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Echos Infinis de Icej



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» Auteur : Icej - Voir le profil
» Créé le 04/07/2018 à 13:42
» Dernière mise à jour le 12/02/2020 à 04:08

» Mots-clés :   Action   Aventure   Humour   Présence de personnages du jeu vidéo   Présence de shippings

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Épisode 39 : Elsa et les ruines
Elsa inspira.

Derrière ses paupières tremblantes, les nuées s’éclaircissaient. La nuit enfantait le soleil comme un bâtard secret, un gamin pourpre et boursouflé, criard et ensanglanté. Devant l’astre souillé les bêtes de minuit se taisaient, leurs langues obscures se taisaient ; leurs cris se rouillaient et s’effritaient dans le silence.

Il ne restait plus que ce silence.

Hagard, son fantôme erra parmi les dunes de perles et de de joyaux, cherchant un refuge. Des souvenirs se jouaient et se rejouaient à l’arrière de son crâne, courant ensuite autour de sa cervelle. Sous le ciel rougeâtre, des demi-vérités nageaient comme des carpes.

— Les civilisations du désert croyaient que les vents étaient les esprits des morts, sourit une personne qu’elle ne voyait pas encore.

Elsa se retourna. Oryse se tenait là, parmi les pierreries, tenant un rubis palpitant au cœur de ses mains. Sous ses paupières fardées d’étoiles, Elsa distinguait un regard pesant de tristesse.

— J’ai lu cela dans un de vos articles, bafouilla-t-elle.

Prise de cours, elle leva ses yeux vers les demi-vérités qui tricotaient les nuées, plus loin tout en haut, et accrocha son esprit à l’une d’entre elles. Leurs écailles chatoyantes étaient translucides. Sous leurs reflets psychédéliques, Elsa pouvait distinguer leurs veines qui palpitaient comme des traînées de rubis.

— Pourquoi viens-tu ? gémit Oryse.

Elsa baissa les yeux et rencontra son regard catastrophé. Les joues de la femme se creusait et ses pommettes saillantes les marquaient de bleus violets. Bientôt, à force de se tendre, la peau blanche de son visage allait se déchirer.

— Pourquoi viens-tu ? cria-t-elle. Va-t’en ! Retourne à tes bancs scolaires ! Tu n’apportes que le malheur…

Ses joues rompirent et la peau s’ouvrit comme un grand sourire, de sa bouche à ses oreilles, et ses yeux s’agrandirent comme des lanternes. Elsa la contempla, son cœur lourd et fou comme un pulsar. À l’arrière de son crâne, ses souvenirs bouillants tourbillonnaient.

— Je pense qu’on a volé un artefact, souffla-t-elle finalement.

Le soleil se contracta.

— L’artefact le plus sacré qui soit.

Le monde s’obscurcit. Les écailles diaphanes des carpe-vérités se tâchèrent de sang et de rouille ; les joyaux du désert se craquelèrent et par les brisures s’échappèrent des ombres. Dans le ciel, le soleil se contracta jusqu’à devenir une pupille noire.

— Maëlle était l’enfant d’un jardinier et d’une femme de ménage, répondit Oryse.

Elsa la contempla, son cœur lourd et fou, son crâne fourmillant de remords, et ouvrit ses paumes vers son idole déchue. Elle tendit ses mains blanches vers Oryse, vers Maëlle, vers les spectres de ses amis. Un geste de pardon. Un geste de désespoir.

On a volé l’artefact le plus sacré qui soit, leur soufflait-elle, les paumes ouvertes. Avec d’infinis regrets.


(Magie noire)

Elle descendit les marches du château enfoui, ses petits pieds s’enfonçant dans le sable. Inspira. L’air avait goût de sable, de poussière. Devant elle s’étiraient des ombres anciennes, mystérieuse, que jamais le jour ne chasserait. Devant elle s’étirait un passage étroit qui menait à la fois partout et nulle part, au trépas et à l’oubli.

Il était dit que les Gijinkas étaient morts en une seule nuit, et que ce temple était leurs dernier tombeau.

— L’entrée des ruines ne se transforme jamais, ni ne disparait… marmonna Oryse. C’est la seule constante de ce labyrinthe infernal.

Elsa lui coula un regard en biais. La scientifique se tenait voutée sur une grande carte dessinée à l’encre noire, bleue, rouge, et annotée de mille et un symboles. À ses côté, son Munna diffusait une faible lueur rose, servant de lanterne. Le doux rayonnement du Pokémon inondait le corridor, adoucissant les contours sombres des gravures murales.

Elsa fit quelques pas pour retrouver les ténèbres, ignorant Oryse.

Elle serra la mâchoire. Des souvenirs se jouaient et rejouaient à l’arrière de son crâne, fantomatiques. Elle se voyait parcourir le château. Elle s’imaginait une fresque millénaire. Une rune. Un piège. Et les sables murmurant. Dans le bas de son ventre, une chaleur dévorante se propageait, l’attirant vers les entrailles des ruines.

— Cryptéro, dit-elle tout bas.

Le gardien voletait, nerveux, déboussolé par tant d’énergie. Il flottait parfois trop haut, son crâne étrange délogeant de la poussière parmi les fentes du plafond. À l’entente de sa voix, son œil unique et luisant se fixa sur son visage et il s’approcha d’elle comme un insecte attiré par un flambeau.

— Cryptéro, te rappelles-tu ? lui souffla-t-elle, serrant les poings.
— Il ne te servira à rien.

Oryse la dépassa, une épaule effleurant la sienne. Elle s’avança un peu, toujours guidée par Munna, marchant lentement, attendant que l’adolescente la rattrape. Mais Elsa n’esquissa aucun geste pour la suivre. Elle baissa la tête, son rictus rageur caché par la pénombre. Dans ses intestins, la chaleur festoyait.

— Nous allons nous perdre, sans guide, murmura-t-elle. Nous allons errer pendant des mois.
— Nous n’avons pas le choix.

Elsa respirait doucement. Ou ne respirait pas.
Elle rêvait de cauchemars.

La lueur diaphane de Munna la tira de sa colère et elle fit un pas, puis un autre. Oryse soupira, l’air éreinté. Elle dégrafa une épingle de sa grande carte et la lança, et la carte s’envola, s’envola jusque dans les mains délicates d’Elsa. Auparavant, d’autres doigts auraient tracé les contours fins des couloirs.

— Nous devons chercher les fresques de Réshiram… dit la jeune fille. Nous devons trouver les dragons.

Elle replia la carte, suivit Oryse dans le labyrinthe du trépas et de l’oubli. Le monde sembla s’étrécir et se contracter autour de Munna, autour du cercle de lumière pâle qui délimitait tout ce qu’elles pouvaient voir des vestiges. Mais l’esprit d’Elsa s’échappa. Il fila entre les interstices des couloirs et effleura les fresques anciennes. Sous l’œil clair de ses pensées, les peintures reprenaient vie et couleurs. Les effluves surannées du château semblaient parfumer les pierres de cannelle, de miel et de cumin…

— Quel est le vrai pouvoir du galet ? souffla-t-elle—et elle sentit la chaleur dans son ventre s’intensifier.
— Le Galet sert à invoquer les Dieux, répondit Oryse, la voix rauque et effrayée. Il sert à invoquer les dragons.
— Et les Gijinkas gardaient ce Galet dans les temps anciens…
— Les Gijinkas sont les émissaires des Dieux. Il est dit qu’ils pouvaient eux-mêmes les invoquer en dansant et en chantant…

Elsa se vit marcher aux côtés des Gijinka, prier avec eux. Elle vit une prêtresse au grand couteau et ses prunelles folles de magie noire, un scribe graver des runes sur un vase royal, elle vit une cour constellée de lanternes et l’aurore laver les colonnes du château. Elle sentit un fantôme frôler son épaule…

Elle rêva longtemps sans voir les ravages du temps, ses petits pieds s’enfonçant dans le sable. Elle rêva longtemps sans trouver de dragon, ses yeux cherchant la vérité parmi les ombres, éblouis par Munna et fatigués par la poussière.

