Les échecs, c'est nul !
Unys.
Cette région aujourd’hui prospère et moderne, où humains et Pokémon vivent paisiblement, dans la sérénité, est le fruit de longs siècles de guerres et d’insécurité. Des conflits purement idéologiques où se sont jadis confrontés idéal et réalité, les deux piliers fondateurs de la civilisation unyssienne.
En effet, il est dit que la région d’Unys, de ses forêts jusqu’à ses grottes, fut façonnée par un gigantesque dragon légendaire, enveloppé d’un brûlant brasier entièrement chargé d’électricité. La puissance du dragon était incommensurable et inimaginable. Il possédait le pouvoir de créer une région toute entière… tout comme il possédait celui de la détruire.
Cependant, la création d’Unys ne fut pas instaurée par le dragon lui-même, car celui-ci n’agissait pas de son propre chef. À ses côtés, pour l’épauler, se trouvaient toujours deux humains dont les noms – ainsi que celui du dragon fondateur – ne nous sont malheureusement pas parvenus. Il est en revanche attesté que ces deux hommes étaient des frères jumeaux, qui contrôlaient tous deux la créature, toujours dans le but de faire naître la région d’Unys.
Malheureusement la discorde ne tarda pas à s’insinuer dans le cœur des deux frères, car chacun avait une vision bien précise de la vie qu’il voulait mener, du chemin qu’il souhaitait prendre, et cette voie était opposée à celle de l’autre. Ainsi, tandis que l’aîné fit de la réalité son unique philosophie, le cadet préféra croire en son idéal.
S’éloignant de leur objectif premier – la formation d’Unys – les deux jumeaux s’affrontèrent alors sans relâche pour défendre leur pensée. Ils étaient à présent ennemis, ce qui peinait immensément le pauvre dragon, resté seul. Le cœur en proie à un effroyable dilemme, le dragon extériorisa sa douleur : son âme tourmentée déchira son corps en deux entités distinctes.
C’est ainsi que naquirent les deux dragons légendaires : Reshiram et Zekrom. Le premier, d’un blanc majestueux, entouré d’une aura de flammes, choisit d’accompagner l’aîné dans sa quête de réalité. Le second, d’un noir profond, enveloppé d’un champ électrifié, rallia la cause du cadet, préférant l’idéal.
Cette partition du dragon ne fit qu’empirer la situation : les frères jumeaux, qui possédaient désormais tous deux une arme d’une puissance sans pareille, plongèrent le fruit de leurs efforts conjoints dans le chaos : Unys fut mise à feu et à sang. Ce fut alors le début du conflit d’envergure que l’on nomme désormais « La première grande guerre d’Unys ».
La première grande guerre d’Unys eut lieu au cœur du Heylink, cette île étrange et mystérieuse que l’on dit inaccessible. En son sein trône l’Heyrable, un arbre séculaire aux branches noires et blanches, entremêlées les unes avec les autres. De part et d’autre de la plaine de l’Heyrable s’étendent deux ponts de pierre.
À l’aube de la bataille finale, l’armée blanche, fidèle à Reshiram et au frère aîné, se préparait au combat au-delà du pont ouest, tandis que l’armée noire soutenant Zekrom et le frère cadet avait établi son camp par-delà le pont est. La tension était palpable dans chacun des deux camps.
Remporter la victoire signifiait non seulement obtenir le contrôle total d’Unys, mais également prouver la supériorité de la philosophie de l’un sur celle de l’autre : soit la Réalité, soit l’Idéal ressortirait vainqueur de cet affrontement. Chaque clan était donc animé d’une rage brûlante, et il y avait de l’électricité dans l’air.
Du côté de l’armée blanche, Reshiram – le dragon blanc, roi autoproclamé d’Unys – était installé autour d’une table, en grande discussion avec ses deux fidèles stratèges, Fourbe et Fouineuse, deux Momartik aussi intelligentes qu’extravagantes. Elles portaient bien leur nom : la première adorait, dit-on, élaborer des plans sournois, et la seconde n’avait pas son pareil découvrir les secrets de ses ennemis… ou de ses alliés.
En effet, la pauvre était narcoleptique, et faisait souvent des rêves étranges… des rêves qui lui permettaient d’apprendre bien des informations compromettantes sur d’autres Pokémon, sans qu’elle l’ait véritablement voulu. Fourbe, voyant en son curieux pouvoir un excellent atout, s’associa à elle, malgré la grande naïveté dont Fouineuse pouvait faire preuve. Elles devinrent ainsi les deux stratèges privilégiées de leur roi.
– Fourbe, Fouineuse, mes chères conseillères, vous savez comme moi que l’heure est grave. Cette bataille est décisive. Elle déterminera l’avenir de notre clan tout entier. Si nous échouons, nos idées sombreront à jamais dans l’oubli. Nous nous battons au nom de la réalité, et c’est elle qui doit triompher, vous comprenez cela, n’est-ce pas ? leur demanda l’immense dragon blanc, qui regardait de haut les deux créatures de glace.
Fourbe frotta ses petites mains crochues l’une contre l’autre et déclara avec un sourire quelque peu effrayant :
– Bien sûr que nous comprenons, Votre Majesté. Nous comprenons parfaitement ! C’est pourquoi, Fouineuse et moi-même, nous vous avons préparé un plan d’attaque absolument ré-a-lis-te ! Pas vrai, Fouineuse ?
Elle jeta un regard en coin à sa collaboratrice, qui semblait perdue dans ses pensées. Mais elle était plutôt, en réalité, en plein sommeil réparateur. Fourbe, agacée, lui donna un coup de coude pour la réveiller, ce qui fit mouche :
– Fourbe ! C’est toi qui as fini le pot de miel ! hurla-t-elle en s’éveillant. Quand je pense que je t’ai crue quand tu m’as dit que… Hein ?
