Pokemonis T.2 : L'embrasement de l'Aura de Malak

Scalpuraï



Un mois était passé depuis le début de la purge G-Man. Même si j’avais souhaité et attendu ce moment depuis des siècles, il me laissait un arrière goût amer. C’était trop long, et trop ennuyeux. Après le massacre des loyalistes, nous n’avons fait que ratisser la cité en long en large et en travers pour dénicher les G-Man de Lance qui s’étaient cachés ci et là. En un mois, nous n’en avions trouvé que six, et moi, je n’avais pu en tuer qu’un seul ! Un avait été capturé et était actuellement en procès, et les quatre autres avaient été éliminés par Six. Je ne pouvais pas vraiment me plaindre que la fille de Mizulia soit efficace dans son travail, mais j’en ressortais un peu frustré.

J’aurai mille fois préféré un combat épique en une journée contre la totalité des G-Man à la fois, que ce jeu de cache-cache assommant avec au final même pas de combat potable. Et Kashmel se révélait toujours introuvable. Je ne comprenais absolument pas ce qu’il avait cherché à faire. Il avait pris le contrôle du Quartier G-Man pour ensuite l’abandonner et disperser ses troupes, et depuis, aucune nouvelle. Ses G-Man se faisaient avoir un par un, et il ne bougeait toujours pas. Connaissant Kashmel, je savais qu’il avait forcément un plan, mais le plan en question m’échappait, et ça m’agaçait. D’autant qu’aujourd’hui, je devais faire mon rapport à l’Empereur, et je n’avais guère de nouveaux éléments à lui transmettre.

- Votre Majesté, le procès du G-Man Jald Raktalin a débuté, indiquai-je au maître suprême de Pokemonis après m’être incliné.

- Je suis au courant, répondit Daecheron de sa voix caverneuse. Inutile de te dire que Jugeros désespérait de pouvoir enfin en tenir un. Un mois, et seulement un G-Man de capturé ? L’acier qui compose ton corps commencerait-il à rouiller avec le temps ?

- Ma… nouvelle esclave fait montre d’un enthousiasme plus grand que celui que j’avais escompté, tentai-je de me justifier.

C’était un doux euphémisme. Si je n’avais pas tant insisté pour que Six m’en ramène un en vie, jusqu’à la menacer de mort, elle ne m’aurait ramené encore une fois qu’un cadavre en lieu et place de Jald Raktalin. Pourtant, contrairement à moi, elle ne semblait pas prendre plaisir aux combats et aux meurtres de G-Man. Elle les tuait avec toute l’efficacité et l’émotion d’une machine, sans aucun sentiment.

- Oui, ses exploits sont parvenus jusqu’à moi, fit l’Empereur. Les rumeurs sur son existence ont commencé à percer en ville. La « G-Man tueuse de G-Man » qui travaillerait pour tes Nettoyeurs.

- Que le peuple connaisse son existence n’est pas dommageable, Sire. Ça ne fera que renforcer sa peur envers les Nettoyeurs, et donc envers l’Empire, pour qu’il se tienne à carreau. Six est une tueuse de G-Man, mais peut aussi parfaitement éliminer des Pokemon qui n’auraient pas respecté la loi impériale.

Daecheron m’emprisonner de son regard de braise, et je craignis d’avoir dit une bêtise. Même pour moi, Scalpuraï, Pokemon centenaire, maître du combat et utilisateur de l’Ether, quand l’Empereur me dévisageait ainsi, j’étais incapable de regarder ailleurs ou de baisser la tête, comme si ses yeux ne voulaient pas laisser s’échapper les vôtres.

- Libre à ta créature d’éliminer tous les G-Man et humains qu’elle souhaite, mais si elle se met à tuer des Pokemon, ça risque de poser problème.

- Majesté ?

- Scalpuraï, maintenant que les G-Man sont considérés hors-la-loi et condamnés à mort, il n’y a plus aucun humain qui pourrait prétendre à être supérieur à un Pokemon. Tous les humains, sans exceptions, sont des esclaves pour nous, Pokemon. Que ce soit Xanthos ou les G-Man, c’est terminé, tout cela.

Je me retins de lui signaler que ce n’était pas vraiment le cas. Il y avait toujours un humain devant lequel les Pokemon étaient amenés à s’incliner… tout comme moi.

