Ch. 3 : Guerre à l'horizon
Des millénaires plus tard, on compte encore leur histoire à travers Mithrandir. Les Thani sont ainsi connus comme une famille tant louée que controversée, et leur fanion est teinté de pourpre.
L’empire, de H’Ron à Thani, IV, 3
Le vent s’est calmé depuis quelques heures déjà, et sous le ciel orange le sable est piétiné par endroits, soulevé par d’autres. Une troupe marche. Une trentaine d’hommes, exactement. Ils avancent vers l’est, tous vêtus de tissus dissimulant une armure noirâtre et sale. Un seul est vêtu différemment, n’ayant pas de protection. Il mène la marche et tient un long fusil. Ysan.
Seul le bruit des pas résonne dans la plaine sableuse. Aucun vaisseau à l’horizon, aucune vie Pokémon aux alentours. Pourtant, on peut discerner au loin d’imposantes constructions sombres. Les ruines de Cadmus. Déjà, des morceaux d’acier noir émergent du sol, tels des récifs dans une mer plate.
Sur la ceinture d’Ysan, en plus de la Pokéball est accrochée une petite boîte de munitions. Là encore, elles sont remplies de nebulae. La balle et la douille sont en fer. Un fer de piètre qualité, que l’on extrait en quantité astronomique. Derrière lui, ses soldats sont tantôt armés de lances, tantôt d’armes à feu. De petits fusils automatiques, où l’emblème impérial a été sauvagement rayé.
Il n’existe pas de producteurs d’armes sur Carinae. C’est bien trop coûteux et complexe à faire. La planète regorge cependant de receleurs en tout genre, le marché noir vit de beaux jours. Les meilleures sont fabriquées par l’empire, les autres sur Triton. Dans la gigantesque Sooma, les petits producteurs se cachent sans difficulté. Mais c’est une marchandise illégale, et au vu de l’importante sécurité sur Baxu Tronii, de nombreuses caisses sont saisies chaque jour par l’empire ainsi que par l’ACM, puisque la CMOP tient à la sécurité de ses échanges.
— Dispersez-vous, ordonna Ysan.
Les soldats s’écartent, s’éparpillant autour de la zone. Le chef de troupe continue d’avancer droit devant, vers le plus imposant des bâtiments. C’est là que se trouvent les Alfheids. Comme les Yukon, ils proviennent du Consortium, mais représentent tout l’opposé de ceux-ci au niveau idéologique. Le trafic est un crime, pour les Alfheids. Un crime dont ils veulent punir les auteurs.
Ainsi dès lors que la généralisation du trafic vivant s’organisa autour des Yukon, ils apparurent et se mirent en tête de leur faire la guerre. Ils sont donc plus proches de l’empire, bien que non reconnus par celui-ci. Objectivement, les Alfheids sont économiquement et militairement moins puissants que les Yukon, mais leur manière de combattre les rend dangereux.
Ysan s’accroupit derrière un pan de métal. Sur le matériau sombre, ses vêtements lui permettent de se fondre dans le décor. Un atout dans cette situation. Il prend son fusil et tire un cran vers lui. Une douille est éjectée. Il reste alors immobile, attendant. Dix secondes, vingt secondes, trente secondes, le vent commence à se lever. Puis un bruit d’explosion, et le métal composant la plus grosse construction éclate, éparpillant de petits morceaux noirs dans le sable.
Le voyageur Yukon se relève et cale son fusil contre son épaule. Le viseur est composé d’une lunette en verre ainsi que d’une mire, à l’extrémité du canon. Il dirige son regard vers un petit point lumineux masqué par la poussière. Une diode rouge, qui tel un phare lui indique le bon chemin. Il tire. Une seconde explosion retentit alors, ébranlant toute la structure dont les pans se décrochent. Surviennent alors des coups de feu, au milieu de la fumée des flash lumineux indiquent la provenance des tirs.
Au milieu du vacarme des armes, des voix. Des éclats de voix, plutôt. Ysan tire une nouvelle fois sur le cran de son arme, et une douille en sort encore, s’échouant sur le sable à ses pieds. Il sait que ses hommes sont cachés tout autour de la zone, de la même manière que lui, mais impossible de savoir quel est leur état. Les coups de feu continuent, maintenant le bruit se veut plus dispersé.