La Momartik regarda autour d’elle, interloquée, et vit son roi, ainsi que Fourbe, qui la fixaient.
– Fouineuse, pourrait-on laisser le miel de côté un instant ? Vous réglerez ça entre vous, plus tard. Nous parlons ici de choses sérieuses, à savoir le plan de la bataille qui arrive, lâcha fermement Reshiram. Celui-ci savait bien que Fouineuse pouvait s’endormir n’importe où et quand, et ce, contre sa volonté, il ne lui en tenait donc pas rigueur.
Il ne supportait en revanche pas les digressions.
– Oh je suis vraiment désolée, Votre Majesté ! s’écria-t-elle en s’inclinant plus bas que terre, terrifiée.
– Peu importe. Il y a plus important, répliqua-t-il. Puis-je voir ce fameux plan ?
– Bien sûr ! Le voici.
Joignant le geste à la parole, elle ôta le parchemin qui était attaché à sa ceinture orange et l’étala sur l’immense table qui les séparaient, Fourbe et elle, de leur roi. Il s’agissait d’une carte du Heylink où avait été tracée une grille de soixante-quatre cases. Le Heylink étant plutôt circulaire, la grille carrée avait été tracée directement à l’intérieur.
– Qu’est-ce donc que ceci ? les interrogea Reshiram, interloqué.
– Ravie que vous demandiez, Votre Majesté ! Fouineuse et moi avons découpé le champ de bataille en soixante-quatre secteurs.
– Mais enfin, à quoi cela va-t-il me servir ? demanda le roi, perplexe. Ses yeux bleus réclamaient une explication, et ils la voulaient vite.
– Chaque secteur est si petit qu’il ne peut contenir qu’un seul soldat à la fois, intervint soudain Fourbe, très fière d’elle. Les colonnes et les lignes sont divisées en huit, de 1 à 8 ou de A à H. Ce sera parfait pour donner des ordres précis à vos unités et avoir l’avantage sur l’armée noire. Imaginez un peu, avec cette carte, vous maîtriserez le terrain ! Il vous suffit de dire « Fouineuse, rends-toi au secteur D3 » et elle le fera.
Cette dernière hocha la tête pour approuver, tout sourires.
Reshiram passa doucement une griffe sur le parchemin, fasciné :
– J’admets que c’est très astucieux, comme toujours. Je n’en attendais pas moins de votre part. Mais qu’en est-il du placement initial de nos unités ? J’espère que vous avez réfléchi à cela.
– Mais bien entendu, mon bon roi ! Fouineuse, va chercher les statuettes, ordonna-t-elle à sa congénère en lui donnant un nouveau coup de coude. Et tâche de ne pas t’endormir en chemin ! Elles sont dans le coffre juste à côté de toi, tu penses que tu vas y arriver ?
– Pas de problème ! répondit l’autre avec enthousiasme, sans saisir le sarcasme derrière les paroles de Fourbe.
La Momartik réussit donc l’exploit de parcourir les deux mètres aller-retour afin de récupérer la petite boîte en bois que contenait l’élégant coffre. Elle la tendit ensuite à sa collègue, l’air ravi. Fourbe s’en saisit alors avec empressement et la posa sur la table afin de l’ouvrir. Elle contenait, comme l’avait dit la stratège de glace un peu plus tôt, des figurines de bois clair, finement taillées.
Ces dernières représentaient les membres des différentes garnisons de l’armée blanche :
– Nous avons représenté chacun de vos braves soldats grâce à ces statuettes, y compris nous deux, Majesté, expliqua Fourbe pendant que Fouineuse alignait les petites figurines sur la table. Toutes vos garnisons sont là.
– Très bien. Alors comment avez-vous décidé de les organiser pour le début de la bataille ?
– Nous avons disposé vos unités sur deux fronts – ce qui correspond donc à deux lignes – intervint Fouineuse. De la manière suivante.
Elle entreprit donc de déposer chaque figurine sur la carte, dans le secteur qui lui était affecté, en explicitant à chaque fois les raisons d’un tel choix. Il y avait en tout quatre garnisons, en plus du roi et de la reine. Et, à l’exception de la première, toutes les garnisons étaient composées de binômes qui travaillaient en coopération, comme Fourbe et Fouineuse.
La première garnison, « Les têtes brûlées », était un escadron de huit valeureux Funécire. La deuxième était composée de deux Blizzi très zélés – mais aussi dissipés – appelés « Les étourdis ». La troisième se nommait « Les crins avec du cran » ; ses membres étaient deux fiers Galopa à la crinière d’argent. Enfin, la quatrième et dernière garnison était celle constituée par Fourbe et Fouineuse, les deux Momartik stratèges : ensemble, elles étaient « Les entreneigeuses ».
Fouineuse avait disposé les statuettes ainsi : sur la première ligne, de gauche à droite, elle avait placé une figurine Blizzi, une Galopa, et enfin une Momartik. Puis elle avait laissé deux secteurs vides, et reproduit la même configuration à l’inverse sur la fin de la ligne : Momartik, Galopa, Blizzi. Enfin, pour terminer, elle avait placé tous les pions Funécire sur la deuxième ligne.
Ce plan de bataille sembla offusquer le roi :
– Qu’est-ce donc ? Vous séparez mes garnisons, et en plus vous mettez les têtes brûlées au front ? Les pauvres sont bien trop frêles pour assumer ce rôle !
– Mais Majesté, ils sont rapides ! Ils pourront utiliser leurs flammes pour déstabiliser l’ennemi, et ce dès le début de la confrontation, grâce à cette configuration ! objecta Fourbe.
