Pikachu
Pokébip Pokédex Espace Membre
Inscription

Au bout d'une corde [One-Shot] de Misa Patata



Retour à la liste des chapitres

Informations

» Auteur : Misa Patata - Voir le profil
» Créé le 09/07/2018 à 01:17
» Dernière mise à jour le 12/07/2018 à 01:14

» Mots-clés :   Absence de poké balls   One-shot   Unys

Si vous trouvez un contenu choquant cliquez ici :


Largeur      
Chapitre unique
Midi passait tout juste, lorsqu'un vagabond solitaire descendit de cheval en plein cœur de la petite ville.

Le fier Galopa, tout en muscles et la crinière de flammes au vent, apportait un peu de chaleur et de couleur au milieu d'une végétation terne et fatiguée. La brise d'automne, encore supportable, mélangeait les feuilles mortes et la poussière des routes, puis agitait sans conviction les branches nues d'arbres amaigris. Derrière le manteau nuageux, un soleil timide se montrait de temps en temps : seulement, la part belle était souvent à la pluie.

De fait, il y avait de la boue. Une mixture épaisse, collante et sombre, qui rappelait les jours d'enfance et les soupes répugnantes qu'on ne voulait pas avaler. Le vagabond laissa pourtant ses bottes usées s'enfoncer dedans, sans rien montrer de son dégoût. Il n'aimait pas la boue, non, mais il était habitué. Le cheval aussi, si bien qu'il ne protesta même pas. Tant qu'il ne pleuvait pas tout irait bien.

L'homme se fendit d'un sourire aux dents jaunies, et puis tapota deux fois la carcasse chaude de l'animal : une fois sur la selle et une fois sur la croupe, comme tout le temps. Il disait que ça portait bonheur, ou quelque chose dans le genre. Ensuite, il vérifia bien sûr les sangles de son cher étui, dans lequel il trimballait partout son arme préférée, et rajusta le tout sur son dos. Et un dernier regard au grand Galopa, qui le toisait sans broncher.

— Je reviens vite, tu restes sage.

S'il avait pu, le cheval aurait produit un haussement d'épaules. Il se contenta d'une œillade et de ce qui passait pour un hochement de tête. Un autre dresseur l'aurait attaché. Dans une écurie, à un poteau, n'importe où. Pas ce dresseur-là. Un accord tacite, comme un contrat sans signature, était établi entre eux depuis longtemps. Ils restaient ensemble, voilà tout. Sans conditions ni attaches précises, ils vagabondaient côte à côte.

L'humain, au visage caché par un grand chapeau et dévoré par une barbe noire, s'éloigna d'un pas leste, une main toujours serrée autour de la sangle de son étui. Ce qui ressemblait à une grande boîte rectangulaire faisait parfois peur aux passants, dans les villes où il s'arrêtait. Personne n'avait jamais vu ce qu'il pouvait transporter là-dedans, et en vérité personne ne tenait vraiment à le savoir. Peut-être que ce n'était même pas un secret. Après tout, qu'est-ce que ça pouvait être sinon une arme ?

Comme il faisait toujours, il entra dans le café du coin ; ou peut-être était-ce un bar. L'animation du soir et l'odeur de l'alcool lui donnèrent une réponse assez claire. Des clients aux serveuses en passant par le barman, tout le monde semblait radieux, plein de vie, de bonne humeur et de voix. Des rires, des cris, des chansons fusaient de toutes parts dans cet air enivré. Il entendait à peine le son de ses grosses bottes sur le plancher. Jusqu'à ce que les rires, les cris et les chansons s'arrêtent. En toile de fond, la mélodie au piano continuait, comme si le musicien craignait le silence.

On le regarda, l'observa, l'étudia de tous les côtés, avant de décider qu'il avait l'air fatigué et qu'un remontant lui ferait du bien. Il écouta attentivement tout ce qu'on lui disait : on ne voyait pas beaucoup de voyageurs dans le coin, et encore moins des voyageurs qui semblaient armés jusqu'aux dents.

Alors on lui demanda ce qu'il faisait par ici, s'il comptait s'installer ou bien si la ville n'était qu'une vague étape sur son voyage. Il répondit franchement, parlant peu. Depuis toujours, il économisait ses mots : une phrase courte et bien faite valait autant qu'une tirade de théâtre. Il ne révéla pas son intention exacte, mais on la devina.

