Ch. 43 : Le Professeur.
Debout, le Professeur attendait. Derrière lui, de nombreux individus en blouse blanche s’afféraient à droite et à gauche, sans jamais s’arrêter. Les nombreux écrans holographiques montraient en temps réel chacun des combats de la surface : d’un côté, l’on pouvait y voir le Goliath cracher ses obus, de l’autre, Danqa et Sanidoma aller là où se trouver Yvain de Mercœur, et dans un autre encore, Inam et Sfyri s’affrontaient rageusement.
Le laboratoire était un véritable centre de contrôle, le centre de Prasin’da. Il suffisait de changer quelques données dans les ordinateurs pour que les écrans affichent n’importe quel endroit de la région. Rien n’était à l’abri de l’œil omniscient, de la plus grande des villes à l’infime poussière.
Aujourd’hui, le Professeur était de bonne humeur. Ses recherches arrivaient à un point clef. C’était là son plus grand projet, le projet de toute une vie. Non, c’était même plus que ça. C’était le projet de toute l’humanité, celui ayant été entamé par le tout premier humain de la création. Vraiment, aujourd’hui était un jour de fête.
Lentement, des bruits de pas résonnèrent dans la grande pièce ambrée. Le cœur du Professeur bondit. Enfin, c’était enfin le moment ! Son âme de scientifique bouillonnait. Sous le voile qui le recouvrait, un affreux sourire défigurait terriblement son visage.
— Nous sommes arrivés, Professeur
Derrière les deux individus voilés, Eily et son groupe restaient sans voix – à l’exception de Gyl. Ce qu’ils voyaient semblait venir d’un autre monde. L’immense pièce ambrée fourmillait de multiples et étranges machines qui leur était plus qu’inconnues. Ils y en avait de toutes sortes, de formes diverses et variées, même en usant toute son imagination, Eily n’arrivait pas à deviner à quoi pouvaient bien servir tous ces appareils.
— Ah…, vous voilà enfin… si vous saviez combien j’ai rêvé de ce jour…
Une voix erratique et tremblante sonna. Chacun leva la tête. Un individu les fixait, debout sur une zone surélevée de la pièce. Il était entièrement voilé. Personne ne se doutait de son identité.
— L-Le Vasilias ! hurla Evenis.
— Sa voix est étrange, nota neutrement Fario.
Le Professeur sembla réfléchir :
— Ma voix… ? Ah, oui, c’est parce que je n’utilise pas le modificateur. Vous saviez qu’on est plusieurs à se partager le costume du Vasilias, n’est-ce pas ? Pour parfaire la supercherie, on utilise tous un modificateur de voix. Mais nous ne sommes pas là pour parler de ça.
Le Professeur se déplaça, lentement, très lentement. Il prenait soin de savourer chaque instant. Doucement, très doucement, il descendit l’escalier ambré qui le séparait de ses invités. Il lui fallut cinq bonnes minutes pour enfin arriver en bas, à leur niveau. Eily s’étonna. Le Professeur était bien plus chétif qu’elle ne l’imaginait.
— Ne perdons pas plus de temps, lança le Professeur. Il est temps de faire tomber les masques.
Légèrement, très légérement, le Professeur leva sa main droite. Il saisit son voile par le haut. Et puis, brusquement, d’un seul coup, il l’arracha et le jeta derrière-lui. Une frêle et courbée figure féminine se dévoila, vêtue d’une blouse blanche ; si ce n’était pas pour sa canne ambrée, elle s’écroulerait sans doute au sol. Son visage était couvert de rides, ne laissant aucun doute sur l’état avancé de son âge. Ses yeux doux s’apposèrent sur le groupe.
— … Q-Qu…
Eily recula d’un pas. Elle ne comprenait pas. C’était impossible. Juste impossible. Soudain, sa vue devint trouble. Un affreux mal de crâne l’assaillit. Des flashs de l’orphelinat de Stavros percutèrent son esprit. Ses anciens amis, l’intrépide Nester et l’espiègle Athoo. La sévère mais juste surveillante. L’attaque des hommes mystérieux. L’incendie. Le sang. Les cadavres d’enfants. Et au-dessus de tout cela, un visage se dessinait. Un doux visage qu’elle pensait ne plus jamais revoir. Un visage qui, pourtant, se trouvait actuellement et réellement devant elle.
— Eily ? s’inquiéta Ifios.
— … c’est impossible… il doit y avoir une erreur…
Rien à faire, le choc avait déconnecté Eily de la réalité. Ses pensées et souvenirs ne cessaient de se bousculer dans sa tête ; à bout, elle tomba à genou. Caratroc, lui, était inerte. Lui non plus, ne comprenait pas la situation. Eily avait raison, c’était juste impossible.
— … haha, s’amusa le Professeur. Je pensais bien que ma petite Eily serait quelque peu… perturbée par notre rencontre. J’espère qu’elle s’en remettra vite, nous avons encore tellement de choses à faire !
— Q-Qu’est-ce que vous lui avez fait ?! s’emporta Evenis.
— Moi ? Rien. Rien du tout.
Même la voix était identique à celle de ses souvenirs. Finalement, ce n’était peut-être pas une erreur. Mais dans ce cas ? Cela signifiait que… ? L’esprit logique d’Eily arriva rapidement à la bonne conclusion, mais elle ne voulait pas le croire, elle ne voulait pas l’accepter. Car si tout cela était réellement vrai, alors toute sa vie…
Puisant dans ses plus profondes forces, Eily se releva et fixa égarement le Professeur. Elle déglutit. Il lui fallut accumuler une bonne dose de courage juste pour prononcer deux simples mots :
— … mamie… Losyn ?
