriblement lui manquer. Bien décidé à partir, mais horriblement déchiré par le fait de la laisser seule dans ce village mourant, il n’arrivait pas à rejoindre le pays des songes. Non loin de lui, un Pokémon orange le regardait d’un œil inquiet et fatigué. C’était un Salamèche jeune et frêle qui n’avait, pour le moment, jamais combattu qui que ce soit. Son fidèle partenaire, qui le suivait partout depuis son éclosion, était couché à ses pieds. Il provenait d’un œuf du Dracaufeu de son père, le brun l’avait trouvé sur son lit lorsque ce dernier est parti. Un cadeau d’adieu sans doute. Malgré les années passées, le type feu n’avait pas vraiment progressé. Son environnement ne s’y prêtait nullement, ce n’était guère étonnant.
-Ne t’inquiète pas, tout ira bien demain.
Même si son maitre tentait de le rassurer, Sally (oui, c’était son nom) avait un mauvais pressentiment. Il sentait que quelque chose clochait dans les alentours. Il essayait tant bien que mal de calmer cette peur qui grandissait en lui. Mais rien n’y faisait, elle était toujours présente au plus profond de son corps. Le Pokémon se leva de sa niche pour s’installer sur les genoux de l’humain qui lui caressa la tête. Il observa alors l’extérieur avec anxiété, un bruit lointain se faisait entendre. Bien qu’il ne sût pas ce que c’était, ses membres devinrent incontrôlables et tremblèrent instantanément.
-Que se passe-t-il Sally ?
Une lumière violette apparut dans le ciel, juste au-dessus de l’église qui était au centre du village. En une seule seconde, tous les volatiles fuirent les lieux dans un fracas assourdissant. Les lumières des habitations s’allumèrent une à une et certains villageois commencèrent déjà à quitter leur maison en courant. Shawn eut à peine le temps de se lever que sa mère entra en trombe dans sa chambre. Ses longs cheveux châtains détachés tombaient sur son visage apeuré. Elle prit la main de son fils et le força à fermer la fenêtre.
-Maman, c’est quoi ce truc ?
-Je n’en sais rien. Vite, suis-moi !
Son Salamèche dans les mains, il dévala les escaliers derrière sa génitrice qui manqua de tomber sur la dernière marche. Un vent extrêmement violent se faisant entendre et sentir sur les murs de la maison. Aucun d’eux ne savait quoi faire. Rester à l’intérieur ou, au contraire, fuir vers la forêt ? Ils décidèrent de rester planqués dans leur cuisine, chacun regardant par la véranda l’immense trou violet qui amplifiait chaque seconde. À mesure qu’il grossissait, les bourrasques se faisaient de plus en plus fortes. Une vitre céda à la pression et laissa derrière elle des milliers de bouts de verres qui vinrent se projeter sur la mère et son fils qui se protégèrent autant qu’ils le pouvaient. À présent, ils n’étaient plus en sécurité chez eux ; d’autant plus qu’une forme sortit du trou.
C’était immense, peut-être plus de trois mètres. Quatre pattes rouges se présentèrent jusqu’à laisser apparaitre le haut du corps de cette chose. Ce qui semblait être des muscles se contractèrent et deux bras énormes se croisèrent dès que la tête, pourvue d’une immense tige et de deux antennes, apparut à son tour. Le monstre volait à présent au-dessus de Bourg-Palette. Plusieurs cris se firent entendre malgré la force du vent. Le jeune homme était pétrifié, c’était la première fois qu’il voyait une horreur aussi ignoble que celle-ci.
-Cours !
La mère, quant à elle, n’attendit pas une minute pour réagir. Tenant la main de son fils, elle le tira dans la rue principale qui donnait sur sa maison. Les voisins, tous dehors, fuyaient aussi vite qu’ils le pouvaient. Mais l’immense chose rouge frappa son poing sur le clocher de l’église après avoir pris de l’élan.
Et soudain, ce fut le chaos. L’onde de choc se propulsa rasant, une à une, les habitations. Des personnes furent même projetées avec les débris qui, pour la plupart, les assommèrent en un seul choc. Même loin du centre, Shawn et sa mère n’avaient pas pu résister à la force du vent qui vint les jeter sur la pelouse de leur jardin. Le petit Salamèche se cramponna tant bien que mal dans les bras de son maître qui tentait de ne pas le lâcher.
-Tiens bon !
Le futur dresseur était maintenant à quatre pattes sur le sol, fermant ses bras autour de son unique compagnon. Il ferma ses yeux à cause de la poussière qui volait dans les rues de la ville. Il attendit quelques minutes pensant mourir écrasé ou même déchiqueter par le monstre qui criait dans le ciel. Mais rien ne fut. Le vent perdait de plus en plus d’intensité et un silence affolant prenait place après le fracas. Plus aucun bruit mais, cependant, la lumière violette gardait de son éclat. Le jeune homme redressa la tête doucement. Tout n’était que chaos. Toutes les habitations étaient détruites, les arbres couchés au sol et le village entier semblait ne plus exister. C’était malheureusement le cas.