Fouillant dans son manteau, il en extirpe une petite paire de jumelles holographiques salies. Le genre permettant justement de voir à travers certaines surfaces. Regardant au travers, il balaye la zone de combat. Son outil n’est pas de la meilleure qualité, mais il peut tout de même observer à travers quelques murs de la construction. Ce qu’il en reste s’élève sur une trentaine de mètres de haut, pour une vingtaine de large. Aucun ennemi en vue, ils ont dû se cacher efficacement. Les Alfheids ne sont pas des débutants, ils savent tirer parti de chaque avantage à leur disposition, et se battent sur leur territoire. Tout va dans leur sens.
Malgré tout, il aperçoit leurs vaisseaux volés. Ils sont loin, hors du danger. L’un est effectivement bien endommagé, comme les pièces constituant sa coque jonchent le sol. Son réservoir à carburant est à moitié extrait, signe que l’arrivée des Yukon a interrompu leur projet. Medelron avait raison, songe-t-il, ils étaient intéressés par le nebulae. L’autre machine semble cependant en bon état. C’est aussi bien, ils ne partiront ainsi pas les bras ballants.
Maintenant, le seul problème est qu’il n’a aucun moyen de se battre. De là où il est, aucun ennemi n’est à sa portée. Aussi il ne peut utiliser son Pokémon, ce serait trop risqué. Sots sont les dresseurs à tout baser sur leur créature. Enfin, Ysan pense ainsi mais les dresseurs sont rares. Sur Carinae on n’en voit presque jamais, peu sont assez forts pour protéger leur Pokémon. Sur Mira et Oberon, c’est beaucoup plus fréquent, comme c’est dans cette partie du système qu’ils sont formés.
Tant pis, il ne lui reste qu’une seule solution. Prenant bien son arme en main, il inspire, et court. Il court jusqu’au cœur des ruines, sentant les balles siffler autour de lui. L’air empeste la poudre de nebulae, une odeur très acre qui pique le nez. Cinq mètres le séparent désormais du premier mur, il se jette au sol et glisse jusque-là. Il longe la paroi jusqu’à une ouverture, crée par la première explosion. Des fils pendent, laissant s’échapper des étincelles. Un couloir s’offre à Ysan, dont l’éclairage est assuré par des néons en fin de vie.
Il avance prudemment, des voix résonnent au loin. Difficile de se repérer cependant, au vu de la poussière régnant dans la bâtisse. Des mètres plus loin, il sort un petit boitier métallique d’une de ses poches et le colle contre un mur. Une lumière clignotante rouge s’allume alors. Un explosif. Ysan rebrousse aussitôt chemin, et quelques secondes plus tard il est dehors. Il court se réfugier derrière un petit abri, au même instant une explosion retentit. La déflagration circule dans les couloirs et à l’endroit où il était entré des flammes s’échappent.
Une partie de la construction s’affaisse et des morceaux s’écrasent avec fracas. Des cris, aussi. Les tirs provenant des ruines s’arrêtent. Le chef fait un signe et tous les soldats s’engouffrent dans le bâtiment sombre. Là, le véritable combat s’engage. A chaque coin, les Alfheids attendent en embuscade. Equipés de couteaux de combat, ils perforent, décapitent, cisaillent… Le sang coule à flot.
Face à eux les Yukon tirent par rafales, entre le bruit, les étincelles, et le pourpre qui teinte les murs. Lorsqu’un Alfheid se retrouve coincé dans une impasse, son corps est retrouvé criblé de la tête aux pieds, gisant telle une immonde masse de chair. Mais ceux-ci sont à l’aise avec leur environnement, ils savent s’y repérer. Ils n’ont aucune difficulté à prendre leurs adversaires en tenaille, les faire tomber dans des pièges… Aucun remord à briser le sol de leur base pour y faire chuter des Yukon, tombant Arceus sait où avant de mourir.
Les Yukon prennent l’avantage, le nombre d’ennemis diminue. La victoire est à nous, songe Ysan. Alors qu’il réfléchit à la suite du combat, il se sent chaud. La chaleur monte. Très vite. Au loin, il l’entend l’écho de cris. Il s’attend au pire. Puis le pire arrive. Dix mètres devant lui, un torrent de flammes surgit d’un angle, dévorant tout sur son passage. Face à lui, l’un de ses soldats est pris au piège, tentant de s’enfuir.