En face, un sourire l’accueillit.
— Attends, quoi ? réagit vivement Ifios. Losyn ? Tu m’en avais déjà parlé, et elle n’était pas…
— … la gérante de mon orphelinat…
Le Professeur hocha la tête :
— Ah, mamie Losyn. Ça va faire un bon bout de temps que l’on ne m’a pas appelé comme cela. Ici, je suis plutôt connue en tant que Professeur Losyn. J’endosse aussi parfois le rôle du Vasilias, quitte à parfois me prendre une balle en pleine tête, haha.
— … p...p-pourquoi… ? bafouilla Eily. J-Je ne… comprends pas…
Le Professeur Losyn acquiesça gentiment :
— C’est vrai, je vous dois tous des explications. Je sais que vous êtes venu me tuer, mais je vous remercierais de laisser une pauvre dame divaguer encore quelque temps. Cependant, avant toute chose, faisons venir deux autres invités.
La vielle dame claqua des doigts, et soudainement, dans un grincement strident, un mur glissa vers le haut. Une vitre translucide se dévoila. Tza sentit son cœur bondir. Derrière cette vitre, une prisonnière tentait vainement de s’échapper en multipliant les assauts sur la surface translucide. La prisonnière n’était cependant pas seule, elle était accompagnée d’un autre captif, qui, lui, plus calme, semblait plongé dans ces réflexions.
— Grand frère ! s’exclama Tza en se précipitant sur lui.
Omilio sourit faiblement. Il ne voulait pas montrer des signes de faiblesse devant sa petite sœur. Il voyait bien qu’elle était terrifié. Il devait faire de son mieux pour la rassurer.
— … désolé, j’ai été imprudent, prononça-t-il doucement. Mais ne t’inquiète pas, je vais bien.
Lorsqu’Asda remarqua le Professeur Losyn de l’autre côté du mur, sa voix explosa :
— Q-Qu’est-ce que cela signifie ? O-Où suis-je ?! hurla la Foréa ailée. Qui êtes-vous et que nous voulez-vous ?! … hé… attendez…
Et lorsque ses yeux croisèrent ceux d’Eily, la surprise l’envahit.
— … Eily ? Tza aussi ? Et… tout le monde ? marmonna-t-elle. Mais… qu’est-ce que…
Le Professeur Losyn frappa sa canne au sol, demandant le silence :
— Il y a un temps pour tout. Maintenant que vous êtes tous réuni, laissez la pauvre âme que je suis vous conter mon histoire. Elle sera longue et vous ennuiera peut-être, mais je vous assure qu’elle est intéressante. Surtout que vous avez chacun un lien très fort avec elle.
Evenis serra des poings. Elle ne pouvait pas rester là, les bras ballants, alors que son ennemi mortel se trouvait devant elle ! Cependant, elle devait avouer être surprise. Dans son imaginaire, le Vasilias était un homme grand, imposant et charismatique, et non pas une vielle dame ridée. Mais qu’importe. La simple apparence ne devait pas être un obstacle. Jeune ou vieux, un ennemi était un ennemi. Discrètement, Evenis déplaça sa main vers son Plasma.
— Arrête, lui souffla Sidon.
— … !
— On ne sait pas encore de quoi elle est capable. Jouons le jeu pour le moment. Et puis, nous sommes également ici pour avoir des réponses.
— … tss.
De même qu’Evenis, Asda n’était pas disposée à se calmer.
— Je n’ai que faire de votre discours ! Libérez-nous ! Savez-vous au moins qui nous sommes ?! En portant atteinte à deux Foréa Impériaux, vous venez de vous mettre tout Prasin’da à dos ! Et aussi, qu’avait vous fait du Vasilias ? Il était avec moi, tout à l’heure et puis… j-je ne m’en souviens plus… qu’est-ce que vous m’avez fait ?
— Asda.
Omilio se plaça à ses côtés :
— Obéissons pour le moment. Cet adversaire est coriace, nous ne devons pas brusquer les choses.
— Comment veux-tu que je reste calme ?! L-Le Vasilias… est blessé… et aussi… pourquoi Eily, Tza et les autres sont là… j-je ne comprends pas…
— Asda, la coupa Omilio. Tu l’as dis toi-même, nous sommes des Foréa Impériaux. Nous ne devons pas nous laisser submerger par nos émotions. Écoutons ce qu’elle a nous dire. Ce sera l’occasion de savoir ce que ces individus nous veulent. Nous aviserons ensuite.
Asda se mordit les lèvres. Le calme olympien d’Omilio était définitivement rassurant. S’il était aussi sûr de lui, alors la situation ne devait pas être aussi terrible, non ? Pour le moment, Asda décida de lui faire confiance. Elle cessa ses éclats de voix, mais son esprit restait tout aussi embrouillé.
« … la pauvre », geignit mentalement Omilio. « Elle ne sait toujours pas qu’elle se trouve devant le Vasilias qu’elle adore tant… »
Voyant que même les plus belliqueux étaient maintenant disposés à l’écouter, le Professeur Losyn saisit une télécommande sous sa blouse. En appuyant sur un bouton, un écran holographique s’alluma au-dessus d’elle : il décrivait la planète terre.