Les couloirs du château se succédaient, s’affinaient, s’enlaçaient. Les sables murmuraient. Entre chaque interstice, chaque cicatrice de la pierre ancienne, les grains obscurs coulaient, glissant vers les entrailles du château, vers leur dernier tombeau. Parfois, ils tourbillonnaient à l’angle d’un passage, grinçant avec menace. Les aventurières évitaient ces pièges. Elles évitaient les malédictions des anciens.

Elles ne voulaient pas les rejoindre dans leur nécropole.

Lentement, le temps s’étiolait. Elsa perdit le compte des minutes, puis elle perdit le compte des heures. Que pouvait bien pouvoir signifier ces constructions arbitraires dans un lieu qui avait vu la mort, le sacrilège, et le ravages des siècles… ?

Sur les murs poussiéreux, des histoires défilaient, éclairées tour à tour par Munna. Elsa ne pouvait déchiffrer ces runes anciennes, mais parfois Oryse lisait quelques bribes à voix haute. « Tu vas te venger. Ouvre-lui le crâne et mange sa cervelle ! ».

Les rêves d’Elsa se couvraient de sang.

Et puis une pâle brillance inonda la petite lueur de Munna. La lumière blanche dévora les ombres du corridor, s’intensifiant à mesure que les femmes s’approchaient, et Elsa crut—Elsa crut—la jeune brune pensa entrevoir l’artefact le plus sacré qui soit.

Mais elle se trompait.
Ce n’était que le soleil.

— C’est un cauchemar… murmura Oryse, la voix rauque.

Les femmes étaient revenues à l’entrée du château.


(There’s no song for the quiet)
La lune rutilait comme un œuf d’argent. Autour d’elle, les dunes s’étalaient jusqu’à l’horizon noire, chaque grain de sable luisant comme une perle lustrée. Et devant ses yeux pâles, son regard malheureux, flottait son oiseau, sa créature, son gardien ancien et scintillant.

— Cryptéro… chuchota-t-elle, sa voix enraillée de larmes.

Il darda son unique œil sur elle, muet, flottant de haut en bas, de gauche à droite, ses plumes noires traînant sur le sable. Lui ne pouvait pas pleurer. Il ne pouvait que contempler ce qui était devant lui, la route qu’on lui avait tracé, veillant sur un trésor inconnu. À jamais.

— Cryptéro… bafouilla de nouveau la petite dresseuse avec son regard éperdu.

Il ne modifia pas son vol, ne dévia pas son œil concentré. Il attendait. Il attendait. Quand la dresseuse tomba à genoux, ses sourcils se fronçant avec colère, le coin de ses lèvres gercées se froissant, il ne réagit pas plus. Il n’était pas fait pour des interactions prolongées. Son rôle était de chasser les intrus. Il attendait.

— Pourquoi ne te souviens-tu pas… ? le supplia la dresseuse.

Mais il n’était pas fait pour les interactions prolongées. Et Elsa baissa la tête, abandonnant, se recroquevillant sur elle-même et ses souvenirs, ses meurtrissures. Elle se revoyait dans le centre de Méanville, noyée dans le flot humain. Elle se revoyait sur les bancs de l’école, ignorant les bavardages niais de ses camarades.

Pourquoi ne l’avait-on pas crue ?


(Le silence)

Elsa inspira.

Elle inspira l’air brûlant du désert Délassant, les paupières fermées, tremblant contre le soleil.

Derrière elle, Oscar exhala.
Son soupir se perdit dans la chaleur sèche, claire, retentissante.
Ils étaient en équilibre sur la crête d’une dune.
Ils tenaient en équilibre précaire sur l’immensité.

À l’aube, le désert rosissait.

Les nuées s’éclaircissaient. La nuit enfantait le soleil comme un bâtard secret, un gamin pourpre et boursouflé, criard et ensanglanté. Devant l’astre souillé les bêtes de minuit se taisaient, leurs langues obscures se taisaient ; leurs cris se rouillaient et s’effritaient dans le silence.

Quand le désert se transformait en mer de métal bouillante et que le soleil rejaillissait d’or, prince splendide à l’ascendance révélée, les bêtes ne savaient déjà plus parler.

Elsa se levait et inspirait l’air brûlant du désert, les yeux levés vers la conflagration de lumière, tremblant sous la violence des cieux. Oscar observait son dos cambré, sa bouche creusant un trou dans le vide avec le silence. Sous son regard, Elsa se faisait plus légère. Elle se dressait sur la pointe des pieds, elle s’étirait comme une danseuse. Ses yeux bleus scrutaient le blanc nu des nuées, ses cils démêlaient les cirrus des cumulus comme si les chemins familiers de l’infini pouvaient menaient à quelque chose.

Chaque jour ils se levaient et se tenaient ainsi pendant de longues minutes avec ce silence traînant qu’ils se traînaient, qu’ils se traînaient dans les pattes comme un animal blessé. Oscar inspirait et expirait avec amertume.

Il était toujours le premier à craquer. Il s’éloignait et préparait un déjeuner rapide, défaisait leur unique tente, et son cœur palpitait parce que chaque nuit il regardait Elsa s’endormir—Elle appelait ses Pokémon, sa Mateloutre et son Cryptéro, sa féroce Mateloutre et son sublime Cryptéro. Oscar sortait Jeans l’enthousiaste, Aiden le loyal, Aurore la fière et Wish le malin. Il regardait son équipe hétéroclite et regardait Elsa, regardait son équipe et regardait son sarouel troué qui ne lui correspondait plus.

Ils mangeaient et avançaient.
Ils mangeaient se couchaient.
Ils s’éveillaient et avançaient.

Et toujours les jours défilaient ainsi, matins roses et soirées noires. La chaleur était infernale. L’air ondoyait. Leur peau s’asséchait et saignait. Dans le grand silence, Oscar entendait les échos du timbre d’Elsa, sa voix dépassée qui lui soufflait : « viens ». D’autres souvenirs se répercutaient dans son esprit, entre les dunes dorées, entre les dunes et le ciel brûlé ; d’autres scènes se rejouaient dans le désert. « Monsieur Kokiyas… » « Je m’appelle Mélis ! » Viens. « C’est une capture collective ! » Viens. « Attends maman s’il-te-plaît attends… » Viens. « … et si je te racontais mon voyage ? » « Syd ! … Tu veux que je t’aide ? » Viens. « Je crois que je te dois des excuses. » « Nikolaï… il est encore vivant ? » « Je ne vais pouvoir continuer mon voyage avec vous. » Viens. « S-Sois mon ami maintenant. ». Viens !

Les scènes se rejouaient, envoûtantes.

Le neuvième jour de leur voyage, le timbre clair d’Elsa s’éleva entre les dunes. Les têtes de tous les Pokémon d’Oscar se dressèrent, et le cœur du dresseur rata un battement. Il la vit lever une main et pointer l’horizon, son bras mince ensaché de coton bleu.

— C’est la roulotte d’Oryse.


(There’s no rest for the weary)
Oscar n’avait pas affronté son regard. Il s’en était allé seul, dans le désert, dans la nuit. Loin au-dessus de la roulotte, la lune luisait comme un œuf pâle et lisse.

Elsa était à table avec Oryse, ses yeux balayant une montagne de feuilles. Elles étaient toutes recouvertes d’encres noire, bleu nuit, rouge, de calligraphie élégante qui ressemblait étrangement à la sienne. Les arabesques des lettres couraient de page en page, passionnées, en écho des pensées ce celle qui les avait tracées.