Son sang ne fait qu’un tour, il tourne les talons et court à rebrousse chemin. Dans sa tête, toutes les possibilités défilent. Pourtant, une seule lui semble cohérente. Un eneru. Son rang doit être élevé, pour parvenir à lancer de telles attaques. Ysan sort de la bâtisse, il se jette au sol. Dans son dos, les flammes s’élèvent dans l’air. Traînant dans le sable il se jette derrière le premier abri venu.
Là, il attend. Il attend ses soldats. Une minute. Deux minutes. De moins en moins de cris, de moins en moins de tirs. Ainsi, sûrement de moins en moins d’hommes. Mais il n’en a pas la certitude. Hésitant, il se saisit de son fusil. Le chargeur a encore des balles. Il tire le cran, une douille déformée s’échappe du canon, tombe au sol. Il le met en joue. Son souffle est coupé, son regard dirigé vers les vaisseaux Yukon.
A vrai dire, il a le choix. Tenter de s’envoler avec le vaisseau restant, au risque d’en laisser un aux Alfheids, quitte à ne pas rentrer les mains vides. Mais, non… Le baron Medelron, chef des Yukon, lui a donné une tâche : tuer tous les Alfheids. Il ne peut y manquer. Alors c’est son canon qu’il dirige vers les vaisseaux. Vers le réservoir à nebulae, pour être exact. Une quarantaine de mètres séparent le tireur de sa cible. Assez pour ne pas mourir explosé.
Finalement, il tire. La balle fend l’air dans un sifflement léger, puis vient se loger dans le cube de métal. Immédiatement, Ysan se cache derrière le récif métallique le protégeant. Une étincelle, puis un énorme flash lumineux. L’instant d’après, une puissante explosion noirâtre pulvérise la zone, emportant avec elle tant les deux vaisseaux que les ruines de Cadmus. Tout est soufflé, des fragments d’acier tombent du ciel pour se planter dans le sable. A l’intérieur, personne ne put s’y attendre, comme l’attestent les quelques morceaux de corps volant au gré du vent.
Au lieu de l’explosion, un champignon de fumée toxique noire s’élève désormais dans le ciel. De là où il se trouve, Ysan peut sentir l’ignoble odeur qui s’en échappe. Si la déflagration avait par miracle fait un survivant, celui-ci serait aussitôt mort asphyxié par le nebulae. Mais un instant plus tard, une deuxième explosion retentit, plus forte que la première. C’était le vaisseau intact, dont les morceaux s’envolent avec beauté. Les ruines sont totalement soufflées, il ne reste qu’un ou deux pans de murs et des gravats. Du métal fondu, beaucoup.
L’homme reste longtemps adossé contre le morceau de ferraille noir. Ses oreilles sifflent légèrement, mais à part ça il n’entend plus un bruit. Plus une voix, plus un coup de feu. Enfin si, il entend quelque chose. Il se retourne et aperçoit une masse se traîner dans le sable. C’est sûrement le eneru de tout à l’heure. Un mélange entre un homme et un Limagma : des yeux d’humains jaunes, et une peau rouge toute fripée. Enfin, ses cheveux sont tels les « flammes » sur la tête d’un Limagma. La créature rampe, il ne lui reste que ses bras. Le bas du corps a disparu.
Ysan fronce les sourcils et tire le cran de son arme semi-automatique. Se redressant, il vise l’eneru. Ce dernier l’aperçoit, et le fixant du regard s’arrête de bouger. Le coup de feu part, sa tête explose. Le Yukon reste debout, observant vaguement la scène devant lui. Les Alfheids sont morts, mais ses soldats aussi. Il le sait, la situation est critique désormais. Sans prendre le temps d’épousseter son manteau sali, il fait volte-face et s’écarte de la zone de combat.
Quelques mètres plus loin, il décroche la Pokéball pendant à sa ceinture et la pointant devant lui, elle s’ouvre pour laisser apparaître un Airmure. Ysan s’approche et pose une main sur son flanc.
— Ramène-moi chez Medelron, lui murmure-t-il.
Se hissant sur le dos de la créature, celle-ci prend son envol et parcourt les airs en direction de l’ouest. Il vaut mieux qu’ils ne croisent pas de vaisseau du Consortium ou de la Ligue, ceux-ci n’auraient aucun souci à tenter de lui subtiliser. C’est ainsi que l’on procède pour obtenir des esclaves Pokémon, on les vole. Il sait qu’il court un risque à sortir ainsi sa bestiole, mais il n’a pas le temps de marcher des heures. Le temps presse, une guerre risque d’éclater.