— Ahem, commençons. Croyez -le ou non, tout commença à la nuit des temps. Déjà, l’Homme n’avait qu’un seul objectif : l’évolution. Nous autres, humains, sommes bénis – ou maudit – par notre capacité à raisonner. C’est ce qui nous différencie des autres animaux. Nous pouvons réfléchir, cogiter, penser, et surtout, rêver. Le rêve est notre moteur principal. Le rêve de la perfection. L’Homme n’a pas pris bien longtemps pour remarquer qu’il était imparfait. Son corps est fragile, sensible à la température, ne dispose que de peu de moyens d’auto-défense… bref, nous avions encore un long chemin à faire. Si ce n’était pas pour notre incroyable faculté de raisonner, nous ne serions qu’une poussière dans l’Histoire.
Le Professeur Losyn s’apaisa :
— Et regardez ce que nous avions accompli. Nous avions dompté la nature, les animaux, maîtriser le feu, l’eau, l’électricité. Nous avions construit des villages, puis des villes, toujours plus grandes, toujours plus belles, toujours plus impressionnantes. Nous avions même réussi à domestiquer les Pokémon, des créatures pourtant intelligentes et disposant de pouvoir magiques dantesques ! Et encore, vous ai-je parlé de l’espace ? Même cette ultime limite n’était rien à l’époque ! Tout était à notre portée.
Le Professeur Losyn secoua sa tête :
— Oui, cette époque que vous appelez l’Ancien Monde ; c’était réellement notre âge d’Or. Oh, j’oubliais. Je parle, je parle, mais j’en oublie l’essentiel. Telle que vous me voyez, je semble très vieille, n’est-ce pas ? Mais je le suis encore plus que vous ne pouvez l’imaginer. En réalité, j’ai très exactement 1 112 ans. Et il n’y a pas que moi, mes chers compagnons ont approximativement le même âge. Je pense que vous avez compris maintenant. Nous avions connu l’Ancien Monde. Nous y avions vécu.
Fario s’avança :
— Vous avez connu l’Ancien Monde ?
— Difficile à croire, n’est-ce pas ? C’est pourtant la vérité. Si vous voulez une preuve, vous pouvez regarder autour de vous. Toutes les machines et ordinateurs que vous voyez sont des technologies de pointe, datant de l’Ancien Monde. C’est également le cas pour l’écran holographique au-dessus de ma tête. Ce sont des technologies complexes, que seuls des habitants de l’Ancien Monde peuvent appréhender. Mais passons plutôt à notre projet. Le pourquoi de toute cette histoire.
Le Professeur Losyn appuya sur sa télécommande ; de nombreux Pokémon inconnus d’Eily et des autres apparurent à l’écran holographique.
— Ah, les Pokémon. Des créatures magiques, intelligentes, et pleines de mystères. C’est vraiment dommage que vous n’aviez pas connu l’époque où ils gambadaient dans les plaines par millier. Nous autres scientifiques avions longtemps penché nos études sur eux, et un beau jour, nous avions fait une découverte fascinante. La source du pouvoir des Pokémon. Cela c’est fait complètement par hasard ; au cours d’une étude de routine, nous avons perçu la présence d’atomes très particuliers dans l’atmosphère, qui nous avait miraculeusement échappé pendant des millénaires.
Le Professeur Losyn ricana doucement :
— Haha, je parle d’atome, mais vous ne savez pas ce que c’est, j’imagine. Grossièrement, ce sont des éléments constitutifs de toute matière, invisible à l’œil nu. Il en existe de toute sorte, mais l’atome que nous avons découvert était épatant. Il permettait à ceux qui l’absorbait d’évoluer de façon spectaculaire, voire d’être capable d’utiliser de la magie. Nous avons baptisé cet atome ‘‘Mana’’, en référence à nos jeux de l’époque. Il fallait dire que la découverte était si saisissante que nous autres, scientifique, étions soudain redevenus comme des enfants, haha !
Le Professeur Losyn finit de rire, reprit son souffle, et continua :
— Les Pokémon possédaient une capacité d’adsorption de Mana exceptionnelle, et c’est cela qui leur permettait d’user de leurs pouvoirs spéciaux. Sauf que notre découverte ne s’arrêtait pas là. Les Pokémon n’étaient pas les seuls disposant cette capacité, nous autres, humain, la possédons aussi. Malheureusement, les Pokémon étaient prioritaire, c’est-à-dire que le Mana convergeait automatiquement vers eux, empêchant ainsi les humains d’en accumuler.
Le Professeur Losyn hocha lentement la tête :
— En résumé, tant que les Pokémon existaient, nous autres, humains, ne pouvions pas évoluer. Triste, n’est-ce pas ? Nous avions tout essayé, mais rien n’y faisait. Les Pokémon restaient toujours prioritaires quant à l’absorption de Mana, c’était gravé dans la marbre. C’est alors que nous avions pris une décision drastique : le Néora.
Fario, en tant qu’érudit, tiqua. Ce nom lui était plus que familier.
— La pire erreur de l’humanité, ce qui a fini par causer la perte de l’Ancien Monde, récita-t-il neutrement.
Le Professeur Losyn sourit.
— Ça, c’est l’histoire officielle. Le Néora a été vendu comme une drogue permettant aux Pokémon de multiplier leur potentiel. Il faut comprendre qu’à l’époque, les dresseurs de Pokémon foisonnaient. C’est peut-être difficile pour vous de le comprendre, mais les Pokémon étaient réellement omniprésents dans la société. Les dresseurs de Pokémon entraînaient leurs créatures, dans le but d’être les rendre plus forts, et s’affrontaient ensuite dans des combats dantesques. Autrement dit, le Néora était du pain béni pour eux. Les dresseurs les plus faibles pouvaient, en l’espace de quelques jours, devenir exceptionnels. Bientôt, le Néora devint un incontournable pour tout dresseur qui se respectait.
