Chapitre 32 : L'ami et le Phénix
27 ans plus tôt…
Le jeune Stuon Jarminal, G-Man de dix-huit ans, se tenait dans l’un des coins les moins fréquentés du Quartier G-Man pour s’entraîner. Normalement, il n’aurait pas eu à se cacher ainsi, mais pour un noble G-Man d’aujourd’hui, s’entraîner, que ce soit à la Lamétrice ou à l’utilisation de ses pouvoirs, était assez mal vu. Ça rappelait l’époque d’avant la Guerre de Renaissance, quand les G-Man étaient d’une culture plus guerrière et au service des peuples. Les G-Man d’aujourd’hui n’avaient nul besoin de s’entraîner au combat. Ils se contentaient de vivre dans la plus grande oisiveté, sans rien faire à part s’amuser. C’était là la récompense du Seigneur Xanthos, pour l’aide décisive que leurs ancêtres lui avaient apporté lors de la Guerre de Renaissance.
Même si les G-Man étaient férus de généalogie, Stuon ignorait totalement le nom de son ancêtre G-Man à cette époque. Mais il avait dans l’idée que cet ancêtre n’aurait pas été mécontent que son descendant entretienne son corps et son Aura. Les G-Man d’antan se retourneraient dans leur tombe s’ils voyaient ce que l’Ordre était devenu aujourd’hui. C’était du moins ce que ne cessait de déclamer Lord Kashmel. Malgré son statut d’héritier du Grand Maître, il faisait fi de son image et s’entraînait souvent au grand jour. Stuon, qui admirait l’aîné des Irlesquo, avait donc fait comme lui. Mais quand il n’était pas avec Kashmel, Stuon s’entraînait caché. Si les G-Man n’osaient rien dire à Kashmel Irlesquo, ils ne se priveraient pas de le faire pour Stuon.
Il fallait dire que le jeune homme n’était pas très apprécié de ses pairs. Sa famille était de faible importance, et surtout, Stuon était trop… éloigné de ce qui caractérisait un bon G-Man. Un bon G-Man se devait d’être digne, sérieux et protocolaire. Stuon, lui, était un petit plaisantin, aimant faire du bruit et draguer les filles, et surtout totalement allergique au lourd protocole de la noblesse. Pour ne rien arranger, il était G-Man de Queulorior, un Pokemon considéré comme extrêmement faible. Sa seule qualité était d’être ami avec Kashmel Irlesquo, ce qui lui valait une diminution des piques des autres G-Man quand il était avec lui.
C’était pour cela que Stuon s’entraînait toujours avec Kashmel quand il le pouvait. Mais dernièrement, Kashmel n’avait plus trop la tête à ça. Il était plongé dans une félicité éternelle depuis que son père, le Grand Maître Gredon, avait passé alliance avec Lord Bafrild Therno. Les deux familles avaient prévu de marier la belle Sareim avec Kashmel dès que celui-ci hériterai du titre de Grand Maître. Donc, Kashmel et Sareim étaient officiellement fiancés maintenant, et pouvaient donc se fréquenter en toute quiétude. Ce n’en était que mieux ; Stuon en avait assez de devoir toujours faire le guet tandis que les deux tourtereaux passaient un peu de temps ensemble.
D’un autre côté maintenant, ils avaient un peu tendance à rester entre eux et à laisser Stuon de côté. Le jeune homme le comprenait bien, et ne leur en voulait pas. Ils étaient ses deux seuls amis, après tout. Et Stuon le rendait bien à Kashmel en étant probablement son seul ami qui l’était véritablement, et pas parce que Kashmel était le prochain Grand Maître. Tous ces cireurs de pompes qu’il avait à ses côtés… c’était impressionnant ! Kashmel se forçait à se montrer amical envers eux, parce qu’il allait devoir composer avec eux quand il gouvernera l’Ordre. Mais au fond de lui, il les méprisait quasiment tous.