- Mais si ton esclave bâtarde en vient à faire régner la loi parmi les Pokemon eux-mêmes, elle sera de facto supérieure aux Pokemon, poursuivit l’Empereur. Et alors, rien n’aura changé. Même la pire ordure Pokemon ne devrait pas se trouver en position d’infériorité face à ta G-Man apprivoisée. Maintenant et à jamais, tous les humains, quels qu’ils soient, sont inférieurs aux Pokemon.

- Je comprends, Sire, acquiesçai-je. Je n’utiliserai Six que contre des humains alors.

Encore une fois, l’Empereur me dévisagea intensément.

- J’avoue avoir du mal à comprendre d’où te vient ce désir d’avoir cette bâtarde d’Irlesquo dans tes rangs, toi qui déteste tant les G-Man et surtout cette famille là. Ne vas pas me faire croire que c’est uniquement pour ce qu’elle peut apporter à tes Nettoyeurs ; je te connais depuis trop longtemps, mon serviteur.

Scalpuraï ne put qu’hocher la tête.

- Je ne saurai rien cacher à Votre Majesté. Il se trouve que j’ai un attachement particulier pour sa mère, Mizulia. C’est une esclave de valeur, qui m’a été grandement utile et dont j’apprécie la compagnie. Je lui ai promis d’épargner sa fille si je la capturais, à la condition qu’elle me serve.

- Humph… Tu n’as jamais véritablement perdu cette complaisance pour les humains, malgré tout ce temps. Tu es trop sentimental.

J’hochai les épaules.

- J’ai vécu longtemps parmi eux.

- Tu es resté avec eux, même quand l’Empire a été promulgué, me rappela Daecheron. Tu t’es battu pour eux, pour cette femelle maudite qui fut l’ancêtre des Paxen : Salia Chen.

- Je servais mon dresseur, me justifiai-je. C’était lui qui est resté avec la fille Chen.

- Et vous avez rencontré la « première » Sixtine, ricana l’Empereur. Sa mort a été l’événement qui t’a fait retourner ta veste et rallier l’Empire.

Je me rembrunis. Je n’aimais pas parler de ça, même à l’Empereur.

- Je n’ai jamais compris pourquoi, poursuivit Daecheron. Pourquoi être venu auprès de Xanthos et de moi alors que cette enfant a été tuée par les G-Man, qui venaient juste de se rallier à nous.

- Sire…

- Tu peux parler sans crainte, m’arrêta Daecheron. Nous sommes entre nous. Nous nous connaissons depuis longtemps.

Je gardai le silence un moment avant de me livrer :

- J’étais en colère contre Zeff et les résistants humains. Les G-Man ont effectivement tué Six, mais c’est parce que Salia et les autres ont pris les mauvaises décisions. Et puis… le Directeur m’a trouvé. Il m’a promis… une occasion de me venger des G-Man un jour, si je rejoignais votre camp.

- Ah, ricana Daecheron. Évidemment. Cet homme sait jouer avec les sentiments des autres et s’en servir contre eux, depuis toujours. Mais au final, il a bien tenu sa promesse, bien que j’ignore quel rôle précisément il a joué dans tout cela. Es-tu satisfait de ta vengeance, Scalpuraï ?

- Pas vraiment, Sire, avouai-je. C’était il y a fort longtemps ; j’ai du mal à me souvenir du visage de cette gamine, et je ne m’en soucie plus. Je voulais contribuer à éliminer les G-Man parce que je pense qu’ils sont des nuisibles pour notre Empire.

L’Empereur fit un geste signifiant l’insignifiance de mes propos.

- Les G-Man ne sont plus rien, et ce depuis des siècles. Xanthos les a domestiqué, et ce faisant, il les a rendu faibles. Ils ne nous servaient plus à rien, et n’auraient jamais pu nous inquiéter en quoi que ce soit, même s’ils s’étaient rebellés.

- Mais… c’est actuellement le cas, Sire.