Le cœur d’Elsa battait lourdement dans sa poitrine. Elle n’avait jamais eu accès à ce savoir. Pas dans ses manuels scolaires. Pas sur Poképédia. Pas dans la librairie municipale de Volucité. Pas sur les sites internet obscures qu’elle consultait. Pas dans ses livres d’enfant qui parlaient du Galet Blanc comme d’une légende, que tous les parents Unyssiens lisaient à leur progéniture sans comprendre qu’ils tenaient la vérité entre leurs paumes ridées.

Le cœur d’Elsa battait, mais elle n’arrivait pas à ressentir toute la joie qui aurait dû la submerger. Ses membres étaient engourdis. Ses lèvres anesthésiées.

Sans briser le silence pesant d’Oryse, Elsa se saisit d’un des feuillets et le caressa doucement de ses yeux. Ses prunelles buvaient l’encre comme si elles étaient constituées de petites coupures de papier.

« Les femmes du désert avaient juré de tuer tous les hommes de leur cité pour se venger d’une offense qui leur avait été faite. Mais Saheli avait sauvé a vie de son père Ketel : aussi fut-elle vendue comme esclave. »

Sur une autre feuille, des schémas compliqués avaient été dessinés à l’encre bleue. Elsa finit par discerner que les croquis ressemblaient aux différentes phases de la lune—ces notes décrivaient un calendrier… Une année de trois-cent-soixante-quatre plus un jour, qui comptait treize mois, parce que trois-cent-soixante-quatre divisé par treize fait vingt-huit, et vingt-huit jours est la durée du cycle d’une femme.

— C’étaient les notes de Maëlle, fit brusquement Oryse.
Elsa reposa lentement le feuillet.
— J’en ai conscience.

Par la fenêtre de la roulette, les femmes aperçurent une déflagration lointaine. Elsa sentit son cœur remuer un peu. Elle imaginait qu’Oscar s’entraînait au creux des dunes.

— Nous allons commencer nos recherches à l’aube demain… murmura l’adulte.

Une autre explosion retentit dans la nuit et les pupilles d’Elsa se dilatèrent. Elle était ensorcelée. À cet instant, la perspective des recherches lui paraissait distante… Il lui fallait pourtant se concentrer…

— Je n’aurai pas le temps de lire toutes les notes de Maëlle d’ici demain, murmura-t-elle. Dites-moi ce qu’il faut que je sache, s’il-vous-plaît.

À ses côtés, Oryse acquiesça. Elsa la voyait à peine du coin de l’œil, mais sentit le mouvement de son cou et de ses épaules sur sa chair. La roulotte était petite. Les deux femmes était serrées, cuisses contre cuisses.

Doucement la voix de la scientifique s’éleva.

— À l’âge d’or, du miel coulait des arbres et à l’âge d’argent la lune était un œuf de métal. Mais à l’âge de bronze, du sable envahit les champs et le monde se fit désert.

Elsa n’en pouvait plus de voir le feu du cœur d’Oscar. Elle ferma les yeux.

— Pour ralentir la mort lente du monde, les Gijinkas priaient auprès des dieux et réalisaient leur volonté sur terre.
— Mais alors, chuchota-elle. Qui étaient les Gijinkas ?

Oryse sortit une feuille parmi tant d’autres. Elsa, intriguée par le bruissement, rouvrit les yeux. Le feuillet avait été imprimé à l’ordinateur, chaque lettre se détachant en Arial 11. Le document portait le sigle de la Bibliothèque Nationale de Sinnoh, ce Elsa n’arrivait pas tout à fait à expliquer.

— Gijinka vient du mot Kantonnais « Nirenhua », énonça Oryse. Cela signifie « incarnation »… les Nirenhua étaient donc les images des Dieux. Les légendes expliquent que les rois sacrés des peuples du désert étaient des Gijinkas, ces rois sacrés aux pouvoirs extraordinaires.
— Pourquoi les Gijinka ne pouvaient pas être des femmes ? demanda vivement Elsa.

Oryse sourit.

— Il vaut mieux que je reprenne depuis le début.

De sa voix éraillée, pesante, elle dessina une fresque ancienne et chargée de rouille. Elsa l’écouta, fascinée, cherchant à retrouver ce monde de sang et de sable, ce monde aux embruns fanés.

— Les peuples du désert vénéraient tous les dieux de notre panthéon—ils vénéraient les dragons. Une prêtresse était chargée de mener les rites sacrés… Chaque année, elle choisissait un nouvel amant parmi les vainqueurs des jeux de l’hiver, et ce roi sacré régnait jusqu’à la solstice d’été. Alors, l’oracle l’offrait en sacrifice sur l’autel de Réshiram, égorgeant elle-même son amant, et choisissait un nouveau champion jusqu’à la solstice d’hiver…

Les rituels terribles se rejouaient sous les paupières tremblantes d’Elsa—un éclat d’arme—at à l’horizon, une nouvelle conflagration signala la présence d’Oscar, l’éclat du brasier envahissant le monde obscur de ses yeux fermés. Elle l’imagina, une épée à la main, se battre pour l’honneur des dragons. Elle se vit en grande prêtresse, drapée de coton blanc, le poignardant sur un autel de marbre…

— En réalité, on suppose aujourd’hui que cette prêtresse était elle-même une Gijinka, expliqua Oryse, une Gijinka qui partageait ses pouvoirs spirituels avec un souverain temporel.

Un secret moite coulait dans le corps d’Elsa, et elle se détourna de sa honte pour se concentrer sur les mots de la scientifique.

— Comment… comment se faisait la succession ?
— La fille qu’elle avait de ces rois prenait sa suite.

Elle n’avait jamais lu ça dans ses manuels scolaires. Pas sur Poképédia. Pas dans ses livres d’enfant.

— Et les fils ?
— Originellement, ils n’étaient pas comptés parmi ses enfants et ne figuraient pas dans les lignes de succession.
— Mais cela a changé ?

Son cœur était anesthésié.

— … Oui, sourit Oryse. Car le monde a pourri. Ils avaient une pierre qui, lorsqu’on la frottait à une autre, se couvrait de gouttes de sang. Elle se tachait si un mal irréparable avait été commis, ou si une faute impardonnable allait être commise. D’année en année cette pierre se recouvrit de sang. Car le monde pourrissait.

Elsa vit le ciel se couvrir de moisissure, vit le désert craqueler et les dunes s’évider comme des entrailles géantes et infectées. Prisonniers des nuées verdâtres, le soleil se contracta jusqu’à devenir une pupille noire. Et tous les Gijinkas, tous leurs temples, s’effritèrent sous un vent fétide…

— Pourquoi le monde a-t-il pourri ? souffla-t-elle, hypnotisée.
— Parce que le roi, pour prolonger son règne au-delà du normal, a substitué un enfant à sa personne le jour du sacrifice.
— Et puis ?
— Et puis le roi, souhaitant régner au-delà de la mort, a épousé sa fille et lui a fait un enfant.
— Et puis ?
— Et puis le roi a consacré son fils aîné sur l’autel de Réshiram.

Sur du marbre souillé par un viol le roi avait consacré son fils. Profanant le sanctuaire de son peuple, il avait fait de son fils un roi et de sa descendance une engeance de princes. Les dieux outragés avait maudit cet homme et sa lignée. Les dieux bafoués avaient condamné les hommes du désert à la guerre et à la famine.

— … et les Gijinkas sont morts avec leur monde…


(Elsa…)
Son petit pied s’enfonça dans le sable rose de l’aube, les grains froids chuchotant autour de sa cheville. Elle fit un autre pas ensuite, doucement, appuyant ensuite fortement contre le sol. Il y avait quelque chose morbide à regarder le sable engloutir de sa chair pâle. Quelque chose de fascinant. Quand le haut de son pied disparaissait, son cœur faisait un bond arythmique dans sa poitrine.