Stuon était en train d’essayer de contrôler l’attaque Prescience, qu’il avait récemment « gribouillée » à Lord Inuit Psuhyox, G-Man de Gouroutan. Évidement, c’était grâce à Kashmel qu’Inuit avait accepté. Dans la catégorie « connard arrogant et pompeux », le fils Psuhyox était très bien placé, et il n’aurait jamais toléré qu’un G-Man de seconde zone comme Stuon lui « vole » une de ses attaques. Mais comme Kashmel le lui avait aimablement demandé, Inuit n’avait pas pu refuser.
Stuon était en train de se constituer une belle collection d’attaques de Pokemon grâce à Gribouille, la seule attaque que pouvait apprendre un Queulorior. Le jeune homme avait décidé de faire de sa faiblesse une force. Queulorior était certes très faible, mais il pouvait de fait utiliser n’importe quelle attaque après l’avoir «gribouillée». Évidement, c’était la théorie. La pratique était un peu plus délicate. Stuon pouvait gribouiller tout ce qu’il voulait, il fallait ensuite qu’il s’approprie l’attaque et qu’il arrive à l’utiliser. Prescience était particulièrement compliquée. N’ayant pas d’ADN de Pokemon Psy en lui, Stuon galérait beaucoup. Mais il n’allait pas abandonner. Il avait déjà maîtrisé plusieurs attaques psy grâce à Sareim.
Faisant de grands gestes inutiles avec sa Lamétrice pour se donner l’air impressionnant (alors que personne ne le regardait), Stuon fit le vide dans son esprit et utilisa tous ses neurones pour lancer l’attaque. Il resta longtemps ainsi, les yeux fermés, les poings serrés, utilisant toute la force de son esprit. Mais l’attaque n’arriva jamais. C’était certes une attaque venue du futur, mais si au bout de cinq minutes elle n’était toujours pas là, c’était que Stuon avait échoué.
- On dirait que t’es en train de te retenir de chier, rigola une voix grave plus loin.
Rengaina sa Lamétrice, Stuon se tourna avec un sourire vers Kashmel qui arrivait.
- Lord Kashmel… Comment m’avez-vous trouvé ? C’est ma planque secrète pour m’entraîner à l’abri des regards, ici.
- L’Aura, tu connais ?
- C’est super-impoli de pister des G-Man avec l’Aura ! S’indigna Stuon.
- C’est moi qui déciderai bientôt de ce qui est poli ou non, fit l’héritier Irlesquo, l’air de rien. Alors, qu’est-ce que tu faisais ?
- L’attaque Préscience de Lord Inuit… C’est méga-galère à utiliser !
- Ah. Je peux pas t’aider sur ce point là mon vieux. J’ai pas un seul pouvoir psy en moi. Et Sareim ne maîtrise pas cette attaque. Comme je doute qu’Inuit ne veuille bien te donner des cours, faudra te débrouiller par toi-même.
- C’est ce que je fais toujours. J’ai d’ailleurs parfaitement maîtrisé votre Lame Sainte depuis deux semaines.
- Parfaitement maîtrisée hein ? Ricana Kashmel. Petit con arrogant va. Tu pourrais passer cent ans à t’entraîner dessus, jamais tu ne la maîtriseras comme moi. Tu n’es qu’un copieur, Stuon. Ton atout est de pouvoir utiliser autant d’attaques que tu le veux, mais elles resteront des copies, toujours inférieures aux originales. Et nos capacités se ne limitent pas à lancer des attaques déjà préconçues. Nous pouvons faire bien plus, nous G-Man. Nous pouvons en inventer nous-mêmes.
Alors, Kashmel fit une démonstration devant Stuon. Il frappa du poing contre le sol de béton et de dalles, et aussitôt, ce dernier commença à se fissurer. Divers morceaux du sol se mirent à léviter et à entourer Kashmel. De plus en plus nombreux, et de plus en plus loin. Stuon regardé, ébahi, son ami se revêtir d’une armure intégrale de roche, avec un casque à cornes, dont l’allure générale ressemblait au légendaire Pokemon Terrakium.