- Ils sont peu, et nous les débusquons au fur et à mesure. Qu’est-ce que Kashmel Irlesquo compte faire contre moi avec même pas une trentaine de G-Man ? Non, là n’est pas le danger. Si j’étais de nature à m’inquiéter, je regarderai plutôt du côté des Paxen. Leur victoire contre le colonel Tranchodon les a mis en confiance. Ils reçoivent de plus en plus de soutien partout dans l’Empire, et même de Pokemon. Mes espions m’affirment également que l’Empire de Lunaris serait en train de pactiser avec eux. Et enfin, je sais qui se trouve à leurs côtés désormais. J’ignore ce qu’ils comptent faire avec lui, mais venant de leurs deux premiers Fondateurs, je peux m’attendre à tout, et surtout au pire.

J’étais au courant bien sûr de ce qu’avaient fait les Paxen avec cet humain amnésique, Tannis Chalk. L’Empereur pouvait s’en inquiéter à juste raison, même si pour l’instant il trouvait la situation du premier comique. Le Directeur, toutefois, y trouvait là un sujet de satisfaction. Mais qui pouvait comprendre les plans du Directeur, à part lui-même ?

- Ces imbéciles de rebelles doivent disparaître avant le début de la Guerre Céleste, reprit Daecheron. Je les ai laissés gagner en force et en assurance au fil des ans, pour maintenir nos armées en forme et offrir des ennemis tout désignés afin d’unir les Pokemon, mais ils ne sont plus contrôlables, et l’union des Pokemon que j’espérais tend au contraire à offrir aux Paxen de nouveaux soutiens parmi les nôtres.

- Ils ne sont qu’une minorité, Majesté. Même si la haine des humains a disparu avec le temps, et que de plus en plus de Pokemon aiment s’afficher en défenseur de leurs droits, très peu ont réellement l’intention de se rebeller contre l’Empire.

- Mais les victoires successives des Paxen peuvent changer cela. La défaite du colonel Tranchodon a fait grand bruit, et n’a pas manqué d’ériger encore plus cette Ludmila Chen au rang d’héroïne, surtout après sa prétendue victoire face à Xanthos.

Je gardai le silence, car l’idée de Daecheron de se servir des Paxen pour piéger Xanthos et l’éliminer m’était toujours restée au travers de la gorge. L’Empereur ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même, si les Paxen bénéficiaient maintenant d’une forte popularité. Xanthos était sans doute devenu un peu fou vers la fin, mais son élimination par son ancien Pokemon relevait plus d’une rivalité malsaine que d’une réelle nécessité pour le bien de l’Empire. Comme si l’Empereur lisait la surface de mes pensées - ce qui n’était pas impossible d’ailleurs, connaissant ses pouvoirs - il se justifia :

- L’esprit de Xanthos commençait à céder face à la voix de l’Ennemi. Il n’aurait pas été en mesure de nous mener à la victoire lors de la Guerre Céleste. Moi seul le peut. Mais avant cela, il nous faut en terminer avec toutes ces vieilleries du passé ; l’héritage des Chen et du Sauveur du Millénaire. Alors, occupe-toi vite de ces G-Man, mon serviteur. Car les choses sérieuses commenceront après.

- Bien, Votre Majesté, fis-je en m’inclinant.

Je sortis de la salle du trône, tout en songeant que l’Empereur faisait une erreur en considérant Kashmel comme sans importance. Comme il était celui qui avait formé Ludmila Chen elle-même, je m’attendais à ce qu’il soit encore plus nocif qu’elle.


***


Rohban



Pour le premier procès d’un G-Man de Lance, Son Excellence Jugeros a tenu à ce que le bon peuple puisse y assister. C’était donc un procès public qui s’était levé dans la ville haute, sur l’esplanade de la justice. Nombre de Pokemon s’étaient massés pour assister à cet évènement. Certains étaient seulement curieux ; peu d’entre eux avaient déjà vu un G-Man. D’autres avaient sur leurs visages le regard spécifique de ceux qui veulent profiter de la déchéance de plus puissant qu’eux. Il y avait quelques humains aussi, des esclaves amenés par leurs maîtres Pokemon. Et il y avait moi, Rohban Irlesquo, fils de l’ancien Grand Maître.