Il se dirigeait vers le nord, comme tant d'autres aventuriers, pour trouver cette légende vivante dont on parlait le soir en famille au coin du feu, ou alors au comptoir entre deux verres. On lui souhaita bonne chance après lui avoir indiqué une petite auberge tranquille.

C'était comme ça partout où il s'arrêtait.


o o o

Ce jour-là, un vendredi matin, il entama la dernière partie de son long périple. Cela faisait des semaines, et peut-être même des mois, qu'il traquait ce personnage évanescent. Après des recherches sans interruption et des journées éreintantes sur les routes, il se sentait toucher au but. Pour la première fois depuis une éternité, il voulut rire. Il ne le fit pas, car ça aurait alerté des Pokémon belliqueux, mais l'hilarité resta longtemps au bord de ses lèvres craquelées.

Assis sur sa selle depuis des heures, il ne demandait qu'à en descendre. Cependant, avec sa charge sur le dos, marcher serait bien trop lent et épuisant. Le cheval, lui, était encore dans la fleur de l'âge : ses muscles roulaient facilement sous son pelage, et sa crinière virevoltait fièrement comme un drapeau. Le vagabond ne pouvait que prendre son mal en patience, et maudire la nature de ne pas l'avoir doté d'ailes ou d'une meilleure endurance. Soit : il attendrait.

Sous un soleil de plomb, le voyage fut difficile. Ils avaient quitté la ville de Janusia tôt, et les nuages tapissaient encore le ciel à ce moment-là, mais depuis, le temps s'était découvert et les rayons frappaient durement la terre. Sans son chapeau, l'humain en sentirait la pleine puissance sur son crâne. Des gouttelettes de sueur ruisselaient sur son front, entre des mèches de cheveux sales et des rides de plus en plus creusées. Le Galopa ne transpirait pas, lui, car la chaleur le galvanisait et réduisait sa fatigue. Tant mieux. La route n'en serait que plus facile à vaincre.

Immobile, les mains crispées sur les rênes de sa monture, le voyageur ne pouvait rien faire d'autre que de penser. Il se rappela le but de sa quête, et sachant qu'il se rapprochait de plus en plus, se sentit plein d'une étrange allégresse. Oui, il faisait chaud et le manque de sommeil ne l'avait pas aidé, mais il était heureux comme un enfant à l'idée d'enfin trouver celui qui s'efforçait d'échapper à tout le monde depuis des mois. Il ouvrirait enfin son étui, et montrerait à ce fuyard friand de solitude ce dont il était capable.

Aucune gloire ne le motivait, non. C'était son devoir, voilà tout. Il se sentait attiré par l'aventure et ce qui serait sa récompense. Peu importe si d'autres avaient essayé avant lui et avaient échoué : il réussirait, parce qu'il savait que, comme lui, son adversaire était fatigué. Fatigué de la route, il ne recherchait que la paix. Il pouvait l'avoir à condition de fuir, ce qu'il avait fait. Le vagabond se jura de ne pas perturber cette solitude tranquille longtemps : il ferait vite.

Ces pensées se bousculèrent longuement dans sa tête, tandis que les heures et les kilomètres défilaient comme dans un songe.


o o o

Ce furent d'agréables maisons qui l'accueillirent dans ce havre de paix coupé du monde. De petites habitations, modestes et confortables, construites aux deux extrémités d'un pont ! C'était un petit monde à lui tout seul, ce pont qui enjambait une rivière calme en contrebas. Le soir tombait, et les lumières oranges du crépuscule offraient à l'eau une teinte inoubliable. Le vagabond ne se laissait pas facilement émouvoir par un paysage, et cependant il fut touché de la beauté simple de l'endroit. Un havre de paix, oui. Il comprenait ce que le fuyard y avait trouvé.

L'espace d'un instant, il se sentit un peu sale de vouloir briser cela. De déranger ce mystérieux personnage, cette légende vivante qui avait tout laissé de côté pour enfin trouver un peu de tranquillité. Et pourtant, il avait fait tout ce chemin rien que pour le voir et le confronter. Abandonner en un tel moment serait tellement ridicule. Galopa le réprimanderait pendant des jours, s'il avait vent de cette pensée. Le cheval était en forme, oui, mais ça ne signifiait pas qu'il tolérait l'effort inutile. Le dresseur non plus, d'ailleurs.