- La vache ! S’exclama Stuon. Trop fort ! Il en jette un max, votre déguisement. Il est même super flippant !
- Voilà l’exemple d’une attaque inventée, dit Kashmel, la voix étouffée et sombre derrière son casque. Je l’ai nommée Créarmure. Je peux attirer toute matière minérale à moi à des mètres à la ronde, et la reforger à ma guise pour qu’elle englobe mon corps entier. Je ne sais pas jusqu’où je peux aller, mais si je le voulais, cette armure pourrait être encore plus grande et épaisse. Mais je préfère ne pas essayer, sauf si un jour j’envisage de refaire toute la déco du Quartier G-Man. Ah, et inutile de préciser que pas grand-chose peut venir à bout de cette armure. Et je peux faire pareil avec une arme. Regarde.
Il leva sa Lamétrice, et ce fut elle qui fut peu à peu recouverte de gravats et de roche jusqu’à faire la taille de l’armure. Si cette démonstration impressionna Stuon, il fut une nouvelle fois dépité devant le gouffre entre lui et Kashmel. L’héritier Irlesquo était véritablement un génie, un G-Man comme l’Ordre n’en avait plus eu depuis des siècles. Stuon avait beau s’entraîner comme un malade, gribouiller toutes les attaques qu’il voulait, il ne lui arriverait jamais à la cheville. Son air mélancolique dut se voir, car Kashmel défit son armure intégrale et lui tapota l’épaule.
- Te fais pas de bile, mon gars. T’es déjà bien plus puissant que la majorité des abrutis qui peuplent notre Ordre. Un type comme Inuit a beau posséder une large gamme d’attaques psy, ça ne lui sert à rien vu qu’il ne s’entraîne jamais. J’allais faire la causette avec Furaïjin aujourd’hui. Tu veux venir ?
Cela faisait trois ans que Kashmel, Sareim et Stuon avaient trouvé la pièce secrète dans les souterrains du manoir Irlesquo, et le mystérieux Pokemon qui y était endormi depuis des siècles. Ils avaient décidé de garder ça pour eux, et ils avaient bien fait, vu ce que Furaïjin leur avait raconté sur son identité véritable. Kashmel avait fini en quelque sorte par l’adopter, à moins que ce ne soit l’inverse. Néanmoins, Furaïjin ne quittait jamais les vastes souterrains du manoir. Il serait trop dangereux qu’un G-Man le repère, pour lui comme pour Kashmel. Et Furaïjin avait ses raisons de ne pas attirer l’attention des Seigneurs Protecteurs sur lui.
***
Bradavan, le frère cadet de Kashmel, vit son aîné rentrer au manoir, accompagné de cet avorton insolant de Stuon Jarminal. Tous les deux étaient en train de parler et de rire à grands bruits, et cette seule vision rendait Bradavan malade. Il fut un temps - lointain - où lui-même avait admiré son grand-frère, comme tout le monde au Quartier G-Man. Mais plus le temps passait, plus Kashmel devenait encore plus incroyable, et plus l’admiration de Bradavan s’est changée en rancœur et en jalousie. Il n’y en avait toujours que pour lui. Il possédait tout : la force, le physique, la sagesse, l’ADN d’un Pokemon Légendaires, des admirateurs à n’en plus finir, l’amour béant de leurs parents, et surtout, la plus belle G-Man de la Citadelle, qui était pétrie d’adoration pour lui.
Bradavan aimait Sareim Therno depuis sa toute petite enfance. Kashmel, lui, avait seulement commencé à lorgner vers elle à ses vingt ans. Et malgré tout ce qu’avait pu faire Bradavan, toutes ses attentions et ses tentatives, Sareim n’avait que Kashmel en tête. Ils avaient fini par se fiancer récemment, avec l’accord de leur deux familles, ainsi que leur plus grand bonheur. Existait-il plus flagrante injustice ? Bradavan était-il condamné à demeurer dans l’ombre de son frère génial, qui allait hériter de tout ? N’y tenant plus, il quitta sa chambre pour sortir, et quand il fut sûr d’être hors de vue de quiconque, il hurla à n’en plus finir en donnant des coups de poings contre un mur.