-Maman ?
S’il y a bien une chose qu’il remarqua rapidement, ce fut l’absence de sa mère à ses côtés. Il ne rêvait pas, elle était juste là quelques minutes plus tôt. Il se releva et, toujours avec Sally dans ses bras, commença à scruter son environnement du regard. Il n’y avait aucun signe de vie. Dans le silence qui le rendait sourd, il put entendre un léger son qui provenait de derrière lui. Pendant une bonne vingtaine de secondes, il hésita. La peur le paralysait complètement et seuls ses yeux semblaient répondre à l’appel. Machinalement, il réussit à se retourner calmement. C’est alors que sa frayeur le frappa une seconde fois de plein fouet. Debout en face de lui se tenait la laideur rouge qui avait détruit le village. Ce dernier semblait le dévisager par deux petits et horribles ronds. Il n’osa plus bouger. Un cri s’étouffa avant que son corps ne soit projeté au loin.
C’est ainsi que tout commença. À cette heure, un village entier venait d’être détruit par un monstre sortit du ciel. Sans que personne ne le sache, cette date marquait un tournant pour la planète entière. Le compte à rebours était à présent lancé.
°°°Le silence régnait toujours, tout comme la nuit qui allait s’éterniser. La pleine lune, encore présente, semblait pleurer la perte de ces centaines d’humains et Pokémon. Toute cette misère dont la provenance était inconnue allait malheureusement perdurer.
Un hélicoptère se posa non loin d’une maison décimée. À peine eut-il le temps de se poser que trois personnes habillées de noir sautèrent pour observer ce qui semblait être l’enfer sur terre. L’un d’eux plaça une valise devant lui qu’il ouvrit sur le sol. À l’intérieur, un écran diffusait les images de la ville en temps réel vus du ciel.
-Comment se fait-il que nous n’ayons rien vu venir ? Depuis quand les Ultra-Chimères s’intéressent-elles à Kanto ?
L’homme qui posait toutes ces questions avança d’un pas lourd vers les vestiges de ce qui était l’une des villes les plus reconnues du monde. Il étouffa un sanglot puis observa le chaos qui l’entourait.
-Le drone ne montre que des ruines. Personne ne peut survivre à ça.
L’homme qui regardait l’ordinateur, bien plus imposant que le premier de par sa musculature, remarquait avec stupeur la violence qu’avaient subis les constructions. Depuis dix ans de service, c’était bien la première fois qu’il ressentait au fond de lui une peur qu’il cacha lentement.
-Passez ce qui reste de Bourg-Palette au peigne fin. Aucun témoin ne peut rester ici.
La femme qui venait de donner l’ordre retourna à l’intérieur de l’hélicoptère, laissant derrière elle les deux agents qui commencèrent à s’aventurer. À ses côtés, un Mentali était allongé sur la banquette en cuir. Ils s’observèrent un instant puis ce dernier vint se frotter à sa maîtresse. Le moment était mal choisi pour tenter de la réconforter, mais le Pokémon savait bien que cette attaque était beaucoup plus importante que les dernières. Lui-même ressentait encore toute la souffrance de ces êtres morts en quelques instants.
-J’ai bien peur que ce ne soit qu’un début.
Tout son corps trembla juste à l’idée qu’une autre atrocité de ce genre pouvait se reproduire. C’était pourtant son boulot d’éviter les destructions mais rien ne présageait ce qui s’était pourtant bel et bien passé. Une erreur avait été commise mais personne ne savait comment. Tout était opérationnel, les radars constamment allumés n’ont rien signalé. Une larme coula sur sa joue, elle l’essuya rapidement avant de se pencher sur l’intérieur de son sac. Elle ouvrit une boite et se força à avaler le contenu. Ses tremblements s’arrêtèrent et son esprit redevint plus clair. Son cerveau pouvait donc se remettre à réfléchir. Dès le lendemain, les médias allaient relater l’information et le monde entier serait donc au courant. Ils devaient agir vite.
Au bout d’une bonne trentaine de minutes à faire marcher son cerveau, son talkie-walkie grésilla quelques instants avant d’émettre les paroles de l’un de ses agents.
« Machopeur a trouvé un ado contre un tronc d’arbre, il est inconscient mais respire difficilement. »Elle ferma les yeux par un léger soulagement et posa sa tête contre le dossier de son siège. Elle se sentait un minimum mieux. Ses mains vinrent détacher ses longs cheveux violets une fois qu’elle fut debout. Bien que trentenaire, son visage marqué par le stress dessinait quelques rides qui la vieillissaient de plus en plus. Son boulot était très intense mais elle l’avait accepté. L’abandonner serait du suicide pour sa carrière pourtant si prometteuse. Elle devait faire avec. Un jour peut-être son rôle ne serai plus d’aucune utilité. Mais avant cela, elle avait un garçon à sauver. Elle approcha le talkie-walkie de sa bouche et appuya sur le bouton.
-Très bien, ramenez-le.