Plus d’un mois passé hors du Quartier G-Man et de son mode de vie m’avait transformé. Je m’étais laissé pousser les cheveux et j’avais un début de barbe. J’étais habillé comme l’esclave typique, et j’étais sale. Il y avait peu de chance que quiconque puisse voir en moi un G-Man. J’étais même venu avec mon « maître » Pokemon, le Pandarbare qui m’avait trouvé et amené au repaire d’Immotist, un mois plus tôt. Lui aussi était recherché, mais comme il n’était pas rare de croiser un Pandarbare dans les rues d’Axendria, il n’avait nul besoin de se dissimuler ou de se déguiser.

J’aimais bien Pandarbare ; peut-être parce qu’il était un ancien officier de l’armée impériale, et à ce titre, plus prompt que les autres à être versé dans le respect dû à un G-Man. Non pas que je recherchai ce respect. Je n’étais plus rien, comme tous ceux de ma race. Depuis un mois, les G-Man étaient traqués et persécutés. Enfin, quand je disais G-Man, je pensais bien sûr à ceux de Lance, les fidèles de Kashmel Irlesquo. Tous les autres G-Man avaient été éliminés par les Nettoyeurs dès le début de la purge, comme mon père et mon oncle Inuit. J’avais senti la mort de mon père dans l’Aura, et l’ont m’a rapporté celles d’Inuit et des autres. En revanche, j’étais sûr que ma sœur Meika était encore en vie. À en croire ce que racontaient Immotist et Diplôtom, elle était du côté de Kashmel depuis toujours ; la créatrice et la dirigeante du groupe Lance, rien de moins !

Les dernières paroles qu’elle m’avait adressées avant que je ne fuie le Quartier G-Man m’avaient déjà mises la puce à l’oreille bien sûr, mais en avoir la certitude, c’était autre chose. Elle qui avait toujours été si arrogante et fière de ses origines nobles, la savoir comme dirigeante d’une organisation terroriste et révolutionnaire était perturbant. Et il y avait aussi Kashmel Irlesquo, cet oncle que je n’avais jamais connu, qui apparemment était le maître chanteur depuis le début. Immotist et Diplôtom avaient été ses complices, jusqu’à ce que Kashmel lance son Coup d’Etat contre l’Ordre et ne disparaisse avec ses fidèles.

Et il y avait Sixtine, bien sûr… C’était sur elle que j’en avais le plus appris. Bâtarde G-Man, élevée comme une esclave, ayant servi Immotist pendant des années, avant d’être repérée par Kashmel et entraînée comme G-Man, puis d’infiltrer l’Ordre pour l’espionner. Rien qu’en y repensant, je me sentais totalement débile. Je m’étais fait avoir comme un idiot. Bien sûr, j’avais senti que cette Lady Sixtine Jarminal n’était pas ce qu’elle paraissait être, mais de là à imaginer la vérité… J’aurai aimé la revoir pour lui parler. Le souci, c’était qu’aujourd’hui, elle servait les Nettoyeurs de Scalpuraï et était le fer de sa lance de sa traque des G-Man, au point d’avoir reçu le titre de Tueuse de G-Man.

Même Immotist et Diplôtom ne comprenaient pas ce qui était arrivé. Six avait été une pièce essentielle du plan de Kashmel pour s’emparer de l’Ordre, mais maintenant, elle était du côté de l’Empire, et tuait ceux de sa race pour le compte d’un Pokemon qui l’avait toujours traquée. Il y avait forcément des choses qui nous avaient échappé, des éléments qui nous manquaient pour pouvoir comprendre la situation. Et je comptais bien la comprendre ! Je ne pouvais m’enlever l’image de Six dans ma tête. Je n’étais pas amoureux d’elle - du moins je ne le pensais pas - mais j’avais la certitude que nous étions liés, d’une façon ou d’une autre. Et elle aussi, je voulais la sauver, comme je voulais sauver le reste des miens.