Un pied après l’autre, elle s’enfonça dans les ténèbres anciens du Château Enfoui, les poings serrés, les ongles plantés dans ses cicatrices.

— Nord, Nord, Sud… Nord, Nord… Est ? chuchota-t-elle. Derrière ses boucles fourchues veillait son gardien antique et ses ailes de nuit.

Au premier tournant, une rangée de lames métalliques fendit soudain l’air en deux et Cryptéro lui sauva au dernier moment la vie.
Au second tournant, une trappe se révéla sous ses pieds et le monde se déroba une seconde d’éternité. Cryptéro matérialisa une barrière magique sous ses pieds.
Au troisième tournant, une lueur l’avertit juste à temps d’un piège Distorsion.
Au quatrième tournant, un grondement sourd vrombit dans l’air mort du temple. À chacun de ses pas le rugissement s’intensifia et au dixième pas qu’elle fit le vacarme devint assourdissant. Elsa leva la tête. Le plafond se lézardait et du sable s’écoulait par chacune des interstices. Cryptéro les téléporta juste avant que le passage ne s’écroule.
Au cinquième tournant, elle vit une ombre.
Au sixième tournant, cette ombre se transforma en visage larmoyant.

Il y avait quelque chose de morbide à regarder le deuil en face. Quelque chose de fascinant. Son cœur fit un bond arythmique dans sa poitrine.

— Cryptéro, Psyko.

Le masque en face d’elle se tordit, scintilla de souffrance, mais son propre visage resta de marbre. Quand son image lui répondit avec une Malédiction, elle ordonna simplement à son Pokémon de briser le miroir étincelant avec Rafale Psy. Elle ne ressentait plus rien. Juste une sorte de pesanteur. Son cœur était trop lourd pour se battre encore.

— Cryptéro, Hypnose.

Quand le masque devant elle vola en mille éclats invisibles, elle lança une Pokéball et englouti son reflet dans un éclair rouge.
La boule revint au creux froid de sa main et elle l’enfouit dans les plis de sa jupe blanche.
Cryptéro ne réagit pas.

L’obscurité étouffait le chuchotement de son souffle.


(Miroir)

— Les civilisations du désert croyaient que les vents étaient les esprits des morts, sourit Oryse, les lèvres pincées de sang.

Sa voix s’éteignit avec mélancolie dans la petite roulotte, ses derniers mots allant mourir entre deux mauvaises odeurs. Oscar fronça le nez et les sourcils, jetant un coup d’œil noir à l’évier moisi. C’était la première fois qu’il rencontrait la scientifique. Il ne comprenait pas qu’elle soit l’idole d’Elsa : elle se tenait courbée, débraillée, égarée… Elle n’était que tristesse. Dans ses yeux miroitaient défaite et regrets, deux poissons se noyant une onde grise et terne.

— J’ai lu cela dans un de vos articles, fit simplement Elsa.

Oscar ferma les yeux. Retint son souffle jusqu’à ce qu’il devienne rance dans ses poumons. Il se demanda pourquoi il était là, pourquoi il restait. Il se demanda comment ils en étaient arrivés là, eux deux, enfants de l’Académie et des gratte-ciels de Volucité. Un silence irréel surnageait sur les odeurs et les souvenirs.

Et puis un gémissement fendit la roulotte en deux, une question rauque.

— Pourquoi êtes-vous venus ?


(… et les ruines)

Oryse et Elsa repartirent pour une, deux, trois, cent expéditions. Chaque matin, alors que les nuées rosissaient, elles descendaient les marches des vestiges et disparaissaient le jour durant. À chaque fois, le labyrinthe du château changeait, si bien que leurs efforts de la veille étaient vains. Elles ne trouvaient pas de fresques de Réshiram, juste des runes éparses et décousues.

— La mort des humains a été prédite… il y a dix mille ans, peut-être. La mort des humains a été prédite, et il y aura des dragons.

Le doigt squelettique d’Oryse s’arrêta sur la dernière rune des morts, effleurant à peine la gravure incrustée de poussière. À quelques pas de sa grande silhouette voutée, voilée d’obscurité, Elsa l’observait muettement.

— Les textes ne sont pas clairs… marmonna Oryse, une lueur fiévreuse habitant le coin de ses yeux. Nous n’arrivions pas à comprendre si la disparition des humains sera causée par les dragons ou non. Il y a des runes qui nous sommes inconnues. Il y a…

La commissure de ses lèvres se froissa. Elsa resta immobile, respirant doucement. Seul son souffle et les sables perturbaient le silence de l’adulte.

— Il y a tant de choses que nous ne comprenons pas ! murmura Oryse en un cri étranglé.

L’absence de Maëlle se dessina, en creux. Elle aurait peut-être recopié quelques runes sur son carnet. Elle aurait peut-être averti nerveusement Oryse que son index effleurait les runes de trop prêt. Elle lui aurait dit que la peinture des fresques allait s’émietter, s’effriter, comme l’émail de ses dents quand Anto les avait écrasées sous ses bottes militaires qui puaient la pisse. Que la mort des humains avait été prédite il y a dix mille ans, peut-être, et qu’il y aurait Anto. Il y aurait Anto.

Elsa respirait doucement. Ou ne respirait pas.

— Si la Team Plasma invoquait Réshiram avec le Galet… ! s’écria Oryse.
— Elle ne le fera pas, trancha Elsa. La Team est patiente… elle saura se tenir tranquille avant sa nouvelle frappe… c’est leur modus operandi.

Les explications de Mélis résonnaient en elle, échos déformés d’un autre temps.

— Le Galet n’est peut-être que la première étape de leur plan… ajouta l’adolescente.
— Alors nous sommes perdus, souffla Oryse, les yeux perdus dans le vague des ténèbres.

À la lueur de Munna, ses traits devenaient squelettiques. On aurait dit que la peau de ses joues allaient se rompre.

— Ne dites pas de bêtise—
— Notre monde tient en équilibre grâce au vol inlassable de Zekrom et Réshiram, qui se poursuivent autour des confins de notre dimension. Yin et yang.
— C’est ce que disent les contes pour enfants, grinça Elsa.
— C’est ce que disent les légendes Gijinka, rétorqua Oryse, ses yeux se fixant brusquement sur la grande brune. Et les runes disent encore qu’à chaque invocation des dieux, le rythme de leur vol est perturbé et le monde est déséquilibré.

Elsa lui offrit un sourire crispé.

— Les dragons ne sont-ils pas descendus sur terre à deux reprises, il y a quatre ans et huit ans… ?
— Et les catastrophes naturelles empirent depuis, murmura Oryse. Et la Team Plasma est revenue comme si elle n’avait jamais été défaite.

Le temps s’enraille et le passé se répète. Brusquement, Elsa se sentit suffoquer. Sa gorge se contracta. Les contours rectilignes du couloir lui parurent se déformer et se renfermer sur elle comme une prison, comme un sarcophage, comme son dernier tombeau—Le rythme lourd et fou de son cœur se suspendit.

Titubant, elle s’enfuit dans les ténèbres.

— Elsa !

Oryse s’élança à sa suite, tâtonnant avant que Munna ne la rattrape. La scientifique hésita devant un embranchement, puis remarqua une faible scintillement à gauche… Marchant doucement vers la lueur, elle finit par repérer la silhouette tassée de l’adolescente.

— Elsa… appela-t-elle, soulagée.

Mais la brune ne l’écoutait pas. Car devant elle, une gravure resplendissante de Réshiram rougeoyait dans le noir. Spectral, le dragon blanc couvrait toute la longueur du mur, des flammes se propageant depuis ses plumes ébouriffées, ses yeux d’un bleu électriques fixant les intrus.

Elsa inspira. Elle leva sa boussole. Elle oublia un instant les paroles d’Oryse et sa terreur. Nord.

— Oryse… souffla-t-elle, appelant l’adulte, la tirant des brouillards de son deuil, des fumées anciennes du château.