– Hmm… Voilà qui est vrai, admit Reshiram. Mais pourquoi séparer nos duos ?
– Pour répartir vos forces, Votre Majesté, répondit Fouineuse. Voyez plutôt.
Elle s’empara de la figurine représentant le roi dragon et la plaça sur la sixième case de la première ligne, auparavant vide, et reprit :
– En vous plaçant ici, vous voyez qu’aucun type de garnisons n’est loin de vous : chaque type peut ainsi rester sous votre contrôle.
– Je vois. Dites-moi, le secteur vide à mes côtés, est-il destiné à accueillir…commença le roi.
– Oui, en effet, vous avez vu juste, Majesté. C’est la place de Dame Kareine, confirma Fourbe. C’est évidemment à elle que revient la place d’honneur, à vos côtés !
– Parfait. Eh bien… Encore une fois je dois dire que je suis impressionné. Nous partons avec un réel avantage sur nos adversaires grâce à vous. Mais rien d’étonnant à cela. Bien, si nous en avons fini, vous pouvez disposer. Reposez-vous bien pour demain, surtout.
Les deux stratèges s’en furent alors, non sans s’être respectueusement inclinées, de la tente blanche où séjournait leurs roi et reine.
– Tu vois, ça s’est bien passé, Fourbe ! déclara joyeusement Fouineuse lorsqu’elles furent sorties.
– Ouais. Avec mon génie et ton pouvoir, on va écraser ces bouffons de l’armée noire, c’est sûr, ricana Fourbe.
Au même moment, de l’autre côté du Heylink, au-delà du pont est, un autre Pokémon riait aux éclats : « Rira bien qui rira le dernier, petite Momartik prétentieuse. Ton amie, miss « je-pique-du-nez-en-trois-secondes », n’est pas la seule à avoir des pouvoirs… Hé hé, il ne faut pas sous-estimer les pouvoirs de télépathie du type Psy ! ».
Sur la table devant lui se trouvait un plan du Heylink découpé en soixante-quatre cases, où l’on pouvait voir les positions précises de chaque membre de l’armée blanche, telles qu’elles venaient d’être décidées par Reshiram et ses conseillères, à l’instant. Il venait d’être reproduit à la perfection par ce Pokémon, membre de l’armée noire. Il s’était pour ce faire introduit dans l’esprit de Fourbe.
Il ressemblait à une balle noire ornée d’un motif vert en zigzag et de deux petits ronds bleu ciel. Une excroissance noire lui servait de tête – au milieu de laquelle trônait un unique œil bleu – et d’étranges ailes jaunes, bleues et rouges s’étendaient dans son dos. Une troisième aile semblable à une queue se situait au bas de son corps. Il possédait aussi deux petites pattes atrophiées à trois doigts. Peu agiles de ces dernières, il s’empressa de faire léviter son bout de parchemin devant lui plutôt que de se hasarder à essayer de le saisir.
Ce Pokémon était un Cryptéro. Et pas n’importe quel Cryptéro : il s’agissait de Foutaise, mordu de mauvais jeux de mots et calembours en tous genres, mais surtout, conseiller personnel du roi – autoproclamé aussi – Zekrom, commandant en chef de l’armée noire.
Ne tenant pas en place, il contacta par télépathie son acolyte, Fourche. Fourche était lui aussi un Cryptéro. Mais Foutaise et lui n’avaient guère que cela en commun : tandis que Foutaise ne jurait que par l’esprit et ses pouvoirs Psy, qu’il jugeait fascinants, Fourche, lui, était plus… brutal. Ce qu’il aimait, c’était trancher et réduire en charpie son opposant. Pour cela, il avait aiguisé ses ailes des années durant, et celles-ci étaient désormais plus affûtées que le bras d’un Gallame ou le corps d’un Monorpale. Ensemble, Foutaise et Fourche étaient invincibles : ils étaient le cerveau et les muscles. Du moins Foutaise le pensait-il.
Ainsi, Foutaise demanda à Fourche de réunir tout le monde en urgence à la tente stratégique, où avaient toujours lieu les conseils de guerre. Fourche renâcla, mais Foutaise savait qu’il ferait ce qu’il lui demandait : en ce qui concernait l’art de faire la guerre, il n’y avait pas plus zélé que son collègue.
Son collègue eut donc tôt fait de réunir la totalité de leurs effectifs sous la sombre tente. Aucun ne manquait à l’appel. Du moins Foutaise l’espérait-il. Un silence pesant régnait sous le voile noir lorsqu’il y fit son entrée. Tous le fixaient avec un mélange de suspicion et de curiosité : « qu’avait-il pu bien encore inventer ? », semblaient-ils tous se demander.
L’imposant roi Zekrom, surplombant tout le reste de l’assemblée, ainsi que sa reine, une cruelle Malamandre du nom de Sireine, le dévisageaient d’autant plus. Ce fut le roi qui prit la parole le premier :
– Voilà, Foutaise, nous avons réuni tous nos soldats à ta demande. Tu as donc intérêt à avoir une sacrée bonne raison pour nous demander une telle chose à la veille de l’ultime bataille, le prévint-il.
– Oh mais j’en ai une, Majesté, ne vous en faites point ! Ce parchemin que j’ai devant moi est le plan de bataille exact de nos ennemis, l’armée blanche, annonça-t-il de but en blanc.
Un soudain brouhaha s’éleva dans l’assistance composée de multiples Pokémon à la robe sombre. Personne n’en revenait, et pour cause…
– Putain, merde, il a réussi à utiliser ses pouvoirs, pour une fois, le con ? brailla Tourette, une Sidérella qui avait un mal fou à rester polie et qui surtout ne tenait jamais en place. Elle gesticulait sans cesse, si bien qu’elle manquait souvent de frapper ses camarades à la volée.