C’était ce à quoi le groupe de Pokemon d’Immotist s’adonnait désormais : sauver ce qui pouvait l’être de l’Ordre G-Man. Personne ne savait où étaient Meika et Kashmel ni ce qu’ils avaient prévu, mais le fait est que les G-Man, cachés et dispersés dans toute la cité, se faisaient prendre un à un par les Nettoyeurs. L’Empereur l’avait bien signalé : les G-Man n’avaient plus le droit de vivre. Et même si j’avais toujours détesté l’Ordre tel qu’il était, même si je m’étais opposé aux actions violentes et lâches de Lance, je voulais sauver ma race. C’était naturel. Moi-même, je ne voulais pas mourir, et je ne voulais pas être le dernier des G-Man. Oncle Kashmel et ma grande sœur avaient sans doute provoqué tout ce merdier, et en tant que dernier autre Irlesquo en vie, j’estimais qu’il était de mon devoir de le réparer autant que possible. Je voulais sauver autant de G-Man que je pouvais, puis ensuite fuir très loin, là où l’Empire ne pourraient pas nous attraper. Peut-être dans l’Empire de Lunaris, ou encore chez les Paxen… même s’il était pas dit qu’ils nous accueillent à bras ouvert, vu que les G-Man ont toujours été les chiens-chiens de Xanthos.

Cela dit, il fallait avouer que je ne nageais pas en plein succès. Le seul G-Man qu’on avait réussi à trouver, c’était justement celui qui passait en procès aujourd’hui. Jald Raktalin avait été un de mes amis… du moins en apparence, car lui aussi était secrètement un membre de Lance. Nous l’avions trouvé caché dans la ville basse, et malgré son changement d’apparence, je l’avais bien sûr reconnu. Il avait été surpris de me voir, me croyant mort. Je lui avais naturellement proposé de nous rejoindre pour sauver les autres, mais il a décliné. « Je suis membre de Lance » , m’a-t-il dit. « Je sers toujours Lady Meika et le véritable Grand Maître Kashmel » . « Ils ont un plan, et j’attends leurs instructions ».

Mais visiblement, leurs instructions n’étaient pas arrivées, et il s’était fait capturer par Six quelques jours plus tard. L’Empire voulait maintenant profiter du fait qu’ils avaient enfin un membre de Lance en vie pour se donner en spectacle avec cette parodie de procès, et définitivement condamner les G-Man dans leur ensemble. Je savais que je ne pouvais rien faire pour mon ami ; il y avait des Pokemon partout, dont de nombreux gardes impériaux, et même Son Excellence Jugeros était là. Mais j’avais tenu à être présent, déjà pour mesurer le sentiment anti-G-Man de la population, et surtout pour honorer Jald. Je n’approuvais pas ses choix qui avaient fait qu’il s’était retrouvé dans une bande de terroristes qui ont précipité l’Ordre G-Man dans l’abîme, mais il demeurait mon ami quand même.

Pandarbare et moi, nous avons choisi une position assez éloignée de l’esplanade pour pouvoir vite partir en cas de besoin, mais les Pokemon continuaient d’affluer de plus en plus, nous poussant malgré nous en plein milieu de la place. Pandarbare, qui avait l’avantage d’être imposant, tâchait de se créer un espace vital autour de lui en bousculant quelque peu. Le pauvre humain que j’étais ne pouvais que constater, atterré, que je ne voyais même plus les rues autour de l’esplanade, tant la place était bondée. Je pris aussi bien garde à ne pas marcher par inadvertance sur un petit Pokemon que je n’aurai pas vu, ce qui aurait pu poser problème, étant donné mon statut inventé d’esclave.

- Quel spectacle déplorable, marmonna Pandarbare. Tant de Pokemon venus assister à la calomnie d’un des anciens favoris du Seigneur Xanthos !

J’avais appris depuis le temps que Pandarbare était un fanatique de l’ancien Seigneur Protecteur Xanthos. Officier patriote et compétant, il avait carrément quitté l’armée impériale et aidé les rebelles Paxen parce que son supérieur, le colonel Tranchodon, avait manqué de respect à un hologramme du Seigneur Xanthos. Et évidemment, si Pandarbare vénérait Xanthos, alors il vénérait aussi les G-Man, qui avaient été durant longtemps sa garde personnelle. Je lui donnai un léger coup de coude sur son ventre poilu, pour lui rappeler de ne pas sortir ce genre de remarque en public. Quand l’esplanade de la justice fut remplie à tel point qu’elle débordait de tout côté, l’accusé fit enfin son apparition, enchaîné, et surveillé par deux Scalproie des Nettoyeurs. Alors, inévitablement, les cris et les huées commencèrent.

- Traître !

- Foutu terroriste !

- À mort les G-Man !