La scientifique détacha les yeux de sa protégée et remarqua la fresque pour la première fois. Elle poussa une exclamation fiévreuse. Elle se rua vers la gravure, leva une main, n’osant la toucher, reposa son membre tremblant sur la carte qu’elle tenait encore. Sous la faible lueur qu’émettait le bas-relief coloré, les traits des femmes se creusaient, s’animaient, flamboyaient. Leurs yeux se transformaient en brasiers jumeaux, consumés par le besoin de la découverte.

— Il faut que nous empruntions ce couloir, trancha Elsa, tirant l’adulte par la manche.
— Je—je… marmonna Oryse, emportée par ses pensées. Oui !

Ensemble, les deux se hâtèrent dans le passage, si promptes que Munna eut du mal à suivre, ralentissant seulement pour que Cryptéro prenne les devants et détecte les pièges fatals des ruines. Chaque seconde leur semblait s’écouler plus vite que la précédente, battant un tempo urgent contre leurs tempes. Leurs pieds martelaient le sable. Un nuage de poussière rapidement noirci par les ombres se soulevait sur leur passage.

À un tournant, elles faillirent se cogner la tête contre le plafond, qui s’était soudain abaissé. Oryse tomba immédiatement à genoux, habituée aux pièges du château, et avança à quatre pattes dans l’étroit conduit qui se révélait à elle. Elsa attendit son tour. Elle se faufila derrière l’adulte, ses articulations meurtries par les grains de sable qui constellaient la pierre des vestiges.

Devant elle, Oryse poussa un cri étouffé.

Relevant la tête, Elsa comprit toute de suite pourquoi son aînée s’émerveillait. Une faible lueur rouge baignait le conduit, plus forte que le halo diaphane de Munna, restée à l’arrière. Cette lumière ardente traçait les contours de la silhouette d’Oryse comme des langues de feu, et se reflétait dans les pupilles étrécies d’Elsa…

Elles avaient trouvé une autre fresque. Nord, Nord.

Devant elle, l’adulte plongeait ses doigts griffus dans le carnet de Maëlle, scarifiant page après page, des lignes entières de runes élégantes et leurs traductions hâtives englouties pour chaque feuille qu’elle labourait. Elle cherchait une suite possible du chemin. Mais la carte était confuse, difficile à lire dans la pénombre. Oryse se figea devant sa carte, dépassée.

— Continuons, ordonna Elsa, impatiente devant l’adulte pétrifiée. Allez-y, Oryse !

Le feu qui hantait ses entrailles depuis la catastrophe du Mont Foré léchait maintenant sa trachée, laissant un goût amer et acide dans sa bouche. Elle touchait au but. Le monde ne s’écroulerait pas. Réshiram et Zekrom continueraient à se poursuivre dans leur course inlassable. Elle avait enfin des preuves devant elle—elle allait pouvoir montrer qu’elle n’était pas folle, qu’elle n’était pas jalouse, qu’elle—Des accusations, des pleurs se répercutaient à l’arrière de son crâne encore et encore. Ses oreilles bourdonnaient. Et elle touchait au but. Réshiram et Zekrom. Zekrom et Réshiram.

— Allez-y ! siffla-t-elle d’une voix amère, acide qu’elle n’entendit pas. Avancez !

Elles reprirent leur route, rampant le plus vite possible. Comme si au bout du conduit étroit se trouvait la fin de leur cauchemar, des longues journées de deuil, d’attentes, de fouilles vaines et épuisantes. Elles s’avancèrent, serrant leurs dents, à la poursuite des dragons.

Mais quand elles émergèrent du boyaux poussiéreux, elles se retrouvèrent à l’entrée du château.

Et Elsa s’abandonna à son cœur lourd et fou, au feu de ses entrailles. Ça ne s’arrêterait jamais, comprit-elle. Elle n’arrêterait jamais d’échouer et de souffrir, le monde allait pourrir. Après tout, la fin de la race humaine avait été écrite, il y a dix-mille ans peut-être. Et il y aurait des dragons.


(Les yeux d’Elsa)

Chaque jour, Oryse et Elsa disparaissaient.

Oscar s’entraînait. Il vagabondait parmi les dunes dans ses habits de hippie troués, un tissu noué autour de la tête, se cachait sous une tente à midi et repartait au coucher de soleil pour faire combattre ses compagnons. Il ne voulait pas voir Elsa. Il ne voulait pas la voir. Elle le rendait malade.

Parce qu’il la revoyait, sur la pointe des pieds, le dos cambré, ses yeux levés vers le soleil. Il la revoyait, la petite fille qu’il avait rencontré à Pavonnay, celle qui lui avait bafouillé une promesse d’amitié sous le toit ancien du Ranch d’Amaillide, celle qui avait pleuré, lutté, celle qui lui avait ravalé un sanglot et qui lui avait soufflé : « viens ».

Il la revoyait chaque jour derrière ses paupières, mais il ne rencontrait que son double froid et cruel quand elle revenait du château. Elsa n’était plus là. Ou alors elle ne vivait que parmi les interstices de son nouveau masque. Chaque jour s’étirait sans fin, comme un cauchemar brûlant.

Il ne restait que des ruines.

Quand les femmes s’en allaient, il se faufilait dans la petite roulotte d’Oryse, ignorant les regards plus ou moins accusateurs d’Amaryllis et du Mushana de la scientifique. Il ne faisait rien de mal. Il souhaitait juste utiliser l’ordinateur de l’adulte, le seul engin à capter un tant soit peu de signal dans ce maudit désert, pour avoir des nouvelles de ses amis, de—de la Team Plasma.

Ce matin-là, il manqua de glisser sur une éponge qui avait été oubliée par terre à côté de l’évier… Amaryllis trouva d’ailleurs son dérapage contrôlé très drôle et émit un cri moqueur. Oscar lui darda un regard noir. La roulotte puait à cause de la vaisselle sale empilée, n’arrangeant rien à son humeur. Finalement, il tarda quelque peu à s’installer au bureau recouvert de feuilles. Pendant que le gros ordinateur scientifique démarrait, il s’en saisit d’une, à tout hasard…

« Le devin que le roi sacré avait consulté avait prédit que les peuples du désert auraient la victoire, à la seule condition qu’un prince de la famille royale s’offrit volontairement en sacrifice au Réel. Hétis, fils de Tarn, se tua devant les portes du château. »

Oscar grimaça. Sympa. À côté, sur un autre feuillet, on pouvait lire que « les Gijinkas mangeaient la cervelle de leurs ennemis pour s’en approprier la force ».

Oscar lâcha le papier comme s’il était brûlant, décidant de ne plus fouiller dans les notes d’Oryse et d’attendre bien sagement que l’ordinateur démarre. Il avait créé un nouveau compte, qu’il avait synchronisé avec sa Pokémontre pour recevoir ses appels et…

Soudain sa Pokémontre vibra et l’ordinateur sonna en concert, dérangeant les Pokémon de la roulotte et effrayant le dresseur. Qui pouvait donc bien vouloir l’appeler ? Il n’avait pas reçu de coup de fil depuis des semaines ! C’était—C’était—

— Oscar !

Le son éclata de l'ordinateur alors que l'image était encore brouillée, grise. Oscar fut transporté des mois en arrière. Il pensa à Volucité, aux embruns de la mer, aux effluves nauséabondes des égouts. Il sentit le passé le happer.

Puis le visage éreinté de Mélis apparut à l’écran. Le jeune adulte plissa ses yeux cernés avec suspicion, balayant l’adolescent de haut en bas et scrutant son expression.

— C’est bien toi Oscar non ? Je croyais que tu avais les cheveux longs.
— O-On s’est vus au Centre Pokémon de Port Yoneuve et au Mont Foré… bafouilla l’intéressé, blasé.
Un ange passa.
— Ah oui, marmonna Mélis.