Le sourire du Professeur s’agrandit :
— Et c’était justement notre but. Nous voulions que le plus grand nombre de Pokémon consomme le Néora. Car en réalité, c’était un poison. Un poison terrible, incurable, et surtout contagieux. Les Pokémon porteurs de la maladie trépassaient au bout d’une semaine. Notre objectif était clair : supprimer les Pokémon de la surface de la planète. Pourquoi, me demanderiez-vous. C’est simple : l’évolution. Je vous l’ai dit, n’est-ce pas ? L’Homme cherche depuis toujours à évoluer, à dépasser ses limites, à atteindre la perfection. Mais la seule présence des Pokémon, qui nous volaient égoïstement le Mana, nous empêchait d’atteindre notre idéal.
Fario – qui était quasiment le seul à tout suivre avec Gyl – pencha la tête. Ce qu’il entendait là remplissait les connaissances qu’il avait acquises à la Tour d’Ivoire.
— Un instant, lança-t-il neutrement. Vous voulez donc dire que la chute de l’Ancien Monde était prévue ? Ce n’était pas un accident ?
— Oui et non. Il s’est en effet passé quelques choses d’imprévu : les Pokémon étaient beaucoup plus coriaces que prévu. Les Pokémon infectés par le Néora devinrent incontrôlable, en proie à une rage intense. Certains survivaient même bien au-delà d’une semaine. Je vous laisse imaginer, des millions de créatures magiques folles à lier, dispersées dans la nature. C’était le début du Télira, la grande et sanglante guerre entre humains et Pokémon.
L’écran holographique changea d’image, montrant désormais des villes en miettes, à feu et à sang, où fourmillait nombre de cadavres déchiquetés. Tza eut un haut le cœur ; Ifios se plaça devant elle, l’empêchant de voir le massacre.
— Notre monde a été détruit, poursuivit le Professeur Losyn. Nos villes, nos monuments, nos fiertés ; il n’en restait rien. L’humanité a presque été rayé de la carte. Nous étions très exactement 546 842 à avoir survécu, sur environs 10 milliards. C’est peu, inutile de vous faire un dessin. Et parmi ses 546 842, nous ne sommes que cinq à être resté sur Terre. Le reste de l’humanité a préféré fuir loin, très loin, emmenant avec eux les derniers Pokémon encore sains. Pourquoi certains sont restés ? Parce que l’occasion était trop belle.
Les yeux du Professeur Losyn brillèrent :
— Après tout, nous avions réussi ! À la fin du Télira, le monde était peut-être ravagé, mais les Pokémon avaient disparu ! Et heureusement, nous n’avions pas perdu toutes nos technologies : celles qui résidaient dans les bunkers avaient survécu aux massacres. Nous étions extrêmement enthousiasmes, nous étions les derniers survivants d’une Terre vierge ! Notre première étape fut d’allonger notre durée de vie. Et les résultats ont dépassé toutes nos espérances ! Grâce au Mana, nous sommes parvenus à régénérer nos cellules à l’infinie, autrement dit, l’immortalité était à portée, rien que ça !
Le Professeur Losyn, réalisant qu’elle se laissait emporter, s’arrêta quelques secondes pour se calmer :
— … enfin, ça c’était la théorie. Vous voyez à mon corps que j’ai continué de vieillir, très lentement certes, mais sûrement. Quoiqu’il en soit, une fois le problème de notre survie résolu, nous avons commencé à repeupler la terre. Bien sûr, cela ne s’est pas fait naturellement. Nous n’étions que cinq, je le rappelle. Cependant, nous avions la technologie. Avec quelques brins d’ADN, nous pouvions aisément créer de nouveaux fœtus d’êtres humains. Nous avions élevé ces nouveaux enfants, cette nouvelle humanité, mais nous avions pris garde.
Le Professeur Losyn soupira :
— L’Homme est ambitieux. Autrement dit, s’il possède le pouvoir, il devient beaucoup trop instable. Notre plus grande hantise était que nos enfants se retournent contre nous. Nous avions alors mis en place deux stratagèmes : premièrement le culte. En nous prenant pour des Dieux, nous inspirons la crainte, ce qui réduit les risques de révolte. Et deuxièmement, nous avions décidé de les priver de toutes nos technologies. Aussi, dès qu’un de nos enfant faisait une découverte scientifique majeure, nous nous occupions de le réduire au silence. C’était une mesure de précaution nécessaire. Voilà pourquoi le monde d’aujourd’hui est si primitif comparé à l’ancien.
La vieille Professeur sourit à nouveau :
— Et voilà, vous avez le récit de votre origine. Vous, ainsi que tous les habitants de la planète – et pas uniquement de Prasin’da – êtes nos enfants. De parfaits et dociles cobayes pour nos expériences.
— … si je devais résumer, grinça Gyl. Tout ce qui est arrivé est à cause de votre soif de pouvoir.
— Une soif de pouvoir inévitable, compléta le Professeur Losyn. L’Homme est, par nature, voué à désirer l’évolution. Nous n’avons que fait répondre à cet appel du progrès.