Alors même qu’il se recevait des projectiles de toutes sortes sur le visage, Jald tâcha de conserver un air impassible. Je grimaçai en constatant l’étendue de ses blessures. Il avait sûrement été torturé. Son Excellence Jugeros, qui laissa un petit moment au public pour déverser sa haine, leva ses bras en forme de balance pour réclamer le silence.

- Citoyens ! Aujourd’hui, au nom de l’Empereur, nous présentons devant vous cet humain, Jald Raktalin, jadis bénéficiant d’un statut privilégié, qui a pourtant rejeté les bienfaits de l’Empire Pokemonis pour se retourner contre lui. Les chefs d’inculpation sont les suivants : rébellion, actes terroristes, soutien à une entreprise terroriste, hérésie envers l’Empire, et enfin haute trahison. Sa Majesté l’Empereur, dans sa grande sagesse, nous a dispensé d’enquête. Entendu que l’Ordre G-Man est coupable dans son ensemble, soit de négligence criminelle, soit de tentative de sédition, tous ses membres sont donc coupables des même crimes. Jald Raktalin : êtes-vous un G-Man ?

Jald releva la tête pour dévisager le juge suprême. Je compris bien le jeu que compter mener Jugeros dans cette parodie de justice. La preuve que les G-Man étaient coupables n’était pas à rechercher ; ce qui importait, c’était juste de savoir si l’accusé était un G-Man. Cela suffirait à le déclarer coupable. Jugeros se voulait être procédural et respectueux des lois ; si Jald affirmait ne pas être G-Man, il lancerait donc une enquête en bonne et due forme pour prouver son mensonge, ce qui permettrait à Jald de vivre plus longtemps. Mais je vis à son regard de défi que mon vieil ami ne comptait aucunement se défiler.

- Oui, je suis G-Man, déclara-t-il à voix haute avec fierté. Je suis membre de Lance, l’organisation qui a décidé de s’émanciper de l’Empire pour fonder un Ordre G-Man nouveau, pur et libre, comme il était autrefois. Je sers le Grand Maître Kashmel Irlesquo, héritier légitime de Sacha Ketchum et l’un des commandants Paxen !

Jugeros n’en attendait pas tant, et fut un peu pris de court devant l’étendu de l’aveu de son accusé. Il y eut un instant de flottement parmi les spectateurs, avant que ces derniers ne redoublent de hués et d’insultes.

- Fort bien, reprit Jugeros. Citoyens, vous avez entendu les aveux de cet humain. Quelle est donc votre conclusion ?

- COUPABLE ! Rugirent d’une même voix les Pokemon.

- La justice a parlé, conclut Jugeros. Jald Raktalin, vous êtes coupable, par vos actions et votre sang G-Man même, du crime de haute trahison envers l’Empire Pokemonis. Il n’y a qu’un seul châtiment à cela. Au nom de Sa Majesté Daecheron, moi, Jugeros, Haut Juge Impérial, je vous condamne à mort.

Les Pokemon rugirent leur approbation, et Jugeros fit signe à l’un des gardes Scalproie de faire son office. Jald, le regard encore plein de défi, baissa la tête, tandis que le bourreau levait son bras en faisant briller sa lame de la lueur de Griffe Acier. Juste avant que la lame au poignet du Pokemon ne tombe, le regard de Jald croisa le mien. Bien sûr, mon ami avait dû remarquer mon Aura au milieu de cette foule depuis le début, et je pris alors conscience de ma bêtise. L’Empire aussi avait des moyens de repérer les G-Man, grâce à des Pokemon comme Lucario justement. Mais un coup d’œil dans l’Aura m’appris qu’il n’y avait aucun Lucario ou Riolu aux alentours, et je pus soupirer de soulagement. Je rendis son regard à mon ami, qui sourit faiblement, avant que sa tête ne soit détachée de son corps par la lame du Scalproie, et que les Pokemon présents exultent tous en même temps. À mes côtés, Pandarbare secoua la tête de dégoût.

- Que ce soit proclamé dans tout l’Empire et ses territoires ! Clama Jugeros. C’est là le sort qui attend tous les G-Man, et tous ceux qui leur viendraient en aide ! L’ère où quelques humains pouvaient être considérés comme supérieurs aux Pokemon est révolue. Il n’y a nul humain élu. Les Pokemon sont la seule race élue !