Le silence se prolongea.

— Bon… au fait… souffla Oscar. Pourquoi vous m’appelez ?
— Oh, comme ça ! répliqua le dresseur avec un air faussement léger. Pour prendre des nouvelles !
— Vous ne vous rappeliez même plus qui j’étais.
— Mais si je me rappelais de toi, fit Mélis, badin.
— Hey mais vous me prenez pour une courge ou pas ?

Le sourire de l’adulte ne disparut pas, et Oscar dut conclure, blessé, qu’on le traitait effectivement comme du potimarron.

— J’ai essayé de contacter Elsa en premier, admit l’adulte. Même depuis l’autre bout du fil, sa voix semblait emprunte d’une émotion étrange, indéfinissable.

Oscar ne dit rien. Son visage ne témoigna aucune surprise, aucune douleur, et il croisa les bras. Devant cette façade froide, Mélis ne put que soupirer et se redresser, prenant un air plus grave. Derrière lui, Oscar remarqua plus la première fois une silhouette floue. La personne esquissa un mouvement qui chatouilla la mémoire de l’adolescent… Black… ?

— Oscar, Élineera a disparu.

Le brun fronça les sourcils et ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose, mais n’émit qu’un borborygme. Élin… Mais…

— … depuis combien de temps ?
Mélis détourna les yeux.
— Presque deux mois.

Il y eut une pause, le temps que l’information remonte au cerveau de l’ado, que ses yeux verdoyants s’embrasent de colère.

— QUOI ? cria Oscar, s’étouffant presque sur sa salive. Un pic de rage le traversa. Et vous ne m’appelez que MAINTENANT ?
— Nous l’avons cherché d’abord ! se justifia Mélis. Nous ne faisons que ça depuis deux mois !
Mais pourquoi vous ne nous avez pas prévenu ? C’est notre amie !
— Gamin, la Team Plasma peut être impliquée dans sa disparition. Vous ne pouvez pas vous frotter encore à ces gens, c’est trop dangereux. Nous sommes les seuls dresseurs assez forts pour nous en sortir sans risquer notre vie et celle de nos Pokémon.

Inconsciemment, Oscar porta une main à son nez cabossé. Des souvenirs fragmentés du Mont Foré émergèrent dans son esprit, se fichant dans sa conscience agitée comme de petites échardes douloureuses. Il revoyait les instruments de torture… et entendait Elsa s’enfuir derrière lui, ses gémissements couvrant les râles de Syd.

Il se souvenait d’Élin qui s’en allait avec Anto, les yeux écarquillés, le sourire trop crispé pour être crédible. Élin qui pestait contre les perruques des Plasma.

— Vous vous êtes dérangés pour rien, cracha-t-il à l’adresse de Mélis. Je ne l’ai pas vue. Mais je vous préviens… si vous croyez une seule seconde que je vais en rester là… vous vous trompez. Nous allons partir à sa recherche.

Oui. C’était décidé. Il fallait qu’Elsa et lui quittent ce désert maudit et qu’ils trouvent Élin. Il fallait qu’ils retrouvent Élin là où elle se terrait, effrayée, blessée, il fallait qu’ils la retrouvent parce qu’ils en étaient les seuls capables, parce qu’ils étaient ses amis.

Oscar raccrocha.

Il raccrocha avant que l’adulte ne puisse répondre, débrancha sa Pokémontre de l’ordinateur et resta là, parmi les mauvaises odeurs, dans la chaleur métallique de la roulotte, à attendre Elsa. Dehors, la chaleur était claire, sèche, retentissante. Au-delà les crêtes dorées des dunes, on devinait une immensité antique, fatiguée. Le ciel était vide. Rien ne semblait respirer ou vivre. Mais l’air se tordait sous la brûlure du soleil, déformant les nuées, creusant les fines lignes des dunes.

Et puis les ombres s’étalèrent sur le paysage, et le soleil rendit son dernier éclat, et les chants des Pokémon s’élevèrent plus haut que la chaleur. Le temps passa. Les secondes et les heures moururent. Deux silhouettes apparurent à l’horizon, et l’une d’entre elles s’écroula à côté de la cage des Mascaïmans, sans doute pour les distraire et les nourrir.

Seule Elsa continua vers la roulotte.

Et quand elle ouvrit la porte, le crépuscule se déversant autour de sa silhouette maigre, floutant les contours de ses boucles aériennes, le cœur d’Oscar se serra. Elsa était belle.

Il se leva, et elle sursauta, lâchant la carte qu’elle avait à la main—mais elle se reprit, la ramassa, la déposa sur le lit d’Oryse. Elle ferma la porte après que les Pokémon se soient échapper pour jouer dehors, jappant. Elle ne rencontrait pas son regard. Oscar ne comprit pas tout à fait pourquoi. Il réfléchissait déjà à la suite, à leur départ.

— Elsa, il faut qu’on s’en aille, annonça-t-il.

Il prononça ces mots avec fermeté. Les mots donnaient corps à la réalité. Il avait besoin de s’accrocher à quelque chose. Au cœur de sa poitrine il ressentait une certaine urgence, une vague panique.

— Elsa, Élin a disparu, poursuivit-il, sa voix prenant des accents un peu aigus. Il faut partir à sa recherche !

La brune serait d’accord avec lui. Un événement aussi grave que la disparition de leur amie lui ferait retrouver ses esprits, et elle renoncerait à sa colère destructrice. C’était l’occasion de la sortir de son tourbillon haineux. Une occasion inespérée. Une porte de sortie salvatrice. Oui, il fallait partir à la recherche d’Élin, il fallait qu’Elsa abandonne sa rage et sa douleur et qu’elle redevienne leur Elsa, celle qui riait et espérait—

Mais ne comprenait-elle donc pas ? Elle restait prostrée, son visage baissé, noyé dans les ombres, et elle ne levait pas ses yeux, ses yeux magnifiques, envoûtants, vers Oscar. Ne comprenait-elle donc pas qu’elle devait… qu’elle avait besoin de….

— Elsa. Elsa, Élin a disparu, répéta-t-il. Elsa, tu m’as entendu ?

Il voulait qu’elle le fixe avec ses yeux pâles comme la lune, qu’elle se tourne vers lui, qu’elle recoiffe ces boucles noires qui lui mangeaient les joues, il voulait que… il voulait que…

— Qu’est-ce qui se passe dans ta tête ?

Sans se rendre compte, il fit un pas vers elle et encore un autre. Ses grandes jambes eurent vite fait d’engloutir le plancher de la petite roulotte et il se retrouva devant elle, à sentir son odeur de sables, de nuit et de sueur. Ces effluves n’avaient rien de dégoûtantes sur son corps. Elles devenaient des parfums, subtiles fragrances, sur son corps.

Il porta une main à ses cheveux, recoiffant ses arabesques nocturnes.

— Dis-moi… dis-moi ce qui ne va pas… sa voix de brisa. Dis-moi ce qui se passe pour que tu te caches sous un masque, comme ça…

Sans oser repousser sa main, Elsa fit un tout petit pas en arrière. Elle buta contre la porte fermée. Pour la première voix, sa bouche remua, creusant le vide d’un tout petit murmure.

— Laisse-moi…

Oscar secoua de la tête, fermant les yeux puis les rouvrant et la fixa avec encore plus d’intensité. Il déplaça sa main, caressant le contour de sa mâchoire, attrapant son menton, tirant doucement pour qu’elle relève son visage. Elle se laissa faire, tremblante.

— Elsa… chuchota-t-il. Si tu ne te confies à personne, tu vas souffrir…

Ses yeux s’embuèrent, bleus et argentés, pâles comme la lune. Ses narines tremblaient légèrement, et pourtant il lui semblait qu’elle respirait à peine. Ou qu’elle ne respirait pas.