Le Professeur leva les mains au ciel ; ses yeux se tentèrent de folie :
— Et cela en valait parfaitement le coup ! Grâce à nous, l’humanité a enfin accès au Mana ! Regardez juste parmi vous ! Vous possédez tous une force et constitution beaucoup plus élevé que les anciens hommes ! Vous pensez qu’à notre époque, des enfants pouvaient soulever des lames gigantesques comme le fait votre amie Tza ? Bien sûr que non ! Et vous, Fario, vous êtes un Magus ! Un humain ayant suffisamment sensible au Mana pour être capable d’invoquer la force des éléments ! N’est-ce pas merveilleux ?! Tout ça, c’est entièrement grâce à nous ! Nous avons permis à l’humanité de briser ses limites ! Hahaha ! Haha… ehm…
Le Professeur Losyn toussota légèrement et reprit de sa contenance :
— Mais maintenant, laissez-moi aborder le plus intéressant. Notre but ultime est, et a toujours été le projet VH. Le projet du Véritable Humain. La libération du Mana n’était qu’une étape. Nous voulions créer l’humain parfait, l’être supérieur ; un dieu. Ce serait la consécration de l’humanité. Nous, êtres au départ si fragiles, dépourvus de crocs dans un monde hostile ; nous avions franchi les étapes une à une, atteint la civilisation, développé de multiples technologies, découvert le secret de la vie, et, finalement, réussi à atteindre le rang de Dieu. Et c’est là que vous rentrez en jeu. Vous êtes tous la résultante d’une sous-branche du projet VH.
Pernicieusement, l’œil malsain du Professeur se mit à balayer le groupe :
— Omilio et Asda, du projet Foréa. Fario et Tza, du projet Mana. Evenis et Sidon, du projet Ascension. Ifios, du projet Humanity. Et pour finir, Gyl et Eily, du projet Vasilias.
Le Professeur Losyn ricana :
— Haha, je sens que vous êtes curieux. Vous voulez en savoir plus sur ces projets, n’est-ce pas ? Malheureusement, ce serait trop long de tout expliquer et puis, cela fait déjà un bon moment que je parle, je commence à fatiguer, haha. Grossièrement, il s’agit juste d’expériences permettant de créer l’humain parfait. Je vais juste dire quelque mot sur la plus importante : le projet Vasilias.
Gyl détourna le regard. Il ne savait que trop bien ce qui allait se dire. Le Professeur poursuivit :
— Le projet Vasilias. Sans doute notre expérience la plus prometteuse et celle qui est le plus susceptible d’attendre le VH. Il s’agit là de la cristallisation de toutes nos recherches sur le Mana. À force d’étude, nous avons remarqué que le corps humain avait ses limites. Même les plus sensibles au Mana – les Magus – sont limité dans les éléments qu’ils peuvent utiliser. Idem avec les Foréa, qui ne sont en réalité que des Magus artificiels. Malheureusement, il semblerait que les Hommes ne soient pas fait pour être parfait, c’est génétique. Mais ce n’était pas ça qui allait nous arrêter.
Le sourire aiguisé du Professeur s’agrandit :
— Puisque l’Homme était imparfait génétiquement, nous n’avions qu’à créer un humain à l’ADN particulier. Un humain dont le génome permettrait une symbiose au Mana si exceptionnelle qu’il parviendrait à utiliser chaque élément à la perfection. Un être parfait : le Vasilias. Nous avions prévu de faire du Vasilias notre successeur, celui qui prendrait le contrôle de Prasin’da. Comme vous le savez, actuellement, il n’y a pas de Vasilias. Nous sommes plusieurs à nous partager costume, mais ce subterfuge est censé être temporaire, le temps que le véritable Vasilias ne soit créé.
Le Professeur Losyn dirigea son regard vers Gyl :
— Le déchet que vous voyez là est l’un des premiers Vasilias potentiel à avoir survécu au stade de fœtus. Malheureusement, après quelques années, on s’est rendu compte que même si Gyl avait une certaine sensibilité au Mana, ses compétences globales étaient risibles, rien à voir avec un Dieu. C’était plutôt un déchet.
— …
— Nous avons alors continué à multiplier efforts et échecs sans relâche. Pendant des années, le projet Vasilias était au point mort, mais jamais nous n’avons abandonné.
D’un coup, l’écran holographique montra de nombreux et larges tubes de verre, remplis d’un étrange liquide verdâtre. À l’intérieur de chacun d’entre eux, des espèces de créatures semblaient souffrir le martyr. Il était impossible de les identifier avec précision. Ils ressemblaient vaguement à des nourrissons humain, mais de monstrueuses excroissances déformaient atrocement leur corps ; certains étaient également doté de crocs ou de plumes.
Eily, Ifios, Tza et Asda détournèrent les yeux ; la vue était si abominable qu’ils en avaient des nausées.
— Des déchets par centaine, soupira le Professeur. Suite à l’échec de Gyl, nous avons décidé d’augmenter nos dosages, mais les fœtus n’y survivaient pas. Tout semblait perdu, jusqu’à ce qu’une simple idée emmargea : et si on renforçait les enfants avec le génome d’un Caratroc ? Il était connu comme étant un Pokémon divinement résistant, avec un peu de chance, cette particularité permettrait aux fœtus de survivre à l’expérience… et c’est ce qui est arrivé. C’est ainsi que tu as été créée, Eily.
La demoiselle cyan recula d’un pas :
— J-J’ai été créée… ?
— Exactement. Tu es l’une des deux à avoir miraculeusement survécu à cette ultime expérience. La seconde, hé bien, vous la connaissait déjà. Il s’agit de Miu. Vous deux êtes nos deux plus grande fierté, les deux Vasilias potentiels de Prasin’da.
— … pardon ?