- Je le hais ! Je le hais ! JE LE HAIS ! Hurla-t-il.
Si seulement… Si seulement Kashmel pouvait disparaître ! Ce serait alors Bradavan qui deviendrait l’héritier Irlesquo, le futur Grand Maître, et probablement le mari de Sareim Therno. Si seulement…
- Si seulement…
Bradavan cessa de taper le mur, se demandant s’il avait parlé à voix haute sans s’en rendre compte. Mais non, cette voix suave n’était pas la sienne. Le jeune G-Man se retourna, furieux que quelqu’un l’ait vu. Et plus que furieux, il fut surpris en regardant le jeune humain devant lui, qu’il ne connaissait absolument pas.
- Qui êtes-vous ?!
Bradavan détailla le jeune homme. Vu sa tenue et son port, ce n’était certainement pas un simple humain de la ville. Mais ce n’était pas un G-Man non plus. Un coup d’œil dans l’Aura le confirma à Bradavan, même si c’était malpoli. Ce jeune homme n’avait pas l’Aura d’un G-Man. Il avait l’Aura… Bradavan n’aurait même pas su le dire. Il n’avait jamais vu une telle signature. Ça ne ressemblait à rien de connu, ni humain, ni G-Man, ni Pokemon !
- Je suis seulement quelqu’un qui vous veut du bien, Lord Bradavan, répondit l’inconnu avec un sourire charmeur. Je suis… pourrai-je dire… un pourfendeur de l’injustice.
Il effleura du bout des doigts un petit pendentif vert et jaune qu’il portait autour du coup.
- Ceci est le Quartier G-Man, protesta Bradavan. Il est interdit d’entrée à quiconque n’en est pas un !
- Vraiment ? Pourtant, le Seigneur Xanthos est toujours le bienvenu quand il se rend ici.
- Le Seigneur Protecteur est bien évidement une exception.
- Dans ce cas, je pourrai en être une autre.
Pour Bradavan Irlesquo, que quelqu’un qui n’était pas un G-Man puisse faire montre d’une telle arrogance envers l’un d’entre eux était un sacrilège.
- Dites-moi qui vous êtes sur le champ, ou préparez-vous à affronter les conséquences de votre intrusion ici !
Pour appuyer sa menace, il posa une main sur la garde de sa Lamétrice. Il ne savait bien évidement pas s’en servir, et ses pouvoirs de G-Man étaient médiocres, mais ce gars n’en savait rien, et tous les humains craignaient les tout puissants G-Man. Mais l’inconnu se contenta d’élargir son sourire.
- Arrêtez, j’ai peur, ironisa-t-il. Vous allez me lancer la toute terrible attaque Roulade d’Insolourdo ?
Bradavan rougit de colère et de honte, comme à chaque fois qu’on évoquait le nom de ce minable Pokemon devant lui. Mais comment diable ce jeune homme pouvait-il savoir de quel Pokemon il était le G-Man ? Ce savoir était réservé aux G-Man eux-mêmes, ainsi qu’à quelques grands pontes de l’Empire…
- Allons, calmez-vous, reprit l’inconnu d’un ton apaisant. Je vous l’ai dit, je veux seulement votre bien. Je comprends parfaitement votre situation et vos sentiments. La vie est injuste, n’est-ce pas ? Mais il n’y a aucune fatalité en ce bas monde. Si la vie est injuste, alors il suffit de la changer. Je peux vous donner une information qui fera tomber votre frère de son piédestal, et vous assurera la main mise sur l’Ordre… et la femme que vous désirez.