Comme ce fut le cas ici :
– Aïe ! Calme-toi un peu, Tourette ! lui intima Tourelle, une autre Sidérella, partenaire de Tourette. Ne me crève pas un œil, j’en ai besoin pour observer les alentours. Et puis je suis sûre qu’il bluffe ! Il arrive à les utiliser une fois sur mille, ses pouvoirs !
– Foutaise n’est qu’un menteur qui nous fait perdre notre temps ! cracha Cavale, un fier Zéblitz qui était plus rapide que l’éclair.
– Ouais ! Ouais ! Ouais ! approuva fortement Yeah, un autre Zéblitz, binôme de Cavale, qui ne semblait savoir dire que ce mot.
La cacophonie se poursuivit encore de brefs instants jusqu’à se retentisse un tonitruant :
– SILENCE !
Le bruit cessa immédiatement : tout le monde se figea sur place, comme paralysé. Et pourtant, ce n’était pas leur bon roi, manipulant la foudre comme personne, qui avait crié : c’était sa compagne, Dame Sireine, une effrayante Malamandre que personne n’aimait mettre en colère.
– Votre roi aimerait parler, cingla-t-elle.
Toutes les têtes se tournèrent alors vers l’immense dragon noir dont les yeux rouges brillaient de… déception :
– Me voilà fort désappointé, mes chers sujets, déclara-t-il en secouant la tête. Rappelez-moi encore, quelle est la voie que nous avons choisie ?
– L’IDÉAL ! répondirent-tous en chœur les Pokémon attroupés.
– Bien ! Alors, dans notre quête d’un monde parfait, il faut être juste et ne pas juger avant d’avoir vu. Nous allons donc tranquillement écouter Foutaise, et nous déciderons après si ce qu’il avait à dire était pertinent ! Me suis-je bien fait comprendre ?
Toute l’assemblée hocha la tête, penaude.
Foutaise le Cryptéro, ravi, remercia son roi de l’attention qu’il daignait lui accorder, puis se lança dans le récit à haute teneur en hyperboles de ses exploits. Comment il avait « brillamment » espionné les deux Momartik prétentieuses, comment il avait écouté avec « une attention extrême » tout le plan de bataille qu’elles avaient mis en place et comment il l’avait « magnifiquement » retranscrit.
– Avec ceci, mon bon roi, expliqua-t-il le cœur gonflé d’orgueil, en désignant son parchemin, nous pouvons déjouer à l’avance toutes les tactiques de notre adversaire ! Nous avons déjà gagné !
Une fois son discours terminé, le silence se fit à nouveau. Mais, à peine un instant plus tard, des acclamations enthousiastes résonnaient dans la foule : entendre que la guerre était déjà gagnée, cela faisait plaisir à plus d’un. Cependant les festivités furent de courte durée, car un nouveau « Silence ! » bien moins sonore mais ayant tout autant d’impact retentit à nouveau : le roi avait parlé, et tout le monde était sommé de l’écouter.
– J’apprécie tes efforts, Foutaise. C’est de l’excellent travail.
– N’est-ce pas ? approuva le concerné, dont les chevilles auraient déjà atteint une taille prodigieuse s’il en était doté.
– Cependant… Nous ne nous servirons pas de ce plan pour tromper notre ennemi, affirma fermement Zekrom.
– Quoi ? Mais, Majesté… commença Foutaise, décontenancé.
Des chuchotements quasiment indistincts s’élevèrent parmi la foule : « Qu’arrive-t-il à notre bon roi ? » demanda l’un ; « Il ne veut plus gagner la guerre, ou quoi ? » s’interrogea un autre.
– Vous n’y êtes pas du tout, mes amis, déclara le dragon noir, qui faisait peu cas des messes basses de son public. Je désire plus que tout gagner cette guerre. Mais je souhaite la gagner avec honneur. Notre adversaire est peut-être en désaccord avec nous idéologiquement parlant, mais il a respecté les règles du jeu : il a préparé son plan de bataille sans triche. Nous ferons donc de même. Gagner grâce à des supercheries de ce genre rendrait notre victoire illégitime. Ce précepte constitue une part de notre Idéal. Nous nous en tiendrons à notre stratégie initiale. C’est tout.
Tous les autres Pokémon en restèrent bouche bée. Puis, soudain, comme un seul Pokémon, l’assemblée poussa des cris de ferveur :
– Vive notre bon roi, si juste et intègre !
– Longue vie au roi Zekrom !
– Nous gagnerons sans stratagème, à la loyale !
Avec un sourire, le roi prononça doucement ces paroles :
– Je suis heureux que vous compreniez. Vous êtes de bons sujets.
Foutaise, lui, semblait dépité. « Pour eux je ne suis qu’un fou, il a donc fallu que je me taise ! » pensa-t-il, car il aimait aussi faire des blagues lorsqu’il était le seul à pouvoir les entendre. En réalité, il aimait toujours faire des blagues.
Puis, sans aucun bruit, au milieu du bourdonnement sourd, une silhouette sombre ondoya jusqu’au roi : il s’agissait de Sireine, la reine Malamandre.
– Mon bon roi, comme vous êtes juste ! Comme ce doit être éprouvant d’être aussi loyal… Je ne suis que votre humble épouse, alors je ne puis saisir toute la complexité de votre travail, mais je vous épaule du mieux que je le puis, affirma-t-elle d’un ton mielleux. Personne n’était dupe face à une telle comédie : tous savaient que la reine était en réalité un être perfide et sournois. Tous, sauf… le roi, qui croyait sincèrement que Sireine était une compagne dévouée.