— S’il-te-plaît… laisse-moi…

Il la revoyait courir sur le Ferry. Sur la pointe des pieds, le dos cambré, les yeux levés vers le soleil. Éreintée, en larmes, ravalant un sanglot. Il l’entendait lui souffler « viens ». Il l’observait rire, aérienne. Il sentait son corps contre le sien, s’imaginait qu’à Port Yoneuve, il aurait pu tout lui dire, tout lui avouer, il aurait pu la sauver.

Il ne sentit pas la tête de la brune s’agiter pour échapper à sa prise, noyé sans sa peine, ses souvenirs, ses regrets.

— Moi je ne veux pas te voir souffrir, Elsa… souffla-t-il en approchant tout doucement ses lèvres vers les siennes.

Oscar hésita un instant, cherchant un trésor dans ses prunelles argentés.

— Je t’aime.

Il ferma les yeux.

— LAISSE-MOI !

Le front d’Elsa percuta son nez cabossé et il valsa en arrière, ses fesses s’écrasant sur le parquet crasseux de la roulotte, sa tête s’éclatant contre le coin du lit d’Oryse, et pendant un instant le monde s’obscurcit. Son cœur se brisa. Au loin, il entendit un cri horrifié, un sanglot. Il rouvrit les yeux, sonné.

Elsa gémit. Oscar, pétrifié, vit ses sourcils lutter contre une expression désespérée, se fronçant encore et encore pour ne pas s’échapper de leur pli. Retenant un cri sauvage, chaque muscle facial s'était étiré dans une direction différente, accentuant le manque de symétrie global et habituellement caché du visage d’Elsa. De profonds sillons et rides s'étaient formés dans le creux et joues et autour du menton et autour de son nez osseux ; ses prunelles brillantes étaient rentrées profondément dans leurs orbites. À présent ses fines lèvres étaient retroussées, roulées, dévoilant de larges dents blanches. Son expression était celle d'un homme, d'un tueur ou d'une bête.

Et puis elle porta sa main à ses bouche, et chercha la poignée de son autre membre, ses doigts griffus crissant contre le faux-bois. La roulotte s’ouvrit et ils virent que dehors, la lune rutilait comme un œuf de métal.

Oscar hurla de douleur.



(Les dragons)

Dans les rêves d’Elsa, le temps disparaissait et les jours s’étiraient à l’infini, scintillant sous un soleil rouge, boursouflé. Elle levait ses mains vers le ciel, offrant un petit garçon aux dieux, un petit garçon aux yeux verts et profonds, comme deux émeraudes. Dans les nuées psychédéliques, des demi-vérités nageaient comme des carpes.

Personne ne venait la chercher dans son désert de joyaux noirs. Les bègues ne chantaient pas. La lune se levait alors que le soleil souillait toujours les nuages de ses rayons ensanglantés. Elsa courbait ses pieds en une arabesque de souffrance. Elle n’avait plus rien à offrir aux dieux.

Le monde disparut.

D’un coup elle s’éveilla et se cogna la tête contre le toit de la roulotte. L’instant d’après, la Pokémontre d’Oryse se mit à sonner au maximum de sa puissance, déchirant le calme de la petite roulotte. L’adulte grommela et se tira du lit pour se préparer du café, jetant son regard noir et fatigué par la fenêtre.

Elsa l’observa muettement, se frottant la tête, incapable de bouger. Par-delà la vitre, la tente d’Oscar se teintait progressivement de rose. Elle la fixait, de plus en plus paniquée, les souvenirs de la veille se bousculant dans son esprit. Elle ne pouvait pas. Ce n’était pas le moment. Elle devait trouver la preuve que Syd était coupable avant que le monde s’effondre. Elle ne pouvait pas entendre les paroles d’Oscar maintenant.

Pourquoi lui avait-il fait ça ? Pourquoi avait-il fait ça maintenant ?
Quelque chose s’était brisé et les éclats de verre s’étaient répandus dans ses entrailles brûlantes.

— Allez, soupira Oryse quand elle eut finit sa troisième tasse de café. Prends ton repas. On y retourne.

À l’aube, le désert était encore sombre, froid, violet. Les bêtes et leurs langues de minuit s’agitaient sous la voûte céleste, où les étoiles disparaissaient peu à peu… Tout ce monde fragile, ancien, était en danger. Elsa ferma les yeux, frissonnant contre l’air nocturne, contre la panique qui l’engloutissait. Elle croisa les bras, ramena ses mains sur ses épaules. Non, non, non… Elle ne pouvait pas… ce n’était pas le moment… Un rire s’échappa de ses lèvres.

Et puis tout ne fut que silence.

Quand ses yeux s’embuèrent, Cryptéro déploya ses ailes de nuits. Il émit un grincement étrange, ébouriffa ses plumes, suivant un rythme étrange, ancien. Elle l’écouta, ses paupières tremblant, son esprit traçant les contours de son oiseau, son gardien, son walkie-talkie déglingué. Peut-être que la créature ne cherchait pas à la rassurer. Peut-être que Cryptéro ne ressentait aucune émotion. Mais en cet instant, le balancement léger de son vol apaisait la jeune fille comme la plus douce des berceuses.

Sa panique semblait loin. Ses entrailles se calmaient. Mais cette sérénité ne pouvait durer qu’un instant.

Le matin, dès l’aube, à l’heure où rosit le ciel, je pars dans le désert. Je sais qu’elle m’attend. Je vais parmi les dunes, je vais parmi les ruines. Je ne peux demeurer loin de son souvenir plus longtemps… Je marche les yeux fixés sur mes pensées, sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, seule, inconnue, la tête baissée, les yeux plissés, et les aurores sont pour moi comme la nuit. Je ne regarde ni l’or du jour qui monte, ni les nuages au loin chatouillant l’horizon, et quand je reviens, rouge de peine et de honte, je pleure encore son ultime trahison.

La voix rauque d’Oryse se tut. Elsa ne répondit pas tout de suite. Un instant, elle écouta le souffle lourd de l’adulte, plissant le nez contre l’odeur fétide de son haleine.

— Si nous ne trouvons pas la preuve de la culpabilité de Syd Redding-Park, souffla Oryse avec son haleine fétide, Maëlle sera désignée comme seule responsable et sa mémoire sera souillée à jamais. C’est une coupable toute désignée. Elle a déjà assassiné la famille Colay-Monthé sous les ordres d’Anto. Elle était terrifiée de lui.

Elsa sentit de la bile acide remonter jusque dans sa bouche.

— Je sais.

Elle ferma les yeux, ses sourcils froncés pour ne pas que des larmes s’échappent de ses yeux.

Elsa voulait retourner à des rêves. Elle voulait retourner à ses rêves, à ses cauchemars ! Dans les entrailles du château où la nuit jamais ne s’étiolerait ! Dans les passages sombres où murmurait du sable mort… dans ses rêves scintillants, où la grande prêtresse s’effritait sans un mot, drapée de sa toge immaculée comme d’un linceul blanc, seule parmi son désert de joyaux noirs.

Sans un mot de plus, l’adulte s’enfonça entre deux dunes, prenant le chemin des ruines, de la désolation. Elsa resta quelques secondes immobile, le souffle court. Et puis elle prit conscience de la présence de Cryptéro, de Cryptéro qui flottait toujours à ses côtés selon son rythme antique et incompréhensible. Le grincement monotone du gardien calma son cœur fou.

Il fallait qu’elle avance… Il fallait qu’elle en finisse.. elle n’en pouvait plus.

Devant la silhouette majestueuse du château ravagé, devant les colonnes anciennes qui jaillissaient des sables, les statues de Darumacho rutilant au soleil, les épaules d’Elsa s’affaissèrent. Ses entrailles se serrèrent autour de leur feu éteint. Et elle sut.