Le Professeur Losyn secoua la tête :
— Cependant, nous ne voulions pas faire d’erreur. Vous êtes des miracles toutes les deux. Même avec le génome d’un Caratroc, les chances d’avoir un fœtus survivant était infimes. Ainsi, pour ne pas vous gaspiller, nous avions choisi de vous élever de deux façons complètement différentes. De cette manière, si l’une d’entre vous devenait inutile, l’autre resterait encore utilisable. Quoiqu’il en soit, nous avions décidé de garder Miu sous notre aile et de l’entraîner sans cesse à maîtriser ses pouvoirs. Et pour toi Eily, nous avions opter pour une approche plus naturelle. Plutôt que de tout te révéler, nous t’avions éduquer normalement, dans un environnement sain. Notre objectif était que tu découvres toi-même tes pouvoirs ; ta progression serait forcément plus lente que celle de Miu, mais beaucoup plus efficiente que si l’on te bourrait le crâne.
Eily se mordit les lèvres. Comment ça, ‘‘éduquer normalement’’ ? Elle avait peur de comprendre. Dans ce cas, toute sa vie à l’orphelinat de Stavros…
— Tu commences à comprendre, n’est-ce pas ? continua le Professeur. Nous t’avions en effet déplacer à l’orphelinat de Stavros. Un institut complètement artificiel. Tous les enfants qui s’y trouvaient étaient en réalité nos créations, des clones d’enfants, pour être plus précis. Même tes deux meilleurs amis, Nester et Athoo. Ce n’était que des éléments de décors afin de rajouter du réalisme à ta vie.
— … !
— Quoiqu’il en soit, l’expérience était satisfaisante. Par exemple, tu as toi-même appris à invoquer un Pokémon alors que Miu en est encore incapable. Ceci dit, au fil des années, tu commençais à trop te plaire à l’orphelinat. Tu y avais ton petit train-train quotidien. Nous avions peur que ce bonheur ne limite définitivement ton potentiel. Alors, nous avions brusqué les choses. L’incendie de l’orphelinat était de notre fait. Nous nous sommes dit que de te donner un puissant choc émotionnel pourrait être intéressant.
Le Professeur Losyn sourit exagérément :
— Et lorsque je vois où tu es arrivée, là, devant moi, je me dis que c’était vraiment une riche expérience !
— … un choc émotionnel ?… une expérience ? … intéressant ?
Eily leva les yeux ; ses jambes et bras tremblaient. Une rage grandissante déformait peu à peu son visage.
— C-Comment pouvez-vous en parler aussi légèrement ?! Est-ce que vous savez comment j’ai souffert depuis cet incendie ?! J-J’ai vu mes amis mourir devant moi ! I-Ils étaient loin d’être des carapaces vides, ils avaient des rêves, des émotions, et comme tout le monde, ils cherchaient une raison de vivre ! Athoo voulait explorer le monde, et Nester voulait devenir chevalier… ! Vous n’aviez pas le droit de jouer avec leur vie !
Le Professeur Losyn secoua la tête :
— Pourquoi n’aurions-nous pas le droit ? Le monde entier, et a fortiori Prasin’da, n’est que notre laboratoire géant, à nous seuls, les survivants de l’Ancien Monde. Vous êtes notre création, notre possession. Nous avions tous les droits sur vous. Mais je ne comprends pas, pourquoi se plaindre ? Nous ne sommes pas ingrats. Nos recherches ne sont pas égoïstes, elles sont là pour le futur de l’humanité. Grâce à nous, les Hommes n’ont jamais été aussi robustes et puissants. Ne pensez-vous pas que vous devriez nous remercier, plutôt ?
Le Professeur Losyn se tourna vers Evenis et Sidon :
— Vous deux par exemple, vous venez de Genna, n’est-ce pas ? C’est l’un des terrains du projet Ascension. Nous avons volontairement transformer la province de Genna en territoire hostile et presque invivable. Nous sommes partis de la prémisse que c’est dans les situations désespérées que l’humain montre son plus beau potentiel. Et regardez-vous maintenant ! Toi, Sidon, penses-tu réellement que tu aurais été aussi fort si avais vécu dans le luxe ? Toi aussi, Evenis, penses-tu réellement que tu aurais eu des convictions aussi inébranlables, si tu n’avais pas vu ton peuple mourir de faim et de maladie ? Si vous êtes aussi doués aujourd’hui, c’est entièrement grâce à nous ! Sans nous, vous ne seriez encore que des sous-hommes, incapables de révéler leur potentiel !
Evenis écarquilla dangereusement les yeux. Elle sentait sa peau brûler sous la colère. Sidon, à ses côtés, n’essaya pas de la calmer, et pour cause : il était lui aussi dans le même état.
— U-Un instant… j-juste instant…, grinça Evenis. V-Vous voulez dire que si mon peuple vit dans l’extrême pauvreté, s’ils sont obligé de s’entre-tuer pour un morceau de pain, c’est juste pour un simple ‘‘projet’’ ?!
Le Professeur fronça les sourcils, agacée :
— Pour la millième fois, ce n’est pas un ‘‘simple’’ projet ! C’est le projet de toute l’humanité ! L’évolution ! Ce pour quoi nous existons ! Croyez-vous réellement que nous sommes sur cette terre pour nous complaire dans la médiocrité ? Non ! Nous sommes là pour nous élever, atteindre la perfection ! C’est notre devoir en tant qu’Hommes ! Pourquoi pensez-vous que nous soyons doté de raison ?! Alors oui, peut-être que de votre point de vue tout cela est cruel, mais c’est uniquement parce que vous vous mettez des œillères ! Réfléchissez, que retiendra le monde de tout cela dans mille ans ? Quelques misérables inconnus morts en vains, ou l’immense progrès de l’humanité ? Changez votre échelle de pensée ! Voyez les résultats sur le long terme, et non pas sur l’instantané !