– Vous devriez aller vous reposer, vous l’avez bien mérité ! reprit-elle de son ton doucereux.
– Ne viendrez-vous pas avec moi, Malamie ? demanda Zekrom.
– Oh, je vous rejoindrai bien assez tôt, mon bon roi. Je tenais simplement à encourager une dernière fois nos valeureux soldats, avant la bataille finale.
– Ah, Malamie ! Que ferais-je sans vous ? Je vous aime tant... ! s’extasia le roi avant de quitter la tente noire.
À l’instant où le roi quitta la tente, l’expression de Sireine changea du tout au tout : envolée, la bouche en cœur faisait désormais place à un regard toxique. Ce dernier scrutait la foule avec fureur :
– Vous, vous ne bougez pas d’ici tant que je ne l’aurais pas décidé ! Compris ? leur intima-t-elle en pointant un index palmé dans leur direction.
Terrifiés, les Pokémon acquiescèrent tous en tremblant.
– Bien ! Quant à toi… commença-t-elle en désignant cette fois-ci Foutaise.
Ce dernier déglutit et se risqua à dire :
– Euh… Oui ?
– Tu vas élaborer une stratégie avec moi grâce à ton plan. On ne va quand même pas écouter les délires d’un vieillard gâteux quand il s’agit de gagner une guerre !
Ainsi, alors que les deux camps se préparaient pour une bataille sans précédent, les deux humains responsables de cette guerre, les deux frères jumeaux dont la légende a oublié le nom… Ces sombres individus contemplaient tous les deux le Heylink, chacun depuis une immense colline, de part et d’autre de l’île mystérieuse… Comme s’ils n’étaient que spectateurs de leur propre histoire.
Le lendemain, alors que chacun des camps s’apprêtait à partir pour le champ de bataille, la tension était palpable. L’avenir d’Unys allait se jouer lors de cette confrontation. L’armée blanche fut la première à se mettre en place. Chaque unité était désormais dans le secteur qui lui avait été attribué. Il avait néanmoins fallu du temps pour que tous soient correctement positionnés.
Les têtes brûlées, ce groupe de huit Funécire facétieux, s’étaient chamaillées un moment pour savoir qui occuperait quel secteur :
– Le secteur D2, juste devant le roi, m’est réservé, avait décidé Lampion, le Funécire à la flamme la plus ardente, ce qui lui donnait un ego surdimensionné.
– Ah ouais ? Et qui a décidé ça d’abord ? T’es pas le chef ! Tu te prends pour le roi ou quoi ? s’était alors offusquée Apion. Si je le voulais, je pourrais tous vous écraser comme des vulgaires Tournegrin !
– Moi je pense que… commença Tartempion, un Funécire si petit qu’il ressemblait à une bougie rachitique.
Mais le pauvre n’était que rarement écouté :
– Écoutez-le ! « Moi je pense que… » ! Mais tu es qui pour imposer tes vues, toi ? lui assena Morpion, venu ajouter son grain de sel.
– Mes amis, il n’y a pas lieu de s’énerver ainsi, il suffit de suivre la procédure qui nous a été donnée par Fourbe ! fit valoir Usucapion, qui était toujours très organisée.
– Quelle procédure ? Moi j’attendais de voir ce que vous alliez faire, pour vous imiter... intervint Copion.
Une nouvelle voix intervint soudainement dans le débat :
– Mais arrêtez de vous exciter comme ça... On va se battre, c’est déjà assez fatigant… J’ai mal aux pieds rien qu’à vous regarder…
C’était celle de la paresseuse Arpion.
– Arpion, on te l’a déjà dit des milliers de fois… lâcha Apion, excédée.
– Les Funécire N’ONT PAS de pieds ! hurlèrent Apion et les cinq autres en chœur.
– Roh là là, vous devriez vous détendre un peu… Comme Pionceuse, regardez, elle, elle sait décompresser !
Arpion désigna de sa petite patte la dernière Funécire de la division, qui dormait littéralement sur place.
Tous les autres pensèrent alors : « ça c’est sûr qu’elle sait se détendre, elle ne sait que dormir ! ». C’est alors qu’arriva une Fourbe légèrement énervée, probablement par le fait qu’on lui avait volé sa si géniale stratégie :
– C’est pas bientôt fini vos enfantillages ? On est en guerre, nom d’une congère ! Alors maintenant vous allez bien gentiment vous mettre dans un secteur – peu importe lequel – et LA BOUCLER ! Pigé ?
Sa voix perçante réveilla même Pionceuse, qui ne comprenait rien à la situation, comme souvent. Puis, rapidement, tous les Funécire, tremblant comme des feuilles, acquiescèrent et se mirent en rang bien sagement.
Juste derrière eux, Dame Kareine, une Cancrelove fine et élancée au corps de nacre, discutait avec le roi Reshiram :
– Eh bien, on dirait que Fourbe a réussi à calmer les petits monstres.
Kareine était quelqu’un de très réfléchi, et elle pouvait sembler froide au premier abord. Mais elle avait en réalité très bon cœur, et elle aimait les petits Funécire comme ses propres enfants.
– Oui, elle est extraordinaire, affirma Reshiram. Je ne sais pas ce que je ferais sans elle.
– Elle sait se faire respecter, je lui accorde cela, concéda Kareine.
– Mais elle est aussi très intelligente ! insista-t-il. C’est elle qui a conçu ce formidable plan de bataille ! Nous partons avec un avantage certain !
– Probablement, répondit sa compagne, le regard fixé vers l’horizon, où leurs adversaires ne tarderaient pas à pointer le bout de leur nez sombre.