« Les bègues ne chantent pas. »

À nouveau, un ricanement bref s’échappa de ses lèvres. C’était le dernier jour. L’horizon se maculait de sang. Elle n’avait plus qu’à suivre Oryse. Elle ne ressentait plus rien.

Lentement, l’adolescente descendit les marches des ruines, observant avec une fascination morbide ses pieds s’enfoncer dans le sable.

Au premier tournant, elles se tournèrent vers le Nord, tenant leurs boussoles dorées sous la lueur de Munna pour se repérer.

Elles débouchèrent dans une immense salle noyée de sable. Le plafond s’était écroulé, ouvert comme une plaie béante au ciel froid des aurores. Et le sable du désert s’écoulait lentement par cette cassure par vagues sombres et menaçantes. Des nuages de poussière s’élevaient autour des cascades, pâles comme de la craie, tourbillonnant autour des pierres effondrées… « Nord » chuchota Elsa en se faufilant entre deux coulées de sables.

Est. Une salle vide, stérile, aux fresques à demi effacées par le temps. Mais l’une d’entre elles rutilait. Mais Réshiram rougeoyait encore, ses ailes griffues blessant presque le plafond. Un brasier féroce léchait sa silhouette d’or et de safran, se dissipant en runes abstraites... Devant le dieu était agenouillé un humain aux traits fins, sa chevelure aussi blanche que la fourrure de son maître. Ses prunelles sanguinolentes fixaient le vide…

Un passage vouté les mena au Sud… Il semblait s’étirer sans fin. Dans la noirceur opaque du conduit, il leur semblait difficile de respirer. Leur souffle se tarissait.

Et puis elles tournèrent à nouveau à l’Est.
Leur monde bascula.

De chaque côté de la salle s’élançaient d’épaisses colonnes gravées. Devant elles, des escaliers de marbre blanc, chaque marche reflétant la faible lueur de Munna. Ils s’étiraient jusqu’à dans les ténèbres, les dernières marches étant difficiles à distinguer… tout en haut patientait un autel nu.

— Arceus… gémit Oryse, tombant à genoux. Arceus miséricordieux…

Mais Elsa ne l’écoutait pas.
Il lui semblait se réveiller d’un long cauchemar.
Un instant, elle revit le désert.

Puis elle se rua désespérément vers le haut des marches, ne prenant pas gare aux pièges, à ses blessures, courant sans retenue vers le Galet.

Personne ne l’avait cru. Élin avait défendu Syd jusqu’au bout, Élin avait fait pleurer Elsa, Élin avait été dure et insensible. Mélis avait été dure et insensible. Il l’avait traitée de jalouse, de désespérée, de sans-ami. Tout cela Oscar ne pouvait pas le savoir ! Tout cela Oscar ne le savait pas, que tout le monde s’était liguée contre elle, qu’elle s’était retrouvée seule, toute seule, et que tout le monde avait vu sa souffrance et en riait !

Elle s’étrangla sur sa propre salive, dérapa, se releva, gravit encore dix marches.

Il ne pouvait pas savoir, il n’était—il n’était pas là, il était juste là quand il s’agissait de lui jeter des regards méchants, lourds de reproches—et de la toucher, elle ressentait encore sa main autour de sa mâchoire, la forçant à la lever la tête, et à le regarder, mais elle ne voulait pas qu’on la force, elle voulait qu’on la laisse seule, toute seule, et surtout qu’on arrête de la faire souffrir…

Elle s’écroula devant l’autel, ses mains cherchant, cherchant—

Elle toucha une pierre froide, lisse.
Un simple galet blanc.
L’esprit d’Elsa se vida, et elle réalisa qu’elle ne savait absolument pas si elle avait devant elle le véritable artefact ou un faux.



(What You Want)

La nuit était tombé sur le désert. Oscar errait dans l’immensité lunaire. Il se perdait parmi les dunes, il se perdait dans les ombres noires. Il avait l’impression de se traîner dans un champ de ruines et de cratères. Et partout il revoyait les yeux argentés d’Elsa.

À présent, il connaissait la sauvagerie qu’elle peinait à contenir. Il avait vu la laideur de son visage.

Chaque fois qu’il se l’imaginait, ce spectre difforme se superposerait sur ses traits délicats. Chaque fois qu’il fermait les yeux, son pas léger le hantait.

Il sentait encore son monde basculer.

Elle était là, sur la pointe des pieds, le dos cambré, fixant le soleil. Au loin il entendait son rire de cloches, de Korillon. Il lui semblait Elsa marchait juste à côté de lui, ses petits pieds s’enfonçant l’un après l’autre dans le sable.

Un jour, elle l’avait fixé avec trop d’émotions dans ses grands yeux. Ses yeux embués. Le sanglot hideux qu’il avait perçu.

Elsa était de chair et de sang, avec sa haine et sa douleur, avec ses ambitions et sa sauvagerie. Elle était étrange et belle et laide et il l’aimait. Il ne voulait pas voir d’autre souffrance que celle de son cri refoulé, il ne voulait pas d’autre poupée cassée que son corps maigre.

Il voulait l’embrasser, il voulait recommencer, il la supplier. Il y avait une belle façon de dire son amour, et s’il prononçait les bons mots au cœur de la nuit elle accepterait de l’écouter, elle accepterait tout.

Elle pouvait tout faire de lui. Elle pourrait le rejeter et le briser, le reprendre et le façonner, jouer avec lui comme un pantin, et il l’aimerait encore. Elle pouvait lui dicter les bons mots, elle pouvait le faire taire, elle pouvait le transformer en un tout petit rien.

Il serait l’ombre de sa main. L’ombre de son chien.

Oscar tomba à genoux dans le sable, ses membres cassant la crête pâle de la dune. Il leva les yeux vers le ciel, vers les étoiles, et se laissa basculer en arrière.


(There's no hope for the wicked)

Allô ?

Oryse se tenait à côté d’elle, ses lèvres serrées en plis dur.

Monsieur Redding-Park ?

L’aube se levait, le ciel rosissait. Les aurores lavaient les colonnes des ruines.

Otis Redding-Park ?

Tutafeh la fixait de son regard larmoyant, portant un masque.

Je suis Elsa Hirata, une des deux filles qui participaient au V.I.E. de Madame Lenoir. J’ai voyagé avec votre petit-frère.

Dans la roulotte, des souvenirs amers surnageaient sur les mauvaises odeurs.

Votre petit-frère est un agent de la Team Plasma.

Quelque part dans le désert, une conflagration.

Votre petit-frère est un agent de la Team Plasma.

Le soleil était hideux, boursouflé, et souillait le ciel de ses rayons sanglants.

Votre petit-frère est un agent de la Team Plasma.

Combien de fois allait-elle devoir se répéter ?

Vous ne me croyez pas ?

Personne ne l’avait cru.

Si vous le connaissez, vous devez savoir qu’il vous aime beaucoup.

Il fallait bien qu’il aime quelqu’un, ce salaud.

Vous devez savoir qu’il vous aime plus que tout au monde.

Par-delà la vitre, Oscar tirait sur les piquets de sa tente, laissait l’échafaudage s’écrouler, repliait le tissu rêche.

Cet amour anormal l’a mené à trahir.

Quel animal.

Par amour, il a volé un artefact ancien, un artefact lié à Réshiram. Par amour encore, il a livré cet objet sacré directement à la Team, dans leur repaire…

Elle le revoyait, sur la table d’opération de Nikolaï, pétrifié.

Il a marchandé votre guérison en échange de son service.

C’était évident. C’était évident mais elle avait été la seule à vouloir comprendre.

Malheureusement pour lui, il a laissé des traces évidentes sur son passage. Et la scientifique Oryse est sur ses traces.

Par-delà la vitre, Oscar se redressa.

C’est vous, la raison de son enrôlement dans la Team Plasma.

Oscar la fixa, ses yeux brûlant de rancœur et d'amour et de douleur.