— Mais qu’est-ce que j’en ai à foutre du long terme ?! hurla Evenis.
Cette fois, c’en était trop. Ce soi-disant Professeur avait dépassé toutes les limites. Evenis était plus que prête à bondir et à écraser ce détestable personnage ; vieille personne ou non, elle ne se retiendrait pas. Comme si elle avait lu dans les pensées de la jeune princesse, le Professeur leva sa canne vers Evenis :
— Je ne ferais pas ça si j’étais toi. Vous n’êtes pas de taille contre notre technologie. D’ailleurs, il est inutile de d’en venir aux mains. Mon seul but actuellement et de mener à bien le projet Vasilias. Sachez que c’est la seule raison pour laquelle vous êtes encore vivant. Si Eily ne faisait pas partie du coup d’État, je vous aurais déjà tous réduit au silence.
Gyl s’avança et se plaça devant Eily, protecteur :
— Alors dites nous. Qu’attendez-vous de nous ? Ou plutôt, qu’attendez-vous d’Eily ?
— Oh, s’amusa le Professeur. Tu la protèges, déchet ? Un bien surprenant changement. Tu la détestais quand tu étais encore enfant.
— …
— Et au fond, tu as encore du ressentiment, non ? Avant elle, c’était toi, notre miracle. Nous t’avons traité comme le futur Dieu que tu aurais dû être. Si tout c’était bien passé, tu aurais été à la place de Miu aujourd’hui. Malheureusement, tu as fini par montrer tes limites. Tu as arrêté d’évoluer, passant ainsi directement de Dieu à déchet. Le choc a du être brutal, n’est-ce pas ? Surtout à la naissance d’Eily, je me souviens encore de ta jalousie grandissante, lorsque nous lui accordiens toute l’attention dont tu n’avais plus droit…
— Humpf, siffla Gyl. J’étais en jaloux, je l’admets. Mais je n’étais encore qu’un enfant. Maintenant, lorsque je vois de quoi vous êtes capable, je m’estime chanceux de vous avoir déçu.
Le Professeur Losyn sourit doucement :
— Haha, je vois que Teia t’as bien élevé. Tu peux remercier Samson de t’avoir sorti du laboratoire, la veille ton exécution.
— …
— Ah, ce Samson, lâcha le Professeur d’un air nostalgique. Je n’ai jamais pu le comprendre. Lui aussi est un survivant de l’Ancien Monde. Mais lui, il était plus resté sur Terre par amour de sa planète natale, et non pas pour nos rêves d’évolution. Maintenant que j’y pense, on aurait dû nous en débarrasser depuis le début. Quand je pense qu’il y a également tenter de mettre la main sur Eily ! Heureusement que nous l’en avions empêché à temps… même si…
Le Professeur secoua la tête :
— Haha, je radote, je radote, il faut croire que je deviens sénile. Revenons au sujet. Vous êtes ici pour le projet Vasilias. Qui de Miu ou d’Eily est la plus à même de gouverner Prasin’da ? Qui d’entre vous deux est la plus évoluée ? Qui d’entre vous deux deviendra la véritable Vasilias ? C’est tout ce que je veux savoir. Ce coup d’État est le théâtre parfait pour mener cette petite expérience.
Le Professeur leva exagérément ses mains au ciel :
— Ne suis-je pas magnanime ? Vous vouliez prendre ma place de Vasilias, je me trompe ? Et bien je vous l’offre, si vous en êtes capable. Nous autres, les survivants de l’Ancien Monde, ne vivons pas pour le pouvoir. Tout ce que nous voulons, c’est de constater l’infinie évolution de l’humanité !
Le Professeur souffla longuement :
— Ceci dit, tu n’as aucune chance contre Miu, Eily. Un affrontement direct serait à sens unique. Mais n’ai crainte, un affrontement indirect, lui, est très possible. Je vous ai préparé à toute les deux un défi. Celle qui l’accomplira avec le plus de panache deviendra la prochaine Vasilias. C’est ce que nous avions décidé. Miu doit parvenir à arrêter la rébellion des nobles, et quant à toi Eily, tu vas devoir vaincre Asda.
— … me vaincre ?
Toujours emprisonnée derrière la vitre, Asda murmura ces quelques mots. Plus que les autres, elle était totalement perdue. Elle était le symbole de l’emprise qu’avait le Professeur sur Prasin’da. Pour elle, le Vasilias était le bon dirigeant de la région, un Dieu venu éclairer les humains de sa sagesse. Et plus que ça, le Vasilias était celui qui l’avait recueillis elle, Asda, une pauvre orpheline, et l’avait élevée ! C’était tout ce qui comptait. Toutes ses histoires de projets, d’expérience et d’Ancien Monde, tout celui lui était lui étaient incompréhensibles.
— Asda, Asda, Asda, soupira le Professeur. Très bien, j’imagine que c’est le bon moment pour vous montrer à qui vous avez affaire.
Le Professeur Losyn se rapprocha de la vitre, juste devant la Foréa ailée. Le Professeur ramassa le voile caractéristique du Vasilias et s’en revêtit.
— Tu n’as toujours pas compris, n’est-ce pas ? Je suis le Vasilias que tu aimes tant.