Une demi-heure plus tard, il est enfin de retour sur le territoire des Yukon, et son Airmure le pose au pied de la haute tour noire. Le pointant de sa Pokéball, un rayon rouge s’en échappe et le rappelle à l’intérieur. Aussitôt, il range l’objet sphérique. Pressé, il franchit d’un pas rapide la première salle où vit la débauche de Carinae. C’est le même spectacle que plus tôt, il n’y accorde pas d’importance. Toujours la même odeur, aussi. Une odeur pestilentielle.
Le baron l’attend en bas, derrière la grande table ronde. Voyant l’air dépité d’Ysan, l’eneru fronce les sourcils. L’homme ôte son manteau, pose son fusil, et se laisse tomber sur une chaise face à Medelron.
— Fais-moi ton rapport, grommelle-t-il.
— Nos hommes sont morts et les vaisseaux ont été détruits, mais il ne reste plus aucun Alfheids en vie.
Un silence suit ses paroles. L’un comme l’autre reste immobile, les yeux rivés sur le bois de la table.
— L’un d’eux était un eneru, poursuit Ysan. Un croisement avec un Limagma. J’ai pu l’éliminer mais il a causé de sérieuses pertes.
Medelron souffle bruyamment puis relève les yeux vers son subordonné.
— Ta mission a été complétée, c’est le principal. Je devine en te connaissant le déroulement du combat et pourquoi les vaisseaux sont détruits. Nous n’avons donc pas assez réfléchi à notre attaque.
— Où allons-nous trouver de nouveaux hommes ? Ҫa reste une perte conséquente.
— Dans les bidonvilles, je suppose. Il va falloir acheter de nouveaux esclaves et les former. Ysan, tu es l’un de mes meilleurs officiers, j’aimerais que tu te charges de ça. Les entraîner pour en faire des soldats efficaces. Quant aux vaisseaux…
Il laisse sa phrase en suspens, les yeux dans le vague. Sa lourde tête prune semble réfléchir ardemment. Ysan extirpe une cigarette de son paquet, puis range celui-ci. Son état est hésitant, il garde son calme mais sait la situation critique.
— Il va falloir en voler, dit-il entre deux bouffées.
Medelron relève les yeux vers lui, l’intimant de continuer.
— Les Alfheids vont chercher les représailles, voire même une véritable guerre ouverte. Si nous ne sommes pas préparés en conséquence, j’ai peur qu’ils nous écrasent. Cette idée ne me plaît guère, mais nous allons devoir subtiliser des vaisseaux à l’empire ou à la CMOP. J’espère que le Consortium sera en mesure de nous couvrir si nous sommes découverts.
L’autre secoue frénétiquement la tête. Son regard passe sur la table à la recherche de billets à compter. Rien. Il devient davantage anxieux. Pourtant, il sait à ce moment conserver son sang-froid et garde la tête haute.
— Trop risqué. Le Consortium sue sang et eau pour que le trafic Yukon soit invisible. J’ai peur que si nous exposions un flanc supplémentaire, ils y verraient une ouverture. Non, nous allons plutôt faire le tour des décharges. Avec l’aide de nos mécanos, on devrait pouvoir refaire voler quelques vieilles épaves.
Ysan acquiesce, sa cigarette à la bouche. Un filet de fumée noire s’en échappe à la verticale. La même fumée qui se dégageait de l’explosion du réservoir, quelques minutes plus tôt. Il semble peu convaincu par l’idée, et son chef le remarque. Il le fixe longuement, attendant que l’homme aux cheveux blancs parle.
— Vous voulez dire que nous devons baser nos affaires ainsi que notre défense sur des tas de ferraille ? Même avec un grand nombre ce serait un puits à nebulae, et au vu de notre position on ne peut pas se permettre beaucoup d’investissements. L’argent se fait rare, ce n’est pas une idée viable. Même si nous sommes mieux placés que les Alfheids, notre supériorité n’est pas assez grande…
Medelron expire longuement et bruyamment, attirant l’œil de l’autre. Il se lève et pose ses mains sur la table de bois. Deux énormes paluches roses constituées de quatre doigts au bout desquels surgissent des griffes. Ysan lève la tête pour observer son regard. Il est clairement déterminé.
— Tu évoques le problème principal. Il nous faut plus d’argent. Je pense que je vais devoir demander au Consortium l’élargissement de notre activité.
— C’est-à-dire ?
— C’est-à-dire que désormais, le Yukon devra se gérer de lui-même.