– Le début de la bataille est proche. Nos adversaires arrivent. L’heure du combat final a sonné ! déclama Reshiram, ses yeux bleus brillant de détermination en voyant son rival de toujours.
Kareine observa attentivement l’ennemi qui arrivait, et ne cacha pas sa surprise :
– Majesté ! J’ignore comment, mais ils nous doublés ! l’avertit-elle.
– Que voulez-vous dire par là ? l’interrogea Reshiram, qui semblait confus.
– Il nous ont dérobé notre formation de guerre !
– Ah, les scélérats ! Cela va se payer au prix fort, sur le champ de bataille ! décréta le roi blanc, furieux. Qu’ils se pressent d’arriver, je suis impatient de leur faire payer cet affront !
L’armée noire était effectivement en chemin, et sa formation était absolument identique à celle de l’armée blanche. En effet, aussi frustrant que cela puisse paraître à leurs yeux, Dame Sireine et Foutaise avaient été forcés d’admettre – après un long moment de réflexion – que le plan de Fourbe était le meilleur possible. Le mieux à faire pour eux était donc de le copier, afin d’au moins jouer jeu égal avec leur adversaire.
Le roi Zekrom s’aperçut évidemment que le plan de bataille avait changé, et demanda des explications à sa compagne, Dame Sireine :
– Mais enfin, que signifie tout ceci ? Pourquoi la formation de notre armée est-elle différente de ce que j’avais prévu ? Savez-vous quelque chose à ce sujet, Malamie ? lui demanda-t-il, interloqué.
– Oh, eh bien… Je ne vous en ai pas parlé pour ne pas vous alarmer mais… commença la reine d’une voix suave.
– Oui ?
– Hier, quand j’ai voulu encourager nos valeureux soldats… Foutaise, votre stratège, m’a menacée. Il m’a ordonnée de revoir le plan de bataille avec lui, sinon il m’attaquerait avec ses pouvoirs Psy. Et vous savez bien le mal que cela m’aurait fait, moi qui suis une fragile créature de type Poison… J’ai donc été obligée de modifier notre plan de bataille, j’en suis navrée…
Les yeux rouges du roi se mirent à briller de colère :
– Ce sagouin vous a menacé ? Ah ! Le brigand ! Il mérite d’être châtié !
– Oh non, mon bon roi, ne faites pas cela ! Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un soldat juste avant la bataille finale !
– Oui, vous avez raison, Malamie. Que ferais-je sans vous ?
– De l’excellent travail tout de même, j’en suis sûre, le flatta-t-elle.
– Pas aussi excellent, j’en suis certain. Enfin, je suppose donc que nous allons devoir nous en tenir à cette formation-ci… Car nous arrivons déjà au Heylink.
Une fois que l’armée noire eut pris place du côté est du Heylink, le roi Zekrom écarquilla les yeux de surprise :
– Mais que ? Nos adversaires sont groupés dans la même configuration que nous !
– Oui, votre stratège a jugé que le seul moyen de pouvoir rivaliser avec l’ennemi était d’adopter la même formation que lui, lui expliqua Sireine.
– Quel misérable ! Nos troupes sont-elles au moins bien positionnées, Malamie ?
– Il semblerait, Majesté. Tout paraît conforme aux plans de ce Cryptéro sournois, répondit Sireine en consultant son parchemin.
– Celui-là… Il recevra sa punition en temps et en heure. Enfin, si tout est en place, c’est déjà cela. Tout compte fait, ce n’est pas si mal. Nous allons jouer à armes égales. La bataille peut enfin commencer, déclara gravement Zekrom, ses yeux rouges rivés sur son némésis.
Les deux camps étaient là, l’un en face de l’autre, de part et d’autre du mystérieux Heylink. On pouvait voir le feu brûlant dans les yeux de l’armée blanche, que l’armée noire foudroyait du regard. Ce n’était plus qu’une question de secondes avant que le conflit n’éclate. Les deux armées se jaugèrent du regard encore quelques infimes instants avant que la bataille ne commence pour de bon.
Ce fut l’armée blanche qui entama les hostilités : Tartempion, ce pauvre petit Funécire que personne remarquait jamais et en qui personne ne croyait, fut le premier à réagir lorsque le roi Reshiram intima aux têtes brûlées de passer à l’assaut. Alors que les autres n’avaient pas encore démarré, il se trouvait déjà dans le secteur 4H.
À peine plus tard que Reshiram, Zekrom donna l’ordre à ses fantassins de la division de première ligne, appelée « Les corps beaux » – composée exclusivement de Cornèbre – de s’avancer : ce fut Espion, un Cornèbre agile et rapide, qui partit le premier en éclaireur et parcourut deux secteurs en un éclair.
Les garnisons de Funécire et Cornèbre continuaient inexorablement à se rapprocher, et lorsqu’elles s’entrechoquèrent, il apparut qu’aucune n’avait le dessus sur l’autre : Lampion était aux prises avec Champion, le mieux entraîné des corps beaux, et il succomba lorsque le Cornèbre rusé lui fonça dessus avec Poursuite alors qu’il tentait de fuir par le côté.
En revanche, Morpion et Apion triomphèrent de Papion et Pionnier, les deux Cornèbre hagards. Le premier était si excité qu’il n’avait pas vu Morpion arriver et le second avait eu si peur qu’il avait tenté de creuser un trou dans le sol pour échapper à Apion. Cependant, Scorpion, le Cornèbre rusé, avait ondoyé jusqu’à Tartempion pour le prendre par surprise.