Il dut confier la bête à un habitant qui gérait l'écurie, car il n'avait aucune idée du temps que l'affaire lui prendrait. Du reste, il ne savait même pas comment ça se passerait. Est-ce qu'il lui ouvrirait seulement la porte ? Le brave palefrenier lui avait donné des indications, mais il ne pouvait pas connaître la réaction de l'homme recherché, naturellement. Il ne voulait sûrement pas contrevenir aux règles de cette communauté, qui avait choisi de taire au plus grand nombre la présence du fuyard.

Ce fut avec une certaine peine que l'homme laissa son cheval aux soins du garçon, pour aller s'atteler seul à son devoir. Il faisait toujours chaud, mais l'air frais du soir commençait à rendre l'atmosphère plus agréable. Sur le pavé du pont, ses grosses bottes claquaient, et le son résonnait dans son crâne. Il dut traverser l'édifice pour arriver à l'est et découvrir d'autres maisonnettes. De la lumière commençait à apparaître aux fenêtres à mesure que le soleil déclinait.

Il trouva sans peine la bonne maison. Inconsciemment, sa prise sur les sangles de son étui se raffermit. Bien sûr, sa nervosité ne le surprenait pas. La quête avait duré si longtemps et arrivait désormais à son terme : son cœur battait la chamade. Il leva la tête et plissa les yeux pour observer un groupe d'oiseaux qui survola le pont en direction de la rivière. Certainement des Couaneton. La sueur coulait toujours entre ses sourcils et ses mèches de cheveux, le long de son nez. Il fit quelques pas et, tout près de la porte, y abattit son poing.

Une fois. Deux fois. Trois fois.

On ne répondit pas. Le geste fut réitéré, sans plus de succès. Il n'y avait pas de lumière dans la maison, non plus. Le fuyard était-il sorti ? Parti ? Tout espoir sembla disparaître, en même temps que la couleur disparut de son visage. Livide, il se crispa davantage. Tout ça pour rien ? Non, il pourrait l'attendre, rien ne pressait plus à présent. Mais pourtant, une énergie si puissante bouillonnait au fond de son être. Il voulait en découdre, maintenant, plutôt que de laisser mijoter cette force plus longtemps.

Ce fut alors qu'il l'entendit. Une mélodie, à peine audible mais bien présente. Il tendit l'oreille. Oui, elle était là. Si puissante, si évocatrice. Il sentit ses émotions tourbillonner. Cela venait de plus loin, en bas. Il fallait passer sous le pont et longer la rivière... Il n'hésita pas une seconde et se mit à courir, sa charge sur son dos maintenant dérisoire. Il tint fermement les sangles pour que l'étui ne soit pas trop secoué, et descendit en vitesse sous l'édifice, où une ombre froide et bienvenue l'accueillit.

Tout sembla flou à partir de ce moment précis, quand il rejoignit à toute allure un petit bosquet. Il y avait là des hautes herbes, quelques vieilles souches et de la terre odorante. Sur l'une de ces souches, une silhouette presque immobile jouait de la guitare, et autour d'elle une pléthore de Pokémon venait assister au concert. Le vagabond ralentit, s'arrêta. Il défit les sangles et saisit son étui à-bras-le-corps, mû par un calme nouveau.

Les regards se croisèrent, sans que la mélodie ne cesse. Le jeune musicien gardait ses yeux rivés à ceux du voyageur sale, sans s'arrêter de jouer. L'homme au chapeau posa son étui et l'ouvrit pour en sortir sa plus belle arme, sa compagne au même titre que son Galopa. Une vieille guitare usée, et pourtant encore en état de chanter. Brusquement rendu timide par le jeu sûr et parfait du jeune homme, il tituba jusqu'à une souche proche et s'y installa tant bien que mal avec son instrument.

Il ne se mit pas à jouer, seulement à écouter encore. Son tour viendrait, et tout serait dit. Entre eux deux, cela se finirait au bout d'une corde, de toutes ces cordes qui vibreraient ensemble parmi la nature et les Pokémon.