Sa voix était soudainement devenue beaucoup plus grave et imposante. Asda sursauta, elle ne pouvait pas se tromper, c’était la même voix du Vasilias, celui qui l’avait élevé.
— Tu n’as toujours été qu’une expérience à mes yeux. Je voulais simplement observer l’évolution d’une Magus ayant également les pouvoirs d’un Foréa. Tu peux être fière cependant, j’ai acquis de nombreuses et intéressantes données grâce à toi.
— … ! Q-Quoi ?
— Il est temps de te dire la vérité. Toute l’histoire que je t’ai raconté est fausse. Je ne t’ai pas recueilli au palais par bonté d’âme. Pour tout de dire, si tu es orpheline, c’est par ma faute. J’ai envoyé l’un de mes anciens Foréa dans ton village natal, dans le but de te kidnapper. Je lui ai aussi demandé d’effacer toute preuve, c’est-à-dire, de massacrer le village. En résumé, tes parents sont morts sous mes ordres. Tu n’étais qu’un bambin à l’époque, il est normal que tu ne t’en souviennes plus. Et grâce à ça, tu étais aisément manipulable ; il fut très simple de te mettre à ma botte.
— V-Vous mentez… c-c’est impossible…
— Nous autres, scientifiques, bannissons le mot impossible. Nous ferons absolument tout pour nos recherches.
Au côté d’Asda, Omilio faisait de son mieux pour la soutenir. La pauvre Foréa ailée vivait un tel brouillage émotionnel qu’elle n’arrivait plus à se tenir debout. Le simple fait de réfléchir la torturait. Ses yeux avaient perdu toutes lumières.
— … pourquoi lui dire ça maintenant ? grinça Omilio.
— Parce que cela n’a aucune importance, proclama le Professeur. Asda est l’une de mes marionnettes les plus parfaites. J’ai un contrôle total sur elle. Crois-tu vraiment que j’accorderais à une Magus les pouvoirs d’un Foréa, sans prendre de précautions ?
— … des précautions ?
— Les très jeunes enfants sont facilement manipulables, et je ne parle pas uniquement de leur esprit. Leur corps, également, est en pleine construction. Il est ainsi aisé de le modifier. Ce n’est pas pour rien que j’ai absolument voulu acquérir Asda peu de temps après sa naissance.
Le professeur claqua des doigts et, brusquement, une terrible aura de puissance émana d’Asda ; Omilio fut vivement repoussé.
— Lorsqu’elle n’était qu’un nouveau-né, je lui ai greffé un parasite directement dans son système nerveux. Au fil des années, il a grandi, grandi, encore grandi, jusqu’à prendre totalement possession du moindre de ses nerfs. D’ordinaire, le parasite est endormi et Asda est autonome. Mais si je le réveille…
Subitement, Asda fusa vers Omilio et l’infligea un sévère coup en plein ventre. Le Foréa d’Aifos écarquilla des yeux ; du sang sortait de sa bouche.
— Asda ne devient qu’une carapace vide, contrôlé par un hôte parasite. Oh, et bien sûr, le parasite étant l’une de mes créations, il obéit parfaitement à mes ordres. Mais vous savez le plus drôle dans l’histoire ? C’est qu’Asda reste consciente, mais elle n’a plus aucun contrôle. Imaginez ce qu’elle doit ressentir en ce moment ; elle voit son propre corps devenir fou sans pouvoir l’arrêter. C’est grisant, n’est-ce pas ?
— U-Une telle chose est-elle vraiment possible ? bafouilla Ifios.
— C’est le pouvoir de l’humanité, déclara le Professeur. L’Homme a toujours eu le pouvoir de rendre l’impossible possible.
Le Professeur élargit son sourire :
— Bien, il est maintenant tant pour moi de partir. Asda va vous attaquer sans relâche, jusqu’à son dernier souffle. Tâchez de survivre. Si tu parviens à la vaincre, la place de Vasilias te reviendra, Eily. Rends-moi fier d’être ton créateur.
— … ! E-Espèce de…
— Je vais également ouvrir le plafond, il mène à une zone de combat bien plus agréable. Si vous vous affrontez ici, vous risquerez de détruire de précieuse données. Je ne parle pas pour moi, mais pour vous. Si Eily devient le Vasilias, ce laboratoire vous appartiendra. J’y ai laissé de nombreuses informations sur les sous-branches du projet VH. Pensez-y.
Le Professeur fit un signe de tête. Les deux étranges individus voilés s’avancèrent à ses côtés.
— Oh, j’oubliais. Il y a des scientifiques là-haut. Libre à vous de les laisser en vie ou non. Ce sont des clones dépourvus de volonté, ils sont programmés pour obéir à de simples directives, et rien qu’à celles-ci. Vous pouvez les arracher un bras qu’ils continueront inlassablement leur tâche, jusqu’à la mort. Voilà, j’imagine que j’ai assez parlé. Si vous parvenez à vaincre Asda, on se reverra. Maintenant, je vais vous quitter. Nester, Athoo, la téléportation.
— … !
« I-Il a bien dit… ! », souffrit mentalement Eily.
L’être voilé de noir ébène prit la main gauche du Professeur, tandis que l’être voilé de blanc albâtre prit la droite. Brusquement, les trois individus commencèrent à briller légèrement, devenant de plus en plus translucide. Et, pendant qu’il disparaissait en une myriade de particules irisées, le Professeur fixa Eily de ses yeux fous :
— Vous n’avez aucune chance de gagner. C’est impossible. C’est impossible, alors montrez-moi que vous pouvez le rendre possible. Montrez-moi l’évolution de l’humanité !