Alors qu’Usucapion allait se faire attaquer par Fourche le Cryptéro, qui fonçait sur elle par la diagonale, ses ailes meurtrières dressées, Reshiram envoya rapidement Cave, une Galopa à la crinière argentée qui n’avait rien dans la tête, mais qui se servait beaucoup de celle-ci sur le terrain, à son secours. Le Pokémon Cheval Feu assena une prodigieuse Mégacorne au Cryptéro, qui vit des étoiles, et non pas parce qu’il avait utilisé Force Cosmique. De toute façon, ce n’était pas son genre.
Il laissait ça à Foutaise, lequel venait d’ailleurs de se faire lamentablement laminer par Fouineuse. La Momartik qu’il avait raillée à peine un jour plus tôt venait de lui donner une leçon, sous la forme d’une puissante Ball’Ombre en pleine tronche. Enfin, si l’on admettait le fait que les Cryptéro en possédaient bien une.
Au même moment, de l’autre côté du champ de bataille, Sireine la Malamandre, dotée d’une vitesse prodigieuse, fondit sur Allié, le fidèle Galopa chromatique binôme de Cave, et le réduisit au silence par une répugnante et cruelle marée de poison : l’attaque Cradovague.
Effarée par l’affront de cette reine sans la moindre classe, Dame Kareine se lança à corps perdu dans la bataille afin de venger le pauvre Allié : elle fonça en ligne droite, traversant plusieurs secteurs à la volée, et fauchant au passage Croupion et Espion, deux Cornèbre adverses, qui ne purent se relever du choc.
Une fois face à Sireine, la reine Kareine sauta le plus haut qu’elle put et hurla :
– Tu me dégoûtes ! Tu n’as rien d’une reine !
Elle voulut assener un violent coup de Pied Voltige à la Malamandre, mais celle-ci, vive comme l’éclair, lança un puissant Lance-Flammes sur Kareine avant que le coup de celle-ci ne porte, et la pauvre Cancrelove se retrouva carbonisée. Elle poussa un cri si déchirant qu’il résonna à travers tout le Heylink.
Le roi Reshiram sombra alors dans une fureur noire :
– KAREEEEEEEEEEINE ! hurla-t-il de désespoir, en se précipitant vers elle.
Malheureusement, à cause sa grande taille, il ne pouvait pas se déplacer très vite, il était donc vulnérable aux attaques ennemies.
C’est pourquoi deux Blizzi s’empressèrent d’escorter leur roi pour le protéger, réagissant en un Tournemain – et c’était le cas de le dire, car l’un des deux s’appelait ainsi. L’autre se nommait Tournis, et il n’avait que rarement les idées claires. Mais en cet instant, les deux petits bonshommes de neige savaient exactement ce qu’ils avaient à faire : protéger leur roi au péril de leur vie.
Zekrom observait Reshiram s’approcher de Sireine avec inquiétude :
– S’il essaye de lui faire quoi que ce soit, il va voir ce qu’il va voir…Vous deux, avec moi ! ordonna-t-il avec véhémence aux deux Cornèbre jumeaux chargés d’assurer sa protection, Ectropion et Entropion. Car, comme son ennemi le dragon blanc, Zekrom lui non plus ne pouvait pas avancer très rapidement, du fait de sa grande taille.
Alors qu’ils escortaient leur roi, Entropion, qui avait les paupières étrangement retournées vers l’intérieur, s’interrogea :
– Je me demande si c’est vraiment nécessaire toute cette violence…
Son frère Ectropion le fixa un instant de ses yeux aux paupières retournées vers l’extérieur et répondit :
– Non, ça va.
Entropion réfléchit un instant et fit finalement une tête qui semblait signifier que « ouais, c’est vrai, ça va, en fait. Ça passe. ». Tourette, qui fonçait en ligne droite à leur côté, leur délivra ces paroles raffinées :
– Bordel les gars, vous escortez le roi ! Z’avez du cul !
Avant qu’ils ne puissent répondre, Yeah, le Zéblitz au vocabulaire limité, qui se trouvait non loin de là, approuva les dires de l’on ne peut plus élégante Sidérella :
– Ouais !
Les deux Cornèbre les ignorèrent copieusement et continuèrent d’escorter le roi Reshiram. Entropion eut quand même le temps d’entendre un très fin « en parlant de cul, ramène le tien, Tourette, j’ai besoin de ton aide ici ! » en s’éloignant. Mais il préféra se concentrer sur sa mission, même si celle-ci était déjà achevée. En effet, le trio avait enfin atteint le centre du Heylink, où Dame Sireine se tordait d’un rire sadique devant le corps – probablement – sans vie de Dame Kareine.
Reshiram le dragon blanc la fusillait du regard. Il bouillait littéralement de rage. Il leva une immense griffe pour pouvoir balafrer ce vicieux visage au sourire mauvais qui lui avait ôté sa si douce épouse. Mais sa patte fut arrêtée par celle de son némésis au corps de jais, dont le regard lançait des éclairs : Zekrom.
Effrayées, les escortes des deux rois s’en furent sans demander leur reste. Apparemment, le duel des titans était sur le point de commencer, et elles ne tenaient pas à faire partie des dommages collatéraux.
– Si tu veux t’en prendre à elle, alors il faudra d’abord me passer sur le corps, Reshiram, le prévint Zekrom avec véhémence.
Le mépris était ostensible dans sa voix alors qu’il prononçait le nom de son rival.
– Parfait. J’ai toujours eu l’intention de t’affronter, alors j’imagine que c’est l’occasion rêvée, Zekrom. Ou plutôt, comme tu dirais, l’occasion idéale, n’est-ce pas ? railla Reshiram, le ton tout aussi méprisant.
¬– Je vais te montrer ce que c’est la puissance réelle ! assena Zekrom, très subtil lui aussi.
– Ha ! Essaye seulement, l’idéaliste !