En dépit de sa méfiance et du fait qu’il ignorait tout de cet étranger, Bradavan l’écouta soudain d’une oreille attentive, comme s’il avait dit quelques mots magiques.
- Qu-que dîtes-vous ? Cela est impossible…
- Rien n’est impossible du moment que l’on a la connaissance. Et j’en ai beaucoup.
- Rien ne pourrait entacher la réputation de Kashmel à ce point.
- Rien qu’il n’ait fait, c’est exact. En l’occurrence, c’est quelque chose qui n’est pas de sa faute, mais qui sera plus que suffisant pour le faire tomber, et vos parents par la même occasion. Vous deviendrez le nouveau Grand Maître très vite. Cela dit, il y a un prix à payer, Lord Bradavan.
- Un… un prix ? Balbutia le G-Man, comme envouté.
- Oui, car cette info vous concerne vous aussi. Il vous appartiendra de la cacher aux autres G-Man, ou de la réprimer par la force. Vous devrez aussi quémander la pitié du Seigneur Xanthos, en allant lui dire ce que je vais vous révéler. Peut-être qu’en le sachant, vous vous mépriserez vous-même. Et enfin… toute votre famille vous sera arrachée. Vous les trahirez, vous les enverrez à la mort. Vous vivrez avec ça jusqu’au restant de vos jours.
Bradavan prit le risque d’être totalement sincère.
- Je me fiche des autres. Je me fiche de mon frère, et de mes parents. Moi seul ai de l’importance !
L’inconnu aux cheveux cuivrés sourit à nouveau.
- J’aime votre honnêteté. L’égoïsme n’est en rien anormal, en dépit de ce que veulent nous faire croire les moralisateurs. C’est ce qui fait tourner ce monde. Alors, vous acceptez d’être mis dans le secret ? En échange d’une petite autorisation de séjour dans le Quartier G-Man quand il me prendra l’envie d’y venir ?
- Dites-moi.
L’humain leva les bras en un geste théâtral.
- Eh bien, mon cher Lord Bradavan, j’ai le regret de vous apprendre que vous n’êtes pas de sang pur. Vous et votre frère avez été enfantés par une humaine. Vous êtes des bâtards.
***
Comme à chaque fois que Stuon allait dans les souterrains du manoir Irlesquo avec Kashmel, il utilisa quelques unes de ses nombreuses attaques Pokemon pour assurer leurs arrières. Si quelqu’un venait ou tentait de les suivre, ils le sauraient immédiatement. Ils se rendirent ensuite dans la pièce que Kashmel avait aménagée pour Furaïjin, dans une ancienne cave vide. Il y avait un petit jardin, une roue géante pour faire de l’exercice, et même un petit générateur électrique avec lequel le petit Pokemon pouvait recharger ses propres batteries.
Une petite maison sympa pour lui, mais Stuon se demandait pourquoi le Pokemon ne sortait pas à l’air libre. Après des siècles enfermé dans cette sorte de chambre de stase, il en aurait peut-être eu marre d’avoir des murs autour de lui. La plupart des Pokemon terrestres aimaient le grand air. Mais Furaïjin ne s’était jamais plaint de son sort. Quand il avait su que ces souterrains étaient ceux de la famille Irlesquo, réputée pour avoir été fondée par un descendant du grand Sacha Ketchum, Furaïjin avait semblé considérer qu’il était là où il se devait d’être. Il semblait aussi obéir à Kashmel désormais.
- Ehhh, le rongeur jaune, ça roule ? Fit Stuon en entrant.
Il avait dit cela car Furaïjin était justement en train de courir dans sa roue tournante. Il en sortit quand il vit ses visiteurs.
- Stuon. Content de te revoir. Tu n’étais plus venu depuis un moment…
- La famille de notre bon Lord Kashmel est en effervescence ces temps ci, avec les fiançailles et tout. Je peux plus m’incruster comme je le voulais. Et Kashmel me délaisse de plus en plus pour passer encore plus de temps avec sa chérie…
- Sareim est une humaine plus séduisante que toi, il est vrai, plaisanta le Pokemon.
- Qu’est-ce que tu en sais d’abord ? La notion de beauté humaine est une chose qui vous échappe totalement, à vous les Pokemon.
Kashmel les laissa discuter et fit en silence le ménage dans la pièce, notamment en allant vider le bac à sable dans lequel Furaïjin faisait ses besoins. Stuon trouva ça bizarre et malsain ; c’était comme si le noble Pokemon de plusieurs siècles était devenu un animal de compagnie en cage. Mais il ne dit rien. Furaïjin semblait trouver cela totalement normal. Après tout, il n'avait vécu que dans l’époque où les Pokemon étaient encore les jouets des humains, et ne connaissait rien de la domination des siens de ce temps présent, si ce n’est ce que Kashmel, Stuon et Sareim lui avaient dit.
Stuon, qui n’avait rien à faire chez lui, resta ici plus de trois heures pour que Furaïjin lui enseigne l’utilisation de Queue de Fer, que Stuon avait préalablement gribouillée. Évidement, comme il n’était pas doté de queue, il faisait ça avec sa Lamétrice. Pour les G-Man qui l’utilisaient fréquemment, elle était un peu une extension de leur corps, dans laquelle il faisait passer leur Aura. Kashmel était resté la première heure, mais était ensuite reparti, ses obligations d’héritier du Grand Maître l’appelant. Quand Stuon finit par contrôler l’attaque plus ou moins, il se laissa tomber dans l’herbe de la pièce, hors d’haleine, en sueur mais satisfait.
- Pourquoi tiens-tu autant à posséder et à maîtriser un si grand nombre d’attaques ? Lui demanda alors Furaïjin. D’après ce que Kashmel m’a dit, les G-Man ne font guère de duel entre eux de nos jours, pas plus qu’ils ne participent à une guerre.
- Non, c’est vrai, on fout plus rien, admit Stuon en riant. Et je ne sais même pas moi-même pourquoi je fais tant d’efforts. Je me dis peut-être que j’ai eu de la chance de naître G-Man, alors que tous les autres humains sont esclaves. Je sais pas… C’est comme si j’avais un espèce de devoir envers ce don. Celui de ne pas le gâcher, de l’utiliser à fond.
Stuon réfléchit un moment à ses propres pensées, puis secoua la tête en ricanant.
- Ouais… non. Ça doit surtout être que je voulais imiter Kashmel qui s’entraînait souvent.
- Tu l’admires, n’est-ce pas ?
- Je crois qu’il n’y a pas un G-Man ici qui ne l’admire pas.
- Mon réveil n’est pas dû au hasard. Kashmel devait être celui que je devais rencontrer. Celui qui utilisera le Phénix, comme l’a prédit mon ami.
- Le Phénix ? Répéta Stuon.
- L’espèce de petit oiseau de feu qui se trouve dans la salle où vous m’avez trouvé, expliqua Furaïjin. C’est une création de l’Aura. Ou plus précisément, un mécanisme agissant sur elle. Mon ami l’a conçu lui-même, avec des pouvoirs qu’aucun G-Man avant lui n’a expérimenté, et l’a enfermé avec moi. Il voulait qu’à la fois moi et le Phénix tombions sur son digne héritier qui devra alors s’en servir si l’Ordre G-Man s’était dévoyé. Une fois libéré et activé, il ramène l’Aura à zéro.
- Et euh… concrètement, ça veut dire quoi ?
- Il va pomper toute l’Aura environnante, de plus en plus loin au fur et à mesure qu’il va grossir. Celui qui contrôlera le Phénix aura alors la seule propriété de toute cette Aura récoltée, qu’il redistribuera selon sa volonté.
Stuon resta un moment bouche bée.
- C’est… c’est totalement dingue ! Sacha Ketchum a vraiment créé un truc pareil ?!