Les deux immenses dragons se faisaient face, prêts à en découdre. Même le ciel semblait s’être assombri. L’orage était prêt à éclater d’un moment à un autre. Les regards bleu azur et rouge sang des deux entités brillaient d’animosité. La fin était proche. Bientôt, le combat qui divisait Unys depuis si longtemps s’achèverait, et l’un de ces deux dragons deviendrait l’autorité suprême.
Ils s’élancèrent vivement l’un vers l’autre, puis…
« ÉCHEC ET MAT ! »
Une voix, claire et résonante, venue des profondeurs de l’éther, perturba soudainement l’affrontement des deux titans. Mais ils l’ignorèrent. Ils devaient se battre, l’avenir d’Unys en dépendait. Il fallait que l’un d’eux triomphe pour qu’enfin la paix revienne sur le continent. Unys pourrait alors se reconstruire et devenir prospère… Un éclair jaillit soudain sur le champ de bata…
« Ha ha ! Tu as encore perdu ! N’insiste pas ! Tu ne me battras jamais ! T’es mauvais, Jack ! »
Effrayé par la voix, le petit Emolga chargé de simuler l’éclair, pourtant fermement maintenu par son jeune dresseur, se libéra de son emprise et retomba lourdement sur le plateau de jeu, provoquant la chute d’une grande partie des figurines qui se trouvaient dessus. Celles-ci tombèrent lourdement sur la moquette de la chambre d’enfants.
– Rah, quel Pokémon débile ! Il a foutu en l’air toute notre partie ! Je savais que c’était une mauvaise idée de le laisser simuler l’éclair ! Y’a un bruiteur fait exprès pour ça dans le matériel fourni ! se plaignit un jeune garçon qui devait avoir environ quatorze ans.
– Hé, tu étais d’accord, je te signale ! C’est quand même plus cool d’avoir un vrai éclair qu’un simple bruit pourri, non ? rétorqua l’autre enfant, qui avait récupéré son Emolga apeuré et le serrait for contre lui pour le rassurer.
Son visage était en tous points identique à celui de son interlocuteur.
– Pff, regarde ce bordel… Mon Reshiram aurait défoncé ton Zekrom si ton Pokémon débile n’avait pas interrompu la partie ! affirma l’autre – qui était probablement l’aîné – en récupérant la statuette à l’effigie du dragon blanc tombée par terre et en la brandissant triomphalement sous le nez de son frère.
– N’importe quoi ! Zekrom allait gagner ! démentit son cadet. En plus, ce n’est pas de la faute de Planeur s’il est tombé ! C’est maman qui lui a fait peur en criant !
L’autre réfléchit un instant et répondit :
– Ouais, t’as raison, c’est de sa faute ! Viens, on va la voir !
À ces mots, le fougueux jeune garçon empoigna le bras de son petit frère et l’entraîna dans la cage d’escaliers de la maison. Les deux jumeaux descendirent les marches quatre à quatre et traversèrent le vestibule pour finalement se retrouver dans le salon familial, où leur mère exultait, virevoltant dans tous les sens, tandis que leur père affichait une mine déconfite, fixant avec désespoir la table, où trônait un simple damier recouvert de pièces de bois.
– Tiens, les garçons ! Qu’est-ce qu’il y a, mes chéris ? demanda innocemment la mère de famille, tous sourires, en voyant arriver ses fils.
L’aîné s’empressa alors de pointer un index accusateur vers sa génitrice :
– Maman ! À cause de toi, Planeur a bousillé notre partie de « Unyssons-nous nos forces » !
– Oh ! Votre nouveau jeu ? Il est bien ? demanda-t-elle, sans tenir compte de l’accusation de son fils.
– Il aurait pu être bien si tu n’avais pas hurlé et fait peur à Planeur, répondit le cadet en faisant la moue et en désignant son Emolga tout chamboulé. Il a complètement paniqué et renversé le plateau.
Ce qui déclencha un petit rire chez leur mère :
– Oh là là, je suis désolée, mon petit Planeur ! Mais voyez-vous, les enfants, j’ai encore battu votre père aux échecs ! Alors je devais célébrer ma joie ! s’expliqua-t-elle, encore plus souriante.
– C’est pas comme si ça arrivait tous les week-ends… ironisa son aîné.
– Ah, mais, gagner aux échecs, c’est bien plus difficile que ce que vous croyez, mes trésors ! affirma sa mère. Les échecs sont un jeu difficile, mais qui développe l’intelligence et demande beaucoup de réflexion ! Il y a toute une stratégie à mettre en place, il faut protéger son roi, et toujours faire en sorte que…
N’y tenant plus, cette fois-ci ce fut le jumeau cadet qui agrippa le bras de son frère :
– Bravo, tu l’as lancée… Y’en a pour des plombes. On remonte ? On a peut-être le temps de refaire une partie, si on enlève tout le blabla du début de scénario.
– Ouais, approuva l’autre.
Voyant sa progéniture qui s’éclipsait – juste sous son nez, qui plus est – la mère de famille réprimanda gentiment ses deux fils :
– Vous ne savez pas ce que vous perdez, les enfants ! Les échecs sont un jeu merveilleux ! Vous devriez jouer à ça plutôt qu’à votre stupide jeu de guerre ! Je peux vous apprendre à jouer, si vous voulez, proposa-t-elle joyeusement.
Depuis la cage d’escaliers, l’aîné répondit :
– Pff… Non merci !
– Ouais, non merci ! l’appuya son frère.
– Mais enfin, pourquoi ? voulut savoir leur mère, du bas des escaliers.
Les deux jumeaux s’entreregardèrent une fraction de seconde et déclamèrent en chœur :
« Les échecs, c’est nul ! »
Par MissDibule