- Pour sauver l’Aura, et le futur des G-Man, précisa Furaïjin. Si l’Aura se disperse trop, elle perd en force. Si elle n’est pas entretenue, elle disparaît. Comme je dois ma nouvelle vie à l’Aura, et que j’ai longtemps baigné en elle, je peux le sentir : l’Aura de cette époque et bien moins dense et présente que celle d’où je viens. Le Phénix emmagasinera l’Aura du monde entier, et son maître l’utilisera pour recréer un Ordre nouveau, plus fort, plus pur.
- Euh… ouais, fit Stuon, guère convaincu. Y’a juste un petit problème : si ton Phénix vole l’Aura des G-Man, ils mourront.
- Effectivement. Il faudra se trouver sur ou sous le Phénix pour ne pas qu’il aspire votre Aura. Celui qui contrôle le Phénix et tous ceux qui seront avec lui survivront.
- Mais il n’y aura pas seulement que les G-Man ! Continua Stuon. Toute vie est régulée par l’Aura. Ça aura forcément des conséquences sur l’environnement, sur les humains et Pokemon… sur le monde entier !
- Probablement. C’est pour cela que le Phénix est l’ultime solution, celle de dernier recours. Mon ami a inséré un système de sécurité, rendant très difficile son activation. Et puis de toute façon, ce sont…
- Des contes et légendes, acheva quelqu’un.
Kashmel venait de rentrer. Il avait entendu la fin de la conversation entre son ami et le Pokemon, et semblait mécontent.
- Ketchum a probablement tenté de créer un truc, mais ce que décrit Furaïjin est tout à fait irréalisable, certifia-t-il.
- Il te l’a déjà raconté, alors ? Demanda Stuon.
- Oui, et je ne vois aucune raison d’accorder un seul crédit à tout cela. Que ce soi-disant Phénix existe réellement ou non, il ne sera jamais utilisé. Il n’y en aura nul besoin. Une fois Grand Maître, je réformerai l’Ordre G-Man pour lui faire recouvrer sa grandeur d’antan.
Mais ce jour n’arriva jamais. Car ce fut ce jour même que Bradavan Irlesquo alla avouer au Seigneur Xanthos que leur seigneur de père avait bafoué la loi en faisant non pas un mais deux enfants G-Man avec une humaine. Ce fut ce jour-là que Xanthos, outré par un tel défi de la part d’une famille qu’il considérait comme acquise, ordonna l’exécution de Lord Gredon et de sa femme qui était au courant, ainsi que de l’esclave humaine qui avait engendré Kashmel et Bradavan, pour faire bonne mesure.
Ce fut ce jour-là qu’il accepta d’épargner Bradavan pour avoir avoué, et d’en faire le nouveau Grand Maître. Ce fut ce jour-là qu’il le prévint toutefois : si jamais la famille Irlesquo devait à nouveau enfreindre la loi impériale, elle serait toute exterminée, et lui également. Ce fut ce jour-ci, tard dans la nuit, que les Nettoyeurs débarquèrent dans le manoir Irlesquo. Ce fut ce jour-ci que Scalpuraï élimina Lord Gredon et Lady Stelia, et qu’il captura Kashmel.
Il le tortura longuement, et tua sa vraie mère Celli devant ses yeux, lentement. Sous un accès de fureur inégalée, Kashmel parvint à se libérer, et au terme d’un duel d’une rare sauvagerie avec Scalpuraï, il quitta la capitale, désormais hors-la-loi et fugitif. Furaïjin avait enfin quitté le manoir Irlesquo pour partir avec lui. Et Stuon resta seul. Il lui était même interdit de fréquenter Sareim désormais, qui avait fini par épouser Bradavan à la place de Kashmel. De ce qu’on racontait, elle l’avait fait de son propre chef, sans que Bradavan n’eut à la forcer. Elle ne mentionna plus jamais Kashmel, et honora son mari le Grand Maître sans aucune faute. Mais parfois, Stuon la voyait de loin, les mains posées sur son ventre, avec dans les yeux une infinie tristesse.